En 1932, à Loperhet (Finistère) c’est la guerre du sexe

Dans mon nouveau livre ʺL’évêque et les danses kof ha kof (ventre à ventre)‶, je raconte avec beaucoup d’anecdotes, la lutte de M^gr Duparc, évêque de Quimper et de Léon (tout le Finistère), contre les danseurs, les tenanciers de dancings, les musiciens et même les chauffeurs d’autocars qui conduisent les jeunes de salle en salle. Une vraie croisade contre le Malin !

Ce terrible évêque régnait sur une armée de recteurs et de curés qui pourchassaient les fautifs, les dénonçaient en chaire, les punissaient en les mariant sans cloches à 7 h du matin, les enterraient, eux et leur famille, avec un service minimum.

Dans le livre, je consacre quelques lignes à un recteur qui, en 1932, s’est ridiculisé dans la France entière et même au-delà en voulant plaire à son évêque. Faut-il en rire ou en pleurer ? Je vous laisse juge avec cet extrait du livre :

Grâce à ʺLa Défense laïque‶ et même au ʺDaily Telegraph‶, les démêlés de l’abbé Charles Creignou, recteur de Loperhet, ne sont pas passés inaperçus. Son histoire mériterait un chapitre entier, mais cet ouvrage étant susceptible d’être feuilleté par un enfant, il faudra passer sous silence quelques détails scabreux.

M. Creignou a-t-il lu ʺLysistrata‶, la célèbre comédie d’Aristophane ? C’est peu probable, l’œuvre ne faisant pas partie des livres autorisés par l’Église. L’héroïne de cette pièce, exaspérée par la bêtise et l’inconséquence des hommes, convainc les autres femmes de mener une grève du sexe pour faire cesser la guerre du Péloponnèse (Athènes contre Sparte).

Dans le même esprit, le recteur de Loperhet ordonne à ses paroissiennes, dont les maris ne se soumettront pas aux injonctions épiscopales, de se refuser à toute relation conjugale et de ne leur servir que des mets brûlés. En conséquence, ces époux, qu’ils soient conducteurs d’autocars, lecteurs d’un journal interdit ou musiciens de bal, sont involontairement poussés par le prêtre à aller chercher ailleurs ce qu’ils ne trouvent plus au domicile conjugal. Pourtant, l’adultère n’est-il pas condamné par la Bible ? Et s’ils passent leur soirée au cabaret et y noient leur chagrin, quelle sera la sanction divine ? Aucune, puisque l’ivrognerie, contrairement à la danse, n’est pas une cause de damnation.

Le facteur de Loperhet a désormais un client célèbre qui, au presbytère, reçoit beaucoup de courrier dont il se passerait volontiers. Dans le lot se trouvent peu de lettres de félicitations, mais plutôt des insultes et même des obscénités. En voici quelques échantillons :

D’un vieux Breton qui voit clair : Vous êtes le plus beau cuistre que la terre ait connu. Votre place est dans une ménagerie.
D’un brasseur d’Amiens : Êtes-vous donc si laid qu’aucune femme ne veuille de vous ? S’il y a beaucoup d’individus de votre espèce pour diriger la religion chrétienne, elle sent la fange.
D’un Breton de Paris : Je souhaite de tout cœur que vos paroissiens vous traiteront comme vous le méritez et que leurs lourds souliers cloutés botteront avec énergie votre vilain derrière.
D’un catholique strasbourgeois qui se dit être le fournisseur attitré du clergé de France : Pour combattre l’impuissance, prenez Bandaflor, c’est épatant, six francs la boîte, franco de port et envoi discret.
Si vous n’avez pas d’occasion parmi vos paroissiennes, dites-le. Nous vous enverrons en grande vitesse une petite poule bien dodue et bien sensuelle.
D’un anonyme, visiblement très remonté contre le personnel ecclésiastique : La réputation des prêtres de votre région est loin d’être bonne. On sait que vous êtes des ivrognes et des coureurs de jupons. Nous n’hésiterons pas à vous mettre le nez dans vos excréments, espèce de dégoûtant.
De Félix Grasdesmiches (sic), boxon n°2, Versailles : J’ai l’honneur de vous demander l’autorisation de bien vouloir monter un boxon à Loperhet. Comme nous sommes plus sérieux que les joueurs de football de Saint-Servais, nous ne ferons pas voir nos cuisses, simplement nos C…

Suivent les tarifs des prestations fournies par les pensionnaires, champagne en sus, illustrés par un dessin pornographique du plus mauvais goût.

Le pauvre recteur doit passer de bien mauvaises nuits et, quand il parvient enfin à trouver le sommeil, des créatures de rêve ne viennent-elles pas le troubler ? Pendant la journée, quelques mauvais esprits lui ayant fait parvenir des journaux de toute la France, il ne peut s’empêcher de lire et relire les attaques virulentes dont il est l’objet. Selon son avocat, cette campagne de calomnies cherche à atteindre l’abbé Creignou dans sa dignité de prêtre et de chef de paroisse. Pourquoi tant d’articles méchants, venimeux et obscènes ? Pour le journal ʺL’Ordre‶, les paysans respectent leur recteur, mais ils se fâcheront contre lui s’il a le nez sur leur couette et dans leur casserole.

Touché au cœur, l’abbé porte plainte pour diffamation et, en juin 1932, ʺLa Dépêche de Brest‶ est condamnée à lui verser deux mille francs de dommages et intérêts. En août, ʺLa Défense laïque‶ ne doit s’acquitter, en raison de sa diffusion restreinte, que d’une somme de cent francs, plus les frais de justice.

L’ouvrage est illustré par 26 aquarelles magnifiques, souvent irrévérencieuses, signées Jean-Marie Misslen, un peintre de grand talent.
Si ce livre était paru il y a un siècle, nous aurions été excommuniés ! Même mon auguste père m’aurait renié.

Pour en savoir plus sur le livre d’où est tiré cette histoire : www.chuto.fr
livre d’or : http://www.chuto.fr/index.php/livre-d-or