« Auprès de mon arbre, je vivais heureux, j’aurai jamais dû m’éloigner de mon arbre … » Georges Brassens
La première rencontre du généalogiste débutant avec les variantes onomastiques relève du traumatisme : chacun connaît leur possible existence, mais être confronté avec cette réalité dans sa propre lignée est pour le moins perturbant.
Notre patronyme est la partie émergée de l’iceberg de notre identité : quelques uns l’affichent avec ostentation, la plupart d’entre nous le prononce avec une pointe marquée d’affection, d’autres ne font que s’en accommoder ; enfin pour une minorité, leur nom les insupporte au point qu’ils en éprouvent le besoin incoercible de le dénaturer en le modifiant, voire de le renier en s’engageant dans de difficiles démarches administratives.
« Le mea culpa du coucou généanaute » nous a révélé notre lointain cousinage :
Nous sommes cousins au onzième degré et nous nous sommes rencontrés sur Généanet à cause de (ou plutôt grâce à) une divergence onomastique : en pratiquant la coucou-généalogie comme le font bon nombre de débutants, Michel avait déniché un exemple caricatural des variantes onomastiques : en trois générations les descendants d’Antoine BAUMGARTHEN de Mackenheim ( Bas-Rhin), né en 1768, s’en virent attribuer 8 différentes. Il a conté cette histoire dans la Gazette (« Le mea culpa du coucou généanaute… ») et il terminait son article en se proposant d’en tirer personnellement la leçon.
En recherchant dans les arbres Baumgart ( sans H ), il avait repéré celui de Marie-Claire dont l’ancêtre Jean BAUMGART était marié avec une Anne-Marie RIEHL, tout comme l’était son propre ancêtre Jean BAUMGARTH ( avec un H ) ; dans un village de 450 habitants, deux quasi homonymes dont les épouses portent les mêmes nom et prénom… la coïncidence était éminemment suspecte ; l’existence d’enfants aux prénoms et dates de naissance identiques ne laissaient pas de place au doute. Les vérifications furent vite faites, Jean BAUMGART retrouva son H ; nous étions bien cousins et une solide et amicale collaboration était née ; notre complicité généalogique s’est concrétisée par des articles dans la gazette et celui-ci est le troisième.
Nous avons donc rencontré la problématique des variantes onomastiques à de multiples occasions et en particulier pour le patronyme de notre commun aïeul :
- Pendant quatre décennies les différents vicaires de Friesenheim ( Bas-Rhin) se sont entêtés à attribuer l’identité « Johannès BaumgarTEN » à notre ancêtre commun Jean Baumgarth (1736 -1811) dans les 89 actes que nous avons retrouvés et celui-ci les a pourtant toujours signé imperturbablement BaumgarTH.
- Naissance Françoise BAUMGARTH 11/2/1781 Friesenheim
- L’un de ses onze enfants, François Ignace Baumgarth installé dans le village voisin d’Hilsenheim y a vu ses enfants N° 1-2-3 et 6 enregistrés BAUMGARTH, tandis que les N°4, 5 et 7 devenaient BAUMGART ; en conséquence le patronyme BAUMGARTH a disparu dans cette branche…Quant à François Ignace, né et marié BAUMGARTH à Friesenheim, il fut inhumé BAUMGART à Hilsenheim distant seulement de 7 km.
- Lors du mariage de François Joseph avec Marie Madeleine MERG, le 12 juillet 1837 à Sélestat, son père Martin Baumgarth fait corriger le nom BAUMGARD dont on avait affublé son fils en BAUMGARTH comme ses ancêtres.
- Estelle Marie Baumgarth, sœur aînée du grand-père de Michel, donne naissance à une fille le 25 septembre 1901 à Paris 14è ; l’acte de naissance de l’enfant l’enregistre Carmen Marie BEAUGART ; la reconnaissance par sa mère le 8 octobre la restitue BAUMGARTH avant que son père la reconnaisse définitivement LAGOUTTE. lors du mariage six mois plus tard.
- Dans notre article publié dans la Gazette intitulé « La biodiversité par mutation patronymique … », nous avons conté les mésaventures onomastiques de la famille du charpentier Élie BAUMGARTEN dont les mutations BAUMGART et BAUMGARTH s’entrechoquèrent dans les deux sens.
Les innombrables consultations que nous fîmes dans les tables décennales à la recherche des descendants de notre commun ancêtre Jean Baumgarth ne nous livrèrent le plus souvent que des patronymes approchants ; avec le temps ceux-ci nous sont donc devenus familiers au point que nous avons un peu la sensation bizarre qu’ils ne sont nous sont pas tout à fait des étrangers.
Cette intrigante promiscuité linguistique nous a lentement conduit à l’idée de faire le relevé de ces variantes onomastiques. Un outil performant était à notre disposition : GÉNÉANET avec ses arbres et ses relevés divers.
Compte tenu de nos recherches antérieures dans les archives, nous estimions la récolte à venir à deux ou trois dizaines de ces variantes ; notre pronostic s’avéra être bien loin de la réalité puisque, sans pour autant prétendre à l’exhaustivité, nous sommes parvenus au nombre ahurissant de… 353 patronymes différents !!!
Des désinences [1] protéiformes pour le doublet Baumgarten / Baumgartner
Dans la nature l’homme et l’arbre sont intimement liés ; il n’est donc pas étonnant que dans l’espace linguistique germanique les noms de famille composés sur la base BAUM ( der baum = l’arbre ) soient très nombreux ; parmi les plus fréquents se trouvent les porteurs des noms Baumgarten (der garten = le jardin) et Baumgartner (der gärtner = le jardinier ).
La similitude du nom Baumgarth avec ces patronymes et sa proximité alphabétique dans les tables décennales nous les avaient fait rencontré des milliers de fois et nous avaient révélé les existences de variantes par désinence (du latin desinentia = qui tombe à la fin d’un mot) beaucoup moins fréquentes.
Notre recherche ciblée de celles-ci sur Généanet nous a fait prendre conscience de leur diversité : nous en avons déniché 80 !!!
Quand l’arbre s’offre un festival de fantaisies orthographiques…
Au cours de nos années de recherches généalogiques nous avions eu la surprise de
tomber sur quelques patronymes incongrus ressemblants furieusement à Baumgarten /baumgartner, toutefois l’anomalie ne portait pas sur la terminaison ( = garten /gartner), mais sur le tronc de l’arbre lui-même ( = baum).
Pour rendre notre liste de variantes la plus complète possible, nous sommes donc partis sereins à la recherche de ce que nous pensions n’être que quelques patronymes anecdotiques ; rapidement nous avons été submergés par ces étonnants mutants : la graphie de notre arbre germanique avait été déformée de 22 manières différentes, nous livrant 273 nouveaux noms dont les désinences sont similaires à celles des 80 précédents, ce qui conforte leur appartenance à la famille onomastique Baumgarten/Baumgartner.
En voici la liste avec les pays d’Europe correspondants :
Réflexions sur les facteurs qui ont conduit à cette pléthore :
1- le caractère polyphylétique des patronymes Baumgarten/Baumgartner :
La simplicité de la construction de ces noms et la banalité des deux composants (arbre et jardin/jardinier ) expliquent leur apparition en de très multiples localisations sans qu’il y ait aucune relation familiale entre les porteurs. Leur abondance et leur répartition ubiquitaire favorisent l’apparition de variantes nombreuses et diverses.
2- les facteurs linguistiques : le territoire d’implantation des patronymes Baumgarten/Baumgartner et de leurs variantes se caractérise par
- a- la multiplicité, la diversité, l’interpénétration des aires dialectales germaniques variables dans l’espace et le temps.
- b- l’interpénétration des aires francophones et germanophones… variables dans l’espace et dans le temps.
3- l’oral et l’écrit : l’apparition d’une variante onomastique ne se fait pas ex nihilo : elle résulte probablement d’un hiatus entre l’oral et l’écrit dans lequel la prononciation ou plutôt l’interprétation de la prononciation est l’élément fondamental.
Les deux protagonistes de la transaction verbale génératrice de la modification jouent donc les rôles essentiels : il y a la bouche de l’un qui prononce le nom et l’oreille de l’autre qui l’interprète puis le transcrit.
Leurs différences linguistiques, sociales, culturelles sont des facteurs essentiels de distorsion orthographique : une oreille peu familiarisée avec les intonations et les accents locaux confrontée aux réponses d’un quidam en délicatesse avec la pratique de l’écriture…
4-accent tonique et phonème terminal atone : dans les langues germaniques les noms composés conservent les accents toniques des composants ; pour le doublet Baumgarten/Baumgartner les accents toniques sur baum et gar sont donc présents ce qui rend le dernier phonème ( = ten /tner ) atone et donc sa prononciation moins reconnaissable ; cela favorise l’apparition des désinences multiples et variées que nous avons rencontrées [2].
5 - la grande instabilité géopolitique de la région du XVIe au XVIIIe siècle : (réforme, contre-réforme, guerres…) par son insécurité, ses massacres et ses déplacements de population (recolonisation) est préjudiciable à la pérennisation de l’orthodoxie orthographique des patronymes ;
6 - Deux siècles plus tard les immigrants germanophones aux USA ont dû faire face aux mêmes incertitudes et ont été soumis aux alea de la confrontation avec une autre langue et aux vicissitudes du melting pot du nouveau monde ; il n’est donc pas étonnant que bon nombre des variantes européennes y soient retrouvées ( mais nous n’ avons pas cité leur présence aux USA dans notre liste) ; il est intéressant de noter que 42 autres variantes y sont même endémiques.
Nos connaissances onomastiques sont embryonnaires et nous avons tenté de conforter notre conviction en consultant les étymologies de nombre des variantes patronymiques citées ; mais pour beaucoup d’entre elles nous n’avons rien trouvé.
Outre la cohérence de l’ensemble, deux constatations nous rassurent quant à la crédibilité de notre liste :
- d’une part l’existence des mêmes désinences pour les variantes issues du BAUM primitif et celles provenant des 22 malfaçons.
- d’autre part l’existence des mêmes désinences pour les variantes strictement « made in USA ».
À propos du vécu de l’un des rédacteurs de cet article :
La permutation de deux lettres (métathèse [3]) par un lecteur non habitué à la consonance des patronymes germaniques semble être un mécanisme ayant induit la création de variantes : une forte minorité des déchiffreurs laborieux du nom BAUMGARTH prononce BAUGMARTH en inversant le G et le M, ce qui est pourtant plus difficile à prononcer. (Michel, habitué de ces incidents, s’est même vu gratifié d’une carte de mutuelle complémentaire avec ce nom déformé ).
Une autre minorité le prononce BAUMGRATH inversant le A et le R.
Ces deux types de variantes existent dans notre liste de noms retrouvés sur Généanet.
La même inversion a-t-elle fait de BAUMGRATZ ( retrouvé sur Généanet ) l’anagrammes de BAUMGARTZ qui figure dans notre liste ?
En guise de conclusion
Nous avons commencé cette balade autour de l’arbre par simple curiosité ; à notre grand étonnement nous avons découvert l’extraordinaire plasticité du doublet patronymique Baumgarten/Baumgartner et cela a modifié notre regard sur les variantes onomastiques.
Nous restons un peu sur notre faim car notre étude n’a fait que considérer l’alfa et l’oméga de ces mutations, c’est à dire les patronymes initiaux ( le doublet ) et finaux ( les variantes ) sans rechercher les intermédiaires successifs éventuels ( que nous avions pourtant rencontrés et évoqués dans notre article publié dans La Gazette ( « la biodiversité patronymique… »).
Ceux qui ne sont pas atteints pas notre fièvre généalogique se posent certainement la question suivante : « Et ça sert à quoi ? »… Nous ne pouvons leur opposer que deux arguments : d’abord que toute connaissance est utile au philosophe et ensuite que, comme Edmond Rostand le fait dire à son Cyrano, « c’est bien plus beau lorsque c’est inutile… ».
Inutile ? Encore que …
Notre étude nous a fait prendre conscience de l’importance des dérives patronymiques états-uniennes et donc des difficultés de retrouver ses cousins d’Amérique.
Au début de notre récit nous avons cité l’amputation progressive du H subie par François Ignace Baumgarth lors de son installation dans le village voisin. Des mâles néo-Baumgart de cette tribu perdue des Baumgarth), Ignace ( l’aîné de ses fils ) a quitté sa femme et ses filles pour tenter sa chance en Amérique en 1839, ( et a sans doute été rejoint par son cadet Martin dont nous avons perdu la trace en Alsace).
- Acte de décès de l’épouse d’Ignace BAUMGART « manœuvre en Amérique » 11 ans après son exil.
Que sont devenus nos cousins aux States ? Issus de Baumgarth sont-ils restés Baumgart ou bien leur patronyme a-t-il subit d’autres vicissitudes ?
Les auteurs :
- Marie-claire ANCEL est généalogiste professionnelle dans l’Aube : http://www.ancelgenealogie.com/
- Michel BAUMGARTH est généalogiste amateur en Martinique.