En quête du chainon manquant...
Les archives de Friesenheim (Bas-Rhin) d’avant 1757 ont brûlé dans l’incendie de la cure et nos investigations sur le plus ancien porteur du patronyme BAUMGARTH, notre commun ancêtre Jean (né vers 1700 à ? - 1764 Friesenheim), sont bloquées.
Un argument nous oriente vers le Haut-Rhin pour son lieu d’origine : dans les années 1760, les registres de Friesenheim ne connaissent que trois Baumgarth : notre Jean, son fils Jean [1] et un Jacques [2].
Trois porteurs d’un nom très rare dans un village de 450 habitants… le premier ayant l’âge d’être le père des deux autres…, le second, fils du premier, mais à l’évidence pas de son épouse…, le troisième né dans le Haut-Rhin… Le scénario le plus probable est que Jean 1 - le père devenu veuf - est venu avec ses deux fils de la région de Masevaux (68) où étaient nés Jacques et très probablement Jean 2, a travaillé pour une veuve qu’il a épousé et à qui il a fait 5 autres enfants tous décédés en bas âge.
Des liens familiaux entre l’émigrant et sa parentèle ont-ils perduré malgré la distance et le temps ? Les mariages de Marie-Elisabeth et Marie-Gertrude BAUMGARTH, deux sœurs et petites filles de notre Jean N°2, qui épousent en 1819 et 1835 deux demi-frères nés à Saint-Amarin (68) [3] situé à moins de 30 kilomètres de Masevaux peuvent le laisser supposer.
N’ayant pas accès aux actes en ligne de la période prérévolutionnaire, nous ne pouvions que nous lamenter de devoir différer nos investigations sur notre hypothèse : seule une visite aux archives permettrait de la vérifier ou l’infirmer.
A moins que…
Faute de pouvoir aborder directement le problème par la confrontation avec les actes provisoirement inaccessibles, il restait la possibilité d’opérer par la bande : en quittant le Haut-Rhin notre patriarche Jean n’y aurait-il pas laissé des Baumgarth de sa parentèle dont la lignée aurait survécu à la période révolutionnaire ?
Les archives de Masevaux et Saint-Amarin nous laissent bredouilles… Il faudrait chercher dans d’autres localités… Mais lesquelles ?
Nos intenses cogitations ne nous livrent qu’une infime potentialité : le site géopatronyme.com qui propose de connaître le nombre de porteurs du nom nés entre 1891 et 1990.
Bien que fort dubitatifs quant à l’intérêt de la recherche puisque seules les années 1891 et 1892 seraient alors accessibles aux archives en ligne, nous tapons « haut-rhin » puis « baumgarth » ; le résultat est maigre : la période 1891-1915 est positive, mais ne concerne que 2 individus qu’un clic supplémentaire nous précise être nés à Liebsdorf et Soultzeren.
La consultation des tables décennales de Liebsdorf est sans appel : il n’y a eu aucun Baumgarth avant celui signalé par géopatronyme.com.
Quant à Soultzeren, il y a bien des BaumgarTH, mais aussi des BaumgarT ; la piste est prometteuse…
Nous dépouillons les archives, mais l’arbre qui en résulte nous apporte une surprise : les BaumgarTH sont des mutants nés de parents BaumgarT, lesquels BaumgarT sont eux mêmes des mutants de BaumgarTEN.
Les mutations et la cohabitation des anciens et des nouveaux…
Nous sommes remontés jusqu’au patriarche Élie BaumgarTEN qui serait né en 1738 et ses deux fils nés vers 1779 et en1786 ; la branche issue de Jean-Georges, son fils aîné, concentre l’essentiel des deux mutations successives (T dès 1806 et TH à partir de 1853), tandis que dans la branche de Jean-Jacques, le puîné, le nom originel (TEN) ne connaît que la seule mutation T (à partir de 1840).
La première mutation (T) apparue chez 6 personnes concerne au moins 22 individus dans les archives en ligne jusqu’à 1892 (mais nous n’avons pas poussé les recherches pour ceux dont les descendants seraient nés ailleurs qu’à Soultzeren, Stosswihr et Sondernach).
La seconde (TH), plus tardive, apparue chez 9 personnes, concerne au moins 14 individus.
Par un étonnant revirement de l’histoire la mutation inverse (TH versus T) apparait à partir de 1883 : à leur naissance 4 des 10 enfants de 3 néo-BaumgarTH sont bien déclarés TH, mais les 6 autres viennent renforcer l’effectif des T.
Nous n’avons trouvé aucun mariage hybride TEN x T, TEN x TH ou T x TH ; seul un mariage endogamique TH x TH a été trouvé dans les archives…
En résumé, les BaumgarTEN à Soultzeren, puis Stosswihr et Sondernach, les BaumgarT à Soultzeren et Stosswihr et les BaumgarTH à Soultzeren et Stosswihr sont trois options, parfois aléatoires, d’une même famille et coexistent dans les archives en ligne de ces villages.
« Que sont mes amis devenus… ? » se demandait Rutebeuf…
A ce stade de nos recherches nous aurions aimé trouver la réponse à une question légitime : quelle a été l’évolution de ces trois branches familiales ?
Faute d’avoir accès aux archives, la réponse précise est impossible à obtenir et en conséquence nous ne saurons jamais si les porteurs modernes du nom de chacune d’entre elles ont conscience de leur origine commune.
Néanmoins il est possible d’obtenir une grossière image du devenir des trois phylums par le truchement de géopatronyme.com (sans pour autant prétendre que tous les porteurs des 3 noms qui y figurent dans le Haut-Rhin sont descendants du patriarche Élie…) :
BAUMGARTEN | BAUMGART | BAUMGARTH | |
---|---|---|---|
1891-1915 | 9 | 24 | 2 |
1916-1940 | 4 | 34 | 2 |
1941-1964 | 6 | 86 | 5 |
1965-1990 | 12 | 80 | 2 |
Total | 31 | 224 | 11 |
Il appert donc que la famille a essentiellement évolué par la branche des homo-BaumgarT, premiers mutants, (224 naissances potentielles) en migrant largement sur 23 autres localités du Haut-Rhin, tandis que la forme primitive homo-BaumgarTEN a seulement survécu (31 naissances potentielles dans 6 communes).
Quant à l’homo-BaumgarTH, les deux dernières naissances sont mentionnées à Colmar entre 1966 et 1990 ; mais nous avons vainement cherché des traces contemporaines dans les sources les plus diverses : les pages blanches, facebook, twitter et autres réseaux sociaux sont muets. En pratique, la plus récente mention d’un BaumgarTH haut-rhinois que nous avons pu trouver concerne Virgile, instituteur public de Moyen-Muespach, que le journal officiel fait officier d’académie le 15/7/1933…
Comme le mammouth laineux l’homo-BaumgarTH haut-rhinois semble s’être éteint…
Les signatures témoignage concret des mutations ?
En plus du plaisir esthétique qu’elles nous procurent, les signatures sont des fossiles de notre lignée familiale ; nous ne pouvions donc pas faire l’impasse de leur analyse.
Mais le champ de fouille de ces paraphes est singulièrement diminué : après l’annexion de l’Alsace en 1871 les actes ne comportent plus les signatures des parents des nouveau-nés, des mariés et des témoins. Cette amputation du domaine de recherche est encore majorée par le fait que le mutant apposant sa griffe est forcément majeur (ou presque). On ne peut donc espérer une signature de mutant que s’il est né au mieux 18 ans avant 1871, c’est à dire antérieurement à 1853 qui est la date de l’apparition de la mutation TH…
En conséquence, nous ne pouvions trouver aucune signature TH dans les archives.
Quant aux paraphes TEN… Les actes des deux mariages de Jean-Jacques ( le second fils du patriarche Élie ), à 23 ans d’intervalle, le donnent l’un natif de Bischofsheim (un seul f) et l’autre de Rhein-Bischofsheim dans le grand duché de Bade ; l’acte de décès d’Élie le mentionne natif de Bischsheim (sic) qui est précisé être dans le Bas-Rhin… Mais il n’existe que Bischoffsheim (deux f) dans ce département et nous n’y avons trouvé ni l’acte de naissance du père ni ceux des deux fils (il n’existe donc pas de signature d’Élie qui est décédé avant le mariage de ses enfants). Quant au grand-duché de Bade, nous n’y avons pas trouvé de Bischofsheim ou approchant…
Mais revenons à nos signatures : les griffes TEN couvrent potentiellement un demi-siècle (de l’acte de naissance du premier fils de Jean-Georges en 1802 jusqu’à la date butoir de 1853 conséquence de l’annexion allemande).
À notre grand étonnement, nous n’avons trouvé qu’une seule et unique signature TEN : celle de Jean Baumgarten (né en 1815, petit fils du patriarche Élie) lors de la déclaration de naissance de son premier-né, Jean, le 7/2/1837 (hélas, ses autres enfants furent déclarés par la sage-femme…). Mais cette découverte doit être tempérée par le fait qu’il avait signé T et non TEN lors de son mariage un an plus tôt.
À cette exception près, tous les nombreux actes où s’inscrit explicitement le nom BaumgarTEN sont ornés d’un paraphe BaumgarT, y compris ceux des deux fils d’Élie !!!
Notre passion pour les signatures, loin de conforter notre enquête, nous a donc conduit à une énigme : qui étaient-ils réellement : TEN ou T ? Pourquoi signer T quand on s’appelle TEN ??? Pourquoi accepter de signer un texte qui vous désigne TEN quand on s’appelle T ???
Le phylum T est devenu largement majoritaire au fil des décennies ; le choix du paraphe BaumgarT par les signataires officiellement BaumgarTEN a-t-elle favorisé la mutation ultérieure ?
Réflexions…
Pour nous, contemporains, notre patronyme est un élément constitutif majeur de notre personnalité et il nous serait très difficile d’admettre qu’il puisse être dénaturé par un changement orthographique sans réaction vigoureuse de notre part : la rectification d’une telle erreur d’état civil est reconnue par la législation comme un droit majeur.
Il n’en était pas ainsi autrefois parce que la rédaction des actes d’état-civil était simplement déclarative, accompagnée de l’attestation d’au moins deux témoins. La création du livret de famille en 1877 a modifié la donne : l’écrit avec son support matériel pérenne s’est substitué à l’oral inconsistant et éphémère. Les hussards noirs de la République, chantres de l’écriture et de la lecture au sein de l’école publique obligatoire, ont aussi largement contribués à la sauvegarde de l’orthodoxie patronymique.
La mutation TEN versus T ne paraît donc pas choquante dans ce contexte d’oralité, d’autant qu’elle correspond à une simplification du patronyme probablement facilitée par la chute de l’accent tonique lors de la prononciation de la syllabe finale. La connaissance par le rédacteur de l’état-civil de l’existence de porteurs du nom muté dans le village devient dès lors un facteur facilitant l’éclosion de nouveaux mutants.
La seconde mutation est beaucoup plus étonnante puisqu’il s’agit d’une complexification du patronyme : le T devenant TH, terminaison qui (à notre connaissance), n’est ni chargée de sens ni fréquente dans les langues germaniques et qui ne modifie en rien la prononciation. Résolument optimistes, nous fantasmons sur le fait que l’erreur pourrait provenir du fait que le patronyme Baumgarth, bien qu’étranger au village, soit pourtant connu du rédacteur qui pourrait l’avoir rencontré auparavant en d’autre(s) localité(s)… de la région de Masevaux.
Suggestion…
Le site geopatronyme.com nous a été fort utile et peut l’être à beaucoup d’autres généalogistes comme nous bloqués dans une irritante et trop durable impasse. Cet outil serait encore d’un plus grand intérêt s’il couvrait la période 1991-2013 ; rien ne s’y oppose et la méthodologie pour le faire est déjà existante.
En guise de conclusion…
Nous avons terminé le récit de notre aventure et des esprits chagrins pourraient considérer qu’elle fut un fiasco puisque notre hypothèse a été infirmée : les Baumgarth de Soultzeren and co n’étaient pas nos cousins…
Pourtant nous en sommes très satisfaits pour deux raisons : d’abord parce que l’enquête a été passionnante et prendre du plaisir est un des piliers de notre pratique de la généalogie.
Ensuite parce que cette histoire présentait une similitude de thème avec celle contée dans « le mea culpa du coucou-généanaute… » et que celle-ci fut à l’origine de la rencontre via internet des deux auteurs de cet article et de la formation de notre duo pour une étroite et amicale collaboration : suite à sa publication, nous nous sommes découverts cousins au 14e degré, nous avons beaucoup partagé sans nous être pourtant jamais vus et dans nos travaux de recherche l’expérience et les compétences de la généalogiste professionnelle orientent et canalisent l’enthousiasme un peu trop dispersé et brouillon de l’amateur.
Addendum : Quand le serpent se mord la queue…
Nous étions persuadé avoir clos notre aventure en apposant le point final à notre texte ; mais le hasard existe et il a choisi de se moquer de nous.
Nous étions partis du Bas-Rhin en expédition dans le Haut-Rhin en quête de Baumgarth vestiges de l’exil de notre aïeul ; nous n’avons trouvé que des faux-Baumgarth et des faux-Baumgart issus du patriarche Élie Baumgarten, charpentier, originaire du grand-duché de Bade ; mais entre le dépôt de notre proposition d’article à Thierry Sabot et son acceptation survient l’invraisemblable : alors que l’amateur touche à tout de notre duo relisait les pages du gros cahier où ses trouvailles incongrues, insolites, bizarres, inclassables sont notées pêle-mêle au cas où…, il tombe sur la mention d’un acte de naissance qui dormait là depuis des années :
- Strasbourg /Naissances/3e registre/page 44 sur 224 / le 3 floréal an 8 :
Marie BAUMGARTH, agée de 28 ans, native de Bischofsheim outre-Rhin, fille légitime de feu Élie BAUMGARTH, charpentier et de Sophie WILLEMM est accouchée hier 3 floréal … d’un enfant femelle né hors mariage … il a donné le prénom d’Élisabeth ….
Cet Élie ressemble furieusement à notre patriarche haut-rhinois…
Celui-ci était donc - peut-être - un vrai BaumgarTH, mais venu d’Outre-Rhin.
Découvrir, au terme de notre épopée, que le patriarche Élie Baumgarten était un BaumgarTH grand-père à 30 km de notre point de départ est une excellente plaisanterie de Dame Généalogie.
La cocasserie serait portée à son comble si nous découvrions un jour que le géniteur d’Élisabeth - l’enfant femelle- était un Baumgarth de notre parentèle…
Remerciements…
En cours de route nous avons trouvé sur notre chemin l’arbre Généanet de Gérard Baradel (gbaradel) qui développe les lignées BaumgarTEN et BaumgarT de notre histoire, mais qui, à notre grand étonnement, ignore totalement la branche BaumgarTH. Son travail a néanmoins conforté le nôtre et nous l’en remercions.
Liens :
Les auteurs :
- Marie-claire ANCEL est généalogiste professionnelle dans l’Aube : http://www.ancelgenealogie.com/
- Michel BAUMGARTH est généalogiste amateur en Martinique.