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C’était pressé

Une nouvelle extraite de Braconniers d’eau douce

Le dimanche 1er octobre 2006, par Michel Carcenac

Les histoires qui suivent m’appartiennent ou m’ont été racontées, souvent par des amis qui tenaient à ce qu’elles soient écrites et ne se sentaient pas capables de le faire. On ne passe pas facilement de l’oral à l’écrit, et inversement ; ce sont deux mondes.

La mémoire transmise oralement est un arbre qui tous les jours perd quelques feuilles. Plus tard, les héritiers n’auront plus qu’un tronc desséché qui disparaîtra.

Le plus souvent, ce sont des personnes d’un certain âge qui m’ont raconté des tranches de vie avec ferveur, sachant que le papier est

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l’unique moyen de conserver à jamais leurs souvenirs. Elles savent que la mort les guette et le désir les tient de faire écrire leurs histoires.

Pour beaucoup, écrire ou faire écrire ses aventures personnelles, c’est passer à la postérité. D’un livre tiré à des milliers d’exemplaires, il en subsistera bien quelques uns qui survivront des siècles dans une bibliothèque ou au fond d’un grenier.

L’écriture est le moyen de sauvegarder la mémoire d’un pays. (...)

La mémoire est volage si elle n’est pas écrite.

Mes amis m’ont confié leurs histoires, je les ai mises en forme, qu’ils soient remerciés de m’avoir pris comme secrétaire.

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Un mètre de neige depuis le premier février, en 1956 ! Sur les routes, ma 2 CV arrivait à passer ; quand elle dérapait, le talus de neige la renvoyait dans le droit chemin. Elle était presque la seule à circuler.

Le ciel d’un bleu laiteux était débarrassé des nuages par un vent glacial venu du Nord. Temps rêvé pour les sports d’hiver, mais sale temps pour un médecin de campagne en Périgord. Mes confrères de la montagne avaient l’équipement convenable et ils étaient habitués. Un original avait même des chiens de traineaux. Ici, sur le sol gelé, la neige allait tenir un mois ; sur les routes des vallées, elle était tassée, mais pas sur les chemins des fermes, où l’on se rendait à pied.

Par bonheur, le froid sec avait arrêté les épidémies qui, comme chaque année, avaient commencé à la mi-janvier.

La montée jusqu’à l’église d’Orliac s’était faite en zigzaguant et quelques mètres plus haut, la neige arrivait à hauteur des phares.

J’avais emporté une pelle, mais pour quel résultat : quelques mètres dégagés en une demi-heure, ce n’était pas encourageant, la 2 CV n’était pas un chasse-neige.

Mon chien aboyait devant la voiture, l’insultait, ne comprenait pas qu’elle reste plantée là, ne lui obéisse pas ; des moutons auraient couru, sa niche ambulante ne bronchait pas. Personne ne sortait des fermes alentour, les chiens ne répondaient pas au mien. Je les devinais aplatis devant le feu, dressant une oreille en faisant semblant de ne pas entendre. Ce n’était pas un temps à mettre un chien dehors, surtout un chien du Périgord, devaient-ils se dire.

Soulagé d’avoir pu revenir en marche arrière jusqu’au parvis de l’église, j’abandonnai la pelle et la 2 CV et partis escalader la colline. Mon Grœnendael se roulait dans la neige, courait autour de moi, me hurlait sa joie. La neige épaisse entrait dans les bottes et ne fondait pas. Personne n’était passé sur la route, les seules traces étaient celles des lièvres et des oiseaux.

Au village de Prats, le grand silence. En ouvrant une porte j’aurais été bien accueilli, mais je n’avais pas le temps de m’arrêter pour me réchauffer. La Marie Conchou avait dit que c’était pressé, puis elle avait raccroché le téléphone de la cabine, sans préciser. J’entrepris d’escalader la pente raide de la colline en face. Buck se traînait, ne faisait plus le fou ; ses coussinets étaient rouges, brûlés par la neige. Avec une bande de crêpe, je lui confectionnai des chaussettes ; il n’a pas essayé de les arracher et m’a regardé avec reconnaissance.
La ferme était sur le plateau, bien campée dans son champ de neige. La toiture, blanche, se fondait dans le paysage, les murs en grès rouge sombre arrêtaient le regard.

Essoufflé par l’ascension, je tombai sur un des bancs du cantou. Pendant que je vidais la neige de mes bottes et jetais des sarments de vigne sur les braises, la Marie m’interpellait :

« Eh bien ! Vous marchez plus vite que ça, d’habitude ! je vous ai appelé à huit heures et il est presque midi.
Vous avez mis le nez dehors ?
_ Non. Pourquoi je serais sortie, on peut rien faire dans les terres. »

Les flammes éclairèrent l’aïeule qui me faisait face, assise elle aussi dans le cantou. Un balancement du tronc d’avant en arrière m’inquiétait. Je la saluai et demandai à sa fille si elle n’avait pas peur qu’elle tombe dans le foyer.

« Pensez donc ! Elle est là depuis la Toussaint. S’il avait dû lui arriver chose...
Bon. Qui est malade, le petit ?
Personne n’est malade. Il me faut juste un certificat pour la mémé, qu’elle ne peut pas travailler. Le maire, il a dit que ça pressait. »

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Cette nouvelle est extraite de l’ouvrage de Michel Carcenac Braconniers d’Eau Douce et autres nouvelles, Edition du Hérisson. Belvès :

Dans ses récits contemporains, Michel Carcenac anime une galerie de personnages hauts en couleur : le truculent Hubert qui épie de son bateau l’envol des hirondelles dans la nuit, tandis qu’en amont l’Ange blanc glisse sur le courant. L’officier de la deuxième DB aux prises avec des gitans, et Pascal d’Eygurande qui sauve son village de la famine. Il nous entraîne dans les histoires du coq et des tourterelles, du verrat et de la chevrette, sans oublier les tribulations des veaux. Perché dans son tilleul, le geai Zizi-pan-pan la Riflette médite sur le bonheur de vivre à la campagne.

D’un bond de kangourou blanc, nous sautons du Bugue à Siorac, de Pissos à Amsterdam, de la Double au Quercy et à l’Agenais, mais la Dordogne reste toujours le personnage principal de ce tableau bucolique.

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Découvrir Le Périgord d’Antoine Carcenac  : (photographies 1899 - 1920).

Pour lire l’interview de Michel Carcenac

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