- La croix du Petit Chasseur
A la première lecture, cette plaque semble apporter des renseignements assez précis sur ces combats (date, unité), mais à la réflexion, de nombreuses questions se posent sur les événements qui se sont déroulés dans ces bois.
Quelles sont les unités combattant dans ce secteur ?
Le 8 décembre 1870 plusieurs unités se trouvent dans le secteur de Moque Baril :
- Côté Prussien, le 9e corps d’armée (environ 15 000 hommes), sous les ordres du prince Louis de Hesse ; venant d’Orléans, il longe la Loire par la rive gauche, et arrive le 7 décembre à Lailly en Val.
- Côté Français, plusieurs témoignages et documents font état de la présence d’un bataillon de francs tireurs (Mobiles) de la Sarthe commandés par le Colonel de FOUDRAS à St Laurent des Eaux, d’un bataillon du 31e régiment de marche commandé par le Capitaine Adjudant Major MONAVON et d’une batterie.
- La pancarte apposée sur la croix indique la présence du 31e régiment de ligne [3].
Le Général Comte de CATHELINEAU, à la tête d’un détachement de volontaires (Mobiles), souvent renforcé par la Garde Nationale de St Laurent des Eaux commandée par Paul CAILLARD, se déplace le long de la Loire et affronte à plusieurs reprises des éclaireurs et des petits détachements Prussiens. Mais il n’est pas établi qu’il soit présent dans les bois de Moque Baril le 8 décembre 1870.
La lettre de la famille Johannet
Le 26 août 1991, M. MOREAU BRISSON donne à M. Pierre GEFFRIER une lettre du père de M. JOHANNET datée du 26 décembre 1870, lettre retraçant les combats du 8 décembre 1870 à St Laurent des Eaux :
"Le 7 de ce mois, le 31e de ligne vint occuper le carrefour de Moquebaril et nos bois des hauteurs de Petit Geloux avec une batterie. Il avait pris position contre un corps d’armée (9e corps d’armée) qui arrivait de Lailly en Val. Le 8 décembre, le combat très vif est engagé à 3h pendant plus d’une heure. Puis les nôtres se replièrent sur Mer et aussitôt, les troupes allemandes se répandirent dans nos bois qui se trouvèrent, à 8h du soir, tout éclairé par leurs feux de bivouac. Pendant la nuit, Geloux ne cessa pas d’être soumis à leurs réquisitions et rafles générales : tout y passa. Le lendemain, le corps d’armée campé depuis Cléry jusqu’à nos bois leva le camp, et plus de 80 000 hommes défilèrent pendant 7h sur les routes d’Orléans à Blois.
C’est dans cette escarmouche du carrefour des Quatre Routes que fut tué le chasseur de ligne qui a été enterré dans la pointe du bois, à droite de l’entrée du château de Bel Air".
De l’autre côté de la Loire, Lestiou, Tavers, Avaray, etc, furent très éprouvés par les combats des 8 et 9 décembre dont les échecs se répercutèrent jusqu’à nous.
A St Laurent des Eaux, trois ambulances furent établies au presbytère, à l’école des Soeurs, rue de l’Eglise, à l’école communale. Beaucoup de blessés y furent soignés par les docteurs BUREAU et CHASSAIGNE avec les sœurs pour infirmières.
Je fis décerner à la Sœur supérieure, Sœur JENNY les insignes de la Croix Rouge. Henri ? obtint d’une société anglaise la somme de mille francs qui fut répartie entre les trois ambulances et quelques habitants particulièrement éprouvés.
Conclusions
Il n’est pas possible, au vu de ce qui précède, que le 31e régiment de ligne ait participé à ces combats car ses restes ont été dispersés après la bataille de Sedan. De plus, les régiments de ligne sont des régiments d’infanterie et ne comptent pas de chasseurs dans leurs rangs. Ceux-ci sont affectés aux régiments de chasseurs à pieds.
Impossible également, d’après les documents et les renseignements en notre possession, de déterminer l’identité et l’unité du soldat enterré en ce lieu.
Combien de soldats sont enterrés dans ce bois ?
Y a t’il vraiment un soldat enterré en ce lieu, ou y en a t’il plusieurs ou aucun ?
- M. Johannet déclare dans la conclusion de sa lettre "….que fut tué le chasseur de ligne qui a été enterré dans la pointe du bois….", sous entendant qu’il n’y a qu’une victime. D’après lui, il n’y aurait donc qu’un soldat enterré.
- D’autres documents annoncent le décès "…du chef de bataillon, le Capitaine Adjudant Major MONAVON, et de plusieurs hommes…".
Est-ce que les victimes ont été enterrées dans le bois ou ont-elles été emmenées par leurs camarades ? Il est peu probable que ceux-ci aient pris le temps de creuser des tombes alors qu’ils étaient en train de combattre les Prussiens…
Dans le premier cas, la croix marquerait l’emplacement de plusieurs sépultures. Dans le second, elle perpétuerait seulement le souvenir du combat. D’autre part, s’il y a eu plusieurs hommes tués, pourquoi n’y a t’il qu’une croix, qu’un corps signalé ?
- La plaque fixée sur la croix.
Sur la plaque fixée sur la croix, il est noté la mention "Mort pour la France". Or cette mention n’a été instituée que le 2 juillet 1915 [4]. Si elle n’a été posée que 45 ans après les faits, cela explique peut être l’incohérence et l’imprécision des renseignements inscrits sur la croix.
Les opérations du 31e régiment du 26 septembre au 13 décembre 1870
Le 26 septembre le 31e régiment de marche quitte Le Mans pour se rendre à Tours par étape et par bataillon. Ce mouvement se termine le 30 et les trois bataillons séjournent à Tours ou aux environ jusqu’au 16 octobre. C’est pendant ce séjour que le régiment est embrigadé. Il forme avec le 3e bataillon de marche de chasseurs à pied et le 22e régiment de mobile (Dordogne) la 1re brigade (Général GOULOT) de la 2e division du 16e corps d’armée (Général CHANZY). Jusqu’à fin novembre le 31e régiment de marche participe à plusieurs combats : Aulnay le Château, St Perray la Colombe, Coulmiers, etc
Le 23 novembre, le Lieutenant Colonel ROUDE (titre auxiliaire) remplace le Colonel Couderc de FOULONGE, tué au combat, au commandement du 31e régiment de marche. Le 1er décembre à 10h du matin, le régiment relevé dans ses positions par les troupes du 17e corps, se met en marche avec le reste de la division pour soutenir la 1re division du 16e corps engagée vers Patay. Le régiment arrive sur le théâtre de l’action lorsque tout est terminé. Il y établit son bivouac.
Le lendemain 2 décembre à 7h du matin, le régiment marche à l’ennemi qui s’est retiré derrière le Bois d’Orgières. Chaque bataillon marche en colonne à demi distance, par division, avec des tirailleurs à 800m en avant. A 9h le feu s’engage entre ces tirailleurs et l’ennemi qui garnit la lisière du bois.
Le 31e qui forme l’extrême gauche de la ligne de bataille, attaque la position retranchée de la ferme de Beauvilliers, mais exposé à un feu terrible, il est en outre accablé par le nombre.
A midi l’ennemi, dont les forces croissent rapidement, prononce sur sa gauche un mouvement tournant qui est décisif. Les trois bataillons se séparent dans la retraite. Le 1er bataillon se replie sur le village de Faverolles où se rallient les restes de la division sous les ordres du Général BARRY.
Les restes des 2e et 3e bataillons se retirent vers Patay. Dans cette affaire, le Lieutenant Colonel ROUDE a son cheval tué sous lui. Deux officiers, HENRIOT et GRISETTE, sont tués. Cinq autres, les Capitaines GARAGAIRE, CHAUVET, RIESI et GUYART et le Lieutenant PHILIPPE, sont blessés. Le régiment perd également vingt six hommes tués et sept cent quatre vingt huit blessés ou disparus.
Le 3 décembre, la 2e armée de la Loire est en retraite et l’ennemi vainqueur s’avance impétueusement. Les troupes ralliées de la 2e division s’arrêtent près de Boulay. Les 2e et 3e bataillons du régiment se retirent vers Orléans.
Le 4 décembre le village de Boulay est défendu par ce qui reste de la division. L’artillerie allemande éteint bientôt le feu de l’unique batterie française et notre infanterie soutient seule le combat pendant deux heures. Elle n’abandonne ses positions qu’après avoir brûlé ses dernières cartouches.
Le 1er bataillon du régiment prend part à cet engagement et perd le Capitaine COLLIN, le Lieutenant FILLEMINE et deux hommes. En outre vingt cinq soldats sont blessés. Ce bataillon se retire à Meung/Loire et ensuite à Beaugency où il arrive le 6 décembre.
Les 2e et 3e bataillon, qui ont marché le 3 décembre vers Orléans, y passent la Loire le 4 pendant la nuit, perdant un officier (Sous Lieutenant ANGLADE) et cinquante huit hommes blessés ou disparus. Ces deux bataillons se dirigent ensuite par détachement et en désordre dans la direction du Mans, où ils arrivent et se rallient seulement le 18 décembre.
Les restes du 1er bataillon, sous les ordres du Capitaine Adjudant Major MONAVON, se retirent le 6 décembre de Beaugency sur Mer et ensuite sur St Laurent des Eaux. Ce détachement, attaqué près de cette localité le 8 décembre par des forces très supérieures se replie sur Mer. Le chef de détachement et quelques hommes ont été tués dans le combat.
Le 10 décembre, le 1er bataillon heureusement renforcé par un grand nombre d’hommes qui l’ont rejoint, et commandé par le Capitaine PETIT, se dirige sur Blois où il arrive en même temps que les Prussiens, lesquels se présentent par la rive droite de la Loire. Le lendemain, 12 décembre, les troupes françaises évacuent Blois en vertu d’une convention avec l’ennemi et se retire sur St Amand où elles séjournent le 13 décembre.
D’autres combats
En plus des combats du 8 décembre, d’autres ont eu lieu à St Laurent des Eaux. D’autres unités s’affrontent également, témoins les actes de décès relevés dans les registres paroissiaux et d’état civil communaux [5] :
- 31 octobre 1870, Nicensas PIERRE, fils de feu Nicensas PIERRE, garde mobile de Dordogne, décédé à l’ambulance, 22 ans
- 1er novembre 1870, Adrien GAUCHARD, domicilié à Beaugency, fils des défunts François GAUCHARD et Victoire Sophie DESNIAU, franc tireur DE CATHELINEAU, décédé à l’ambulance des sœurs, 30 ans
- 6 novembre 1870, Un Prussien catholique blessé par le Capitaine des Hussards FRIAND aux Quatre Routes.Soeur Jenny dirigeait l’ambulance. Ce Prussien mourut à l’ambulance, école des sœurs, école communale actuelle.
Le Capitaine FRIAND vint le voir avant sa mort et lui demanda pardon. (Témoignage de F. BRISSON - 24 novembre 1870, Jean RIFFADE, fils de Pierre RIFFADE, domicilié à Pompagne (Lot et Garonne) et Jeanne LECOURNEAUX, soldat du 42e de Ligne, décédé à l’ambulance, 28 ans
- 20 décembre 1870, François SAUNIER, soldat au 2e Zouave, décédé à l’ambulance, 20 ans
- 29 janvier 1871, Jean DELABROUSSE, domicilié à St Mary (Charente), fils de Jean DELABROUSSE et Marie ARLIER, soldat de Ligne, décédé à l’ambulance
Pour en savoir plus, des sources complémentaires sont citées sur mon blog : https://saintlaurentnouan.jimdofree.com/histoire/la-croix-du-petit-chasseur/ |