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Arbaudie Maurice, chronique du temps de Vichy

Une nouvelle extraite de Braconniers d’eau douce

Le jeudi 1er mars 2007, par Michel Carcenac

Les histoires qui suivent m’appartiennent ou m’ont été racontées, souvent par des amis qui tenaient à ce qu’elles soient écrites et ne se sentaient pas capables de le faire. On ne passe pas facilement de l’oral à l’écrit, et inversement ; ce sont deux mondes.

La mémoire transmise oralement est un arbre qui tous les jours perd quelques feuilles. Plus tard, les héritiers n’auront plus qu’un tronc desséché qui disparaîtra.

Le plus souvent, ce sont des personnes d’un certain âge qui m’ont raconté des tranches de vie avec ferveur, sachant que le papier est

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l’unique moyen de conserver à jamais leurs souvenirs. Elles savent que la mort les guette et le désir les tient de faire écrire leurs histoires.

Pour beaucoup, écrire ou faire écrire ses aventures personnelles, c’est passer à la postérité. D’un livre tiré à des milliers d’exemplaires, il en subsistera bien quelques uns qui survivront des siècles dans une bibliothèque ou au fond d’un grenier.

L’écriture est le moyen de sauvegarder la mémoire d’un pays. (...)

La mémoire est volage si elle n’est pas écrite.

Mes amis m’ont confié leurs histoires, je les ai mises en forme, qu’ils soient remerciés de m’avoir pris comme secrétaire

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Récit de Berthe Arbaudie

Oui Docteur, à 96 ans je me souviens encore de cette histoire, comme si elle datait d’hier, me dit Berthe Arbaudie. Pourtant, ça s’est passé à la fin du mois d’août, en 1942. Nous habitions la même maison que maintenant, devant l’entrée du château de Bayac.

Maurice avait dépiqué toute la journée chez Besse, à la Beynerie. Avec le travail, la chaleur et la poussière, ses compagnons n’avaient pas besoin de le pousser à boire. J’étais couchée, mais je ne dormais pas, j’étais inquiète. En entendant sa voix, j’ai réveillé ma fille :

« Paulette, ton père revient. Ah ! il est encore bourré, tu l’entends qui gueule. »
Il chantait l’Internationale et ça portait loin dans la nuit. Il venait de franchir la chaîne qui barrait l’entrée du château quand nous l’avons rejoint et nous l’avons attrapé chacune par la main.
« Allez ! j’ai dit, fous le camp à la maison, et en vitesse, parce que Gaboriaud va te flanquer un coup de fusil. »
Il s’est mis à crier : « J’emmerde Gaboriaud, viens ici Gaboriaud que je te fasse la peau et t’auras fini d’emmerder les gens ; vas-y, à Vichy ! »

Nous l’avons emmené se coucher, et c’est tout ce qui s’est passé. Il faut vous dire qu’il avait le vin mauvais, mais quand il était à jeun, c’était la crème des hommes et j’ai été très heureuse avec lui. Il me rapportait toujours la paye entière, sans en laisser un sou au bistrot.

Le lendemain, les gendarmes sont venus, mais c’est sur le chantier qu’ils l’ont cueilli.
« Vas-t’en dans les bois, avant qu’on te voie officiellement, ils lui ont dit.
Non, a-t-il répondu, ce serait facile pour moi, mais je ne veux pas, si je me cachais, ils s’en prendraient à ma femme et à ma fille. »

Le soir, avec ma fille, nous sommes allées à la gendarmerie de Beaumont.
« Vous avez bien fait de venir, nous a dit le chef Lacroix, parce que demain matin il ne sera plus là. Il a soupé et il ne manque de rien. Il va se reposer, partez tranquilles. »

Le lendemain, à la nuit, le chef est venu à la maison, en s’assurant qu’il n’y avait personne en vue. Il nous a appris que Maurice était à Saint-Paul-d’Eyjaux, un camp d’internement près de Limoges ; il lui était interdit de nous le dire. Il a essayé de nous remonter le moral, c’était un homme formidable qui n’était pas du côté des boches et de Vichy. Plus tard, quand les Allemands ont attaqué la gendarmerie de Beaumont, il a été déporté et il n’est pas revenu.

Vous rendez-vous compte, Monsieur, pour avoir injurié Gaboriaud, mon mari a été arrêté et emmené dans un camp. Comme au temps des rois où on emprisonnait à la Bastille quelqu’un qui gênait, avec une “ lettre de cachet ”, si je me souviens bien des leçons d’histoire à l’école.
Lacroix nous a dit, en secret, que mon mari était considéré comme un dangereux communiste qui, avant la guerre, avait dynamité la croix de pierre devant l’église.

Communiste ! Il l’était quand il avait bu et il chantait l’Internationale dans ses cuites. Mais, moi sa femme, je sais qu’il n’a jamais eu la carte du parti, je l’aurais vue en rangeant ses affaires ; bien sûr il avait des sympathies pour les ouvriers plutôt que pour les curés. Mais Monsieur, vous le savez bien, empêcher les gens de raconter n’importe quel bobard, ce n’est pas possible, et plus c’est gros, plus ça marche. La croix ? il ne l’a pas dynamitée. Simplement, pour s’amuser, faire du bruit, il a fait péter dans le jardin deux bâtons de dynamite, il n’en manquait pas à la carrière. Ah ! ça a fait du bruit, on l’a entendu de loin. Je me suis assurée qu’il n’y avait pas de dégâts, puis je l’ai suivi. Il était bourré comme un cochon, et il avait une force terrible. Il s’est saisi de la croix, l’a secouée et l’a fait tomber, sans avoir besoin de dynamite.

Le lendemain, les gendarmes sont venus, affirmant que Maurice avait dynamité la croix, comme l’avaient chanté le maire et tous les habitants de la commune. Je leur ai fait voir l’endroit de l’explosion, avec les traces de poudre, et il n’y en avait pas sur la croix. Mais, dynamite ou pas, avec ce coup il n’a pas pu entrer dans la gendarmerie. Eh oui ! il avait fait sa demande et passé les examens. Quelques jours avant cette affaire, il s’était saoulé, gueulait comme un veau et chantait l’Internationale. C’était normal qu’on ne le prenne pas comme gendarme, mais se faire envoyer dans un camp de concentration à cause d’une cuite...Il avait le bras long, le Gaboriaud.

Mon mari est resté près de cinq mois à Saint-Paul-d’Eyjeaux. C’est long, cinq mois, pour lui et pour la famille ; Maurice ne rapportait plus de sous et j’avais perdu ma place.

A Saint-Paul-d’Eyjeaux, il a fait connaissance d’un monsieur de Nice, Joseph Reybaud, qui était interné pour des peccadilles.
« On ne peut rien te reprocher, tu ne vas pas rester interné pour t’être saoulé. Fais-moi confiance, je m’occuperai de toi dès ma sortie. » Sans monsieur Reybaud, Maurice aurait été oublié dans ce camp, et plus tard, les Allemands auraient envoyé en Allemagne ce dangereux communiste dynamiteur. Pour une cuite !

Gaboriaud, je le connaissais bien, il avait acheté le château en 1925 et j’y faisais le ménage. Il ne venait qu’aux vacances, mais, durant toute la guerre, il est resté à Bayac. Il s’est bien accommodé de la nouvelle politique, il allait à Vichy voir Pétain. Pourtant, autrefois il était radical-socialiste et même franc-maçon, on disait. Il possédait un journal, “ L’Ere Nouvelle ”, et il connaissait des gens importants.

Ça lui a servi d’être bien avec les gens de Vichy, il ramenait de la nourriture en quantité, de l’intendance militaire à Bergerac.
A la débâcle, son grand ami Gamelin, celui qui nous a fait prendre une belle gamelle, est venu se réfugier au château, avec sa femme, son aide de camp et la femme de l’aide de camp. Vichy l’a mis en résidence surveillée, il n’avait pas le droit de franchir la chaîne à l’entrée du parc. Pour qu’on ne le reconnaisse pas, il s’était fait teindre les cheveux, en roux ! La teinture déteignait sur les taies d’oreillers, mais en frottant elle partait dans l’eau de la Couze. Plus tard, des flics sont venus le chercher.

Un jour que je rinçais les taies dans la Couze, des soldats qui remontaient la vallée en fuyant devant les boches, nous ont abordées :
« Vous travaillez au château ? On nous a dit que Gamelin y est caché, c’est vrai ? Nous le cherchons pour lui faire la peau. »
J’ai jeté un coup d’œil à la Georgette qui travaillait avec moi et j’ai vu dans son regard qu’elle pensait comme moi.
« Messieurs, j’ai répondu, s’il y était, nous le saurions. Il n’y est pas ! » Si j’avais dit oui j’aurais eu sa mort sur la conscience.

Gaboriaud était un bon patron pour moi ; sa maîtresse, qui était aussi sa secrétaire, était une radine, mais lui me payait bien. Il ne manquait pas d’argent, il avait fait fortune au Cameroun, je ne sais comment. Il voulait être obéi sans discussion, il parlait en maître. Un jour, le travail qu’il avait donné à son chauffeur n’était pas fini, Gaboriaud s’est mis en colère. Louis a répliqué :
« Je n’ai pas eu le temps, Monsieur, ce n’est pas possible de marcher plus vite.
Quand je commande, je veux que le travail se fasse sans traîner.
Oh ! Monsieur, vous parlez à un Français et pas à un nègre du Cameroun, a répondu le chauffeur. »

Le lendemain, le pauvre Louis a été congédié. Il est venu me faire ses adieux. Il pleurait, il se demandait comment il pourrait continuer de faire soigner sa fille infirme.

Vous n’avez pas besoin de me demander si je suis restée au château : l’argent de Gaboriaud me manquait bien, mais je n’ai plus revu cet individu. Plus tard, des soi-disant maquisards, des minables petits voyous, voulaient lui donner une leçon, mais je m’y suis opposée. Ç’aurait été une vengeance personnelle et je l’aurais eue sur la conscience toute ma vie. Ils se sont calmés quand Maurice leur a dit que s’ils le descendaient il ne souffrirait plus, et qu’il valait mieux le laisser mourir lentement de son cancer.

En écoutant Berthe Arbaudie, on ne pouvait douter de la sincérité de son récit. Le ton était virulent, agressif, celui d’une femme jeune à qui l’on vient d’enlever son mari. Elle n’avait pas pardonné l’injustice, mais elle avait refusé la vengeance.

Berthe me conseilla de rendre visite à l’ancien maire, Yvon Dumain, ce que je fis sans perdre de temps. Je fus très bien reçu par cet homme posé et courtois, à la voix douce. Trente six années de magistrature municipale l’avaient habitué à s’exprimer clairement et surtout, ce qu’il me racontait était bien ancré dans sa mémoire.

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Cette nouvelle est extraite de l’ouvrage de Michel Carcenac Braconniers d’Eau Douce et autres nouvelles, Edition du Hérisson. Belvès :

Dans ses récits contemporains, Michel Carcenac anime une galerie de personnages hauts en couleur : le truculent Hubert qui épie de son bateau l’envol des hirondelles dans la nuit, tandis qu’en amont l’Ange blanc glisse sur le courant. L’officier de la deuxième DB aux prises avec des gitans, et Pascal d’Eygurande qui sauve son village de la famine. Il nous entraîne dans les histoires du coq et des tourterelles, du verrat et de la chevrette, sans oublier les tribulations des veaux. Perché dans son tilleul, le geai Zizi-pan-pan la Riflette médite sur le bonheur de vivre à la campagne.

D’un bond de kangourou blanc, nous sautons du Bugue à Siorac, de Pissos à Amsterdam, de la Double au Quercy et à l’Agenais, mais la Dordogne reste toujours le personnage principal de ce tableau bucolique.

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Découvrir Le Périgord d’Antoine Carcenac  : (photographies 1899 - 1920).

Pour lire l’interview de Michel Carcenac

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