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Certificat de décès

Une nouvelle extraite de Braconniers d’eau douce

Le vendredi 1er juillet 2005, par Michel Carcenac

Les histoires qui suivent m’appartiennent ou m’ont été racontées, souvent par des amis qui tenaient à ce qu’elles soient écrites et ne se sentaient pas capables de le faire. On ne passe pas facilement de l’oral à l’écrit, et inversement ; ce sont deux mondes.

La mémoire transmise oralement est un arbre qui tous les jours perd quelques feuilles. Plus tard, les héritiers n’auront plus qu’un tronc desséché qui disparaîtra.

Le plus souvent, ce sont des personnes d’un certain âge qui m’ont raconté des tranches de vie avec ferveur, sachant que le papier est

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l’unique moyen de conserver à jamais leurs souvenirs. Elles savent que la mort les guette et le désir les tient de faire écrire leurs histoires.

Pour beaucoup, écrire ou faire écrire ses aventures personnelles, c’est passer à la postérité. D’un livre tiré à des milliers d’exemplaires, il en subsistera bien quelques uns qui survivront des siècles dans une bibliothèque ou au fond d’un grenier.

L’écriture est le moyen de sauvegarder la mémoire d’un pays. (...)

La mémoire est volage si elle n’est pas écrite.

Mes amis m’ont confié leurs histoires, je les ai mises en forme, qu’ils soient remerciés de m’avoir pris comme secrétaire.

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Mes premières armes en médecine, je les ai faites au fond des bois, chez Pierre Soulaure, un médecin efficace, rompu à toutes les catastrophes qui pouvaient dégringoler sur la tête de ses patients. En l’accompagnant dans ses visites, je pratiquais une médecine fort éloignée de celle de l’hôpital. Ne me faites pas dire que l’on n’apprenait rien à l’hôpital, tout au contraire, c’est un enseignement dont on ne peut se passer. « Ce que tu n’auras pas vu à l’hosto, tu auras du mal à le diagnostiquer en clientèle, » me répétait mon frère aîné.

Bref, j’apprenais mon métier sur le tas, avec l’aide des anciens.

Lors de ma dernière visite chez une presque centenaire, j’avais annoncé à la famille qu’elle ne passerait pas la nuit, et je ne fus pas surpris quand le lendemain un de ses proches m’apporta le certificat de décès. Je le remplissais, mentionnais les causes de la mort sur le volet destiné aux statistiques, quand Pierre Soulaure survint. Il repéra aussitôt l’imprimé vert et partit dans une de ses colères dont il était coutumier : « Que fais-tu là ? On ne signe le certificat qu’au lit du mort, c’est un constat d’huissier, tu engages gravement ta responsabilité. Pars immédiatement. » Le commissionnaire de la famille fit une tête encore plus sinistre qu’à son arrivée, la mémé était morte, tout le monde, n’arrive pas à son âge, mais surtout il faudrait payer la visite.

Au repas du soir, Pierre me demanda si j’avais été payé.

« Tu comprends, un certificat de décès est un acte d’huissier, d’officier d’état civil exactement. Ce n’est pas un simple gribouillis destiné à la mairie et aux statistiques. Dans ta carrière, ne fais jamais un certificat sans avoir vu le mort, tu risquerais de t’en repentir. Pour t’édifier, écoute cette histoire :

- J’avais une vieille cliente, une cardiaque en mauvais état ayant dépassé les quatre-vingt-dix ans. Elle vivait avec son fils, un hercule un peu simplet, et elle était encore capable de lui faire la soupe. Elle m’adorait, m’appelait “ mon bon docteur Pierre. ”

Comme pour toi aujourd’hui, le voisin m’a porté le papier vert à signer, je l’ai pris et me suis rendu à la maison. Un coup d’œil, elle était bien morte ; avec mon attestation, le maire a délivré le permis d’inhumer. En rentrant, j’ai dit à ma femme : “ Le Joseph a eu peur que sa mère ait froid, il l’a entortillée de fichus de laine. Il n’avait pas autant d’attentions pour elle quand elle était en vie. ”

Quelques jours plus tard, descente du procureur, des gendarmes, de la PJ ; exhumation du corps de la vieille. Un témoin avait parlé. Conclusions du médecin légiste : assassinat par coups de poings ! C’était le fils qui l’avait tuée au cours d’une dispute. Deux coups de battoir de cette brute avaient suffi.

Au procès, le président ne s’est pas gêné : En dépit de la confiance que me manifestait l’administration, j’avais couvert un assassinat. J’aurais dû faire un examen médico-légal en règle, mettre nue la pauvre vieille et suivre chaque parcelle de sa peau à la recherche d’une ecchymose, d’un hématome, de l’entrée d’une balle ou d’une arme blanche. Tu te vois agissant ainsi ? Tu pourrais faire ta valise en vitesse.

Fort heureusement, j’avais examiné la morte. Sommairement, admit mon avocat, mais j’avais fait mon devoir. A part cette légèreté dans l’exercice de ma profession, on ne pouvait rien me reprocher. Tandis que... si je ne m’étais pas déplacé, j’aurais été complice d’assassinat et le président du tribunal semblait fâché de ne pouvoir m’inculper. Il aurait été heureux de me voir sur le même banc que le Joseph. Les jurés m’auraient acquittés, quoique... mais, au mieux, j’aurais subi le procès sur le banc des accusés, entre deux gendarmes et j’aurais couché tous les soirs à la prison d’Agen.

Tu sais, une pareille histoire, on ne l’oublie pas. Ça commence par les flics, les dépositions, le procureur, l’avocat, les kilomètres, le greffe, pour finir en apothéose aux assises. Que pendant ce temps tu sois pris par des accouchements, une épidémie de rougeole ou des accidentés, tout ça, ils s’en foutent. Et les journaux, j’allais oublier les journaux. J’avais les honneurs de la première page ! Les journalistes qui ne pouvaient questionner le coupable, ni le photographier en prison, se rabattaient sur moi, interrogeaient mes clients, racontaient ma vie à la façon des romans photos. Ils sonnaient à la porte et quand j’ouvrais, ils me photographiaient avant de se tirer en vitesse car je leur volais dans les plumes. Je ne parle pas des mielleuses insinuations du Conseil de l’Ordre, dans le genre : nous attendons les résultats du procès pour statuer. Fais gaffe, Michel, réfléchis avant de délivrer un quelconque certificat et à plus forte raison un certificat de décès.

Aussi, continua Pierre Soulaure, quand on m’a porté le certificat de décès de la mère Chastrusse, une ou deux années plus tard, j’ai regardé le commissionnaire dans les yeux et sans rien dire je suis parti rendre une dernière visite à ma vieille cliente.

Les volets étaient fermés, les rideaux tirés et les miroirs recouverts d’un linge blanc, comme il se doit. Sur les tables de nuit, de chaque côté du lit de milieu, des bougies, mais aussi deux grands cierges au pied du lit, éclairaient la pièce. Ce devait être des cierges de première communion ressortis pour l’occasion ; elle méritait bien cette attention, Jeanne Chastrusse. Elle qui avait été une si bonne et si pieuse paroissienne trônait avec majesté dans son lit, recouverte jusqu’au buste d’un drap de fil brodé qui lui servirait de linceul. Un mouchoir blanc noué sur le crâne empêchait la mâchoire de retomber, et en effet ce n’est pas joli de voir toutes les dents sur un fond noir. Ses voisines, assises sur des chaises basses, égrenaient leur chapelet pendant que le curé enfilait son étole et préparait ses instruments. Je sortais d’une épidémie de grippe et j’étais fatigué, énervé ; un peu de repos et de détente m’aurait fait le plus grand bien et j’acceptai la chaise que l’on m’avançait au fond de la chambre. D’un autre côté, ça ne me déplaisait pas d’assister à cette bénédiction, je me retrouvais chez les bons Pères Jésuites de Toulouse, quand ils m’apprenaient le latin. L’odeur des cierges me ramenait au temps où j’étais enfant de chœur, quand le prêtre allait bénir les morts chez eux. Aujourd’hui, le curé était seul, les parents ne permettent plus que les enfants manquent la classe pour une cérémonie religieuse. Mon curé récita donc le DE PROFUNDIS, bénédiction pour les morts. S’il y avait eu un doute, il aurait donné l’extrême onction et aurait prononcé les paroles : SI TU ES CAPAX AUDIENDI, si tu peux entendre... suivies de l’absolution.

Le curé me salua et partit le premier, suivi des femmes. « Je voudrais vous parler, me dit-il, je vous attends dehors. » Pourquoi ne l’ai-je pas suivi tout de suite ? Réflexe de métier, je me suis approché de la morte, j’ai allumé l’éclairage électrique et alors le teint cireux donné par la lueur des cierges disparut. Je relevai les paupières, touchai les globes oculaires, Jeanne Chastrusse n’était pas morte.

Je fonçai jusqu’à la voiture en criant des ordres à la famille, ramenai ma valise d’urgence, le nécessaire de perfusion et me mis au travail.

Jeanne Chastrusse était plongée dans un coma diabétique.

« Que se passe-t-il ? » me demanda le curé.

SI TU ES CAPAX AUDIENDI... Elle entendait Monsieur le curé.

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Cette nouvelle est extraite de l’ouvrage de Michel Carcenac Braconniers d’Eau Douce et autres nouvelles, Edition du Hérisson. Belvès :

Dans ses récits contemporains, Michel Carcenac anime une galerie de personnages hauts en couleur : le truculent Hubert qui épie de son bateau l’envol des hirondelles dans la nuit, tandis qu’en amont l’Ange blanc glisse sur le courant. L’officier de la deuxième DB aux prises avec des gitans, et Pascal d’Eygurande qui sauve son village de la famine. Il nous entraîne dans les histoires du coq et des tourterelles, du verrat et de la chevrette, sans oublier les tribulations des veaux. Perché dans son tilleul, le geai Zizi-pan-pan la Riflette médite sur le bonheur de vivre à la campagne.

D’un bond de kangourou blanc, nous sautons du Bugue à Siorac, de Pissos à Amsterdam, de la Double au Quercy et à l’Agenais, mais la Dordogne reste toujours le personnage principal de ce tableau bucolique.

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Découvrir Le Périgord d’Antoine Carcenac  : (photographies 1899 - 1920).

Pour lire l’interview de Michel Carcenac

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