Question n° 1 : Pouvez-vous vous présenter, nous décrire votre parcours d’écrivain ?
"Je suis né en 1925 à Belvès en Dordogne. Etudes de médecine à Bordeaux. Quelques mois de vacances comme médecin de la Marine Marchande, puis installation à Belvès, où j’ai exercé le rude métier de médecin de campagne. Cent heures de travail par semaine durant toute ma vie professionnelle. Retraite en Janvier 1991. Que vais-je faire de cette liberté ?
Ma femme et moi nous envahissons les Archives Départementales de la Dordogne. Maintenant, je dirais que ce sont les archives qui nous ont envahis. Mais un ami et mon épouse veillaient : " Tu n’as plus l’excuse du travail, au boulot pour les photos de ton père. " J’ai fabriqué un labo assez grand pour loger deux agrandisseurs, dont un énorme pour tirer les plaques 13 x 18 de mon père. J’ai tiré 700 clichés et les ai montré à un éditeur, Fanlac. Emballé, il en édite un magnifique album de 200 photos, LE PERIGORD D’ANTOINE CARCENAC, dont j’ai aussi écrit les commentaires. Travail de flic pour retrouver les individus, dont des parents qui étaient morts avant ma naissance, les dates, les lieux, les histoires. Gros succès en Dordogne, les quatre mille exemplaires sont épuisés.
Ce premier ouvrage a incité des amis et les parents à me pousser dans l’écriture de mon second ouvrage, LES COMBATS D’UN INGÉNU, RÉCITS D’UN TEMPS TROUBLÉ. Plus difficile que de commenter des photos, mais on m’a persuadé que j’avais du style, que j’étais un écrivain. Une amie s’est proposée de me corriger, de m’apprendre la technique de l’écriture. Il s’agissait de madame Pacaly, professeur de littérature française à Normale Sup, la Rue d’Ulm. Chaque phrase, chaque mot, était passé au crible. Excellente école.
Gros succès de l’ouvrage, 4700 exemplaires de vendus, presque exclusivement en Périgord. J’ai reçu cent trente lettres, souvent de gens qui se retrouvaient dans mes récits " Moi aussi j’ai connu... " Ce livre est aussi à la gloire de mes ancêtres, Zéphyrin y raconte sa guerre de 1870 dans les Mobiles. Je dis pourquoi je porte les prénoms de mes oncles morts à Verdun et au Chemin des Dames. Avec une telle hérédité, je ne pouvais être que Résistant. Encore un livre de mémoire familiale. J’écris en ce moment des nouvelles... du Périgord bien sûr.
Question n° 2 : L’écriture de votre roman " Les Chemins de Jean Bouloc " a-t-elle été, d’une certaine façon, une manière de poursuivre et de compléter l’étude généalogique de votre famille ?
Aux archives, pertes de temps habituelles des débutants pas conseillés, manque de rigueur. Mais facilité de la recherche : tous les ancêtres du côté paternels étaient dans les registres paroissiaux de la commune d’Aigueparses. Réelle émotion de découvrir ces papiers, de découvrir un Carcenac qui ne signe, pour que ne sachant. Puis la première signature, dont on use à presque tous les actes d’état civil, puis les Carcenac deviennent des Maires et se bagarrent contre les forces de la réaction incarnée par Monsieur de Vassal. Dire que j’ai soigné Monsieur de Vassal, le dernier, un homme adorable. Jamais nous ne nous sommes affrontés sur le terrain politique, et ni lui ni moi, ne connaissions les démêlées de nos ancêtres.
En 1670, une Marie Carcenac est morte. Plus d’archives en amont. Tranquillement nous poursuivons la quête du côté des notaires. Je me suis trouvé une parenté directe avec le Général Michel Roquejoffre, celui de la guerre du golfe. Michel Roquejoffre lui aussi fait aussi sa généalogie, de façon très sérieuse et nous l’aidons à l’occasion. Un de ses ancêtres s’appelait Peyrafet, pierre à feu. Il devait tailler des silex pour les fusils. Le général a donc un parent dans l’armement.
Arrêtons le récit des découvertes, il faudra bien qu’un jour j’en écrive un roman. Parallèlement, ma femme s’est mise à l’étude de la paléographie, et elle continue toujours à suivre les cours aux Archives, avec le grand regret de ne pas avoir commencé plus tôt. Elle a trouvé et transcrit le rapport d’un notaire de Belvès sur la peste chez nous au moyen âge et je l’ai allègrement pillée pour raconter la peste dans le ROMAN DU SUAIRE. La tradition orale de la famille affirmait que les Carcenac venaient du village de Carcenac, au sud de Rodez, ce qui semblait normal. A une époque où l’esprit n’était pas gavé d’informations venues de la terre entière, les vieux disaient les “ choses ”, les faisaient répéter aux jeunes. Il était important que les générations à venir connaissent leurs droits sur la propriété, les rapports de famille et de voisins, tout ce qui faisait la vie. L’histoire que je raconte dans Bouloc, l’enfant à qui l’on flanque une raclée devant une borne pour qu’il se souvienne de l’endroit, est authentique. J’ai connu celui qui a reçu la raclée. On remonte facilement les siècles, et quand il s’agit d’un événement aussi important que la migration de la famille, la transmission de ce savoir est impérative. Monsieur Lafon d’Aigueparses, 85 ans, m’a dit un jour : " Vous voyez Docteur, ce pré, l’enclau del sol, appartenait aux Carcenac et je l’ai acheté. Mon grand père m’a dit que son grand père lui avait dit que les Carcenac fondait le fer à cet endroit. " Quand, il y a quelques mois, une pelle mécanique a défoncé le pré, j’ai chargé mon C15 de scories, de résidus de coulée de fer. Des blocs très noirs que l’on pourrait prendre pour des coulées de lave, aux dessins vraiment beaux. Mes petits neveux en étaient tout émus et ils les conservent avec amour. Ils ont un objet fabriqué par un ancêtre qui, pour eux, est presque du néolithique. Donc, tout nous poussait vers le village du Rouergue, que nous avions plusieurs fois visité. Mais impossible de remonter plus haut que 1650 et quant à descendre du Rouergue sans piste sérieuse de départ, vaste programme. Avec l’aide de sympathiques adhérents du cercle généalogique du Rouergue, nous aurons peut-être une découverte un jour, si nous ne sommes pas morts avant. Ce hiatus m’énervait et j’ai décidé de le combler par le roman, de raconter cette migrations de gens de la montagne vers les terres riches et chaudes du Périgord, ce déménagement vers l’Ouest, vers le Far-West. Pourquoi ces migrants étaient-ils venus ? Il fallait que les terres soient libres. Donc, en piste pour faire l’état des lieux en Quercy-Périgord-Agenais, plonger chez les historiens, chez les notaires via la thèse de Jean Lartigaut (magnifique ouvrage réédité à Cahors). En possession de tous les éléments sur la période concernée, je pouvais imaginer mes héros et leur faire arriver des aventures, dans des situations historiques bien réelles.
Question n° 3 : Pour l’écriture de votre dernier ouvrage " Le Roman du Suaire ", vous dites avoir démoli ce que les écrivains avaient écrit sur le sujet en se recopiant l’un l’autre. Que voulez-vous ainsi ? Pouvez-vous nous préciser votre pensée et nous expliquer votre démarche ?
Nous faisons partie de l’association les amis de Cadouin, dont le but est la connaissance de l’histoire de l’abbaye cistercienne. Bien entendu, les tribulations du suaire sont un objet de recherches. En 1392, l’abbé de Cadouin emmena le suaire à Toulouse pour le soustraire aux convoitises anglaises. A la fin de la guerre, 65 ans plus tard, les moines le volèrent aux Toulousains et le ramenèrent chez eux. Comment ce “ vol ” s’est-il passé ? On ne le savait pas car on ignorait les documents.
Le premier historien à dit : “ peut-être que cela s’est passé ainsi : quatre petits moines sont partis de l’abbaye de Cadouin pour Toulouse sous prétexte d’étudier la théologie. Ils ont fabriqué des fausses clés pour ouvrir les douze ou treize serrures, puis ils ont dérobé, de leur propre initiative, le suaire et l’ont ramené à Cadouin. ” Les historiens suivant ont copié le premier en supprimant le “ peut-être ”. Or, la première règle des moines cisterciens étant l’obéissance, cette rocambolesque histoire ne tenait pas la route. Les moines ne pouvaient agir sans ordre supérieur.
J’ai donc décidé de faire un roman policier dans le genre : Trafic de Reliques et j’ai commencé à étudier chez un vieux serrurier comment on pouvait ouvrir une serrure du XIVe siècle ; chose très facile. Début de l’enquête en liaison étroite avec un ami, Louis Grillon. Conseil aux apprentis historiens : ne pas se borner à recopier ce que les collègues ont écrit auparavant, faire comme Michelet, fouiller les archives. Louis Grillon est l’historien des abbayes cisterciennes du Périgord, il reste un des rares à pouvoir déchiffrer certains parchemins. Louis Grillon savait que les historiens se trompaient, qu’ils ne pouvaient se référer à aucun document. Il était sûr que les pièces se trouvaient aux Archives de la Ville, de Toulouse, mais malgré ses multiples recherches, il ne pouvait mettre la main dessus. Or, par chance, François Borde, le directeur des Archives Départementales de la Dordogne, a été nommé Directeur des Archives de la Ville de Toulouse. Trois mois plus tard, Louis Grillon, rayonnant, me montrait une grosse liasse de photocopies que François Borde venait de lui adresser. C’étaient les minutes du tribunal qui avait instruit le vol du suaire. L’Histoire était dans ces feuilles, avec toutes les marques d’authenticité d’un document officiel. Et l’on s’aperçoit que ce vol fut prémédité en haut lieu, à Cîteaux. etc., voir l’ouvrage et son épilogue. Votre roman est dans ces feuilles, me dit Grillon, vous n’avez rien a inventer. Evidemment, je me suis plongé dans la vie quotidienne des moines du Moyen Age, avec une très riche documentation, de façon à penser et écrire presque comme un moine.
- Découvrir Le Périgord d’Antoine Carcenac : (photographies 1899 - 1920).