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Le Château Mittard

Le vendredi 7 février 2025, par Charlie Nogrel

Point de cachot ni de prisonnier croupissant au fond d’une cellule humide dans ce "château" !... En quoi est-il donc si remarquable ? ... Peut-être du fait des circonstances de sa construction et de l’identité de ses deux premiers propriétaires ?...

En quittant la ville d’Alès en direction d’Uzès, la première commune rencontrée est celle de Saint-Hilaire-de-Brethmas. Mais, sur le panneau de signalisation routière, on lit deux noms : celui de la commune bien sûr, et, au-dessus, en caractères bien plus gros, un autre nom : « La Jasse-de-Bernard ». C’est que cette partie de l’agglomération Saint-Hilairoise a conservé son appellation d’origine.

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La Jasse de Bernard (route d’Uzès), années 50

Autrefois hameau rural, comportant une bergerie (« jasse » en occitan languedocien), ce quartier est devenu résidentiel aujourd’hui ; il a néanmoins sauvegardé quelques traces de son passé.

Parmi elles, le « Château »… qui n’est pas vraiment un château, mais bien plutôt ce que l’on nomme un « Hôtel Particulier » ou une « Maison de maître ». Cependant les habitants de La Jasse-de-Bernard l’ont toujours appelé « Château » depuis sa construction, à la fin de XIXe siècle.

Le « Château » fut construit vers 1880 par la toute jeune Compagnie des Chemins de Fer et de Navigation d’Alais au Rhône et à la Méditerranée (A.R.M.) pour ses dirigeants. C’était une attitude fréquente à cette époque, comme l’a écrit Michel Wienin, grand connaisseur du bassin mino-métallurgique du Gard : La fin du 19e siècle et le début du 20e voient les principales compagnies se développer rapidement et rivaliser parfois de luxe dans les bâtiments de prestige à fonction de symbole : « châteaux » de l’administration, logements de directeurs (…) .

Jules CAZOT

L’A.R.M. « céda » très vite ce « château » à Jules CAZOT, en contrepartie de sa présence à son conseil d’administration, présence qui ne pouvait que « rassurer » les investisseurs.

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Portrait de Jules CAZOT

Car, en effet, Jules CAZOT (1821-1912) était, en cette seconde moitié du 19e siècle, un homme politique célèbre et connu dans la région. Natif d’Alais (orthographe d’Alès jusqu’en 1924) où une rue porte encore son nom aujourd’hui, cet avocat, ardent républicain, combattit le Second Empire et fut même emprisonné pour ses prises de position.

Puis la IIIe République, reconnaissante, le porta aux sommets de l’État : il fut, entre 1879 et 1882, ministre de la Justice. Mais elle en fit aussi un personnage controversé, aux prises avec quelques affaires « douteuses »...

Ce fut le cas avec cette Compagnie de Chemins de Fer A.R.M. : celle-ci fut rapidement déclarée en faillite (jugement du tribunal de commerce du département de la Seine du 19 juin 1884). Plusieurs raisons à cela : d’abord des frais de construction plus lourds que prévu (avec en particulier de nombreux ouvrages d’art onéreux) et surtout l’existence d’une concurrence acharnée avec la Compagnie P. L.M. (Paris-Lyon-Méditerranée), héritière de l’ancienne « Compagnie des houillères de La Grand’Combe et des chemins de fer du Gard » et qui exploitait, depuis 1840, la ligne La Grand’Combe - Alais - Beaucaire et transportait déjà la quasi-totalité du charbon du bassin minier alésien vers le Rhône.

La facture fut d’autant plus élevée que la société avait aussi investi dans des bâtiments somptuaires, dont une immense gare à Alais, bien plus imposante que la gare du P.L.M. déjà existante.

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Alais- Ancienne Gare d’Alais au Rhône (démolie en 1925)

La ligne d’Alais à Port-l’Ardoise fut donc finalement cédée à la Compagnie P.L.M. qui l’exploitera jusqu’à la fin des années 1930.

Quant aux administrateurs de la Compagnie A.R.M., ils furent condamnés à rembourser les actionnaires… mais Jules CAZOT s’en tira avec seulement 10.000 francs-or à verser en dédommagement et… il conserva la propriété de sa résidence, bâtie grâce à l’argent des souscripteurs.

Cette affaire l’obligea néanmoins à donner sa démission de Président de la Cour de cassation, le 14 novembre 1884, mais il demeurera (malgré tout !) « Sénateur inamovible » de 1875 à 1912 !

Jules CAZOT ne résidera plus qu’épisodiquement au « château », ayant l’essentiel de ses activités à Paris, mais il y mourra le 27 Novembre 1912.

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Acte de décès de Jules Cazot

Jules MITTARD

C’est en 1928, que cette belle demeure fut revendue par ses héritiers à "un autre Jules"…, Jules MITTARD, un Maître-Mineur issu de l’École des Mines d’Alès, devenu Ingénieur civil des mines.

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École des Maîtres Ouvriers-mineurs d’Alais / Promotion 1904-1906 (Jules MITTARD figure donc sur ce cliché : où ?)

Il fit fortune en Indochine. Ce qui explique les noms visibles sur les piliers en fer forgé qui encadrent le portail d’entrée : TONKIN et ANNAM, deux des régions composant l’ « Indochine française », devenues une partie du territoire du Viêt Nam actuel
Jules MITTARD va mener « grand train » au Château : en 1931, il n’avait pas moins de 7 personnes à son service : maître d’hôtel, chauffeur, jardinier, concierge, femme de chambre, cuisinière, et même « sœur garde-malade »… Ce furent les grandes heures de la propriété jusqu’à un revers de fortune, qui obligea Monsieur MITTARD à la revendre en 1933. Mais son nom restera attacher à cette demeure que la plupart des habitants nomme encore « Château MITTARD »...

Le château après les JULES

Il fut ensuite acheté par une Compagnie minière, avant la seconde guerre mondiale. A partir de novembre 1942, suite à l’occupation de la zone "libre", le château fut réquisitionné pour loger un général allemand et son état major. Un poste de contrôle était installé sur la route d’Uzès, pour vérifier les papiers des personnes qui s’en approchaient.

Récupéré par les Houillères (nationalisées) à la Libération, l’édifice sera transformé en centre d’hébergement après le retour des prisonniers de guerre et des déportés.

Il abritera ensuite, dans les années 1946-1948, une « colonie sanitaire » des Mines destinée à accueillir les enfants de mineurs ayant souffert de malnutrition.
Une trentaine d’enfants de 5 à 11 ans y séjournaient pendant un semestre, le temps de se « retaper ». La cuisine et le réfectoire se trouvaient en sou-sol et les dortoirs au second étage. L’encadrement était assuré par une Directrice assistée de monitrices ; une Institutrice y fut même affectée pour ne pas interrompre l’enseignement scolaire ; une Assistante-sociale et un Médecin des Mines passaient régulièrement pour surveiller l’évolution de ces petits pensionnaires.
Quelques mois avant la fin officielle du rationnement alimentaire (Avril 1949), ce « pensionnat sanitaire » fut fermé.
Les Houillères réaménagèrent le château en logements pour le personnel de direction ou d’encadrement. Les familles d’un Ingénieur des mines (encore !) et d’un Médecin des mines furent les premiers occupants.

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Le Château de La-Jasse-de-Bernard (1959)

Un ancien mineur et son épouse en assuraient l’entretien, lui comme jardinier et elle en tant que concierge.
Leur fille a rapporté, il y a quelques années, à l’auteur d’articles historiques dans une petite publication locale, le témoignage suivant : « De belles boiseries, du marbre à l’étage, de larges escaliers avec des rampes en fer forgé et cuivre, contribuaient à donner un superbe cachet à cette vaste résidence » . Ces aménagements, présents dès cette période de « vaches maigres » d’après-guerre, dataient très certainement de la construction et, pour certains, de la brève mais luxueuse présence de Jules MITTARD. Néanmoins, à chaque changement de Directeur ou d’Ingénieur, il fut procédé à des améliorations, voire à des embellissements, plus ou moins onéreux au gré des demandes des nouveaux occupants… il est vrai que nous étions entrés dans la période « faste » des Charbonnages de France

Aujourd’hui, le parc du « Château MITTARD » est ceinturé d’une haie de bambous géants qui masquent en grande partie le bâtiment et son jardin. Mais, à son entrée, le portail en fer forgé est toujours encadré par les deux piliers sur lesquels figurent ces noms : « ANNAM » et « TONKIN », témoins de son faste passé.


Voir en ligne : Histoires du temps passé, d’ici ou d’ailleurs


Sources :

  • Abbé René ANDRÉ, "Saint-Hilaire-de-Brethmas aux portes d’Alès", Éditions Lacour Ollé, Nîmes, 1988.
  • "Histoires d’un autre temps, Saint Hilaire de Brethmas", Ouvrage réalisé par le Conseil des Sages de la Commune de Saint-Hilaire-de-Brethmas, sous la coordination de G. Drolet, F. Mercier et A. Rigal, 2015
  • Michel Wienin, « Le bassin mino-métallurgique du Gard, Projets de valorisation patrimoniale », p. 245-256, Presses universitaires de Perpignan, 2007 ; Licence OpenEdition Books ; consultable en ligne : https://books.openedition.org/pupvd/28377?lang=fr
  • Raymond Huard, « Cazot Théodore Jules Joseph 1821-1912 », « Les immortels du Sénat, 1875-1918 : Les cent seize inamovibles de la Troisième République », Éditions de la Sorbonne, Paris, 1995 ; Licence OpenEdition Books ; consultable en ligne : http://books.openedition.org/psorbonne/68247
  • G. Liotard, G. Caillat, P.A. Clément : "Jules Cazot à trois voix", "Le Lien des Chercheurs Cévenols ", N° 148 Janvier-Février 2007, p.24 ; consultable en ligne : https://cevenols.fr/wp-content/uploads/2017/12/LCC-148.pdf
  • « 150 ans d’histoire de l’Ecole des Mines d’Alais » ; consultable en ligne : https://www.annales.org/archives/histoireEMA.html
  • Les Entreprises Coloniales Françaises, Site de Alain Leger ; consultable en ligne : https://www.entreprisescoloniales.fr/inde-indochine/Mines_d_or_Tchepone.pdf

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8 Messages

  • Le Château Mittard 7 février 16:10, par rené METTEY

    une bergerie (« jasse » en occitan languedocien),
    J’aurais au moins appris d’où vient ce nom de "Jas" que l’on trouve en provençal maritime (du Var) pour "Mas" partout ailleurs en provence...

    Répondre à ce message

  • Le Château Mittard 7 février 13:43, par Pierrick Chuto

    Je vous conseille le blog fort intéressant de Charlie Nogrel : Histoires du temps passé, d’ici ou d’ailleurs

    Répondre à ce message

  • Le Château Mittard 7 février 09:25, par Colette Boulard

    Dans un texte à venir, y aura t-il une ou plusieurs photos montrant ce qu’étaient les façades et le parc de cette propriété ? Il dut y avoir des transformations, du fait de l’évolution des usages. Une vue du ciel via google earth laisse deviner qu’un parc dessiné exista, un bassin circulaire avec fontaine, et un petit canal (?) se voient encore, dans un espace laissé plus ou moins à l’abandon. quoiqu’en état médiocre, la clôture périphérique et son beau portail estampé des mots Annam et Tonkin témoignent d’une volonté d’étalage de puissance, comme vous l’écrivez.

    Répondre à ce message

    • Le Château Mittard 7 février 11:31, par Charlie NOGREL

      Tout d’abord merci pour votre commentaire !
      Hélas je ne dispose pas d’autre image du "Château", ni de ses extérieurs et encore moins de son intérieur. Aujourd’hui c’est une propriété privée et les propriétaires n’ont pas donné suite à mes demandes...Dommage !

      Répondre à ce message

  • Le Château Mittard 7 février 08:41, par CARON Jean-Marc

    Bonjour à tous.
    L’opuscule "Biographie complète des 300 sénateurs par un Député" (Paris, Librairie illustrée, 16, rue du Croissant, 16, 1876" le décrit ainsi :
    CAZOT (Théodore-Jules-Joseph) élu sénateur (inamovible), le soixante-neuvième, par 305 voix, est né le 11 février 1821 à Alais. Après avoir fait de brillantes études de droit à Paris et s’être fait recevoir docteur, il plaida avec un certain éclat dans divers procès politiques avant le 2 décembre 1851. Arrêté à cette époque, puis interné à Montpellier, il vint plus tard enseigner la droit à Paris comme professeur libre. Après le 4 septembre, il accompagna la Délégation de province à Tours et à Bordeaux, en qualité de secrétaire général du ministère de l’Intérieur, et donna sa démission en même temps que M. Gambetta. Élu député du Gard, au 2 juillet 1871, comme candidat radical, il siégea à l’extrême gauche. D’un savoir étendu, d’une intelligence élevée, M. Cazot est un excellent orateur, un jurisconsulte consommé, et un penseur éminent ; aussi son élection au Sénat a-t-elle été accueillie avec la plus vive satisfaction par la démocratie du Gard qui lui envoya une adresse de félicitations couverte de nombreuses signatures.

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    • Le Château Mittard 7 février 11:46, par Charlie NOGREL

      Merci d’avoir rappelé la face "éclairante" de ce grand républicain que fut Jules CAZOT dont j’ai souligné surtout le "côté obscur" en lien avec la construction et l’acquisition du "Château" de La Jasse-de-Bernard.

      Répondre à ce message

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