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Le noyer

Une nouvelle extraite de Braconniers d’eau douce

Le samedi 1er avril 2006, par † Michel Carcenac

Les histoires qui suivent m’appartiennent ou m’ont été racontées, souvent par des amis qui tenaient à ce qu’elles soient écrites et ne se sentaient pas capables de le faire. On ne passe pas facilement de l’oral à l’écrit, et inversement ; ce sont deux mondes.

La mémoire transmise oralement est un arbre qui tous les jours perd quelques feuilles. Plus tard, les héritiers n’auront plus qu’un tronc desséché qui disparaîtra.

Le plus souvent, ce sont des personnes d’un certain âge qui m’ont raconté des tranches de vie avec ferveur, sachant que le papier est

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l’unique moyen de conserver à jamais leurs souvenirs. Elles savent que la mort les guette et le désir les tient de faire écrire leurs histoires.

Pour beaucoup, écrire ou faire écrire ses aventures personnelles, c’est passer à la postérité. D’un livre tiré à des milliers d’exemplaires, il en subsistera bien quelques uns qui survivront des siècles dans une bibliothèque ou au fond d’un grenier.

L’écriture est le moyen de sauvegarder la mémoire d’un pays. (...)

La mémoire est volage si elle n’est pas écrite.

Mes amis m’ont confié leurs histoires, je les ai mises en forme, qu’ils soient remerciés de m’avoir pris comme secrétaire.

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« Oh ! René, demain matin à sept heures, je compte sur toi. Je l’arracherais bien tout seul, ce noyer, il ne me fait pas peur, mais avec les copains, ça marche plus vite et c’est plus marrant.

- Ça va, ça va, pleure pas, je réponds, j’y serai. Qui c’est les autres ?

- Le Jacquot et le Robert. A demain. »

Sept heures. Je n’avais pas demandé si c’était l’heure d’été ou l’heure solaire. Chez moi, les pendules sont à l’heure du soleil. Nou fan caga les Parisiens, de nous mettre à l’heure allemande, comme pendant l’occupation. On s’est battu pour récupérer notre heure et maintenant ils nous la suppriment. La Libération, c’est pour rien qu’on l’a faite ? j’aurais dû garder quelques kilos de plastic pour les balancer dans la pendule de Paris.

Au Bout du Monde, j’étais le premier et pourtant, dans tout Belvès ça carillonnait les huit heures. En attendant les autres, je me suis allongé sous le noyer et j’ai regardé sauter les écureuils, mais ces couillons m’ont balancé une pigne sur la gueule ; ça fait mal. J’avais pas le fusil et ils ont continué à se foutre de moi. Ils perdent rien pour attendre, ils vont dégringoler pour de bon tout à l’heure.

Enfin, à la demie, les trois autres ont rappliqué. Ils m’attendaient chez Laguie en buvant le café pendant que je me faisais canarder par les écureuils.

« C’est pas le tout, mais on s’est mis en retard en prenant le café, a dit Laguie. »

Il nous a distribué les pioches, mais on n’a pas commencé avant d’avoir mesuré le tronc, deux mètres cinquante de tour, il faisait. La culée devait descendre assez bas et il faudrait creuser profond pour ne pas perdre du bois. Il ne s’agissait pas de le couper comme un chêne ou un pin, mais de le déterrer sans abîmer la bille. Au prix que coûte un noyer, pas de gaspillage, c’est un bois précieux. Coste, celui de la Chapelle, avait dit qu’il le prendrait pour deux millions de francs, des anciens.

Chacun avait son quartier, puisqu’on était quatre. J’étais à côté de Laguie et il paraît que j’arrêtais pas de rouspéter. Il y avait de quoi, sa pioche me rasait chaque fois, un coup dans la nuque, et j’aurais pas fait long feu. Je le traitais de branquignol et il a dit que j’étais de mauvais poil parce que j’avais pas eu le café avec la gnôle et qu’il allait me le chercher tout de suite le café, et qu’il le porterait à Monsieur, à domicile.

Les écureuils, aussi, avaient la trouille, ils ne valsaient plus dans les branches et il fallait les voir détaler.

Laguie est revenu plus d’une heure après. Il n’avait plus de café et il était monté en chercher à la Ruche, c’est pas la porte à côté et il avait rencontré le maire en chemin.

On lui a fait remarquer qu’on avait creusé son quartier à sa place et même que c’était sacrément dur cette caillasse. Il n’aurait pas pu nous inviter après quelques grosses pluies ?

« Fais gaffe où tu tapes, j’ai dit, je tiens à mes orteils.

- J’aurais dû prendre quelqu’un de moins râleur, il m’a répondu. »

Je ne sais pas comment il s’y prenait, mais à chaque coup de pioche les cailloux filaient dans tous les sens, on aurait dit qu’il le faisait exprès, qu’il nous visait. Il a bien pioché vingt minutes, puis il est parti chercher le casse-croûte. Ça nous a rassurés et on a pu travailler pour de bon, au lieu d’avoir toujours un œil sur sa pioche. Il est remonté à la Ruche, il manquait le pâté. Les clochers nous ont donné les dix heures et on s’est arrêté. On n’allait pas continuer sans rien dans le ventre. Quand Laguie est arrivé avec le pain, le pâté et le vin, on a sorti le couteau.

« T’es bien gentil, je lui dis, de t’occuper du ravito. Sacré Laguie, il t’est déjà arrivé de te fatiguer ?

- Moi ? un rien me fatigue et tu le sais bien, René. Ça vient de mes campagnes de pêche à Terre-Neuve. Jamais plus je ne travaillerai comme je l’ai fait sur le chalutier, c’était le bagne. Même la nuit tu peux pas te reposer, il n’y a pas de nuit là-bas. J’ai ramassé un gros anthrax à la fesse, ça fait plaisir en s’asseyant sur un barrot, mais pas question de s’arrêter pour si peu, le patron s’en foutait de mes furoncles, il fallait remonter les morues. En Islande, un médecin de la Royale m’a incisé toutes ces saloperies.

- Tu racontes n’importe quoi, il n’y a pas de médecin militaire français en Islande. Tu veux parler de Saint-Pierre et Miquelon ? dit le Jacquot.

- Si, Monsieur, il y a un hôpital pour les Français. C’est obligé avec tous les morutiers qui traînent dans le secteur. Il y aussi un cimetière pour les Français, je le sais, j’y étais pour l’enterrement d’un copain, et tout le village aussi. Ils nous estiment et ils nous aiment bien, les Islandais.

- Tu nous a jamais dit pourquoi t’es parti pêcher la morue, drôle d’idée pour un Périgord.

- J’en avais marre de traîner par ici, dans la marine, on voit du pays. A Bordeaux, j’ai cherché un engagement et dans un bistrot un type m’a proposé d’aller pêcher la morue. Moi qui n’avais pas la patience de pêcher en Dordogne, quand on m’a dit qu’on retirait des poissons énormes dès qu’on lançait la ligne, j’ai trouvé ça palpitant. C’était mieux que d’attraper des gardèches dans la Nauze. Mes bras sont devenus costauds à force de sortir les morues et c’est là que j’ai pris mon compte de fatigue pour la vie. »

On a eu vite fait de couper les racines. Laguie a revendiqué l’honneur de tronçonner les branches. Evidemment, avec une tronçonneuse, c’est le moteur qui fait le boulot. Nous, on tirait les branches pour les mettre en tas.

On a fait rouler la bille sur trois madriers, on l’a admirée et on a rapporté les outils chez Laguie. Puis on a mangé la soupe.

« Vous êtes de braves types, de chics copains, on peut compter sur vous, a déclaré Laguie. Je n’aurais pas osé vous demander un autre service, mais de voir comment vous m’avez aidé, le plaisir que vous y mettiez, et sans façon... je vous retiens pour démonter une salle de classe préfabriquée. Avec elle, j’aurai presque assez de bois pour construire une maison à l’emplacement du noyer. Le maire me donne le préfabriqué pour que je le débarrasse.

Je trouverai facilement un locataire qui ne pourra pas se plaindre de la vue sur Belvès. Une vue imprenable, ça se paye. Je vous avertirai, nous partirons tous ensemble avec le camion, ne vous inquiétez pas pour les outils, j’apporterai ce qu’il faut. Allez les gars, à la vôtre ! »

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Cette nouvelle est extraite de l’ouvrage de Michel Carcenac Braconniers d’Eau Douce et autres nouvelles, Edition du Hérisson. Belvès :

Dans ses récits contemporains, Michel Carcenac anime une galerie de personnages hauts en couleur : le truculent Hubert qui épie de son bateau l’envol des hirondelles dans la nuit, tandis qu’en amont l’Ange blanc glisse sur le courant. L’officier de la deuxième DB aux prises avec des gitans, et Pascal d’Eygurande qui sauve son village de la famine. Il nous entraîne dans les histoires du coq et des tourterelles, du verrat et de la chevrette, sans oublier les tribulations des veaux. Perché dans son tilleul, le geai Zizi-pan-pan la Riflette médite sur le bonheur de vivre à la campagne.

D’un bond de kangourou blanc, nous sautons du Bugue à Siorac, de Pissos à Amsterdam, de la Double au Quercy et à l’Agenais, mais la Dordogne reste toujours le personnage principal de ce tableau bucolique.

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Découvrir Le Périgord d’Antoine Carcenac  : (photographies 1899 - 1920).

Pour lire l’interview de Michel Carcenac

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