L’Empereur Napoléon III déclare le 19 juillet 1870 la guerre à l’Allemagne. Du côté français, elle fut commencée d’« un cœur léger » comme le dit son premier ministre Emile Ollivier le 17 juillet 1870 devant des ouvriers et étudiants à Paris.
Malgré des avertissements sur la non-préparation de l’armée, le ministre de la guerre et maréchal de France Edmond Le Bœuf ne dit pas autre chose en affirmant : « Nous sommes prêts et archi-prêts, la guerre dût-elle durer deux ans, il ne manquerait pas un bouton de guêtre à nos soldats ».
La réalité était malheureusement toute autre.
Les Allemands avaient des troupes bien entrainées et leurs soldats, en nombre supérieurs aux Français, étaient mieux équipés. Nos compatriotes le constataient dès le début de la guerre. Ainsi il n’est pas étonnant, qu’un certain nombre d’hommes se soit enrôlé dans des compagnies de francs-tireurs pour aider à sauver leur patrie.
Le franc-tireur, qui s’appelait lors de la deuxième guerre mondiale "partisan", était un combattant faisant partie d’un corps franc sous les ordres d’un chef. Ces compagnies n’étaient pas soumises à l’armée régulière. Ils ne portaient pas d’uniformes, mais ils devaient porter un signe distinctif de reconnaissance, porter les armes ouvertement et se conformer strictement aux lois de la guerre. Les francs-tireurs combattaient l’ennemi à leur manière. Ils n’attaquaient pas ouvertement l’Armée allemande mais ils se mettaient en embuscade et harcelaient sans cesse les troupes allemandes, ce qui les ralentissaient dans leur avancée triomphante à travers la France. Si le franc-tireur était pris, il était sûr d’être fusillé sur le champ car le commandement allemand lui refusait la qualité de belligérant.
- Les francs-tireurs en embuscade
Embuscade de Francs-Tireurs des Vosges, Paris Musées, Musée Carnavalet, G 47140, lithographie, Épinal, collection Liesville |
Charles Laurent Bombonnel, qui habite à ce moment à Dijon, est parmi les premiers à monter une compagnie de francs-tireurs. Un échange de lettres entre lui, le général commandant de la 8e division militaire et le Préfet de la Côte d’Or en août 1870 l’atteste [1].
Charles Bombonnel est né le 10 août 1816 à Spoy dans l’Aube. Ses parents, l’ouvrier verrier Louis Barthélémy et Marie-Rose Grésely, avaient onze enfants dont seulement trois sont arrivés à l’âge adulte [2].
Dans son autobiographie "Bombonnel, le tueur de panthères" parue en 1860, il écrit, pour planter le décor, qu’il n’a « reçu que des mois d’école à cinq sous, dans un pauvre village » et qu’il a de ce fait « usé » plutôt « ses genoux de pantalon à la chasse », son père était un « chasseur habile et intrépide », « que de fonds de culotte sur les bancs du collège » [3].
- Charles Laurent Bombonnel
- Portrait extrait de "Bombonnel, le tueur de Panthères"
Notre homme se marie en 1844 à Gemeaux (Côte d’Or) avec Marie Julie Clémence Stéphanie Guelaud. La même année il fait un voyage en Algérie, où on lui parle beaucoup de panthères qui ravageaient les territoires de plusieurs tribus. La chasse aux panthères devient alors son idée fixe.
Inlassablement il fait des voyages en Algérie, où il habite même à un certain moment avec sa femme [4] , et au fil des ans, son tableau de chasse monte à dix panthères, dont la dernière tombe sous ses balles en 1859.
L’écrivain Alphonse Daudet s’est d’ailleurs inspiré pour son livre "Tartarin de Tarascon" des récits de chasse aux fauves en Afrique du Nord que Bombonnel venait de publier en 1860.
Ce dernier tenait beaucoup à ses exploits en Algérie. La preuve : le 24 octobre 1872 il signe une lettre adressée à la chancellerie de la Légion d’honneur de la manière suivante : « Bombonnel... tueur de panthères et de lions en Afrique ». [5]
- Lettre au Chancelier de la Légion d’Honneur
« Bombonnel Charles Laurent, rentier à Dijon, ex Colonel de francs-tireurs. Chevalier de la Légion d’honneur du 27 juillet 1871. Tueur de panthères et de lions en Afrique. Dijon 24 octobre 1872 » |
Charles Bombonnel âgé de 54 ans a demandé fin août 1870 l’autorisation pour pouvoir former une société de francs-tireurs. Sur les trente membres prévus dont il sera le chef, il a pu rassembler « Ferlet de Bourbonne, sous-chef, Loquin Jules de Dijon, Etienne Brulet, Tabouret de Saint Julien, Benoit Etienne de Dijon, Jean-Baptiste Godillot, rue de Vosges à Dijon, François Clerget de Dijon, Hector de Saint Prix de la Drome, Petitjean de Lyon, J.B. Jeanin de Dijon, Michot Peltier et le propriétaire Boileau de Gemeaux, Albert Moreau de Lyon » et, en dernier lieu, « l’américain Albert Delpit » [6].
À ce moment-là, il n’a donc pu rassembler sous sa bannière seulement la moitié du nombre qu’il s’est fixé. Charles Bombonnel fait observer dans sa requête : « J’ai l’honneur de faire observer à Monsieur le Général, que j’avais fait appel à 30 membres ; n’en ayant réuni que quatorze depuis quinze jours, je pars au devant de l’ennemi quitte à recruter en route des membres convenables. Je prie donc Monsieur le Général de me faire remettre immédiatement 14 fusils et des cartouches ».
La réponse du Général ne se fait pas attendre. Le 27 août, le préfet de la Côte d’Or lui délivre vingt fusils et douze cents cartouches [7].
- Autorisation du Général
« J’autorise Monsieur le Préfet à délivrer les armes demandées, Le Général (nom illisible). Je reconnais avoir reçu de Monsieur le Préfet de la Côte d’Or 20 fusil et Douze cents cartouches, Dijon 27 aout 1870, C Bombonnel » |
Que Charles Bombonnel avait réussi à la fin de la guerre sa mission à la tête de sa compagnie de francs-tireurs qu’il s’était fixée est attesté par le fait que « le Ministre de la Guerre a nommé Monsieur Bombonnel Colonel commandant des francs-tireurs Bourgignons » le 27 juillet 1871 au grade de Chevalier dans l’Ordre de la Légion d’honneur.
Cinq jours plus tard, le premier août 1871, ce sera le tour d’Albert Delpit, le quinzième combattant sur la liste des francs-tireurs de Charles Bourbonnel, de recevoir la Légion d’honneur aussi décernée par le ministre de la guerre.
Un autre homme vivant à l’époque dans la Côte d’Or postule le 22 septembre 1870 pour pouvoir former un corps de francs-tireurs. Il s’agit de Victor André Léonard Violland, chef de gare à Meursault. Il est né le 29 octobre 1825 à Saverne dans le Bas-Rhin [8]. Le texte de sa lettre adressée à Monsieur d’Azincourt, Administrateur du département de la Côte d’Or, sise à Dijon, est le suivant :
« Au moment où le Gouvernement de la Défense Nationale fait un énergique appel au dévouement patriotique de tous ses enfants, les agents de la gare de Meursault, anciens militaires ne peuvent pas rester indifférents à cet appel.
En ce qui me concerne, ancien sous-officier de l’Armée d’Afrique, ayant fait des campagnes pénibles des années 1844, 1846, 1847 & 1848, en outre enfant de notre malheureuse province d’Alsace, sachant parler, lire et écrire l’allemand, je crois réunir toutes les conditions pour diriger un corps franc dans les Vosges allemands dont je connais tous les passages & défilés. J’ai près de moi les éléments nécessaires pour procéder à cette formation, j’ai su allumer et entretenir autour de moi le feu patriotique, un appel de moi, suffira pour conduire à Dijon un nombre respectable de combattants ».
- Signature de Violland
La seule chose qui a retenu le chef de gare de proposer ses services plus tôt, est sa crainte que la compagnie de Chemin de fer de Paris à Lyon et à la Méditerranée [Cie PLM] ne le licencie en cas de départ au front. De ce fait, il demande à Monsieur d’Azincourt d’intercéder pour lui et ses camarades cheminots auprès de la Compagnie pour obtenir un congé provisoire.
« Dans l’espoir que vous daignerez faire bon accueil à ma demande, Veuillez agréer, Monsieur, l’Administrateur l’assurance de mes sentiments dévoués & patriotiques. Violland, Chef de gare à Meursault (Côte d’Or), né à Saverne (Bas-Rhin) le 29 octobre 1825 » |
Pour le malheur de Victor Violland, la réponse de l’Administrateur de la Côte d’Or sera négative. En effet, ce dernier donne des instructions à son secrétaire pour qu’il lui réponde que quoique « touché de ses sentiments patriotiques et désireux utiliser, qu’un ordre récent du Ministre interdit la formation de nouveau corps francs ».
- Gravure allemande
- Extraite de "Der Krieg gegen Frankreich 1870-71"
de Théodor Lindner
Si je ne connais pas le nombre d’hommes enrôlés dans la compagnie de francs-tireurs de la Côte d’Or commandé par Charles Bombonnel, c’est tout autre pour la compagnie de francs-tireurs du département de la Seine-et-Oise.
Une liste nominative datée du 10 novembre 1870 en fait état. 87 hommes luttent à ce moment-là contre l’ennemi sous les ordres du capitaine Poulet-Langlet. Celui-ci est secondé par le lieutenant Gustave Masson et les deux sous-lieutenants Joigneaux et Pallet.
Dans son livre "Tableau de la guerre des Allemands dans le département de Seine & Oise 1870-1871" [9] Gustave Desjardins parle de cette compagnie de francs-tireurs [10] : « M. Poulet-Lenglet avait recruté une compagnie de francs-tireurs dans les cantons au nord de la Seine, vers les derniers jours du mois d’octobre. Elle fut constamment à l’avant-garde des petits corps d’armée qui défendaient le département de l’Eure, et elle eut avec les Prussiens de nombreux engagements, notamment à Vernon, à Brionne, à Moulineaux.
Le 4 janvier, la trahison d’un paysan, auquel on brûla la cervelle séance tenante, la fit tomber avec seulement cent quatre-vingts hommes dans une embuscade, à La Londe, où l’attendaient douze cents Prussiens. Elle leur tint tête depuis huit heures du matin jusqu’à deux heures de l’après-midi et se retira en bon ordre, après leur avoir fait éprouver des pertes sensibles. De son côté, elle eut un officier, le sous-lieutenant Joigneaux, et quatre hommes tués et dix blessés ».
La compagnie de francs-tireurs de la Seine-et-Oise fut dissoute à Vassy le 4 mars 1871, sachant que l’armistice fut conclu le 27 janvier 1871 et le traité de paix signé à Frankfurt/Main le 10 mai 1871.
- Bombonnel au soir de sa vie
- "Le Monde illustré" (1890)