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Madeleine

Une nouvelle extraite de Braconniers d’eau douce

Le lundi 1er janvier 2007, par † Michel Carcenac

Les histoires qui suivent m’appartiennent ou m’ont été racontées, souvent par des amis qui tenaient à ce qu’elles soient écrites et ne se sentaient pas capables de le faire. On ne passe pas facilement de l’oral à l’écrit, et inversement ; ce sont deux mondes.

La mémoire transmise oralement est un arbre qui tous les jours perd quelques feuilles. Plus tard, les héritiers n’auront plus qu’un tronc desséché qui disparaîtra.

Le plus souvent, ce sont des personnes d’un certain âge qui m’ont raconté des tranches de vie avec ferveur, sachant que le papier est

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l’unique moyen de conserver à jamais leurs souvenirs. Elles savent que la mort les guette et le désir les tient de faire écrire leurs histoires.

Pour beaucoup, écrire ou faire écrire ses aventures personnelles, c’est passer à la postérité. D’un livre tiré à des milliers d’exemplaires, il en subsistera bien quelques uns qui survivront des siècles dans une bibliothèque ou au fond d’un grenier.

L’écriture est le moyen de sauvegarder la mémoire d’un pays. (...)

La mémoire est volage si elle n’est pas écrite.

Mes amis m’ont confié leurs histoires, je les ai mises en forme, qu’ils soient remerciés de m’avoir pris comme secrétaire.

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La ferme où je me rendais était plantée tout en haut de la colline. Avant d’entrer, je regardai le demi-cercle d’horizon que la pleine lune éclairait. Un peu à droite de Pébracou, les falaises striées de Mouzens jaillissaient du léger brouillard qui couvrait la Dordogne. Au-delà des lumières de Saint-Cyprien, on ne distinguait plus que des masses sombres. A l’est, sur leurs coteaux, les villages de Carves et de Saint-Germain, séparés par le vallon du ruisseau de Neufond. A droite, les clochers de Belvès échancraient le ciel.

Un dernier regard vers la vallée et j’entrai chez la Louise. J’étais fatigué, j’avais passé la nuit au chevet d’une femme en couches, la journée avait été dure, bonnes excuses pour me laisser tomber dans un fauteuil devant le feu. Jamais je ne m’asseyais quand j’étais fatigué, c’est trop pénible de se sortir d’un bon siège et j’aurais pu m’endormir. Pour une fois, je ne respectai pas la règle, à cause de Jacques Brel à la télévision.

Madeleine, la mère de la Louise, n’avait pas vu arriver son médecin. Il allait éteindre son cinéma pour l’ausculter dans le silence. Après le souper, elle se mettait sur son trente et un, se donnait un coup de peigne, jouait la coquette à quatre-vingt-dix ans. Quand la télévision est arrivée, ce n’était pas des images qu’elle regardait, mais de vraies personnes qui lui rendaient visite et avec qui elle bavardait.

« Encore une chanson, me suis-je dit, et au travail. Il me reste des visites à faire et des kilomètres à avaler. »

A l’annonce faite par Jacques Brel : “ Madeleine ! ” ma Madeleine à moi sursauta, ses mains se crispèrent sur les accoudoirs du fauteuil, elle dit en patois :

« Qué io ? Qué vole ? Chaï aqui. Bountsour Moussu. » Et Jacques Brel lui répondit aussitôt :

« Ce soir j’attends Madeleine, j’ai apporté du lilas.

Oh ! Que vous êtes gentil, j’aime bien le lilas, il y en a un devant la maison, mais c’est pas la saison maintenant. Où l’avez-vous trouvé ce lilas ? Louise, il me connaît, il me parle. »

Pendant qu’elle interpellait Jacques Brel, Madeleine avait sauté des paroles, mais elle n’aurait pas compris l’invitation à manger des frites chez Eugène, il n’y avait pas d’Eugène dans son univers autour de Branchat.

« Louise, t’as entendu ? Il dit que je suis jolie, il veut m’emmener au cinéma, il m’attend, il m’a apporté du lilas. » Supposant que son visiteur ne comprenait pas le patois, elle continua en français :
Monsieur, vous êtes bien aimable de venir me voir. Comment vous me connaissez ? Louise, Louise, tu l’entends, il me connaît, il m’aime.

Oui, c’est moi Madeleine. Vous voulez m’emmener en Amérique à Noël, vous êtes un bien brave garçon, la Louise va vous sortir un foie avec des truffes, et du vin du cousin de Saint-Émilion. M’attendez plus, je suis là. Ça fait plaisir de vous entendre dire que je suis tellement jolie. Pourquoi vous jetez le lilas ; en cette saison, on n’en trouve pas du lilas, il faut pas le jeter. Ne partez pas, revenez, revenez, je suis là, je suis Madeleine, je vous attends. »

Brel avait disparu, remplacé par de la réclame, et notre Madeleine à nous se lamentait d’être abandonnée.

Malgré cela, son cœur était régulier, sa pression artérielle normale.

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Cette nouvelle est extraite de l’ouvrage de Michel Carcenac Braconniers d’Eau Douce et autres nouvelles, Edition du Hérisson. Belvès :

Dans ses récits contemporains, Michel Carcenac anime une galerie de personnages hauts en couleur : le truculent Hubert qui épie de son bateau l’envol des hirondelles dans la nuit, tandis qu’en amont l’Ange blanc glisse sur le courant. L’officier de la deuxième DB aux prises avec des gitans, et Pascal d’Eygurande qui sauve son village de la famine. Il nous entraîne dans les histoires du coq et des tourterelles, du verrat et de la chevrette, sans oublier les tribulations des veaux. Perché dans son tilleul, le geai Zizi-pan-pan la Riflette médite sur le bonheur de vivre à la campagne.

D’un bond de kangourou blanc, nous sautons du Bugue à Siorac, de Pissos à Amsterdam, de la Double au Quercy et à l’Agenais, mais la Dordogne reste toujours le personnage principal de ce tableau bucolique.

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Découvrir Le Périgord d’Antoine Carcenac  : (photographies 1899 - 1920).

Pour lire l’interview de Michel Carcenac

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