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L’abbé Radigond

Une nouvelle extraite de Braconniers d’eau douce

Le dimanche 1er janvier 2006, par † Michel Carcenac

Les histoires qui suivent m’appartiennent ou m’ont été racontées, souvent par des amis qui tenaient à ce qu’elles soient écrites et ne se sentaient pas capables de le faire. On ne passe pas facilement de l’oral à l’écrit, et inversement ; ce sont deux mondes.

La mémoire transmise oralement est un arbre qui tous les jours perd quelques feuilles. Plus tard, les héritiers n’auront plus qu’un tronc desséché qui disparaîtra.

Le plus souvent, ce sont des personnes d’un certain âge qui m’ont raconté des tranches de vie avec ferveur, sachant que le papier est

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l’unique moyen de conserver à jamais leurs souvenirs. Elles savent que la mort les guette et le désir les tient de faire écrire leurs histoires.

Pour beaucoup, écrire ou faire écrire ses aventures personnelles, c’est passer à la postérité. D’un livre tiré à des milliers d’exemplaires, il en subsistera bien quelques uns qui survivront des siècles dans une bibliothèque ou au fond d’un grenier.

L’écriture est le moyen de sauvegarder la mémoire d’un pays. (...)

La mémoire est volage si elle n’est pas écrite.

Mes amis m’ont confié leurs histoires, je les ai mises en forme, qu’ils soient remerciés de m’avoir pris comme secrétaire.

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Au pied de la colline, Sainte-Madeleine s’avançait jusque dans la rivière ; téméraires, quelques maisons surplombaient le courant. Tout le long du jour, les rayons du soleil la balayaient, la séchaient de l’humidité de la nuit.

Sainte-Madeleine était un bourg cossu, célèbre pour ses foires. Mais surtout, la réputation de son collège, laïque, s’étendait fort loin car le directeur avait su s’entourer d’excellents professeurs. Les résultats aux examens dépassaient la moyenne des autres établissements du département.

Grâce au collège, la vie intellectuelle bouillonnait. Un cercle littéraire avait vu le jour et l’épouse du sous-préfet daignait parfois manifester son soutien par quelques alexandrins bien scandés. Ce cercle ne se limitait pas aux belles lettres, c’était un salon où tous les sujets honnêtes, comme la philosophie, l’art et la musique, étaient abordés. La politique n’y était admise qu’à la condition de dépasser les limites du département ; cela évitait à la discussion de s’égarer dans de mesquines querelles de clocher.

Le notaire, le pharmacien et les deux médecins fréquentaient le cercle, ainsi que Raoul Radigond, le curé, et bien sûr presque tous les professeurs.

Les locaux du cercle étaient fort agréables et bien chauffés l’hiver. Les charmantes dames de la bibliothèque, toutes dévouées à la littérature, préparaient la verveine ou le tilleul, suivant les préférences.

L’abbé Radigond n’avait pas de raison de se plaindre, la cure lui rapportait de quoi vivre à l’aise, cependant il estimait mériter beaucoup mieux. Les ravages causés par l’école sans Dieu n’étaient que superficiels, le fond des Madeleinois était profondément religieux, le petit père Combe n’avait pas encore déclenché les hostilités. Les sermons du curé débordaient de citations empruntées à l’Evangile, cela va de soi, mais aussi à l’histoire romaine ou grecque. Discrètement, Raoul Radigond faisait sentir à ses ouailles la chance qu’ils avaient d’avoir un prêtre aussi cultivé, aussi intelligent.

Au cercle, Radigond analysait ses sermons, reprenait les exemples qu’il puisait dans l’Histoire pour l’édification des fidèles. Les enseignants n’en perdaient pas une miette, eux que leur position de laïques empêchait d’aller à l’église. La joie rayonnait sur les visages quand l’abbé s’exprimait et évoquait le grand Bossuet, son maître. De voir la béatitude qui envahissait les ennemis de Dieu quand ils buvaient ses paroles, lui laissait espérer qu’un jour prochain ils rejoindraient la sainte Eglise. Par pure taquinerie, les professeurs chipotaient sur des détails historiques, sans jamais lui faire perdre de son assurance. Entre eux ils l’appelaient Rara.

Les auditeurs du cercle lui demandaient parfois pourquoi les autorités ecclésiastiques laissaient croupir, dans un bourg de campagne, une intelligence si vive. Sa fonction ne lui permettait pas de répondre franchement, mais il glissait des allusions sur la jalousie ou le favoritisme. Il se pouvait que ses supérieurs l’aient oublié, peut-être était-il trop réservé avec eux ? Il ne s’était jamais plaint à l’évêché et il offrait à Dieu son sacrifice.

« Quel dommage ! reprenaient les professeurs, laisser une si belle culture loin de fidèles qui seraient à même de l’apprécier à sa juste valeur. »

Un soir de réunion, n’y tenant plus, Raoul Radigond sortit de sa réserve. Il laissa échapper devant ses amis du cercle qui lui reprochaient sa modestie :

« Et pourtant, je vous le dis, mais ne le répétez pas, il s’en est fallu d’un doigt que je ne sois nommé évêque. »

Chacun était stupéfait de cette révélation. Le professeur de latin rompit le silence :

« Ainsi, Monsieur l’abbé, il s’en est fallu d’un doigt !... Le doigt de Dieu ! »

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Cette nouvelle est extraite de l’ouvrage de Michel Carcenac Braconniers d’Eau Douce et autres nouvelles, Edition du Hérisson. Belvès :

Dans ses récits contemporains, Michel Carcenac anime une galerie de personnages hauts en couleur : le truculent Hubert qui épie de son bateau l’envol des hirondelles dans la nuit, tandis qu’en amont l’Ange blanc glisse sur le courant. L’officier de la deuxième DB aux prises avec des gitans, et Pascal d’Eygurande qui sauve son village de la famine. Il nous entraîne dans les histoires du coq et des tourterelles, du verrat et de la chevrette, sans oublier les tribulations des veaux. Perché dans son tilleul, le geai Zizi-pan-pan la Riflette médite sur le bonheur de vivre à la campagne.

D’un bond de kangourou blanc, nous sautons du Bugue à Siorac, de Pissos à Amsterdam, de la Double au Quercy et à l’Agenais, mais la Dordogne reste toujours le personnage principal de ce tableau bucolique.

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Découvrir Le Périgord d’Antoine Carcenac  : (photographies 1899 - 1920).

Pour lire l’interview de Michel Carcenac

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