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Braconniers d’eau douce

Hubert Magimel

Le jeudi 28 janvier 2010, par † Michel Carcenac

Les histoires qui suivent m’appartiennent ou m’ont été racontées, souvent par des amis qui tenaient à ce qu’elles soient écrites et ne se sentaient pas capables de le faire. On ne passe pas facilement de l’oral à l’écrit, et inversement ; ce sont deux mondes.

La mémoire transmise oralement est un arbre qui tous les jours perd quelques feuilles. Plus tard, les héritiers n’auront plus qu’un tronc desséché qui disparaîtra.

Le plus souvent, ce sont des personnes d’un certain âge qui m’ont raconté des tranches de vie avec ferveur, sachant que le papier est

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l’unique moyen de conserver à jamais leurs souvenirs. Elles savent que la mort les guette et le désir les tient de faire écrire leurs histoires.

Pour beaucoup, écrire ou faire écrire ses aventures personnelles, c’est passer à la postérité. D’un livre tiré à des milliers d’exemplaires, il en subsistera bien quelques uns qui survivront des siècles dans une bibliothèque ou au fond d’un grenier.

L’écriture est le moyen de sauvegarder la mémoire d’un pays. (...)

La mémoire est volage si elle n’est pas écrite.

Mes amis m’ont confié leurs histoires, je les ai mises en forme, qu’ils soient remerciés de m’avoir pris comme secrétaire.

**********

Pour sortir de ma tristesse, je vais te ramener quelques années en arrière, aux temps heureux où l’on buvait l’eau de la Dordogne.

Avant les barrages, l’eau montait au printemps avec les giboulées et la fonte des neiges. La Dordogne débordait, envahissait les prés. De la barque, que c’était beau de voir les assées noires sauter hors de l’eau et gober les fleurs de boutons d’or.

Tu ne les a pas connus les Sioracois d’autrefois, tous braconniers de Dordogne.

Les gens de Belvès, eux, sont des pêches-lunes, ils ramassent tout juste quelques écrevisses et des truites minuscules dans les ruisseaux, du bricolage ; à Siorac, c’est du sérieux, mais nous avons aussi nos amateurs.

Hubert Magimel

Par exemple, Servolle, que l’on appelait “ le Commandant ”, avait une grande peur des gendarmes et des gardes-pêche, et pourtant il n’était qu’un braconnier amateur. Il aurait bien voulu un certain jour attraper des assées noires dans la Nauze, mais il avait confié ses craintes à Magnanou.

« Tu peux partir tranquille, lui avait dit le restaurateur, les gendarmes déjeunent chez moi. Ils en ont pour un bon moment, je leur ai préparé des barbeaux, et l’oseille n’a pas fait fondre toutes les arêtes. »

A vélo, le “ Commandant ” s’est rendu à Séguinou et a placé son petit tramail dans la Nauze. La première levée fut bonne, mais, aux cris de « Vous êtes pris ! vous êtes pris ! », il s’est retourné et il a entrevu dans les feuillages des uniformes et des képis. Il s’est jeté à l’eau, qui est profonde de plus de deux mètres à cet endroit, il a manqué s’entortiller les jambes dans le tramail, s’est hissé sur la berge opposée et a couru aussi vite qu’il pouvait jusque chez Montagne.

« Je suis perdu, les gendarmes me galopent, cachez-moi ! »

Les Montagne, il n’y avait pas plus braves gens, après l’avoir séché l’ont mis au lit avec des bouillottes. Le lendemain, le danger paraissant écarté, sa femme lui a apporté des vêtements propres et il est revenu chez lui, sans savoir que tout Siorac, derrière les rideaux ou les volets, le regardait passer en se tordant de rire.

Bien plus tard, des âmes charitables lui ont révélé que le gendarme qui lui avait fait si peur n’était que Magnanou : il portait la veste et le képi du tambour de ville. Dans cette chasse au braconnier, Pierrot Fournet l’accompagnait pour faire nombre.

Le “ Commandant ” ne méritait pas le titre de braconnier, c’était un amateur. Les professionnels méprisaient les ruisseaux ; sur la Dordogne, nous étions dans notre élément.

Pour faire de bonnes pêches, nous étions obligés de travailler la nuit ; on ne pouvait pas vivre sans ça. Quand j’avais pris le courant, j’allumais une bougie dans le fond du bateau, pour voir le poisson dans les mailles du filet. Ma figure n’était pas éclairée, on ne pouvait pas me reconnaître. Cette luciole qui descendait au fil de l’eau indiquait ma présence aux gendarmes. Quand les pandores me suivaient sur la rive, je collais la bougie sur un bout de planche, et je la laissais filer dans le courant. Les gendarmes la suivaient, puis criaient « Abordez ! Abordez ! » Ils pouvaient chanter, comme si la bougie allait leur obéir. Et pendant qu’ils descendaient vers le Coux ou Le Buisson, je remontais tranquillement la Dordogne avec mes prises.

Comment je savais que les gardes étaient sur la rive ? C’étaient les hirondelles et les pies qui me prévenaient de leur présence. Accrochées à l’extrémité des branches de bélisses*, juste au-dessus de l’eau, elles sont à l’abri des belettes, des genettes ou des renards qui feraient vibrer leur perchoir. Le bateau glisse sur l’eau sans les déranger, mais les gendarmes les réveillent en frôlant les branches. J’entends alors le frou-frou des hirondelles et parfois je les vois. Les pies aussi se lèvent, toujours en jacassant, et s’il y en a deux ou trois à caqueter, je suis sûr qu’on me guette. Et puis, aux basses eaux, les bruits de pas sur les galets résonnent et les sons portent loin, la nuit sur la rivière.

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Cette nouvelle est extraite de l’ouvrage de Michel Carcenac Braconniers d’Eau Douce et autres nouvelles, Edition du Hérisson. Belvès :

Dans ses récits contemporains, Michel Carcenac anime une galerie de personnages hauts en couleur : le truculent Hubert qui épie de son bateau l’envol des hirondelles dans la nuit, tandis qu’en amont l’Ange blanc glisse sur le courant. L’officier de la deuxième DB aux prises avec des gitans, et Pascal d’Eygurande qui sauve son village de la famine. Il nous entraîne dans les histoires du coq et des tourterelles, du verrat et de la chevrette, sans oublier les tribulations des veaux. Perché dans son tilleul, le geai Zizi-pan-pan la Riflette médite sur le bonheur de vivre à la campagne.

D’un bond de kangourou blanc, nous sautons du Bugue à Siorac, de Pissos à Amsterdam, de la Double au Quercy et à l’Agenais, mais la Dordogne reste toujours le personnage principal de ce tableau bucolique.

*****

Découvrir Le Périgord d’Antoine Carcenac  : (photographies 1899 - 1920).

Pour lire l’interview de Michel Carcenac

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12 Messages

  • Braconniers d’eau douce 17 octobre 2018 09:57, par Jérôme LUCAS

    Bonjour monsieur Carcenac

    J’ai le projet d’éditer un recueil de témoignages qui s’intitulera "Histoires de braconniers". Est-il possible de reprendre l’histoire du braconnier Servolle ? Je ferai référence à votre livre bien sûr.

    Au plaisir de vous lire.
    Cordialement !

    Jérôme Lucas

    Répondre à ce message

    • Braconniers d’eau douce 17 octobre 2018 19:18, par carcenac

      Je n’ai jamais été un braconnier, seulement qqn gardons et perches. Mais j’ai recueillis les témoignages de braconniers. je ne peux donc vous aider. Le livre "braconniers d’eau douce" est en vente chez moi uniquement, trop vieux et très mal voyant, je ne peux livrer les libraires.
      Mais je vous l’enverrais si vous le désirez. Envoyez moi un chèque de vingt euros, port inclus. MICHEL CARCENAC 15 AV. PAUL-CRAMPEL 24170 BELVÈS.
      DITES-MOI À QUEL NOM ET PRÉNOM je dois le dédicacer.
      Cordialement

      Répondre à ce message

      • Braconniers d’eau douce 18 octobre 2018 08:45, par Jérôme LUCAS

        Bonjour Monsieur Carcenac
        Merci pour votre réponse rapide. En fait, j’ai acheté votre livre sur Amazon. Je voulais savoir si je pouvais y emprunter un extrait en citant les références de votre livre évidemment. Ça pourra vous amener des clients.
        Je vous recontacterai pour vous préciser quel passage m’intéresse.
        Bonne journée
        jérôme Lucas

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  • Braconniers d’eau douce 30 janvier 2010 22:58, par claude

    bonjour,
    J’ai 62 ans et j’ai pratiqué également ce braconnage avec la même barque en Champagne, j’ai bu également de l’eau de la rivière et on braconnait avec des naces, des filets et des fuines(genre de tridents) j’avais 12 ans à l’époque et je maniais bien la barque

    Répondre à ce message

    • Braconniers d’eau douce 17 octobre 2018 09:48, par Jérôme LUCAS

      Bonjour Monsieur
      J’aimerais recueillir vos souvenirs de braconnage en Champagne. J’ai le projet d’éditer un recueil de témoignages qui s’intitulera "Histoires de braconniers".

      Au plaisir de vous lire
      Jérôme Lucas

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    • Braconniers d’eau douce, et de lune 25 janvier 2014 18:57, par azzervolo

      Comme BCP d enfants, j ai braconné la truite avec des lignes de fond ( 1 bout de fil a pêche,1 hameçon, 1 verre de terre bien rouge, et vivant comme appât, ) le fil attaché solidement a une branche d un arbre sur la rive , y avait plus qu a laisser le temps. Le lendemain c était bien rare si au bout du fil , y avait pas une prise . . . . . Cependant je déconseille . Les temps ont changés

      Répondre à ce message

      • Braconniers d’eau douce, et de lune 17 octobre 2018 09:42, par Jérôme LUCAS

        Bonjour
        Je collecte des récits d’anciens braconniers en vue d’éditer un livre dont le titre sera "Histoires de braconniers".
        Est-il possible de vous contacter pour recueillir vos souvenirs.

        Jérôme Lucas

        Répondre à ce message

  • Braconniers d’eau douce 30 janvier 2010 15:20, par bernardmicheld

    J’aimerais pouvoir me procurer cet ouvrage sur les braconniers d’eau douce pour plusieurs raisons :

    Ce type d’activités a existé sur le Rhône, au sud de Lyon, et j’ai connu, durant mon activité professionnelle à Pierre Bénite la "mère Lapalus", compagne du dernier pirate du Rhône, ces "pirates" fournissaient en poissons (notamment en friture) les guinguettes qui existaient alors sur les bord du fleuve. Je n’ai, hélas, jamais eu l’occasion d’en discuter longuement avec elle.

    Pendant l’occupation et jusqu’à ce que tout soit remis en ordre, j’ai moi-même pratiqué ce genre de sport avec les truites et les écrevisses pêchées à la main,la nuit, à la lampe élestrique (merci Wonder) mais pour notre consommation personnelle, donc en "amateur".

    Enfin, mon frère s’est retiré au Bugue, à côté de St Alvére, et,grand pêcheur devant l’Eternel), il serait certainement heureux de lire ce livre.

    Comment pourrai-je me procurer cet ouvrage ?

    Répondre à ce message

    • Braconniers d’eau douce 17 octobre 2018 09:50, par Jérôme LUCAS

      Bonjour Monsieur
      J’aimerais recueillir vos souvenirs de braconnage et sur le dernier pirate du Rhône. J’ai le projet d’éditer un recueil de témoignages qui s’intitulera "Histoires de braconniers".

      Au plaisir de vous lire
      Jérôme Lucas

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  • Braconniers d’eau douce 30 janvier 2010 14:21

    Bonjour Monsieur Michel CARDENAC.
    J’ai apprécié votre histoire de braconnier, et aussi le texte de préambule.Je fait à titre personnel des recherches généalogique sur mes ascendants, et à terme ai l’intention d’un faire un écrit pour la famille. Je ne veux, domage pour vous, ne pas faire appel à un pro mais resté moi même. Aussi j’en viens à ma demande : dans le texte avant l’histoire, vous avez écrit deux phrase sur la mémoire qui, je ne sais pas si elles sont de vous, mais, j’aimerais bien, s’il vous plaît, pouvoir les utiliser pour mon compte strictement personne, et j’en vairais bien une des deux au pieds du grand tableau que j’ai l’intention de faire de mon arbre généalogique.
    Il s’agit de la phrase sur la mémoire trasmise oralement qui est un arbre perdant ses feuilles et dont le tronc désséché disparaîtra, ou la petite phrase : La mémoire est volage si elle n’est pas écrite.
    J’espèreque ma demande ne vous paraîtra pas trop saugrenue, et que vous pourrez accepter ma demande
    Je suis Jean-Pierre LEMAN vous avez mon arbre généalogique sur généanet sous le pseudonyme "saltimba" et aussi sur généachtimi, cela represente pour moi plus de douze ans de travail commencé par courrier
    Je vous laisse mon adresse email pour une éventuelle réponse
    jean-pierre.leman chez wanadoo.fr
    Je vous remercie par avance du temps que vous pourrez me consacrer ;
    Sincères salutations
    Jean-Pierre LEMAN.

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  • Braconniers d’eau douce 30 janvier 2010 14:14, par Simone Lacroix-Milhé

    L’arbre qui perd quelques feuilles : quelle image superbe !
    On sait quand même que, dans chaque famille, quelqu’un les recueille et les transcrit pour les générations suivantes ...
    Les troncs desséchés ont parfois des racines si profondes qu’un rejet les fera renaître ailleurs et autrement !
    Sans compter que, bien enté*, un arbre reprend toujours vie si on s’en occupe ...
    C’est ce que vous faites et ... merci pour cela !

    * enté ... ne pas faire d’amalgame SVP ... ça n’existe que dans l’imagination des grands crédules 😉

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