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Comment le patronyme Chrispuech d’un côté du Rhin devient, Grispoux de l’autre côté du fleuve...

Le jeudi 31 mars 2016, par Evelyne Tavernier

Voici un texte sur l’aspect phonétique des noms. On pense souvent qu’ils évoluent par négligence dans l’orthographe des curés mais là nous avons deux exemples liés à la géographie et surtout à la langue parlée : germanique, occitane ou française et à sa prononciation.

La langue allemande est dite gutturale, la langue française ne l’est pas.
Ainsi Kaspar en Allemagne devient-il Gaspard dès qu’on franchit le Rhin.
Vers 1670, Michel Chrispuech, un mineur originaire de Neuenbourg-en Brisgau (aujourd’hui Neuenburg-am-Rhein), situé à la hauteur de Mulhouse, juste de l’autre côté du Rhin, le traversa pour venir travailler dans les mines de Giromagny, alors encore terre d’Empire et possession de la famille des ducs de Wurtemberg.
Environ 70 km séparent ces deux bourgs mais surtout une frontière linguistique.

À Giromagny Michel épousa une Suissesse arrivée de Saint-Legier, près de Porrentruy.
De cette union sont nés deux enfants : Claude et Anne Claudine.

En 1703, Michel décide avec son épouse de rédiger un testament. En effet, comme l’indique ce document, il est malade de la poitrine, ce qui n’est pas étonnant compte tenu de sa profession de mineur : « lequel voulant et estant disposé de partir aux premiers jours (?) pour aller à Sultzbach en Alsace y boire les eaux aigres pour le rétablissement de sa santé estant fort incommodé de la poitrine lequel ensemble avec sa femme » et il souhaite aller faire une cure.

Cette information, elle, est étonnante, on pourrait penser que ne partent en cure que les bourgeois ! Or le testament nous indique le contraire.

Sultzbach (actuellement Soultzbach) est à environ 75 km de Giromagny, en passant par le chemin le plus court, qui contourne les sommets des Vosges. C’est une route qu’on ne doit guère emprunter en hiver d’où le souci d’y aller rapidement après la signature du testament rédigé début avril.

Le nom de Chrispuech doit sans doute être prononcé Krispouh, car le tabellion dans le cours de sa rédaction l’écrit également Chrispouech.

Le fils de Michel s’installe à Plancher-Bas, en Haute-Saône actuelle, à environ 10 km de Giromagny vers l’Ouest, après avoir épousé une fille du village.
Ce détail géographique n’est pas anodin en effet plus on s’éloigne vers l’Ouest, plus la prononciation gutturale est difficile.
C’est pourquoi tout au long du 18e siècle les curés de Plancher-Bas hésiteront à orthographier ce nom dans les actes qu’ils auront à rédiger pour cette famille. Ainsi, on trouvera Chrispoux, Chrispout, et enfin Grispout et Grispoux. Le G remplace le CH définitivement à la Révolution.

La famille quant à elle continuera à hésiter aussi pour écrire son nom, ainsi en 1913, Jean-Baptiste appose une plaque sur la porte de sa maison orthographiée Grispout. Son acte de naissance indique pourtant Grispoux avec un X ce que confirmera son acte de décès en 1944.

Au 20e siècle, depuis bien longtemps la mémoire de l’ancêtre allemand avait été perdue, et la famille s’interrogeait sur l’origine de ce nom bizarre et unique, qui n’est plus porté aujourd’hui que par 5 personnes en France.
Seule la généalogie aura permis d’en comprendre le sens.

Note : Ce texte est à rapprocher de l’évolution du nom d’Armat en Armatte à Flavigny-sur-Ozerain (Côte d’Or :

Évolution du nom Armat :

Si, à Flavigny, le curé Baudenet écrivit sans sourciller le nom que lui indiquait Jean lors de son mariage en 1715, le curé Logeat, à son arrivée, lorsqu’il eut à rédiger les actes de naissance de la famille Armat fut confronté à un grave problème de phonétique.

André, venant déclarer la naissance de son fils Bénigne en 1766, déclare s’appeler Armat mais prononce « Armate », comme le faisait d’ailleurs son propre père, Jean, cet homme avec un accent bizarre et chantant, arrivé du diocèse de Bordeaux au début du siècle, mais qui signait néanmoins « Armat ».
Tout cela n’était pas logique pour le curé Logeat, qui était un lettré ! Car, si, bien sûr, en Gascogne, grâce à l’accent, il n’est pas nécessaire d’ajouter un E après un T pour qu’on entende la prononciation du T, en Bourgogne un T sans E à la fin d’un mot, ça ne se prononce pas !

Pour respecter la phonétique il fallait donc adapter l’écriture au contexte local.
Le curé Logeat décida alors d’ajouter un E à ce T, pour en respecter la prononciation et le nom devint donc « Armate ».

Dès la génération suivante, on fignola la chose en doublant le T, cette fois juste pour le côté esthétique, et la famille semble s’être accommodée assez vite, de ces changements d’orthographe, après quelques hésitations, les uns signant avec un T les autres avec 2 et les plus sobres, sans E ni doublement du T.

L’histoire de cette famille, sur un siècle, nous montre les coutumes de mariage et de transmission des entreprises et du compagnonnage chez les serruriers et leurs pérégrinations au gré des opportunités professionnelles et sociales.

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8 Messages

  • Bonjour,

    Les aller-retour sont nombreux entre la français et l’allemand aux abords de la frontière linguistique (spécialement en Lorraine plus qu’en Alsace) : les "Vannière" sont en réalité des "Wagner" (=Charron) à l’origine et les "Valdenaire" des "Waldner" (=Forestier).... A l’inverse les "Gilles" sont devenus "Schiless" et les "Maire" sont devenus "Meyer". Etc..etc...

    Plus incroyable encore, ce sont les traductions littérales : quand le père s’appelait "Boulanger", le fils a pu s’appeler "Becker" ...ou l’inverse, au bon vouloir des clercs qui maitrisaient une langue ou l’autre selon le cas. Et cela sans que cela ne pose de problème à personne.
    .

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  • Bonjour

    C’est fascinant de comprendre, en généalogie, que les noms de famille datant de plusieurs siècles ne se sont définitivement fixés qu’entre 1850 et 1900, d’après mon expérience.

    Puech est un nom du sud de la France, Béarn... ect, mais comment un homme du sud se retrouverait en Allemagne, cela pourrait être la transformation de "Buch".

    Ivan

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  • Bonjour,

    Bravo pour votre article.

    Vous avez pu, malgré ces changements de noms, remonter la généalogie de cette famille.
    Avez-vous une idée de l’étymologie du nom Chrispuech ?

    Cordialement.
    Michel Guironnet

    Répondre à ce message

    • Bonjour,
      merci pour vos encouragements. Grispoux c’est la famille de mon époux et Armat c’est la mienne. Il me reste à prolonger les recherches du côté des "gavaches" transférés en Guyenne après la guerre de Cent Ans pour Armat ( qui veut dire "armé" en Gascon) et en Allemagne pour les Chrispuech mais là c’est plus compliqué, mon allemand étant assez balbutiant ! Hélas non je n’ai pas d’idée sur l’étymologie de ce nom bien que j’aie interrogé des allemands. Ce qui me surprend le plus c’est le "ech" de la fin du nom. Il me faudrait un contact avec un linguiste germanique distingué pour peut-être avoir une explication... Cordialement
      Evelyne Tavernier

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      • Généralement le e influence la prononciation de la voyelle précédente a, o, u. Exemple connu : Goethe, où l’on prononce oe comme "eu" ou "oeu"en francais. Ici, le e transforme le u allemand (normalement prononcé "ou") en "u".
        Explication possible : Au moins depuis le 19e S., on utilise le tréma sur la voyelle a, o, u, au lieu du e, pour en infléchir la prononciation : ä,ö,ü. Comme cela ne "passe" pas dans d’autres langues, le ue, ae, oe, transformé alors en ü, ä, ö,(re)devient u (prononcé "ou" au lieu de "u"), a (prononcé a "au" lieu de "ai") et o (prononcé "o" au lieu de "eu").
        Par ailleurs, en allemand le ch se prononce souvent k au début d’un mot (Christen = chrétiens), selon sa provenance. Le ch = k, prononcé "à la francaise", de facon moins gutturale, peut être percu comme un g francais.
        Par contre, ch se prononce comme un ch francais adouci après un e (donc aussi oe, ue, ae, par voie de conséquence aussi après ä,ö,ü) de sorte qu’on ne l’entend plus guère, surtout à la fin du mot.
        On a souvent retranscrit des noms étrangers sur un modèle pré-existant dans la langue d’accueil, soit ici la terminaison : oux, out.
        Et n’oublions pas les dialectes et l’anaphalbétisme qui ont de part et d’autre joué un rôle, sans parler du peu de considération dont jouissait autrefois l’orthographe.
        Remarque 1 : Les noms propres gardent leur écriture d’origine : Impossible d’écrire Göthe pour Goethe. Par contre, on peut se voir contraint de se passer du tréma et de réintroduire les e d’origine, par ex. pour les adresses de courriel.
        Remarque 2 : Les claviers d’ordinateur sont concus en fonction de cela. Il y a des touches pour ä,ö,ü sur un clavier allemand mais pas de c cédille. Cela pour en expliquer l’absence dans mon texte.

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      • Bonjour,

        Etant un rien germaniste, je m’autorise cette interprétation qui me parait assez évidente : "Chris" signifie bien-sûr "Christ" et "pruesch", signifie en réalité "Spruch", le "s" d’union n’ayant pas été doublé et le "e" qui est là pour remplacer le tréma sur le "u", conformément à la prononciation qui convient dans certains patois haut-allemands, tels qu’en Alsace.

        Donc Grispoux, doit se comprendre originellement comme "Christspruch" ce qui signifie "parole du Christ", ce qui devait être, originellement, le nom d’un prédicateur ou plus probablement d’un moralisateur, voire d’un rabat-joie.

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        • Pas mal vu ; je me permets une rectification : en allemand, Christ ne signifie pas le Christ (c’est Christus) mais : le chrétien.

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          • Oui, c’est vrai vous avez plus vigilant et j’ai commis une inexactitude dans ma précipitation.
            Notez bien que cela ne change pas l’interprétation que j’en ai donnée : "prédicateur" ou "rabat-joie"...
            Il est vrai aussi que "Christ" et "Christmann" (équivalents du lorrain "Chrétien" et du franc-comtois "Crétin") sont des patronymes alsaciens qui sans être courants ne sont pas rares non plus.
            Pour preuve, il y a une marque de choucroute (et autres conserves) qui s’appelle "Charles Christ" et qui est sarthoise, mais, rassurez-vous, créée effectivement par un Alsacien (du même nom) que j’ai eu l’honneur et le plaisir de côtoyer, au Mans (son fief depuis des décennies)il y a une quinzaine d’années....

            Pour revenir au sujet de base : une explication possible à "puesch" (où il n’y a pas de "r" en effet) pourrait être une prononciation francique de "burg"(=château)les deux se prononçant de même dans l’accent dit "luxembourgeois".
            Mais je n’y crois guère, donc je l’écarte. Déjà parce que "château du chrétien" ça ne veut trop rien dire quand n’importe quel châtelain était forcément chrétien et accessoirement parce qu’une réécriture d’un moyen-allemand (francique) vers un haut-allemand (alsacien), si elle a forcément dû se pratiquer dans ce sens comme dans l’autre n’a sûrement pas dû se faire aussi fidèlement et en en privilégiant l’étymologie..., elle aurait forcément dérivé vers des approximations en prononciation, en écriture et en sens.
            Mais bon, le sujet n’est pas clos, la piste mérite d’être "investiguée".

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