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Un destin tragique pendant la guerre franco-allemande 1870 - 1871

Le vendredi 14 mars 2025, par Gewa Thoquet

Lors de la guerre franco-allemande de 1870 - 1871, beaucoup de foyers français ont perdu un membre combattant de leur famille. Le site mémoire des hommes du Ministère des Armées parle d’environ 139.000 morts et 143.000 blessés côté français. Mais combien de civils ont perdu leur vie pendant ce temps-là à cause de la guerre ?

Léon Ernest Thoquet, l’arrière-grand-oncle de mon mari, se trouve dans la catégorie de ces derniers. Cinquième enfant du charpentier Claude Thoquet et de Marie Félicité Daguet, il est né le cinq février 1841 à Saclas. Ce village se trouve à 10 km au Sud d’Etampes. Léon a suivi sa scolarité d’abord dans l’école communale pour la poursuivre dans un lieu inconnu. En effet, il ne figure ni dans le recensement de l’année 1856 et ni dans celui d’Etampes où se trouve un internat pour garçons.
Cependant, à l’âge de vingt ans on le retrouve à nouveau à Saclas. Le jeune homme y travaille à ce moment avec deux autres clercs chez le notaire Paul Auguste Bartholomé. Le recensement de l’année 1861 nous renseigne, qu’il loge chez le notaire et non pas chez ses parents.

Léon doit se soumettre le mercredi 26 février 1862, comme tous les autres 75 jeunes gens du canton de Méréville de sa classe au tirage au sort pour savoir, qui d’eux devra rejoindre l’armée [1]. Sur le document le concernant, on lit qu’il mesure 1,682 cm, que son degré d’instruction est de 1.2 et qu’il a tiré un numéro qui l’inclus dans le contingent prévu pour l’armée. Après la visite médicale il est jugé apte au service. Néanmoins, grâce à la décision prise après la clôture de la liste, il est exonéré le 14 juin. Faute d’actes probants, on ne peut pas connaître la raison. Léon peut donc rester à Saclas et poursuivre son travail de clerc chez le notaire Bartholomé.

Le jeune homme travaillera pendant sept années à Saclas avant de changer complètement de métier. Dans son contrat de mariage qu’il passe à Saclas le 27 décembre 1869 [2] avec Eugénie Rose Collet, la fille du marchand boucher et cultivateur saclasien Etienne Collet et Adèle Léontine Chenu, il est spécifié que Léon habite déjà depuis six mois à Melun au 17, rue de l’Hôtel de Ville. En effet, il travaille maintenant dans cette ville seine-marnais comme agent d’assurance.

Après leur mariage, le couple vivra donc à Melun, qui se trouve à 55 km de Saclas et à 40 km de Paris. Cependant, leur vie à deux ne durera même pas une année. La guerre franco-allemande éclate le 19 juillet 1870. Très vite, une grande partie de la France du Nord et de l’Est est envahie par l’ennemi. L’occupation de Melun commencera le 15 septembre quand les Uhlans s’approchent de la ville.

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Source : "Melun sous l’occupation" de Gustave Julliot.
Consultable sur Gallica

La ville sera occupée par les troupes allemandes à partir de ce moment jusqu’à leur départ le 26 mars du côté gauche de la Seine, c’est-à-dire Melun-Sud, et enfin le 9 septembre 1871 sonnera le départ des derniers Bavarois de Melun et le commencement de l’évacuation définitive du département de la Seine-et-Marne [3].

Qui dit occupation, dit vexations de toutes natures, réquisitions et levées d’impôts incessantes, en nature et en argent, pour approvisionner les 500.000 soldats prussiens, c’est-à-dire les forces de la confédération de l’Allemagne du Nord, auxquels s’ajoutaient les quatre États allemands du Sud, à savoir les royaumes de Bavière et de Wurtemberg ainsi que les grands duchés de Bade et de Hesse. Beaucoup de ces soldats allemands séjournaient ou passaient et repassaient par Melun. Les habitants étaient forcés de les recevoir chez eux et de les nourrir. Selon les dires du Melunais Julliot dans ses notes quotidiennes prises lors de l’occupation de Melun, le nombre des soldats allemands s’élevaient pendant toute la durée de la guerre au moins à 150.000 hommes, sachant qu’il y avait 8.435 habitants en 1872 [4].

Dans l’état civil de Saclas on trouve une dernière évocation de Léon à une date inconnue mais avant le 22 juin 1872 [5] . Le maire y inscrit la transcription suivante : « Décès de Thoquet Léon 19 mars 1871, du 16.06.1872 transcription littérale en vertu de l’article 80 [illisible] Par ordre du Ministère de la guerre, le directeur général certifié à tous qu’il appartiendra qu’un extrait mortuaire déposé aux archives de la guerre est conçu ainsi qu’il suit : Traduction : le civil prisonnier de guerre français Léon Thoquet natif de Saclas âgé de 30 ans a été reçu le 14e mars 1871 à l’ambulance royale de réserve de Posen [6]. Il y est mort le 19.03.1871 de la pneumonie. En fois de quoi Posen 19.03.1871. Suivent signatures et légalisation. En fois de quoi le présent certificat a été délivré pour servir et valoir ce qui de raison fait à Versailles le 14.06.1872 ».

Le prisonnier civil Léon Thoquet est donc décédé à l’âge de 30 ans. Cela veut bien dire, qu’il n’a pas combattu comme soldat, mais qu’il a été pris dans les mailles de la répression féroce des Allemands contre des velléités des Français de contrecarrer les visées de l’ennemi. Dans les yeux de la force occupante, quel crime Léon a t’il pu commettre ?

C’est seulement après de très longues recherches sur internet, que le mystère s’est en partie éclairci et ceci grâce à trois livres écrits tout de suite après la guerre de 1870-1871. En effet, dans la mémoire familiale Léon n’existait pas.

Adolphe de La Rue, un habitant de Corbeil, nous dévoile les dessous de l’affaire [7]. Corbeil était déjà en octobre 1870 complètement « prussionnisée » [8]. À Melun, l’occupation allemande était à ce moment encore peu gênante et le directeur de la poste pouvait en conséquence expédier des lettres. Les gens de Corbeil avaient « imaginé d’adresser nos lettres à M. T[h]oquet qui, par pure obligeance, les remettait au fonctionnaire officiel ; les lettres qu’on nous écrivait lui était adressés ; M. Toquet trouvait le moyen de nous les faire passer à Corbeil ». Léon de par son travail d’agent d’assurance parcourait continuellement le département de la Seine-et-Marne ainsi que les départements limitrophes. Pour contrecarrer de tels usages, les autorités prussiennes ont fait savoir le 6 octobre par décret à la population française, que tout individu qui serait porteur de dépêches, serait passible du conseil de guerre [9] . Le jeune marié était donc au courant du danger.

Le couperet tombe pour Léon Thoquet le 26 novembre 1870. Les envahisseurs s’introduisent ce jour en forçant les portes du bureau de la poste principale de la ville et saisissent tous les plis, qu’y sont encore entreposés. Parmi ces lettres se trouvaient de nombreuses adressées à Léon que le directeur de la poste, de peur de se compromettre, ne lui avait pas remis, estimant qu’il ne pouvait les remettre qu’à leur destinataire véritable. Léon fut arrêté sur le champ et envoyé à la prison de Corbeil. Malgré des démarches répétées de bon nombres de personnalités politiques, Léon ne retrouva pas la liberté.

Pendant son séjour dans la prison de Corbeil, qui dura probablement plus d’un mois, il a rencontré Emile Bourquelot, un des otages de la ville de Provins emprisonné avec quatre autres notables provinois en rétorsion contre la ville pour n’avoir pas payé une amende de 20.000 francs réclamée par la force occupante à cause des actions dirigées par des habitants contre les soldats allemands. Emile Bourquelot parle dans son livre "Un épisode de l’invasion de 1870 à Provins" édité en 1872 de la manière suivante de Léon :

Le quatrième commensal est un jeune homme blond, dont on remarque la mise soignée et presque élégante. Il a l’abord doux et prévenant. Ce sont aussi des correspondances qui ont conduit en prison M. Toquet, agent d’assurances à Melun. Il n’a rien écrit, mais il s’est gravement compromis en se chargeant, dans ses fréquentes tournées, de remettre à Corbeil et aux environs des lettres qui ont été surprises par les Prussiens.
Incarcéré depuis déjà plus d’un mois, M. Toquet savait qu’il était sérieusement menacé d’un internement en Prusse, comme châtiment de ses complaisances (1).
(1) M. Toquet fut effectivement envoyé en Prusse, où il est mort, peu de temps après son internement à Mayence.

Léon Thoquet est envoyé au début de l’année 1871 à Mainz, c’est-à-dire à Mayence. Cette ville, la capitale du Rhénanie-Palatinat (Allemagne) au confluant du Rhin et du Main se situe à environ 40 km au Sud-ouest de Francfort. 27.830 prisonniers de guerre français se trouvaient en janvier 1871 dans la prison de Mayence [10] . L’affluence des prisonniers, qui arrivaient constamment à pied et qui devaient traverser la ville, a inspiré un dessinateur anonyme. À la vue de son dessin on peut penser, que les habitants de Mayence prenaient ses pauvres soldats français en pitié, car ils leurs donnent de la nourriture.

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Néanmoins, Léon ne reste pas dans cette ville. Il est transféré dans la forteresse de Posen dans l’Est de l’Allemagne. Si seulement 13.600 prisonniers français y sont retenus en janvier 1871 contre le double à Mayence, cet endroit est un des plus terribles camps pour les captifs français [11] , en sachant, que le prisonnier civil était toujours plus durement traité que le prisonnier de guerre ordinaire. Outre un commandant du camp plus féroce que dans d’autres camps, le climat très rude pendant l’hiver 1870/1871, le manque de vêtements chauds et l’hébergement non pas dans des casernes en dures mais sous des tentes [12], où l’humidité et le froid s’infiltraient facilement, n’est certainement pas étranger du fait que Léon soit décédé d’une pneumonie le 19 mars 1871.

Eugénie Rose Collet, sa veuve, ne reste pas longtemps à Melun, où elle ne connait certainement pas encore beaucoup de monde. Grâce à des appuis dans la sphère politique, à savoir des parlementaires des départements de la Seine-et-Oise et de la Seine-et-Marne, elle trouve assez vite un emploi réservé aux mutilés de guerre et aux veuves de guerre. L’État français, qui a le monopole de la fabrication et du commerce du tabac, lui confie un débit de tabac à Meaux au 21, rue du Marché. C’est un commerce assez rémunérateur, qui permet à la jeune veuve de vivre de son travail. Lors du recensement de l’année 1872 elle est dite buraliste. Âgée alors de 24 ans, la veuve habite encore seule. Cela changera le 11 septembre 1873, jour de son remariage à Meaux avec Pierre Guilloux, un commis de la contribution indirecte originaire de Villeneuve-Saint-Georges. Il a trois ans de moins que la mariée. Les parents d’Eugénie Rose sont venus exprès de Saclas, éloigné de 110 km de Meaux, pour assister au deuxième mariage de leur fille.

Eugénie Rose, débitante de tabac, qui n’avait pas d’enfants ni de son premier mariage, ni de son deuxième, décède le 20 septembre 1890 à l’âge de seulement 42 ans non pas à Meaux, où elle habite à ce moment au 6, rue du Marché, mais à l’hôpital de La Salpêtrière à Paris 13e. Les registres de décès de cet hôpital indiquent qu’Eugénie y est arrivée le 9 septembre et qu’elle est décédée le vingt septembre de la même année après avoir subi une ovariotomie pour prélever un kyste sur un des ovaires [13].


[1AD 91, 1 R 8

[2AD 91, 2 E 34/398 et 3 U 2370

[3"Les Prussiens à Melun 1870-1871, du 15 septembre 1870 au 9 septembre 1871", par Gustave Julliot, édité en 1872

[4Recensement de l’année 1872

[5Etat-civil de Saclas, vue 248

[6Posen = aujourd’hui Poznan, Pologne ; ambulance = un établissement hospitalier temporaire (EL)

[7" Sous Paris pendant l’invasion " d’Adolphe de La Rue, 1871

[8" Melun sous l’occupation " de Gustave Julliot, 1872

[9"Melun sous l’occupation " de Gustave Julliot, 1872

[10" Les soldats français dans les prisons d’Allemagne "du chanoine E. Guers, 1890

[11" Les soldats français dans les prisons d’Allemagne "du chanoine E. Guers, 1890

[12ibid

[13A aphp, 3 Q 2-79, côte 12, 09.09.1890

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