www.histoire-genealogie.com

----------

Accueil - Articles - Documents - Chroniques - Dossiers - Album photos - Jeux - Entraide - Lire la Gazette - Éditions Thisa


Accueil » Articles » Histoire locale » Elle tue l’époux qui ne peut la satisfaire

Elle tue l’époux qui ne peut la satisfaire

En 1845 à Plobannalec (pays bigouden)

Le vendredi 14 mars 2025, par Pierrick Chuto

Je m’étais juré de ne pas faire comme les autres et, pourtant, ce jeudi 5 février 1846, c’est difficilement que je me fraye un chemin sur la place de la Magdeleine à Pont-l’Abbé, afin d’être bien placé pour assister au spectacle. Que voulez-vous ? Les distractions sont si rares que, comme moi, tous les paysans qui se trouvent sur le marché ont arrêté leurs transactions ou ont quitté les deux débits de boissons situés autour de cette place pour ne rien rater de l’événement du jour.

À onze heures précises, Christine Diquélou, encadrée par plusieurs gendarmes, arrive sur les lieux du supplice. L’un des exécuteurs l’attache à un poteau au-dessus duquel est inscrit en gros caractères : Christine Diquélou, cultivatrice, Plobannalec, condamnée aux travaux forcés à perpétuité pour le meurtre de Guillaume Le Calvez, son mari.

La majorité des gens présents ne savent pas lire, mais tous connaissent le motif qui lui vaut cette peine infamante que l’on nomme exposition, et les commentaires vont bon train. Rares sont les spectateurs qui s’apitoient sur le sort de la condamnée et beaucoup attendent qu’à bout de nerfs, submergée par la honte, elle gémisse ou pleure. Comme elle ne veut sans doute pas leur donner ce plaisir, elle reste impassible, le teint à peine moins coloré qu’à l’ordinaire.

JPEG - 1 Mio
Marché sur la place de la Magdeleine
(Pont-l’Abbé)

Au bout d’une heure, ce petit bout de femme (1 m 46) est soustrait aux regards du peuple et conduit à la maison de dépôt de la ville. De là, la condamnée partira vers la maison de justice de Quimper, avant d’aller finir ses jours dans une maison centrale pour femmes.
Je connais depuis longtemps Christine, mais pour ne pas risquer de représailles de la part d’éventuels descendants, je vais vous raconter cette histoire tragique sans préciser qui je suis.

Un caractère difficile

Née le 8 mars 1798 à Plobannalec, elle a épousé en 1825 à Loctudy Jacques Stéphan, journalier. Des six enfants qu’ils ont eus, seuls deux étaient encore en vie à la mort de leur père en 1836. Sans ressources, Christine, ne voulant pas suivre le même chemin que sa mère, devenue mendiante suite à son veuvage, a épousé un an plus tard son cadet Yves Le Guen. À l’époque, je l’avais perdue de vue et j’ignore la cause du décès en 1842 de ce deuxième époux qui, disparu à trente-six ans, laissait une orpheline. Ensuite, certains esprits soupçonneux ont sans doute pensé qu’il était risqué d’épouser Christine, par deux fois veuve, mais la justice ne s’en est pas mêlée, et la veuve a pu se mettre en quête d’un nouveau mari.

Les prétendants ne se sont guère bousculés pour accueillir cette femme au caractère difficile (certains diront même acariâtre), et ses deux enfants. Seul, Guillaume Le Calvez, un cultivateur de quarante-neuf ans, ayant deux enfants d’une précédente union, a accepté de passer avec elle devant aotrou maire et aotrou curé (monsieur le maire et monsieur le curé). Après le mariage à Loctudy en mai 1845, tout ce petit monde s’est installé chez Le Calvez à Kerveguen en Plobannalec. Comme d’autres connaissances, j’avais prévenu Christine que le sieur Guillaume abusait de la boisson et que cela le rendait très mauvais. Pas de problème, disait-elle, elle en a maté d’autres et, selon les on-dit, Le Calvez s’était bien arrangé avec sa première femme. Le jour des noces, tout fut pour le mieux entre les deux tourtereaux.

C’est au bout d’une semaine de vie commune que cela s’est gâté. Après sa journée de travail, Guillaume, ayant l’habitude de se rendre au bourg, rentrait pris de boisson au logis et s’endormait rapidement, délaissant son épouse. C’est sans doute cela qui a provoqué son décès plus que brutal, dans des circonstances que je vais maintenant vous narrer, en relatant par le menu ce qui s’est dit lors du procès, les 14 et 15 janvier 1846 à Quimper, aux assises du Finistère.

JPEG - 180.8 kio
Palais de Justice devant la rivière
(Quimper)

Cour d’assises. Premier jour

Le mercredi 14 janvier, après plusieurs heures d’attente sous une pluie glaciale, j’ai hâte de pouvoir rentrer dans le palais de justice. Mais je ne suis pas seul et il n’y aura pas de place pour tout le monde.

Après une procédure bien longue, le greffier lit l’acte d’accusation : Christine Diquélou est accusée d’avoir commis volontairement et avec préméditation un homicide sur la personne de Guillaume Le Calvez, son époux, en l’étranglant le 15 octobre 1845 dans le grenier de leur demeure. L’accusée nie depuis le début de l’enquête ces faits qui, s’ils sont établis, peuvent la conduire à l’échafaud.

Elle raconte qu’au matin de cette funeste journée, son mari est parti faire ferrer son cheval noir chez le maréchal. À son retour, il n’était pas ivre, seulement un peu échauffé. Comme Christine vannait du froment dans un champ, Le Calvez lui a ordonné de vanner également du blé noir. Laissant son mari dans l’aire à battre, elle est partie coudre des sacs avant de les remplir, puis elle est venue dîner (déjeuner actuel). À sa belle-mère qui s’étonnait que l’écuelle du mari n’eut pas été remplie de lait, elle a répondu en souriant qu’étant à dormir au grenier, il ne viendrait pas dîner. En début d’après-midi, elle a continué à vanner avec Marie Autret, la domestique, dans une garenne appelée Goarum-Nevez. Pierre Coïc, l’autre domestique, venu apporter du blé à vanner, a dit que maître Kernilis, notaire, voulait parler au patron. Christine a répondu : Oh ! il ne se réveillera pas, car je lui ai donné un bon coup ; il dormira bien. Puis, vers trois heures, sa fille, Marie-Perrine, est venue la prévenir que Guillaume était étendu mort dans le grenier. Elle lui a répondu : Taisez-vous, petite sotte, ce n’est pas vrai.

Laissons maintenant les témoins raconter la suite à la barre, et tout d’abord Marie Autret. Elle est rentrée à la ferme avec sa maîtresse qui n’a pas voulu monter de suite dans le grenier. Là, devant l’homme étendu sur une botte de paille, Christine s’est contentée de le toucher du bout des doigts, avant de se laisser tomber sur un sac de graines et de dire : Pauvre Guillaume Le Calvez. Puis elle est descendue, s’est assise près du foyer et a versé des larmes abondantes. Quoi de plus naturel pour une épouse qui vient d’apprendre la mort de son mari, n’est-ce pas ? Mais selon la domestique, Christine faisait semblant de pleurer et ses yeux étaient secs. Depuis quelque temps, les deux époux se querellaient sans arrêt. Le Calvez, jaloux, reprochait à sa nouvelle femme d’être trop libre dans ses allures. Il l’accablait d’épithètes injurieuses et lui disait d’aller chercher d’autres hommes. Ne le supportant plus, elle racontait volontiers qu’elle aurait la vie de son mari. Prise d’une soudaine fureur, elle a même menacé un jour de mettre le feu au village et à ses habitants. On imagine qu’après de tels propos, l’ambiance n’était guère agréable à Kerveguen. Marie Autret ajoute qu’à huit heures du soir, l’accusée a soupé comme à l’ordinaire.

JPEG - 9.2 kio
Cribleur ou vanneur de blé

Catherine Le Calvez, onze ans, fille du défunt, apporte ensuite quelques précisions. Alors que vers onze heures, elle était occupée à faire du feu pour cuire les pommes de terre du dîner, elle affirme avoir vu sa marâtre descendre pieds nus du grenier, aller à son armoire, y prendre quelque chose qu’elle a mis dans sa poche et remonter au grenier. Une heure après, elle est descendue, Yves Le Doff, un voisin, demandant l’autorisation d’emprunter une charrette. Elle lui a dit que Le Calvez était parti chez le maréchal, puis elle est remontée au grenier pour, prétendit-elle, y chercher un crible (tamis). Une demi-heure après, elle est redescendue sans l’objet évidemment, puisqu’il est toujours rangé dans une demi-barrique au rez-de-chaussée.
Pour l’accusation, il ne fait aucun doute que l’accusée est coupable, et le juge donne sa version des faits. Montée une première fois au grenier, Christine a attendu que son mari soit endormi avant de l’étrangler. Les deux autres fois, elle est remontée pour s’assurer qu’il était bien mort. Malgré les témoignages qui l’accablent, elle campe sur ses premières déclarations et prétend qu’elle s’est contentée de monter quelques marches dans l’escalier du grenier pour y chercher un sac.

Selon elle, son mari s’est suicidé et qu’importent les rapports des deux médecins quimpérois qui ont conclu à un meurtre par strangulation. Quand on lui demande pourquoi Le Calvez aurait mis fin à ses jours, elle évoque son désarroi en raison d’une récente condamnation à quinze jours de prison pour avoir traité le maire, Pierre Toulemont, publiquement et à plusieurs reprises, de mille ânes, trois, quatre mille fois ânes et d’autres qualificatifs aussi injurieux, comme chargé de poux (sac à poux). L’édile avait osé dresser contravention à un cabaretier qui n’était pas en règle, d’où la fureur de Le Calvez, l’un des meilleurs clients sans doute de ce débitant. Le Calvez aurait confié à sa femme qu’il était hors de question qu’il aille en prison. Il se passerait plutôt une corde autour du cou. De là à prétendre que notre homme s’est suicidé pour échapper à quelques jours derrière les barreaux, la ficelle est un peu grosse.

Mais revenons aux témoignages à charge. Lorsque Pierre Coïc, garçon de ferme au service du défunt, s’avance vers la barre, le président, indiquant que l’homme va être entendu à huis clos, fait évacuer la salle. Dehors, les commentaires vont bon train et la cause de notre évacuation ne fait aucun doute, car Coïc a beaucoup raconté avant le procès ; il va être question de sexe devant une cour pudibonde. En effet, le 2 octobre, alors que les époux étaient couchés et se disputaient comme à leur habitude, Coïc a entendu Christine dire son mari : Si vous ne vous taisez pas, ce sera votre dernière nuit. Peu après, comme son maître hurlait de douleur et appelait à l’aide, le domestique s’est précipité et a vu l’accusée tordre avec force les parties sexuelles de Le Calvez. D’après Coïc, elle lui reprochait souvent de trop boire et d’avoir ensuite moins d’aptitudes à certaines fonctions. Je pense inutile de préciser de quelles fonctions il s’agissait ! Coïc ne parlant que breton, j’ignore comment l’interprète a traduit la chose ! C’était sûrement bien plus savoureux. Lors d’un interrogatoire, Christine aurait prétendu que, fatiguée de la lenteur et du poids de son ivrogne de mari, elle aurait simplement voulu le repousser. Avec force et sans ménagement, semble-t-il !

Nous réintégrons ensuite la salle d’audience pour entendre le témoin suivant, maître Kernilis. Il raconte qu’à son arrivée à Kerveguen pour parler affaires avec Le Calvez, la mère de celui-ci lui a dit que son fils dormait au grenier, parce que, peu de temps auparavant, il était rentré pris de boisson. Le notaire l’a appelé à plusieurs reprises, l’a frappé de quelques coups de cravache, l’a secoué par l’habit et par un pan de son pantalon, d’ailleurs déboutonné, mais sans parvenir à le réveiller. En descendant, il a dit en plaisantant : Cet homme est mort. Il ne pensait pas si bien dire.

Je passe rapidement sur d’autres déclarations qui, toutes, accablent Christine. Elle aurait déclaré entre autres : Il faut que j’aie entre les mains le cœur de mon mari. Au maire l’interrogeant sur les menaces qu’elle aurait proférées, elle a répondu : Comment pourriez-vous être assez infâme pour croire à de semblables propos ?
À sept heures du soir, le président des assises ayant suspendu l’audience, je quitte la salle, convaincu de la culpabilité de Christine. À aucun moment, elle n’a baissé les yeux, ni exprimé le moindre remords, continuant à se dire innocente.

Cour d’assises. Second jour

Le lendemain matin, à la reprise des débats, les témoins à décharge interviennent. L’un parle des bons rapports que l’accusée aurait entretenus avec ses deux précédents maris. Selon lui, je cite : elle a eu pour eux les plus grands égards et en a pris les plus grands soins pendant leur maladie mortelle. Un autre dit que, contrairement à ce qui a été affirmé la veille, Le Calvez battait sa première femme. Ce n’est pas étonnant, vient dire à la barre le maire, déjà entendu la veille. Le Calvez, petit homme sanguin à la large carrure, était violent. D’un caractère emporté, il allait jusqu’à la frénésie lorsqu’il était ivre.

Ensuite, M. Berhaud, procureur du roi, résume dans un réquisitoire implacable toutes les charges qui pèsent contre l’accusée, dont maître Moallic a bien du mal ensuite à assumer la défense. Il ne peut que demander la clémence des jurés en raison des mauvais traitements qu’elle a subis de la part de son mari.

Les douze jurés se montent sensibles à ces arguments, car après vingt minutes de délibération, le chef du jury déclare que Christine Diquélou est reconnue coupable du meurtre de Guillaume Le Calvez, mais avec circonstances atténuantes. Christine sauve ainsi sa tête et j’avoue en avoir été soulagé. La coupable aussi, sans doute !

15 mars 1848

Je viens d’apprendre le décès de Christine à la maison centrale de Vannes, rue d’Auray. Elle s’est éteinte le 14 novembre 1847, soit moins de deux ans après son arrivée derrière les barreaux de cette prison à la mauvaise réputation. J’ignore si elle est morte des suites de maladie ou à cause des mauvais traitements infligés aux condamnées. A-t-elle aussi mangé à sa faim en raison de la disette qui frappait la Bretagne à cette époque ? S’il n’y avait pas de nourriture pour les honnêtes gens, imaginez ce qu’il restait pour la lie du peuple !

JPEG - 93.8 kio
Maison centrale (Vannes)

Encore un détail : le 10 novembre, soit quatre jours avant le décès de la prisonnière, Jacques- Sébastien Stéphan, le fils qu’elle a eu avec son premier mari, a épousé à Loctudy Marie-Perrine Bargain. À la noce où j’étais invité, personne n’a évoqué cette pénible affaire. Il est précisé dans l’acte d’état civil que la mère du marié est morte civilement par suite de condamnation prononcée contre elle pour crime. Pauvre Christine Diquélou, décédée deux fois ! Civilement, puis physiquement !

BLOG : https://www.lesarchivesnousracontent.fr/

Sources
Archives départementales du Finistère : 4 U 1 31, 4 U 2 91
Archives nationales : BB 20.137. Compte rendu du président des assises. (document communiqué par Annick Le Douget)
Gazette du Palais du 21 janvier 1846 (Document communiqué par Annick Le Douget)
RECIF (base de données du Centre généalogique du Finistère C.G.F)

Un message, un commentaire ?

modération a priori

Ce forum est modéré a priori : votre contribution n’apparaîtra qu’après avoir été validée par les responsables.

Qui êtes-vous ?
Votre message

Pour créer des paragraphes, laissez simplement des lignes vides.

6 Messages

https://www.histoire-genealogie.com - Haut de page




https://www.histoire-genealogie.com

- Tous droits réservés © 2000-2025 histoire-genealogie -
Suivre la vie du site RSS 2.0 | Plan du site | Mentions légales | Conditions Générales d'utilisation | Logo | Espace privé | édité avec SPIP