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Le Cercueil

Une nouvelle extraite de Braconniers d’eau douce

Le jeudi 1er septembre 2005, par † Michel Carcenac

Les histoires qui suivent m’appartiennent ou m’ont été racontées, souvent par des amis qui tenaient à ce qu’elles soient écrites et ne se sentaient pas capables de le faire. On ne passe pas facilement de l’oral à l’écrit, et inversement ; ce sont deux mondes.

La mémoire transmise oralement est un arbre qui tous les jours perd quelques feuilles. Plus tard, les héritiers n’auront plus qu’un tronc desséché qui disparaîtra.

Le plus souvent, ce sont des personnes d’un certain âge qui m’ont raconté des tranches de vie avec ferveur, sachant que le papier est

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l’unique moyen de conserver à jamais leurs souvenirs. Elles savent que la mort les guette et le désir les tient de faire écrire leurs histoires.

Pour beaucoup, écrire ou faire écrire ses aventures personnelles, c’est passer à la postérité. D’un livre tiré à des milliers d’exemplaires, il en subsistera bien quelques uns qui survivront des siècles dans une bibliothèque ou au fond d’un grenier.

L’écriture est le moyen de sauvegarder la mémoire d’un pays. (...)

La mémoire est volage si elle n’est pas écrite.

Mes amis m’ont confié leurs histoires, je les ai mises en forme, qu’ils soient remerciés de m’avoir pris comme secrétaire.

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« Docteur, vous êtes un sacré menteur ! Depuis des mois vous me racontez des sornettes, vous me parlez d’ulcère à l’estomac, d’anémie, de maladie tropicale, et vous essayez de me faire croire qu’aux beaux jours j’irai mieux. Aux beaux jours je serai au paradis, pas à celui des curés, je n’y crois pas, simplement au paradis des asticots.

Vous êtes défaitiste aujourd’hui, Monsieur Lacan, qu’est-ce qu’il vous prend ?

Il me prend que je suis foutu et que vous me traitez comme un demeuré ou un trouillard. Vous sortez sans cesse votre chansonnette : ça s’arrange, vous êtes sur la bonne voie et patati et patata. A partir de maintenant, finie la rigolade. Je vous aime bien, vous êtes un médecin dévoué qui connaît son travail et je serais désolé d’avoir à vous chercher un remplaçant, mais je le ferai si vous ne me dites pas la vérité. J’ai mes affaires à régler avant de mourir, est-ce que je peux tenir deux mois ?

Deux mois ? Vous les avez largement devant vous si vous ne faites pas de bêtises.

Enfin, on y arrive ! Vous me répondez de peur que je ne vous remplace.

Peut-être... Je voudrais vous accompagner jusqu’au bout. Depuis que je vous soigne, vous m’avez fait confiance et j’ai fait mon possible pour le mériter. Croyez-vous qu’il soit facile d’annoncer à un patient la date de sa mort ? Le diagnostic est-il toujours certain ? Beaucoup de malades préfèrent rester dans l’ignorance, ils ont peur d’affronter la vérité. Monsieur Lacan, puisque vous me le demandez, je vous parlerai franchement.

Bravo toubib ! j’attendais ça de vous. Comprenez-moi, on a beau avoir fait son testament, il y a des tas de choses à régler avant de partir au cimetière ; si je les laisse en attente, ce sera une source de complications pour mes héritiers. Deux mois vous dites... ça me suffit. »

De ce jour, nos relations ont été différentes, très personnelles, nous étions les détenteurs du grand secret. La mort ne pouvait surprendre mon malade, il l’attendait de pied ferme. Je prolongeais mes visites en écoutant ses récits, aucun de ses voisins n’était capable de les apprécier, me disait-il, j’étais flatté. Cet ancien tailleur militaire avait bourlingué dans les colonies françaises et je portais un grand intérêt à ses histoires.

Etendu dans son lit, il me dit un jour :

« Devant, regardez ce qu’il y a. »

Par la grande porte-fenêtre, le soleil entrait jusqu’au pied du lit et la vue s’envolait vers la vallée et les collines de la Bessède qui barrent l’horizon.

« Je vois les terres, les bois, votre cheval qui gambade, et votre voisin qui pousse les vaches.

Non ! A droite de la porte. »

Un épais rideau de velours grenat prenait une grande place et descendait à ras du plancher. Le doigt de Lacan me le désignait, m’ordonnait de l’écarter, ce que je fis.

Dressé contre le mur, un cercueil attendait.

« N’est-il pas magnifique ? Maradène m’a annoncé que c’était le premier qu’il fabriquait tout en noyer. “ C’est bien dommage de le mettre dans la terre, si encore vous aviez un caveau, a-t-il ajouté. ” Mais je n’aime pas les caveaux, surtout en granit, c’est horriblement froid ; rien ne vaut la bonne terre. Admirez les moulures, le couvercle bombé, et quelle patine ! Il ne serait pas plus beau si des générations de ménagères l’avaient astiqué à la cire. Le menuisier a fait un travail d’artiste, je suis content. Enlevez le couvercle... Alors ? Qu’en dites-vous ? »

L’intérieur était tapissé d’un satin vert. Pas un pli, du travail de professionnel. A la demande du futur locataire, je tâtais du doigt l’épaisseur, la souplesse du rembourrage.

« Il est bien matelassé, n’est-ce pas ? Je n’ai plus un gramme de graisse, rien que des os qui vont vite percer la peau ; le noyer a beau être le plus beau des bois, il n’est pas plus tendre que le chêne. Cette doublure, c’est moi qui l’ai faite ; mon dernier travail de tailleur.

J’ai bourlingué de par le monde toute ma vie et je ne voudrais pas faire mon dernier voyage sur un minable rafiot, une chiotte, comme disent les marins. »

Je remis le couvercle à sa place, tirai le rideau et m’assis à côté du lit pour écouter Lacan :

« C’est la première fois que Maradène a été payé par le macchabée et qu’il a pris les mesures du mort sur le vivant. Ça lui a fait un coup, surtout que nous sommes amis ; il m’a fait un prix raisonnable. Mais, le cercueil, ce n’est pas tout, regardez ce paquet de correspondance post-mortem. »

Lacan avait rédigé les lettres annonçant son décès à toutes les organismes de retraite : caisse de retraite militaire, caisse de retraite complémentaire, caisse de retraite du combattant. Sans oublier la Chancellerie de la Légion d’Honneur, la banque, mais ces lettres, il ne les avait ni signées ni datées. Il n’avait pas oublié de noter en bas de la page : Pièce jointe, certificat de décès.

« Vous comprenez, toubib, mes enfants seraient perdus dans toutes ces formalités ; si les pensions continuaient d’arriver sur mon compte bancaire après ma mort, on ne manquerait pas de les accuser de vol. C’est encore moi le plus capable de mettre de l’ordre dans mes papiers, et puis, ça m’occupe et ça m’amuse. »

Un soir, je le trouvai en proie à une crise de hoquet, signe de mauvais augure dans son cas. Une injection de Vogalène le calma et il put me rassurer sur l’origine de ses spasmes diaphragmatiques.

« Ce matin, me dit-il, à l’heure de l’apéritif j’ai fait venir mes quatre voisins, des bons gars avec lesquels je me suis toujours bien entendu. J’ai annoncé ma mort prochaine et nous avons arrosé cette nouvelle au Mum Cordon rouge, le champagne préféré des officiers coloniaux. Nous avons discuté, parlé des terres et de ce qu’elles allaient devenir, évoqué quelques bons moments et envisagé l’avenir, le leur, pas le mien. Ils étaient en plein travail, mais ce n’est pas tous les jours qu’on arrose le départ d’un ami. De temps en temps sans en avoir l’air, le Louis jetait un œil inquiet sur ses vaches, mais je ne me pressais pas de les libérer.

Enfin, à ma demande, ils ont tiré le rideau, trouvé le cercueil, et l’ont posé à côté du lit sur deux chaises.

« Pourquoi cette tête d’enterrement ? je leur ai demandé, on dirait qu’elle est pour vous cette caisse. Mes amis, il y a longtemps que je suis dans mon lit et je ne le quitterai que pour aller dans celui-ci. Enlevez le couvercle, admirez le capitonnage, du travail de maître tailleur. Je suis sûr que vous n’en avez jamais vu de pareil. Tant que vous êtes là, vous ne me refuserez pas un petit service. J’aimerais bien l’essayer, déposez-moi dedans, juste quelques minutes pour apprécier le confort et voir l’effet produit. Je ne pèse pas lourd, ça ne vous fatiguera pas. ”

Ils ont posé leur coupe de champagne, après l’avoir vidée d’un trait, et se sont envolés, sans me dire au revoir, sans remettre le cercueil à sa place, comme s’ils avaient eu peur de tomber dedans. J’ai crié pour les rappeler, mais ma voix était trop faible, ou bien ils n’ont pas voulu m’entendre.

J’ai piqué une telle crise de fou rire, que le hoquet m’a pris et n’a pas cédé malgré le Mum. J’étais heureux comme un gosse, j’avais réussi ma dernière blague. »

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Cette nouvelle est extraite de l’ouvrage de Michel Carcenac Braconniers d’Eau Douce et autres nouvelles, Edition du Hérisson. Belvès :

Dans ses récits contemporains, Michel Carcenac anime une galerie de personnages hauts en couleur : le truculent Hubert qui épie de son bateau l’envol des hirondelles dans la nuit, tandis qu’en amont l’Ange blanc glisse sur le courant. L’officier de la deuxième DB aux prises avec des gitans, et Pascal d’Eygurande qui sauve son village de la famine. Il nous entraîne dans les histoires du coq et des tourterelles, du verrat et de la chevrette, sans oublier les tribulations des veaux. Perché dans son tilleul, le geai Zizi-pan-pan la Riflette médite sur le bonheur de vivre à la campagne.

D’un bond de kangourou blanc, nous sautons du Bugue à Siorac, de Pissos à Amsterdam, de la Double au Quercy et à l’Agenais, mais la Dordogne reste toujours le personnage principal de ce tableau bucolique.

*****

Découvrir Le Périgord d’Antoine Carcenac  : (photographies 1899 - 1920).

Pour lire l’interview de Michel Carcenac

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