Quelques informations généalogiques sur les acteurs pour comprendre leurs relations familiales. Ils sont d’une famille de six enfants implantée à Montmalin (Jura) à quelques kilomètres d’Arbois.
- Le père Jean-Claude Faudot (1814-1870) était propriétaire – cultivateur selon l’état-civil, il est mort huit mois avant.
- L’auteur de la lettre est Eugène Faudot-Bel (1842 à Montmalin – 1923 à Gagny), il est brigadier fourrier pendant la campagne militaire.
- Le destinataire du courrier est son frère aîné Jean-Louis Faudot-dit-Bel (1837 à Montmalin – 1913 à Paris 19). Il s’est installé dans le quartier de Belleville (Paris 19) et comme professeur, a fondé une « Institution de Jeunes Gens ».
- Le dernier frère Émile Faudot-Bel (1847 à Montmalin – ca 1925) qui est resté dans leur village natal de Montmalin avec leurs parents, est cultivateur. Il a 23 ans lors des évènements.
- Eugénie Faudot-dit-Bel (3 février 1870 à Paris – 1961 à Paris) est le premier enfant de Jean-Louis, elle est en nourrice (sans doute à cause du siège de Paris) chez sa tante Octavie Faudot-Bel, épouse Lainez (1840-1917), sœur des trois frères [1]. Elle avait accouché d’un garçon trois mois avant.
Quelques repères historiques : Napoléon III se rend aux Prussiens le 2 septembre 1870 à Sedan, entrainant la déchéance de l’Empire. Le 4 septembre, proclamation de la République et constitution du Gouvernement de la Défense nationale pour continuer la lutte. L’armistice du 28 janvier permet de lever le siège de Paris commencé le 18 septembre et d’organiser les élections du 8 février. La Commune de Paris se déroule du 18 mars au 29 mai 1871. |
Dans une lettre du 26 février 1871, l’auteur ne décrit que ses blessures à la tête et à la jambe ; en patois jurassien parce que les Prussiens occupent encore leur village de Montmalin. La lettre suivante du 13 mars 1871 est en français. Elle est transcrite ici avec sa syntaxe et son orthographe d’origine. Je l’ai simplement complété avec des notes pour bien situer le contexte historique.
- ...le 13 mars 1871. Mon cher frère...
Montmalin, le 13 mars 1871
Nous commençons à respirer après deux mois d’invasion, hier seulement nous avons été débarrassés de la présence de ces barbares venus de je ne sais quel pays.
Ta lettre nous a fait de la peine, il faut espérer que des jours plus heureux nous feront oublier les maux de cette année si néfaste.
Crois le bien mon cher frère, combien j’ai été en peine de toi dans cette funeste campagne. J’avais presque prévu ce qui devait arriver mes dernières lettres te le prouvent assez ; moi je suis fort et robuste. J’étais plus à même de résister que toi.
J’ai commencé la campagne le 22 7bre [septembre 1870] sur les bords du Rhin, prisonnier de guerre pendant onze jours, après avoir endurés toutes sortes de misères. Je me suis échapé.[en marge : J’ai fais 40 lieux [environ 160 km] portant un panier de pommes de [terre] qui ma servit de sauf conduite pour traverser les lignes prussiennes].
J’ai arrivé à Poitiers le jour de la Toussaint habillé en paysant. Là l’on m’a rééquipé et donné un cheval car les nôtres ont été pris avec nous. Le 1 9bre [1er novembre] nous commencions cette fameuse armée de La Loire [2] qui était destinée à tant de souffrances.
Je ne chercherai pas à te narrer en détails tous nos désastres. Que tu sache que nous restions des 5 jours sans toucher de vivres d’aucune espèce ni pour nous ni pour nos chevaux. Les pauvres bêtes crevaient et leur mort nous sauvait la vie.
Nous avons fait six mois de campagne par un hiver exceptionnel sans entrer dans une maison ni jour ni nuit [3] .
L’histoire apprendra que nous avons passés trois fois La Loire avec armes et bagages sur les glaces. Nous avons été une fois à 20 lieux de Paris, si nous avions eu de bons chefs Paris aurait été débloqué dans le mois de 9bre [novembre]. Nous avons bien perdu du monde par le feu des Prussiens, mais ce qui m’a fait le plus de peine, c’est ces pauvres malheureux qui restaient gelés raide comme des barres de fer le matin au départ des troupes.
Après cette fameuse retraite de Gien [4] qui est le pendant de celle de Moscou, nous sommes venu à Orléans [5] nous battre pour la troisième fois et de là nous avons attaqué Dijon [6] qui nous a ouvert ses portes après trois jours de battaille des plus sanglante.
Là j’ai eu mon cheval tué entre mes jambes. Nous étions si fatigués que j’aurai voulu être à la place de mon cheval. Là nous avions coupés l’armée prussienne, une position était repoussée sur Paris et l’autre se dirigeait sur Béfort [ou Belfort – vers le 4 janvier ?].
Le 18e corps [7] duquel je faisais partis était aux trousses de cette dernière partie. J’avais un cheval neuf, une lueur d’espérance semblait briller à nos yeux. Nous étions encore 120 000 hommes. Le général Bourbaki en tête.
Nous avons été vainqueurs à St Jean de Losne [8] et à plusieurs endroits. Nous avons enlevés Gray [9] et Vesoul [10] d’assaut. Quand nous sommes arrivés dans les Montagnes de Villers Sexelles [Villersexel [11]] une armée prussienne nous y attendait. C’est là que devait se passer ce carnage sans précédents et c’est là que devait finir mon histoire de cette funeste campagne.
Villers Sexelles a été une bataille qui a duré trois jours et qui a coûté 20 000 hommes [12] aux Français et encore plus aux Prussiens.
- ...nous avons été salués par une grêle d’obuses...
Nous nous battions avec l’acharnement du désespoire. Le troisième jour à 9 heures du matin. (C’était le 12 janvier) J’étais Brigadier Fourrier [13] j’étais partis en éclaireurs avec 12 hommes à 2 kilm. de notre armée, nous avons été salués par une grêle d’obuses, une malencontreuse est venue tuer deux cavaliers à ma droite, en tombant elle a éclatée elle a ouvert la poitrine à mon cheval et puis m’a blessée à la jambe gauche moi et le cheval nous avons roulés dans la neige qui rougissait par la perte de notre sang. Te dire ce qui est arrivé après serait impossible car quand je pense à cette funeste campagne il me semble que je sort d’un cauchemart.
Le 20 janvier mon frère Émile est venu me chercher. J’ai arrivé chez nous le 21 [env. 100 km], croyant me reposer de mes fatigues. A Messieurs les Prussiens sont arrivés le 22. Après tant de souffrances il fallait que je vois venir chez nous ces canibales [sic]de la pire espèce, nous voir piller le sabre nu et le revolver en main.
Depuis le 22 janvier au 12 mars Montmalin a été occupé par les Prussiens, il y en a eu jusqu’à 2 000. Les prés de dessous la fontaine était un parc d’artillerie. Nous avons eu chez nous jusqu’à 16 qui mangeaient comme des gailles [juments]. Les chevaux ont tous mangés le foin et l’avoine l’orge et même du blé.
Ils nous ont pris une voiture toute neuve, un bœuf, une vache, un cochon gras, un fromage de gruyère, 800 litres de vin, 16 double de farine, autant de blé, des chemises, des serviettes, etc. plus une réquisition en argent de 90 francs par personne sans compter la nourriture et l’inconvénient que nous causait la présence de tel garnisaires. Comme dédommagement, ils nous ont laissé la peste bovine qui fait de grands ravages dans notre malheureux pays. La petite vérole fait aussi beaucoup de victimes.
Ce qui nous a valu l’agréable séjour de ces messieurs dans nos pays, c’est la résistance à outrance de Besançon et de Salin qui leur ont payés leurs contributions à coups de canon. La petite ville d’Arbois a payé 900 000 fr, Montmalin 14 000.
Adrien Faivre et Jean Jean Boissard a été en otage jusqu’à concurrence de payment, Girod de Chamblay , le comte de St Maurice, Mr Bergeret pour Montigny en un mot tous les notables du pays ont été pris prisonnier jusqu’à qu’ils aient trouvé la somme exigée par ces barbares.
Vadans, Chamblay a encore des Prussiens, il peut arriver qu’il en revienne encore à Montmalin. Si le mal s’arrête là je suis encore content du moment que nous avons tous la vie sauf. Le reste ira tout doucement, la Providence ne veille-t-elle pas sur tous ses enfants. (Aux petits des oiseaux) il faut espérer que d’ici quelques temps nous pourrons cicatriser la plaie financière que cette fatale guerre nous a fait.
Arrivé ici un jour avant les prussiens et les connaissant par expérience, j’ai commencé à cacher le plus de marchandise que nous avons pu, il n’y a de grandes guerres qu’il n’échappe quelque chose. Tu nous feras savoir si les trains de marchandises vont jusqu’à Paris, pour qu’on puisse te faire passer des vivres tel que vin, lard, farine de maïs ou de blé si tu préfères.
Pour quand à ta maraine je dois te dire quelle avait de l’argent, elle a donné à Mr le curé pour lui dire des messes, elle en a deux toutes les semaines. Pour quand à la petite [Eugénie fille de Jean-Louis] elle n’a besoin de rien, elle grandit toujours en espièglerie, ses meilleurs amis sont Barbiers et Pierre Grivois. Elle est chéris de tout le village, n’ayez aucune inquiétude sur son compte.
N’épargnez rien pour vous soigner, tachez de vous procurer une bonne nourriture pour réparer vos tempéraments délabrés ? Si tôt que la voie ferrée sera libre, je vous enverrai ce dont vous avez besoin et si vous pouviez venir ici cela vaudrait encore mieux.
Mon cher frère dans ta prochaine lettre donne moi des détails sur nos amis s’ils sont vivants, si les affaires reprennent, s’il y eu des victimes parmi nos connaissances. Donne le bonjour de ma part à ceux qui ont eu le bonheur d’échapper à ce funeste carnage. Des détails ? Sur les gens de Belleville, sur les républicains de l’année passée.
- ...ton ami le plus dévoué...
Mes amitiés à tous les voisins et amis y compris Mr et Me Giroux [les beaux-parents de Jean-Louis]. Présente mes salutations à ta femme. A toi mon cher frère crois moi toujours ton ami le plus dévoué.
Les victoires françaises à l’échelle de ce fier combattant qui a vu des Prussiens en déroute ne sont pas toutes des victoires au sens de l’Histoire de France, mais c’est à la fois le témoignage instructif et touchant d’un soldat courageux et d’un habitant d’un petit village qui relate l’occupation des vainqueurs et les ruses pour y résister.
Bibliographie consultable sur Gallica :
1.Grenest, L’Armée de l’Est : relation anecdotique de la campagne de 1870-1871, Paris, Garnier Frères, 1895
2.Commandant Rousset (Léonce), Histoire générale de la guerre franco-allemande (1870-71). Les armées de province, Paris, 1895-1898, 3 volumes
Notes de lecture. La lettre que vous venez de découvrir est écrite à l’arrière-grand-père maternel de l’auteur. Sa famille est alors installée à Belleville et subi le siège avant de vivre la Commune de Paris. Ce témoignage sur sa guerre de 1870-1871 n’est qu’un, parmi bien d’autres, « document brut » ayant servi à rédiger son livre "Toute famille a une histoire". Ce récit y est repris sous une autre forme et le lecteur attentif n’aura aucune peine à le retrouver. Cet ouvrage ne se limite pourtant pas à la Guerre franco-prussienne. Nous faisons connaissance avec trois lignées familiales aux destins bien différents, leurs réseaux familiaux et commerciaux au cours du Second Empire et des premières années de la IIIe République. C’est la synthèse de quinze ans de recherches dans différents fonds d’archives et plusieurs bibliothèques. Pour reconstituer ces « moments de vie », l’auteur a imaginé une enquête, méthodique et fouillée, par des journalistes de la fin XIXe siècle. Ce qui rend la lecture passionnante, grâce une écriture fluide, même si quelques passages sont d’un abord un peu ardu. Il n’est pas toujours facile, en effet, de traduire de façon simple l’aridité de certains documents d’archives techniques ou juridiques. Ce livre, très plaisant à découvrir, s’inscrit bien dans l’esprit de notre magazine. Il mérite à ce titre d’être recommandé à nos lecteurs. Michel Guironnet |