1- Le document (Arch. Dép. du P. de D., Fonds de Beaumont, cote 50H68)
1-Jean Bournet Chastellain de beaulmont [1]
2-Par Reverand(e) dame Anna Le Groing abbesse et dame de beaulmont /
3-Laschamps et en Partie de Croix [2] Salut. Comme le procureur d office en la court de seans ayt faict assigner par devant Nous Jehan
4-Mignot filz a Estienne habitant dudit beaumont pour se voir condempner
5-a paier a ladite dame abbesse dudit beaulmont Ung pain tel qu on le faict le
6-Jour que les habitants dudit beaulmont se Marient et font leurs Nopces
7-Une jambe de pourceau freche, Ung Petit pot d ung denier ou
8-Une Plaine escuelle de poutaige tel qu on le faict esdites Nopces, que
9-ledit defenseur luy doibt a cause de sa dignitte Abbatialle, duquel droict
10-a tousiours Jouy. & ses Predecesseresses sans aulcun contredict par Temps Imemorial
11-et Jusques qu il peult avoir deux Mois seulement ou entour que ledit
12-deffenseur s est Marie et n a paie lesdits droicts combien qu ils sont deubs a ladite dame
13-Tant par Transaction faicte avec les habitants dudit lieu que jouissan par elle
14-faicte Immemorialle, et Par deffaut de l avoir faict lors desdites Nopces
15-qu il sont condempne en L amande de soixante sols tournois et es despans de l instance
16-et Suivant l assignation donnée les Parties se seroint respectivement Comparues ou procureur pour Elles, et ledit deffenseur a son procureur auroint conclud
17-et propozé Comme dessus En Leurs deffenses comparant par maître blardin berny [3]
18-Son procureur acisté dudit Estienne Mignot pere audit deffandeur A dict qu il
19-Ne veult desnier que lesdits droictz Ne soict deubs A Madite Dame Lors que
20-les habitans dudit Lieu se Marient audit beaulmont Mais que ledit
21-deffendeur s estant Marie a une fille de la ville de clermont a receu le sainct 22-Sacrement de Mariage en ladite ville qu il Ne doibt lesdits droicts. Toutesfois qu il s en Remect au Contract faict Entre ladite dame & habitans, &
23-A droict, Ledit procureur par replicque auroict dict que lesdits droicts son deubs
24-a ladite dame et bien que ledit deffenseur aye receu le sainct sacrement en ladite ville de clermont
25-Sca este par permission de son Curé, Mais qu ils sont appres l avoir receu venues
26-Consommer le Mariage audit lieu de beaulmont faire le festin & seremonies 27-en tel cas acoustumees & perciste a la condempnation par luy requise, Et pour
28-Monstrer que lesdits droicts sont legitimement deubs a Justiffie du Contract
de Transaction lequel ayant este leu, et Leu par ledit berny procureur
29-dudit deffenseur et icelluy, aciste dudit estienne Mignot pere dudit deffensseur, ont
30-offert paier lesdits droicts en leur donnant temps. Sur quoy Les
31-Parties ont par Lecture faicte dudit contract et effect faict par ledit
32-deffendeur, Nous de son consantement, Avons ledit deffendeur
33-Condempne A paier a ladite dame dans dix jours prochains Lesdits
34-pain, jambe de pourceau freche pot ou poutaige demandes
35-et en sus aux despans. Sy Nous mandons au sergent ordinaire de
36-ladite chastellenye ou autre sergent royal [4] sur ce requis de se Presenter Mectre et
37-Estre deue sellon leur forme et teneur de ce fere leur donnoint pouvoir
38- Donné audit beaulmont soubs le scel de la Chastellenie Le neufviesme
39-du mois de Mars mil six cens quatre. Collationnement facte par moy
Bournet chastellainBorye commis greffier [5]
2- Le droit de noce à Beaumont
Tout comme les autres droits seigneuriaux en vigueur à Beaumont [6], le droit de noce fut âprement contesté par les habitants. Il leur apparaissait en effet comme une survivance de l’ancien pouvoir féodal, et ils devaient donc moins bien le tolérer.
Dans une seigneurie laïque, ce droit consistait pour le seigneur à participer à la noce lors du mariage de ses sujets. On sait que cette obligation pour les sujet d’inviter leur seigneur a été longtemps l’objet de railleries et l’on a parlé un peu abusivement d’un « droit de cuissage ». Il semble qu’il ait eu pour but principal de permettre au seigneur de contrôler les alliances qui s’établissaient au sein de ses sujets, notamment lorsque l’origine de l’un des époux était extérieure à la localité.
A Beaumont, seigneurie ecclésiastique, la règle monastique s’opposait évidemment à ce que l’abbesse fut présente aux festivités. Dans ce cas, il incombait aux mariés d’apporter à l’abbesse une part du repas nuptial [7].
Les nouveaux mariés devaient donc se rendre eux-mêmes au parloir de l’abbaye où ils lui remettaient quelques reliefs du repas nuptial. La nature des aliments était apparemment codifiée, si l’on en juge par la sentence de 1604 (à noter qu’on était à l’époque de la poule au pot du bon roi Henri...) : un pain de noce, une jambe de pourceau fraîche et une écuelle de potage.
Comme on l’a laissé entendre plus haut, à Beaumont, au fil des siècles, les élus, puis les consuls, intentèrent de nombreux procès à l’abbaye pour contester les droits seigneuriaux. Ainsi, en 1490, les élus et les habitants contestèrent à l’abbesse Marie de la Forest le droit de proclamer le jour du commencement des vendanges, ou ban des vendanges : ils prétendaient que ce droit leur revenait de toute ancienneté, alors que l’abbesse affirmait qu’il lui appartenait en tant que seigneur justicier du lieu, au même titre que les autres droits dont elle jouissait : droit de fournage, régissant l’utilisation du four banal, droit de chevrotage, droit de courtage, droit de pacage, corvées et...ce fameux droit de noce.
Les élus et les habitants firent appel, et la sénéchaussée donna finalement raison à l’abbaye, en confirmant ses droits et privilèges par une sentence datée du 4 Avril 1495.
Cette sentence rappelait dans ses attendus que “ les religieuses sont dames en toute justice haulte, moyenne, et basse du dit lieu de beaumont, et est la dite abbaye de beaumont une belle ancienne et notable abbaye de fondation royale, en laquelle y a costidiennement grand nombre de notables Religieuses faisans et continuans nuyt et jour divin service, pour la sustentation desquelles et support des charges de la dite abbaye il y a bien petite fondation et encore tendent les dits habitans appellans, qui sont leurs subjects, par force de contradiction formelle et voyes indirectes, mectre du tout a mendicité les dictes poures Religieuses et leur faire perdre les droitz de leur dite abbaye dont elles ont accoutume journellement avoir et tirer leur poure vie ”. Un peu plus loin, le même document exprime la crainte de voir les religieuses “ destituées de tous leurs droitz et en voye de mendicité et de mourir de faim ” !...
Cette sentence s’appuyait essentiellement sur une enquête diligentée par la sénéchaussée, qui dépêcha des commissaires à Beaumont, au cours du mois de Mars 1494, pour y recueillir les déclarations d’une dizaine d’habitants jugés suffisamment sages, “ aigés et de bonne mémoire ” afin d’établir l’ancienneté de ces privilèges et de confirmer qui devait en bénéficier.
L’un de ces témoins avait alors 80 ans, ce qui devait probablement constituer une exception à cette époque où l’on atteignait difficilement la quarantaine, pourvu que l’on ait échappé à la mortalité infantile et aux épidémies : la peste, que l’on trouve bien présente notamment autour de 1500 et qui apparaît de manière récurrente dans les archives, décimait les populations. Dans leurs dépositions, faites sous serment, ces témoins évoquent leurs propres souvenirs, qui remontaient parfois au début du XV e siècle : ces dépositions ne sont pas seulement émouvantes, à lire les témoignages de ces vieux beaumontois nés à l’époque des chevauchées de Jeanne d’Arc ! elles sont aussi très instructives, car elles passent en revue, dans le moindre détail, les différents droits seigneuriaux alors en vigueur à Beaumont et évoque notamment ce droit de noce [8].
Les témoins confirmèrent tous cette vieille obligation à l’égard de leur abbesse qui était très pointilleuse à cet égard et qui spécifiait que les mariés devaient une jambe de pourceau fraîche, un pain tel qu’on le faisait pour les noces, et une pleine écuelle de potage. Autrefois, déclare un témoins, il fallait même ajouter une “ espaule de moston pourrie ” ! (il voulait probablement dire fumée)... En échange, l’abbesse remettait à l’époux quelques menues monnaies, sans que ce fut pour elle une obligation.
Georges Faure, âgé de 55 ans, déclare d’ailleurs que lorsqu’il est allé lui-même acquitter sa redevance, il a bien vu chez l’abbesse vingt à vingt-cinq jambes de pourceaux qui “ estoient sallées et qui estoient provenues des dicts mariages ” !...
Hugues Bosse, le notaire du lieu, précise quant à lui qu’il a vu autrefois “ que quant aucuns pauvres gens ne tiennent point de pourceaulx venoient à composer avec la dicte dame abesse a une espaule de moston ou austres chouses qu’ils prenoient ”.
Anthoine Delupses, âgé de 40 ans environ, s’est marié deux fois. Lors de ses premières noces, son père Pierre tenait une hostellerie. Lorsqu’il se présenta à l’abbesse, elle lui remit en échange des victuailles un bonnet pour sa femme. Elle eut cette délicate attention pour lui, car Pierre Delupses logeait les frères de Madame lorsqu’ils lui rendait visite à Beaumont. Néanmoins, comme le souligne complaisamment Pierre Delupses à l’enquêteur, elle ne lui donna rien lors de son deuxième mariage.
Ce droit était immanquablement appliqué, puisque certains beaumontois, qui se remarièrent jusqu’à trois fois, durent s’en acquitter.
Ainsi, Pierre Bresche, âgé de 40 ans, et qui en était à son troisième mariage, accomplit scrupuleusement son devoir envers l’abbesse : il eut plus de chance que Delupses, puisqu’il fut gratifié chaque fois en retour de “ deux ou trois blancs ” [9]...
On peut s’étonner de l’excellente mémoire de ces témoins du passé : Gounins Vaures [10], âgé de 80 ans, se souvient parfaitement qu’à son premier mariage, Agnès de Montmorin, alors abbesse, lui donna deux blancs (Vaurès est donc né vers 1414).
Jehan Juzilh, âgé de 55 ans, se maria deux fois et se souvient qu’Yzabeau de la Forest, qui succéda à Agnès de Montmorin, lui donna 2 sous et 6 deniers la première fois et 2 sous la deuxième.
Apparemment, l’abbesse tenait tout particulièrement à ce que ses prérogatives fussent respectées, comme le prouve le procès présenté ici, qu’elle intenta contre Jehan Mignot, fils d’Etienne. La sentence du châtelain de Beaumont le condamna le 9 mars 1604 à apporter dans les dix jours à l’abbesse sa part du repas de noce. Comme on a pu le lire, Jehan Mignot s’était marié deux mois plus tôt et avait omis de présenter à l’abbesse “ la jambe de pourceau freche, ung petit pot d’ung denier ou une pleine ecscuelle de poutaige tele qu’on le faict esdictes nopces, que le dict deffendeur luy doict a cause de sa dignitté abbatialle, duquel droict elle a tousiours jouy et ses predecesseresses sans aulcun contredict par temps imémorial ” !...
Etienne Mignot le père expliquera bien que son fils s’était marié à une fille de Clermont, où le mariage avait été célébré, et qu’il ne devait donc rien à l’abbesse. Mais l’abbesse lui répliqua, par l’intermédiaire de son châtelain, que les jeunes époux étaient venus notoirement consommer leur union à Beaumont, où on les vit “ faire le festin et seremonies en tel cas acoustumées ”.
En fouillant un peu plus dans les fonds d ’archives, on parviendrait peut-être à établir si ce droit est resté en vigueur jusqu’à la fin de l’ancien régime, ou au contraire s’il était entre-temps tombé en désuétude.
3- Quelques cas atypiques à Beaumont
Un examen attentif des registres paroissiaux où les curés enregistraient les baptêmes, mariages et décès révèlent parfois des cas pour le moins pittoresques. Je ne peux résister à l’envie d’en présenter quelques uns ici.
Un marié (très) âgé :
On a vu qu’au moyen âge, certains beaumontois étaient dotés d’une prodigieuse longévité. Cette qualité, rare pour l’ époque, allait de paire avec une vigueur au dessus du commun et il ne faut donc pas s’étonner de les voir mariés jusqu’à trois fois au cours de leur longue vie.
D’autres se mariaient tardivement comme Jean Villevaud d’Aubière qui convola à 60 ans avec Anne Brechette de Beaumont, veuve de 30 ans :
« Apres avoir publié les bans de mariage Entre Jean Villevauld Laboureur habitant et parroissien d Aubiere aage de 60 ans et Anne Breschete veufve aagée de 30 ans de cette paroisse Les trois dimanches 20 & 27e Janvier et le 3e febvrier sans opposition ny declaration d aulcun empeschement & Lesdits bans aussi publies audit Aubiere sans aulcun empeschement comme apert par Le certificat du Sieur Curé d Aubiere date du 3e febvrier de 1675 Lesdites partyes ont contracté Leurdit mariage par parolles de présent par devant moy Curé Soubssigné et de Gaspard Langhat Rene Babaud & Antoine la Veyrie habitants de ce lieu qui ont signé et de Jacques Breschete pere de ladite anne d antoine Breschete et de plusieurs autre personnes qui n ont seu signe enquis ny aussi lesdites parties. Fait ce 4e febvrier 1675
Signe langhat babaud laveyrie M Gaignere »
Le fruit d’un mariage non consommé :
On découvre ici le problème probablement douloureux d’un couple, rapporté par un curé avec une certaine complaisance dans l’acte de baptême d’un enfant dont le père dénie la paternité :
« Aujourd huy Vingt troisiesme octobre 1659 a esté baptisé un (fils=mot rayé) garson filz de michelle bosseghay Laquelle a espousé Un Jean barrayre fils a François, Lequel Jean barrayre m a declaré en presence de Notaire & teymoingtz N avoir Jamais heu Copulation Charnelle avec ladite bosseghay sa femme pour raison de la resistance force et Violence qu elle luy en a tousiours faicte, & a desadvoué ledit enfent pour Son filz legitime duquel enfent par Consequent le pere est Incogneu. Son parrin a esté estienne bosseghay pere de ladite michelle, Sa marrine Francoise blaveix femme a andré barrayre L ayné Ledit enfent Nasquist le Vingtuniesme desdits mois & an »
À noter que cet acte faisait du nouveau né un « bâtard » et l’excluait de toute sucession du mari de sa mère. Pour mémoire, ces affaires « sentimentales » au sein du couple se sont probablement arrangées par la suite, puisque le 25 mars 1663, naît un Pierre Barrayre, fils de Jean, et cette fois reconnu...
"Auiourd huy Vingtcinquiesme mars M VIc Soixante trois a esté baptisé Pierre barrayre fils a Jean le jeune dict bauseix (!...), & de Michelle bosseghay f(ille) a claude, Son parrin a esté Pierre Lucquet fils a feu Estienne, Sa marrine anne bony femme a george bosseghay Jalaud."
Le même curé doit baptiser la fille d’un confrère !...(un demi-chanoine qui ne fait pas les choses à moitié) :
« Aujourd huy Neufviesme febvrier 1660 a esté baptisée une fille bastarde de qui la mere a este Jeanne beaufrere du pont du chasteau et son pere a esté Mre Jean Lafarge prebtre Et demy Chanoine d’aynezat suivant la declaration Que nous a faict Ladite beaufrere ladite fille baptisée a la maison pour le danger qu il y avoit de sa vie laquelle par consequent N eust ni parrin ni marrine et N a Jamais esté presentee a Lesglise dans le lieu de beaumont et fust transportée ailleurs pour la mettre en nourrice ».