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Une stèle sans nom

Le vendredi 25 octobre 2024, par Charlie Nogrel

En cette année de commémoration du 80e anniversaire de la Libération de la France, je me suis intéressé à un petit monument situé sur le territoire de ma commune, Saint-Hilaire de Brethmas, voisine d’Alès dans le Gard. Il s’agit d’une stèle qui rend hommage aux huit personnes dont les corps ont été retrouvés précisément à cet endroit, dans les mois qui ont suivi l’été 1944.

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La stèle "des huit patriotes"

Comme on peut le voir, aucun nom n’est mentionné sur la stèle. L’identité des victimes est restée incertaine, surtout durant les premiers mois après la découverte de ce charnier. De même, les circonstances de leur mort sont demeurées longtemps imprécises. Des publications récentes ont permis d’éclaircir (en partie) ce « mystère ».

Rappelons d’abord brièvement le contexte historique

Depuis le début de l’année 1943, la Résistance à l’occupant nazi avait pris une ampleur telle que la répression exercée par les autorités allemandes s’était considérablement durcie, aidée en cela par la Police et par la Milice de Vichy.

Dans le Sud de la France, c’est une unité spéciale de l’armée allemande, dénommée « division Brandebourg », qui va être à pied d’oeuvre... et elle va faire des ravages parmi les Résistants, entre Mai 43 et la fin Août 44.

Cette formation avait été créée par l’Abwehr, le Service de renseignement militaire allemand, pour mener des actions « commando » et combattre les « Partisans » partout en Europe. Il ne s’agissait donc pas d’une unité Waffen SS .

La 8e compagnie du 3e régiment de cette division avait une particularité : elle était composée de ressortissants d’une douzaine de nations et surtout de Français. Ces derniers étaient principalement recrutés parmi les collaborationnistes du Parti Populaire Français, organisation créée par Jacques DORIOT, un des plus fervents partisans du nazisme en France.

La 8e compagnie était encadrée par des officiers et sous-officiers allemands aguerris qui parlaient couramment plusieurs langues.

Tous ces hommes agissaient sous l’uniforme allemand. Mais ils exécutaient aussi des missions en civil , par exemple lorsqu’ils fréquentaient les cafés pour aller à la « pêche » aux informations. Ils portaient aussi des tenues de leurs adversaires (comme des uniformes de parachutistes anglais ou américains ...) lors de leurs actions d’infiltration des réseaux de Résistants.

Une brève mais désastreuse présence dans la région d’Alès

C’est début Mai 44 qu’arrive à Alès, un premier groupe d’une trentaine de ces « Brandebourgeois ». Leurs quartiers sont installés au Grand Hôtel du Luxembourg, Place de la République à Alès, devenue aujourd’hui Place Gabriel Péri.

Très vite, ils vont participer, avec d’autres unités de l’armée allemande et avec l’aide de la Milice, aux attaques meurtrières contre les maquis des environs, particulièrement actifs en ce début 1944. Les « Brandebourgeois » investissent aussi le Fort Vauban à Alès, une ancienne forteresse moyenâgeuse, remaniée par Vauban au moment des guerres de religion, devenue ensuite caserne puis prison, dont les geôles étaient déjà utilisées par la Milice de Vichy pour y mener interrogatoires et tortures.

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Le Fort Vauban à Alès, après guerre

Ceux que l’on appellera désormais la « Bande à Harry » (en référence au prénom d’un de ses membres) vont aller jusqu’à « l’élimination » de leurs victimes. Leur crime le plus connu est le massacre de vingt-neuf résistants au puits de la mine de lignite désaffecté à Célas, dans les environs d’Alès.

À la mi-Juillet 44, la « Bande à Harry » est « relayée » par un deuxième groupe que l’on nommera par la suite « Bande des Marseillais ». Il était composé de jeunes collaborationnistes du PPF de Marseille et de voyous. Deux frères de la famille Carbone, l’une des plus redoutée de la pègre marseillaise, en faisaient partie. Ses membres vont se livrer aux mêmes exactions que leurs prédécesseurs.
C’est parmi les membres de ce groupe que figurent les auteurs des exécutions perpétrées à Saint-Hilaire de Brethmas.

Qui étaient donc les victimes de ces exécutions ?

Car il s’agit bien d’exécutions. Les allées-venues d’une voiture à la tombée de la nuit, plusieurs soirs de suite, intrigua les habitants de cette partie de Saint-Hilaire de Brethmas, essentiellement agricole et peu fréquentée à l’époque. L’un d’eux, le maraicher Joseph Trouillas, comptabilisa cinq passages de véhicules entre le 16 et le 25 juillet. C’est lui qui signalera la présence de ce charnier quelques semaines plus tard après avoir été alerté par la découverte de celui de Celas. Huit corps furent exhumés le 3 octobre 1944, et examinés par trois médecins d’Alès, les docteurs Bataille (responsable Santé des FTPF), Champetier (du service de santé des FFI) et Mosnier.

Quatre de ces huit victimes ont pu être identifiées formellement et, pour les quatre autres, leur identité demeure encore incertaine ou inconnue.

La plus jeune était âgée de 20 ans ; elle se nommait Magali VELAY ; elle était originaire d’Uzès et étudiante à Nîmes ; résistante, elle fut arrêtée le 7 ou le 8 Juillet 1944, incarcérée puis torturée au Fort Vauban à Alès, avant d’être exécutée ici le 20 Juillet ; Magali VELAY a reçu, à titre posthume, la Médaille de la Résistance en 1960. Son nom figure sur le monument aux morts de Nîmes.

Les trois autres victimes, qui ont pu être identifiées, étaient :
Marguerite MESNARD, 69 ans,
sa fille Thérèse PIN, âgée de 46 ans,
et le compagnon de celle-ci, Maurice HATCHWELL, âgé de 50 ans ; Maurice HATCHWELL était d’origine juive, né en Palestine, alors possession de l’Empire Ottoman.

La famille demeurait à Sommières, une commune située à une cinquantaine de kilomètres au sud d’Alès. Elle y avait acquis, depuis peu, le château de Lantillac (appelé aussi château de Belleau), une bâtisse bourgeoise du XIXe siècle. Le 27 juillet 1944, un groupe de soldats en uniforme allemand, bien renseignés, probablement après dénonciation, investit leur demeure, les arrêtent et dérobent des bijoux, des espèces et des objets, pour une valeur de six millions de francs.

Conduites à Alès, au Fort Vauban, les trois victimes en furent extraites pour être exécutées ici-même, probablement le 14 Août, selon des témoignages du voisinage. Leurs corps furent retrouvés après la Libération mais formellement identifiés le 3 octobre 1944 par le fils de Thérèse (issu d’un premier mariage), Toni JONESCU et par la gouvernante de leur château de Sommières.

Les noms de Thérèse PIN et de Maurice HATCHWELL sont inscrits sur le monument aux morts de Sommières, lieu de leur dernière résidence. Celui de Marguerite MESNARD, la mère de Thérèse PIN, n’y figure pas, sans doute par erreur, ce qu’il conviendrait de corriger.

Enfin, quatre corps sont restées non identifiées ; pour deux d’entre eux, il est possible qu’il s’agisse des frères MIALLON, ouvriers agricoles, qui venaient de Saint Gilles (en Petite Camargue) et retournaient chez eux en Ardèche, lorsqu’ils auraient été arrêtés à Alès...

Quelques mots encore à propos des criminels

Les « Brandebourgeois » vont quitter précipitamment Alès le 16 Août 1944, peu après le débarquement allié en Provence. Ils vont battre en « retraite » en Allemagne, où ils continueront leur lutte fanatique jusqu’à leur défaite. Parmi ceux qui auront survécu aux combats, quelques-uns seront arrêtés et jugés après la Libération. Certains seront condamnés à la peine de mort, mais, finalement, peu d’entre eux seront exécutés. Puis, avec le temps et les difficultés pour rassembler les preuves de leur implication, beaucoup s’en tireront avec des condamnations réduites.

Le Tribunal militaire de Marseille, chargé de la plupart des procès contre les « Brandebourgeois », conclura sa synthèse par la constatation suivante : « Le crime crapuleux a été élevé au rang d’institution par la 8e Compagnie »...

Sources :
1. « Sanglante randonnée, La 8e compagnie Brandebourg contre la résistance », Olivier Pigoreau, éditions Konfident, 05/2021.
2. « Saint-Hilaire-de-Brethmas (Gard), Charnier, juillet 1944 » notice par Claude Émerique, Jean-Marie Guillon, dans : Le Maitron, Dictionnaire biographique des fusillés, guillotinés, exécutés, massacrés, 1940-1944 ; version mise en ligne le 6 octobre 2017, dernière modification le 15 décembre 2019.
3. « La Liberation dans le Gard », Exposition et Brochure, Archives départementales du Gard, été 2014
4. « La Résistance dans le Gard et la Cévenne », Aimé Vielzeuf, éditions C.Lacour, Nîmes, 1991.

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7 Messages

  • Une stèle sans nom 28 octobre 12:01, par Charlie NOGREL

    Merci à vous pour vos messages encourageants...

    Répondre à ce message

  • Une stèle sans nom 27 octobre 19:33, par Colette Boulard

    C’est bien de vous être intéressé à cette stèle. Merci à vous.

    Répondre à ce message

  • Une stèle sans nom 27 octobre 09:07, par J.J.

    Quelle horrible histoire qui me fait souvenir d’un passé qui ne passe pas.

    Répondre à ce message

  • Une stèle sans nom 26 octobre 13:18, par Jean-Claude GENEST

    Le genre de recherche "paragénéalogique" que j’aime. Certaines vont être initiées par une médaille ou un vieux papier retrouvé, d’autres par une photo, d’autres encore par un objet de famille gravé... Gewa Thoquet qui s’exprime ici dans les commentaires définit bien mon ressentiment. Merci pour ce travail de recherche !

    Répondre à ce message

  • Une stèle sans nom 25 octobre 18:12, par Pierrick Chuto

    Bel article très émouvant. Que de cruautés !
    Merci Charlie

    Répondre à ce message

  • Une stèle sans nom 25 octobre 18:12, par Pierrick Chuto

    Bel article très émouvant. Que de cruautés !
    Merci Charlie

    Répondre à ce message

  • Une stèle sans nom 25 octobre 17:30, par Gewa Thoquet

    Comme vous nous le démontrez, la généalogie ne sert pas seulement à trouver ses propres ancêtres, mais aussi de sortir de l’oubli des hommes et des femmes ayant vécu avant nous. Merci de nous avoir relaté cette poignante histoire de la noirceur de l’homme du temps de l’occupation nazie. On peut seulement espérer qu’un de ses jours les autres quatre victimes soient identifiés et que les noms des huit héroïques résisitants se trouveront sur la stèle.
    Gewa

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