Question n° 1 : Pouvez-vous vous présenter et nous expliquer comment est né votre intérêt pour la généalogie et l’histoire ?
"Je suis né à Nice, où j’ai vécu jusqu’à l’âge de 23 ans. J’habite aujourd’hui près de Fontainebleau, où je suis webmaster. J’ai aussi tâté du journalisme en amateur pendant dix ans, dans le domaine du rock. Mon attrait pour la généalogie a débuté à l’âge de 15 ans, par une question toute simple : je m’appelais Thébault, or il n’y avait sur le bottin des Alpes-Maritimes que 7 familles portant ce nom, dont la mienne. J’en ai vite conclu que ce nom était rare, mais cela ne m’a pas intrigué plus que ça, jusqu’à ce que j’apprenne que mon nom l’était beaucoup moins que ce que je pensais, car il était très répandu en Bretagne, en Poitou-Charentes et dans le Centre de la France. N’ayant pas de grand-père à questionner, et face à l’ignorance de mon père, qui savait juste que son propre père (qu’il connaissait peu) était né à Paris, j’ai débuté ma quête généalogique, sans trop savoir d’ailleurs ce que je faisais. J’ai vite appris que mon trisaïeul Jean Louis Thébault, né en 1850, avait migré à Paris depuis sa Bretagne natale, et que tous mes ancêtres sur 4 ou 5 générations avaient des origines variées et qu’ils avaient tous changé de région pour de multiples raisons. Très vite j’ai compris que je n’étais pas simplement un pur Niçois à l’accent chantant, mais que coulait dans mes veines le sang d’une bonne partie des régions françaises, en passant par l’Espagne, la Suisse et l’Italie. Mes recherches ont été assez lentes jusqu’en 1995, souvent interrompues, et je ne les faisais alors que par courrier comme un hobby passager et amusant, une espèce d’énigme policière, un jeu qui fait fonctionner l’imagination comme les histoires de cow-boys ou de martiens qu’on s’invente étant gamins. Et puis, il y a eu une longue période de chômage, qui m’a donné envie de tromper le temps en poursuivant mes recherches autrement que par correspondance. Les choses sont alors allées très vite et mon passe-temps s’est vite transformé en une passion dévorante. Je pense que généalogie et histoire sont deux choses distinctes, même si elles semblent proches. La généalogie est un domaine passionnant tant que l’on arrive à s’identifier, à trouver des repères dans la vie de ses ancêtres. Mais lorsque l’on atteint les septième, huitième, neuvième générations, il devient presque impossible de trouver un quelconque rapport avec sa propre personne et je préfère alors parler de micro-histoire plutôt que de généalogie stricto sensu. Celle-ci n’est finalement que le fil conducteur vers l’étude de multiples individus, comme si on les choisissait au hasard. Il faut dire que ma passion a été attisée par cette famille contrastée et disparate, où se croisent paysans des 4 coins de l’hexagone, soldats espagnols, haute bourgeoisie alsacienne et citadins parisiens, de quoi me fournir matière à recherches ! J’ai vite été ennuyé par les seules recherches d’état-civil, et je m’attache aujourd’hui, dans la mesure du possible, à reconstituer la vie de mes ancêtres via toutes sortes de sources, qu’elles proviennent d’archives (notariat, justice, etc), de monographies locales (c’est fou ce qu’on trouve sur sa propre famille dans ces ouvrages), ou bien évidemment d’internet, un véhicule incroyable de la connaissance universelle, qui n’en est je pense encore qu’à ses balbutiements, et bien mal exploité malgré les efforts de certaines personnes ou associations, tout du moins en ce qui concerne l’histoire et la généalogie.
Question n° 2 : Votre site rassemble plusieurs carnets de la Grande Guerre et propose une intéressante classification de ces documents. Pourquoi votre souci de recueillir les témoignages des " Poilus " ? Dans quel but ? Comment les internautes peuvent-ils vous aider à accomplir ce travail de sauvegarde ?
Votre question me fait prendre conscience que je n’ai jamais réfléchi au pourquoi de mes motivations ; il fallait juste que je le fasse, c’était évident ! En ce qui concerne plus particulièrement la Grande Guerre, j’ai toujours été fasciné par cette période, sans doute par le côté tragique qui a brisé toutes ces vies, celles des combattants comme celles des familles, et par le changement que la guerre a apporté dans les mentalités, transformant le XXe siècle en une époque moderne et renvoyant le millénaire précédent à une époque sans lien commun avec la nôtre. Il y a eu plusieurs ouvrages sur les témoignages de poilus, des livres et des films, et j’ai cherché à toucher au plus près la vie de ces personnes, en réclamant et diffusant d’autres témoignages. Ce n’est pas tant, en fait, les poilus qui m’intéressent, que l’instantané d’une époque. D’ailleurs, toutes les sortes de témoignages sont les bienvenus sur mon site : ceux des poilus, mais aussi ceux des familles restées à l’arrière, et ceux de leurs descendants, car la vie de ces personnes ne se résume pas à la période de la guerre. Chaque soldat possède une histoire, et ceux qui ont traversé ce conflit méritent que l’on comprenne qui ils étaient avant, pendant et après. Leurs descendants, seuls à pouvoir faire revivre la mémoire de leurs aïeux si ceux-ci n’ont pas eu la possibilité de livrer noir sur blanc leurs impressions, peuvent apporter ces témoignages. Le but de ce site est double : en premier lieu, c’est -très modestement- la sauvegarde d’une période de notre histoire, et la multiplicité des témoignages permet d’en mieux prendre conscience, il n’y en a jamais trop. Mon autre désir, plus terre à terre, est de permettre à ceux qui ne connaissent pas le parcours de leur ancêtre pendant le conflit, de retrouver le témoignage d’un soldat qui était dans le même régiment. Et puis je crois surtout qu’il fallait un point central pour consulter tous ces témoignages, c’est quand même bien moins fastidieux que de surfer sur une multitude de sites. Les internautes (et les autres !) peuvent m’aider en me communiquant les documents qui dorment chez eux, soit qu’ils n’aient jamais su quoi en faire, soit qu’ils ne sachent pas comment les diffuser. Je suis même prêt à scanner ou à saisir des documents originaux qui me seraient transmis, c’est pour la bonne cause. Et s’ils ont déjà un site web, en acceptant de me prêter leurs témoignages.
Question n° 3 : Vous venez de commencer la retranscription intégrale sur le web du carnet de Pierre Leclaire, un paysan de l’Aube, né en 1803. Pouvez-vous nous expliquer les circonstances de la découverte de ce carnet, votre démarche et ce que vous attendez de cette publication ?
J’ai découvert ce carnet par hasard dans une brocante. Sans véritablement chasser les "vieux papiers", je trouve intolérable de voir notre patrimoine dilapidé aux quatre vents. J’ai chaque fois un pincement au coeur quand je vois un portrait photo du début du siècle, bradé 30 francs, à côté d’une paire de vieux patins à roulettes ou d’une collection de pokémon. J’ai le sentiment que l’existence de l’individu pris en photo est un échec. Ce carnet, je l’ai payé 5 francs, et si je ne l’avais pas fait aujourd’hui peut-être que ce Pierre Leclaire ne serait qu’un nom parmi tant d’autres sur de vieux registres, un nom sans signification. J’espère bien qu’il va revivre aujourd’hui, et que son existence n’aura pas été vaine, rien que pour ce qu’il nous offre, le témoignage de ce qu’il a été, de ce qu’il a vu, de ce qu’il a ressenti. Ma démarche, sauver ce carnet de la destruction, quel que soit son intérêt historique, ne pouvait que logiquement aboutir à sa diffusion massive, et donc sur internet. J’aurais pu me contenter de le déposer dans un centre d’archives, mais même bien protégé, il aurait pu y dormir longtemps sans que personne ne s’en soucie. L’intérêt de tout cela, c’est simplement d’apporter ma pierre à l’édifice, dans la même optique que la diffusion de témoignages sur les poilus. J’imagine que c’est le but de tout historien, car finalement l’histoire ne sert à rien, sinon à expliquer d’où l’on vient et pourquoi on vit ce que l’on vit. La micro-histoire m’intéresse plus que celle des Etats ou des pays, parce qu’on y touche directement au quotidien de nos prédécesseurs, et que c’est le meilleur moyen de comprendre leurs modes de pensées, leurs sentiments, et au travers d’eux nos contemporains. Je souhaite que mon exemple puisse encourager des personnes à diffuser ce qu’elles conservent chez elles, par ignorance, instinct de propriété ou découragement devant la tâche. Notamment dans le monde de la généalogie, où chacun (je pense à la plupart des cercles généalogiques, mais cela concerne aussi des individus isolés) garde jalousement ses dépouillements, ou les fait payer très cher, que ce soit par Minitel ou en imposant une adhésion à l’année, ce qui est souvent rebutant ! C’est presque à croire que ces gens-là n’ont aucun souci de sauvegarde du patrimoine, un comble ! Et les dépenses de fonctionnement n’excusent pas tout, il y a certainement d’autres moyens de rentrer dans ses frais... Ce que je souhaite aussi, c’est offrir aux habitants actuels de la commune ou vécut Pierre Leclaire une petite fenêtre sur leur passé, de la même façon que cela peut intéresser les chercheurs qui ont des racines dans la région et qui pourront rapprocher la vie de leurs ancêtres de celle de Pierre Leclaire. Si chacun faisait de même, quelle banque de données incroyable nous aurions ! D’une manière générale, la vie d’une personne n’a pas de prix, que cet individu ait vécu il y a 500 ans, 50 ans ou qu’il soit encore vivant. Toute trace de ce qu’il a été, de ce qu’il est, doit être conservée coûte que coûte, ainsi l’humanité entière, en apprenant des autres, apprendra sur elle-même et progressera peut-être plus vite qu’elle ne le fait. J’encourage chacun, de la même façon, à témoigner de sa propre vie, tout être humain devrait écrire son autobiographie ! Et ce sera sans doute ma prochaine tâche, certainement pas la plus simple...