Paris, le 27 mars 1871… C’est par cette date que commence la lettre d’un boulanger qui écrit à sa famille pour lui raconter ce que vécurent les Parisiens assiégés par les Prussiens, du 19 septembre 1870 au 28 janvier 1871. Témoignage pris sur le vif, l’original de ce courrier, perdu aujourd’hui, fut certainement transcrit sur cette feuille de cahier par Charles Thomas, un de ses descendants auquel j’avais consacré deux articles publiés sur ce site. Son petit-fils qui m’avait confié cette copie n’avait pu, faute de renseignements, situer ce boulanger dans sa famille demeurant soit en Charente-Maritime soit dans les Deux-Sèvres. |
- La première page de la lettre
Transcription littérale de la lettre de A.M Dumas
Paris le 27 mars 1871
Mes Bons Amis
Pour vous tranquiliser tous, je vous avais déjà écrit par le ballon, je vois bien d’après votre lettre que vous n’avez pas reçu la missive, il est vrais que vous n’avez pas beaucoup perdu, je ne vous donnais pas de détails. Maintenant je vais un peu vous parler de la malheureuse situation que nous avons occupée pendant le siège.
Vous dire toutes les misères, tous les tracas, tous les ennuis que nous avons eus, il n’est pas possible de s’en douter. Paris habituellement si gai était morne et sombre, et cependant le courage patriotique n’a jamais été abattu quoique nous étions enfermés dans un cercle de fer. Tous les hommes ne demandaient pas mieux que d’allez aux remparts ; je vous assure que j’ai été pour ma part aussi, chacun voulait faire son devoir et se rendre utile à son pays ; nous avons eu plusieurs gardes nationaux de tués, quand l’on bombardait Paris.
Les obus siflaient sur nos têtes, c’était comme des toupies, mais personne n’éprouvait la moindre peur, ou s’y habituait. Tout était devenu très pénible pour les commerçants, surtout pour nous les boulangers qui ne pouvions pas avoir la moitié de la farine qu’il nous fallait pour boulanger, pour en avoir il fallait aller à la caisse de la boulangerie et faire la queue et attendre son tour.
Quelquefois on se trouvait à 7 ou 800 à attendre. Il y en avait qui ne pouvait pas être servi que le 2e ou 3e jour ; il en a eu même plusieurs qui ont été plusieurs jours sans boulanger. Je me suis donné bien du mal, mais j’ai cuis tous les jours, il m’est pourtant arrivé bien souvent de laisser ma maison pour aller monter la garde, je ne savais pas si je rentrerais le soir, j’ai quelquefois reçu de la farine à deux heures du matin parce que toutes les farines avaient été réquisitionnées par la ville et c’était la ville qui nous fournissait.
Nous devions bien nous donner tant de mal pour arriver à un pareil résultat, pour être vendus et livrés comme nous l’avons été. Une ville comme Paris qui pouvait mettre de 6 à 700 mille hommes sous les armes et qui tous ne demandaient pas mieux que de marcher ; je vous assure que pour mon compte je ne me croyais pas aussi brave, le bruit du canon et de la fusillade ne me faisait pas plus d’effet que s’il avait fallu allez déjeuner.
Tout le monde était si fatigué de souffrir ; avoir passé 6 mois à manger du cheval, du chat, du chien et du rat, il n’était pas possible de manger autres choses, il n’y avait en parti que cela. Il se peut qu’il y avait des poules des lapins mais ils se vendaient à des prix fous. J’ai vu vendre un lapin 120 francs il était très bon, il ferait 7 kilos, un mauvais poulet 50 à 60 francs, un beau rat se vendait 24 sous, il n’y avait pas moyen de manger de légumes, il n’y en avait pas ou très peu, un mauvais chou se vendait 5 francs, une carotte grosse comme le petit doigt 0,50, un brin de poireau très petit 1 franc, un oignon moins gros qu’un œuf valait 0, 30, la pomme de terre de 3 à 4 francs le litre, il n’y avait pas moyen de manger ni beurre, ni fromage puisque l’on en voyait nulle part.
Pour faire la cuisine il fallait se servir d’une sorte de mauvaise graisse dont on ne connaissait pas la provenance.
Ceux qui avait de cette mauvaise graisse que nous appelions (Souin) avec laquelle on graisse les charettes et les chemins de fer en ont fait autant d’argent qu’ils ont voulu ; il en a qui ont fait la cuisine avec, cette saleté qui empoisonnait, il n’y avait pas moyen de rester dans la cuisine tant ça sentait mauvais et pourtant l’on ne la faisait pas trop grosse la cuisine, nous avions des bons chacun 50 grammes de cheval par jour et plus tard 35 grammes et nous n’avions rien autre, aussi il y en a eu des milliers qui sont morts de faim, surtout les enfants qui pouvaient encore moins supporter cette mauvaise nourriture que les grandes personnes et plus cela allait plus le mal empirait, plus nous avions de mortalité et pour comble de bonheur on nous a rationné le pain, nous en donnions à chacun 300 grammes par jour et avec des cartes où il n’y avait pas moyen de tricher, nous avions des délégués chez nous qui marquaient les cartes sortant de chez moi, on ne pouvait pas aller chez un autre la carte était marquée en récompense de la petite quantité depuis que nous donnions à chacun[…]
- Rationnement de la viande
Affiche de 1870, Parent, A., imprimeur ; Musée Carnavalet, Histoire de Paris ; numéro d’inventaire : AFF5551 https://www.parismuseescollections.paris.fr/sites/default/files/styles/pm_notice/public/atoms/images/CAR/lpdp_144425-13.jpg?itok=zd00fDQ6 |
les chiens ne voulaient pas en manger, il est vrai que ceux qui étaient resté avaient bien le droit d’être difficiles pour ne pas être manger eux-mêmes, il avait fallu qu’ils soient bien gardés ; moi-même j’avais un chien et trois chats mais tout cela a été croqué.
Pour revenir au pain je n’ai jamais pu savoir de quoi il était composé, je crois qu’il y avait un peu d’avoine, un peu d’orge et de la paille hachée et du foin haché, eh bien tout cela empêchait aux plus forts de mourir de faim.
Nous Dieu merci nous n’avons pas été très malheureux ; je m’étais mis bien avec trois bouchers en diminuant la ration des autres d’un petit morceau quoique c’était du cheval nous ne faisions pas les difficiles, il est vrai que nous en sommes sortis ma femme et moi pas très gras mais assez bien portant. A part quelques rhumes qui nous ont un peu fatigué ; ma femme a eu une grippe qui l’a fait beaucoup souffrir mai elle va bien maintenant. Moi j’ai fait comme notre pauvre France, j’ai laissé quelques lambeaux de graisse dans le siège à peu près 40 livres, mais je commence reprendre depuis le ravitaillement, il était bien temps que cela finisse tout le monde serait mort à l’œuvre et tout cela de la faute du gouvernement qui prétend avoir fait tout ce qu’il a pu faire, qui nous a amené au bord du précipice après le fer il a bien eu moins de peine à nous faire tomber, aussi nous y sommes jusqu’au cou, je ne sais même pas si nous pourrons nous en retirer.
Vous vous plaignez que vous ne travailler pas, je vous assure que je peux vous en dire autant. Le monde a la suite de cette nouvelle révolution du mois (Lire : du moins) ceux qui ont pu partir sont partis aussi le commerce est entièrement mort, moi je ne fais pas la moitié de mes frais pour le moment et les ¾ des commerçants de paris sont comme moi. Cependant ne croyez pas que Paris soit à feu et à sang comme on doit le dire en campagne Paris est très tranquille à part quelques petites escarmouches qu’il y a deux généraux de fusilliers, cela ne leur serait pas arrivé s’ils étaient restés à s’occuper de ce qui les regardait c’est très ennuyeux parce que le Gouvernement de Versailles regarde cela comme un assassinat ;
|
assez sur tout cela, écrivez moi le plus tôt possible, donnez-moi des nouvelles de notre belle sœur , la pauvre veuve et de notre pauvre petit neveu et de vos enfants desquels vous ne nous parlez pas dans votre lettre, et puis je voudrais bien que ma sœur me ferait dire un petit mot, vous me feriez bien plaisir si vous pouviez me donner quelques nouvelle du pays.
Ma femme se joint à moi pour vous dire les choses les plus aimables. Votre dévoué frère A M Dumas