Les sources se font plus rares, heureusement quelques lettres des amis de Jeanne me permettent d’alimenter cette biographie [1]. En cette fin d’année 1934 le mariage de Marina de Grèce avec le duc de Kent est un événement largement relaté par la presse quotidienne. Pour cette occasion Jeanne a décidé d’offrir à la princesse une statue de son père Nicolas de Grèce.
Permettez à votre humble artiste de venir s’unir à tous ceux qui vous admirent et expriment du grand bonheur qui arrive à la princesse Marina. Nous en sommes profondément émus et joyeux. C’est un magnifique couronnement pour votre grande famille Dieu vous a récompensé de vos sacrifices acceptés avec tant de grandeur ... J’espère que votre grandeur voudra bien me permettre d’offrir à la princesse Marina un exemplaire du portrait que j’ai eu l’honneur de faire de son cher père. Que le Seigneur garde en bonheur et en santé son altesse royale la princesse Marina de Grèce et aussi tous les êtres qui lui sont chers. C’est le vœu que forme du fond de son cœur sa toute dévouée statuaire et sa fille Henriette. [2]
Le buste prend la poudre d’escampette
Le 29 novembre le Salut Public titre " Ce matin a été célébré le mariage de la princesse Marina et du duc de Kent. Une foule enthousiaste a salué le couple princier au retour de Westminster où l’archevêque de Canterbury a béni leur union". J’imagine que Jeanne a suivi cet événement dans la presse. Cependant elle ne se doute pas que le buste en bronze n’est pas arrivé à temps. Dans une lettre que lui envoie Nicolas de Grèce [3] elle apprend que le buste ne figurait pas à l’exposition des cadeaux offerts à son altesse royale la princesse Marina. Celui-ci a pourtant été remis le 20 novembre par Monsieur Rudier, fondeur.
- Jeanne Bardey, buste de Nicolas de Grèce (Photo collection privée)
Jeanne remue ciel et terre pour en retrouver la trace, comme elle l’exprime dans une lettre à la Duchesse de Kent : Permettez à votre attristée sculpteur de venir vous offrir ses vœux les plus sincères pour votre bon Noël. Je ne sais assez exprimer ma douleur à son altesse de la perte du buste de son altesse royale le prince Nicolas. J’ai fait tout ce qui était dans mon pouvoir pour qu’il parvienne en temps voulu. Le buste arrive enfin chez la duchesse de Kent le 5 janvier 1935. Quel chemin a-t-il suivi, nul ne le sait ?
"L’Oranaise" de grande allure
En octobre 1935 Jeanne Bardey reçoit de Nicolas de Grèce une lettre plus anecdotique mais qui nous permet d’approcher un autre aspect de la personnalité de l’artiste lyonnaise. J’accepte avec plaisir le titre de membre d’honneur de votre société féline à laquelle vous vous intéressez toutes les deux ; l’adjectif que j’emploie ne s’applique bien entendu qu’aux charmants hôtes que nous chérissons et non pas aux sociétaires qui en assurent la protection [4]. Lors d’une rencontre en juin 2012, Madame G ... [5] m’a confirmé que Jeanne et Henriette avaient 4 chats, dont 1 siamois et 2 persans, rue Robert ils étaient les rois et jouissaient d’une très grande liberté. Bien entendu ils servaient aussi de modèles pour l’artiste, comme l’illustre bien la photo ci-dessous de la tête de chat en terre cuite.
- Jeanne Bardey, Tête de chat (Musée des arts décoratifs, photo Sylvain Pretto)
- Moulage en terre cuite (Inventaire Bardey 214)
En 1936, Jeanne est présente au salon de printemps de la Société Lyonnaise des Beaux-Arts avec 2 sculptures en terre cuite : "Son Altesse royale le prince Nicolas de Grèce" et"Ma fille". Le Salut Public parle d’un joli buste de Madame Bardey mais dans un éclairage qui ne l’avantage pas [6]. A la même époque elle honore une nouvelle fois le salon de la Société des femmes artistes modernes. Le Matin en rend compte dans son édition du 3 mars 1936 : Ce salon féminin, tant pour son homogénéité que par la qualité des œuvres exposées, est en progression très marquée sur ses devanciers ... Dans la sculpture notons l’Oranaise de grande allure de Madame Bardey ... Je n’ai hélas pas retrouvé la trace de cette œuvre, qui est probablement conservée dans une collection privée.
Dans le cadre de ses relations avec les personnalités lyonnaises, une lettre de la chambre des députés a attiré mon attention, elle reçoit une invitation à déjeuner le 12 mars 1936 avec Monsieur et Madame Justin Godart, dont notre artiste a croqué le portrait [7].
Justin Godart, un gone humaniste
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Querelles de vieux amants ...
Après ce petit détour retrouvons François Guiguet, je vous avais parlé dans le 6e épisode de son très beau portrait d’Henriette, qui lui a valu le prix Paul Chenavard. Il habite à Lyon depuis quelques années et réside 8 cours Lafayette chez sa belle-soeur Emilie Champetier, veuve de Joanny Guiguet. Les lettres de Jeanne sont donc plus rares, car elle lui écrit uniquement lorsqu’elle voyage.
Madame Bardey est une fort belle femme et Guiguet en est amoureux au grand dam de ses nièces de Corbelin, Angèle et Marie, qui nommaient les dames Bardey sous le sobriquet "les folles de la rue Robert".
Il a 76 ans, elle 64 ans, mais cela ne les empêche pas de se quereller comme de vieux amants [8], cette lettre en témoigne :
Votre lettre m’attriste vivement. Comment avez-vous pu croire un instant que votre présence n’était pas désirable ? Loin de moi une pareille pensée ! Je me le reprocherai toute ma vie car je ne pourrai oublier combien vos conseils m’ont été salutaires et toujours votre pensée est à mes côtés lorsque je dessine et même lorsque je vois de belles choses. Nous sommes à Paris ; mais rarement chez nous. Mon travail se fait en dehors. Je serai très heureux de vous voir, mais vers la nuit …
A bientôt j’espère avoir le plaisir de vous voir et de dissiper les nuages causés par mon violent caractère.
Votre dévouée et reconnaissante [9]
Au mois d’octobre de cette même année François Guiguet est opéré à Lyon d’une occlusion intestinale par le professeur Paul Santy, il part en convalescence à Corbelin, dans son village natal. Emile Beaussier, président de la Société Lyonnaise des Beaux-Arts, lui adresse ses voeux pour l’année 1937 : mes collègues et moi sommes très affligés de vous savoir souffrant ces temps derniers. Nous souhaitons bien vivement un complet rétablissement de votre santé. Acceptez mes souhaits les plus respectueux pour 1937 [10].
La ville d’Athènes a bien changé ...
Nous terminons l’année 1936 avec Nicolas de Grèce, dans une lettre à Jeanne il évoque le retour dans son pays après 14 ans d’exil.
… mes souhaits les plus cordiaux pour vous-même et votre charmante Koré [11].
Notre fille Marina a donné le jour à une charmante petite fille le jour même de Noël. Grâce à Dieu la mère et l’enfant se portent à ravir. Nous sommes heureux de la venue de cette petite fille, la deuxième de son sexe et le sixième de la lignée de nos petits enfants. Cela ne me rajeunit guère.
- Jeanne Bardey, La Koré d’Athènes
- Extrait de "Sous l’olivier" d’Edouard Herriot
Edition de 1932 (Archives Varille)
Nous venons de passer un mois à Athènes où j’ai souvent pensé à vous. Vous pouvez facilement concevoir mon émotion poignante de revoir mon beau pays après 14 années d’absence !! Vous dépeindre la beauté d’Athènes, son ciel et sa lumière cristalline, serait superflu ! J’en garde encore le souvenir dans les yeux et la nostalgie dans l’âme. J’ai revu mon Parthénon et ses marbres dorés et j’ai fait un effort pour retenir mes larmes. J’ai visité à plusieurs reprises notre pauvre musée et suis resté en extase devant ses trésors incomparables dont un grand nombre m’était inconnu. Tout cela m’a profondément remué et je n’ai pu m’empêcher de faire la réflexion que le monde serait bien plus beau si l’on s’occupait davantage des joies que nous procurent les arts que de faire de la mauvaise politique.
Je trouve la ville d’Athènes bien changée … malheureusement pas toujours à son avantage. Il y a beaucoup de nouvelles choses dignes d’éloges mais hélas il y a aussi beaucoup de laideurs et de fautes de goût qui ne font pas honneur à ceux qui se disent les descendants de Phidias et de Praxitèle ! A quoi sert de se vanter de ses ancêtres si l’on ne fait rien pour suivre dans leur pas ? Avez-vous donc décidé de quitter Paris définitivement ne pouvant plus résister aux attraits de Lyon … [12]
Dernière correspondance avec François Guiguet
En février 1937, Jeanne envoie une carte à François Guiguet. où elle évoque les bas-reliefs qu’elle va proposer pour l’hôtel des postes, ce sera probablement la dernière car la santé de l’artiste se dégrade : J’espère et souhaite que votre santé se raffermisse de jour en jour et que seul le beau travail vous occupe. Je viens vous demander de bien vouloir faire prendre les toiles que j’ai en dépôt chez moi. On me demande mon atelier pour la présentation des travaux de trois sculpteurs pour l’hôtel des postes. Ce n’est pas que je trouverai de la place pour les mettre ; mais je crains un accident dans ce remue-ménage. J’espère avoir bientôt votre visite et pouvoir vous montrer nos projets de bas-reliefs. Nous travaillons avec ardeur.
Nous vous envoyons toutes deux tous nos meilleurs souvenirs. Votre fidèle élève [13]
- Jeanne Bardey, esquisse d’une sculpture pour les bas-reliefs de l’Hôtel des postes (Photo Archives Varille)
Je ne pense pas que Jeanne ait montré ses projets de bas-Reliefs à François Guiguet. Toujours est-il qu’elle passe à leur réalisation avec sa fille Henriette. Au mois d’août "Le Salut Public" fait état de l’avancement des travaux du nouvel Hôtel des Postes. Il évoque les 24 bas-reliefs ornant les piliers des 3 portiques d’entrée, qui rappellent les trois époques de l’histoire lyonnaise. Ils ont été réalisés par 6 sculpteurs : Georges Salendre et Jean Dulac (la cité gallo-romaine et au moyen-âge), Jeanne et Henriette Bardey (Lyon de la Renaissance), MM Renard père et fils (Lyon moderne).
Le même numéro du "Salut Public" fait part du décès de l’humaniste lyonnais Joseph Serre, grand poète, philosophe chrétien et homme de bien, c’était aussi un ami de notre artiste. Voici l’un de ses poèmes évoquant son enfance dans le parc de Grange-blanche à la Demi-Lune [14] :
Comme tout était beau ! Comme tout était grand !
La lumière partout ruisselait à torrent ;
Les bulles de savon, splendides et profondes volaient
Et comme Dieu, l’enfant faisait des mondes !
Avec ma grande sœur et ma petite sœur,
Entre elles deux souvent, j’errais dans la douceur,
Des longs mois de printemps de notre Demi-Lune.
On priait lentement la Vierge au clair de lune,
Dans la grâce du mois de Marie et des fleurs.
Mes vers sont le reflet de ces printemps meilleurs.
L’adieu au maître
Quatre semaines seulement se sont écoulés qu’une autre mauvaise nouvelle tombe, le décès brutal de François Guiguet le 3 septembre 1937, alors qu’il était encore au travail. "Lyon-Républicain" s’en fait l’écho : Le monde des arts et des amateurs éclairés apprendra avec peine le décès à Corbelin, son pays natal, de l’excellent maître François Guiguet. [15]
Les funérailles ont lieu le 6 septembre dans l’église de Corbelin. En pleine période de vacances la plupart des membres du comité étaient absents de Lyon et beaucoup ne connurent cette triste nouvelle qu’à leur retour.
Cependant quelques artistes, parmi lesquels les peintres Léon Garraud, F. Guillermin, André Jacques, Léon Junique, E. Wegelin, le sculpteur Edouard Descamps, l’accompagnèrent et lui rendirent les honneurs funèbres.
Avec eux, toute la population de Corbelin qui vint défiler devant le cercueil de celui qu’elle estimait comme un grand artiste et un homme de bien.
Monsieur Léon Junique au nom de la Société Lyonnaise des Beaux-Arts, dans une émouvante improvisation, adressa un dernier adieu à ce grand confrère disparu et su dire à sa famille la part profonde que nous prenons tous à leur deuil. [16]
Le lendemain des funérailles un groupe d’amis de Guiguet écrit un éloge dans "le Salut Public". L’art de Guiguet, délicat et savant tout en science et tout en profondeur, le situait parmi les grands maîtres dont il avait été le disciple attentif et aimé : Ravie, Puvis de Chavannes, Degas, Chialiva.
Dans quelques traits dont il avait le secret, comme dans ses portraits longuement étudiés, il extériorisait et exprimait toute une vie intérieure.
Sa renommée comme dessinateur et portraitiste s’étendait au monde entier. Ses œuvres empreintes de perfection et de grâce intime ornent nos principaux musées. Deux de ses toiles figurent au Musée de Lyon [17]. Guiguet avait été élève de l’école des Beaux-Arts de Lyon. Il était membre de la Commission des Musées.
François Guiguet n’était pas seulement un artiste hors rang, la haute tenue de son esprit le mettait malgré son excessive modestie au nombre de ces hommes rares, qui par l’influence de leur caractère et de leur pensée sont les maîtres spirituels d’un pays. [18]
Vingt ans après le décès de Rodin, Jeanne perd son autre maître et son ami fidèle depuis 30 ans. Je n’ai hélas trouvé aucun document ni témoignage permettant de connaître les sentiments de notre artiste, mais je pense que cela a dû être une dure épreuve.
Mort du prince Nicolas de Grèce
Jeanne Bardey continue de correspondre avec Nicolas de Grèce pour lui proposer ses services ou, s’adressant au peintre Nicolas Leprince, pour le conseiller. Je vous présente le brouillon d’une de ses lettres : J’aimerais mettre mon travail à votre disposition, c’est là ma seule manière de manifester mes sentiments d’admiration et de dévouement. Puisque son Altesse Royale la duchesse de Kent est heureuse de posséder le buste de son père, il me semble qu’à côté de ce buste paternel celui de son altesse royale la princesse Hélène est tout indiquée et je pense peut-être à tort que son altesse royale a plus de loisirs à Belgrade qu’elle n’en a à Paris. Dans ce cas je serais toute décidée à entreprendre ce beau travail. Par la même occasion je pourrais aussi faire un portrait de votre petit-fils. Vous savez que les voyages ne m’effraient pas ... [19]
Je n’ai retrouvé ni la trace d’un éventuel voyage à Belgrade, ni celui de la réalisation d’un buste de la princesse Hélène. Par contre elle a envoyé à la princesse Olga un buste de son père bien aimé [20]
En décembre 1937 Nicolas de Grèce répond aux vœux de Jeanne, occasion de parler de ses projets et de la remercier pour ses conseils artistiques. Il va partir en Grèce pour le mariage de son neveu. Hélas fin janvier 1938 sa santé se dégrade et cause de vives inquiétudes à son entourage, comme le confirment plusieurs communiqués parus dans la presse. Un bulletin de santé indique que le prince Nicolas souffre de troubles circulatoires [21]. Tous les quotidiens annoncent son décès survenu dans la matinée du 8 février.
- Funérailles de Nicolas de Grèce (Gallica, Le Matin du 16/02/1938)
En même temps que le prince Nicolas de Grèce, le peintre Nicolas Leprince vient de s’éteindre. Car l’un et l’autre ne faisaient qu’un. Cette double identité était connue des gens avertis. Mais lorsque le prince Nicolas commença d’exposer, à Paris et à Londres, personne ne savait qui était cet artiste inconnu dont on admirait, et dont on achetait les paysages et les portraits.
Le Prince Nicolas était un parisien de longue date. Bien avant que l’exil ne l’obligeât de se fixer à Passy, il faisait de longs séjours chez nous. Dans ses mémoires, publiées à Londres, il a d’ailleurs célébré les charmes de Paris : "Paris, écrivait-il, à quelques saisons et en n’importe quelles circonstances qu’on y revienne, reste éternellement la ville du charme et de la beauté, d’une vitalité que rien n’abat, où l’air même qu’on respire monte à la tête comme du champagne." [22]
Les funérailles du prince Nicolas de Grèce ont lieu le samedi 12 février à Athènes.
Une dizaine de jours plus tard se tient à Paris, Faubourg St Honoré, l’exposition du Cercle de l’Union Artistique. A la galerie de portraits qui sont présentés s’ajoutent quelques paysages, comme ceux de Grèce, fort délicats, du regretté prince Nicolas de Grèce, père de la duchesse de Kent, qui vient de mourir ... [23]
1938, dernier salon de printemps
Après cette succession de mauvaises nouvelles, Jeanne participe à son dernier salon de printemps où elle expose le buste en terre cuite de François Guiguet, une façon de lui rendre hommage. Luc Roville en rend compte dans le "Salut Public", j’en reprends de large extraits qui mettent en valeur les leçons du peintre dauphinois, telle que les a assimilées Jeanne au cours de ces 30 années.
Ce salon a une excellente tenue, meilleure, m’a-t-il semblé, que les précédents. Il est bien agencé ; les œuvres intéressantes sont mises en valeur ; les autres (et il n’en manque pas plus qu’aux autres) discrètement écartées. Il faut en attribuer le mérite au comité d’organisation et particulièrement à l’actuel président, Monsieur Beaussier.
Il se place sous le patronage du Président Herriot, puisque le visiteur est accueilli dans le salon d’honneur par son buste puissamment modelé par madame Bardey et puisque tout auprès, une vitrine présente quelques pages du manuscrit de son livre "Sous l’olivier" ...
- Jeanne Bardey, Buste d’Edouard Herriot, Lyon, 1937 (© Lyon, Musée des Arts décoratifs, photographie Pierre Verrier)
- Moulage en plâtre (inventaire Bardey 53)
Ce salon présente une importante rétrospective du peinte Guiguet, décédé l’année dernière. Il est très bien que cette exposition soit faite au salon de la Société Lyonnaise des Beaux-Arts : c’est là qu’elle a tout son sens et toute sa valeur éducative. Cette société groupe en effet les artistes de tendances plus traditionnelles, les plus portés au classicisme. Mieux que des disciples de Matisse, Derain ou Picasso, ils peuvent entendre les leçons d’un Guiguet et c’est surtout pour eux que ces leçons peuvent être bienfaisantes ...
La leçon de Guiguet est d’abord une leçon de vie : il a choisi ses modèles autour de lui, il les a peints comme il les voyait dans leurs aspects familiers, dans leurs habitudes quotidiennes et ainsi est-il arrivé à réaliser les images les plus saisissantes de l’enfance, de l’adolescence, de la jeunesse. tels portraits de jeunes filles ont un charme profond et une vérité qu’on a pas dépassée.
Il est toujours resté simple, ennemi de tout clinquant, ne cherchant jamais à séduire par autre chose que la vérité des formes et l’expression des sentiments ; et il n’a a jamais oublié qu’une toile est d’abord une surface, qu’elle doit le rester et qu’on doit bannir ces trompe-l’œil qui lui font des trous ou des saillies. Cet horreur du faux éclat est aussi une utile leçon pour ces peintres qui, par des empâtements ou d’autres artifices, s’efforcent de faire sortir le modèle du cadre comme si le cadre n’était pas la limite et la saillie principale au delà desquelles rien ne doit s’avancer.
- Jeanne Bardey, Buste de François Guiguet (Photo collection privée)
- Terre cuite (Salon de printemps 1938 de la Société Lyonnaise des Beaux-Arts)
Mais aux artistes qui lui conservent encore du respect, Guiguet enseigne surtout ce qu’est le dessin : une chose souple, pressante, variée, qui pénètre partout, ne néglige rien mais en même temps s’adapte, s’atténuant ou disparaissant au besoin dans l’ombre ou dans la grande lumière. C’est une joie de suivre ses traits et de voir avec quelle légèreté et quelle exactitude il dessinait une bouche, un œil, une main. L’effort n’est pas apparent ; on sait pourtant avec quel soin et quelle lenteur il conduisait ses ouvrages : un portrait n’était définitif qu’après plusieurs années et parfois, la mort refusait au modèle d’accorder un si long délai.
Les qualités de cet art sont profondes et durables : l’œuvre de Guiguet ne périra pas dans l’estime des hommes [24].
Luc Roville note aussi, pour la sculpture, que Les bustes de Madame Bardey [25] sont traités avec un souci de vie et de vérité selon la leçon de Guiguet, dont elle a fait l’image.
Jean Zay au salon des Femmes Artistes Modernes
Le 14 mars 1938 s’ouvre le salon des Femmes Artistes Modernes à la galerie Charpentier, 76 rue du Faubourg Saint Honoré. "Le Matin" en fait une critique très élogieuse : Ce salon est, sans contredit, l’exposition la plus représentative, la plus complète de la peinture féminine moderne. Il fait montre, même, cette année, d’une qualité et une dignité plus grandes que ces devanciers ... [26]. "Le Temps" évoque le portrait de Rodin dû au talent de Mme Camille Claudel. [27]
Louis Vauxcelles, dans "Le Monde illustré", note que Les Femmes Artistes Modernes groupe sans contredit le dessus du panier des palettes féminines. Et il faut, avant de nommer les principales exposantes réunies à l’hôtel Charpentier, par les soins de l’éminente et inlassable présidente Marianne Camax-Zoegger, féliciter cette dernière de n’avoir oublié personne, j’entends personne des femmes de talent ... Ce qui est certain, c’est que, des cent vingt-cinq envois, il en est bien peu qui soient médiocres et la sélection a été soigneusement filtrée ... L’essentiel ici est que les femmes peintres contemporaines ont enfin compris que leur mission n’est pas de refléter la technique, le sentiment et le faire du professeur avec lequel elles ont travaillé, mais d’être enfin elles-mêmes, sans postiche ni assimilation. Pendant bien longtemps en effet, avant que n’eut lieu, au cours des transformations sociales, l’émancipation de la femme, les "peintresses" et les "sculptrices", même les plus brillantes, appelaient invinciblement la comparaison avec le peintre masculin qui avait guidé leurs débuts ... Même la grande Camille Claudel, de qui Mme Camax-Zœgger a eu la pieuse pensée de montrer une œuvre chez Charpentier, n’est pas sans avoir subi la formidable emprise de Rodin ... Parmi les sculpteurs Mmes Anna Bass, Annette Champetier de Ribes, Jeanne Bardey, Marie-Louise Bar, qui font cortège à la grande Camille Claudel. [28]
Le samedi 19 mars, Monsieur Lebrun, président de la République, accompagné de Jean Zay, ministre de l’Education Nationale et des Beaux-Arts, honorent ce salon de leur visite. Dans un livre publié en 2006, Marie-Jo Bonnet rappelle cet événement : Quelle belle reconnaissance par le front populaire du travail collectif des femmes artistes modernes qui ont réussi à rassembler pendant presque dix ans une soixantaine d’artistes parmi les plus importantes de l’entre-deux-guerres. Dans le climat de double morale esthétique qui régnait alors, c’est un tour de force d’avoir réussi à montrer ces œuvres au public, en constituant une sorte de force collective qui atteste d’une réalité, d’une vitalité et d’un regard autre qui a également droit de cité. [29]
Le nouvel Hôtel des postes est bientôt fin prêt pour les festivités d’inauguration, mais auparavant replongeons nous dans l’histoire de l’Hôpital de la Charité, en remontant au 17e siècle.
A l’origine de la Charité ...
De la démolition de l’hôpital ... à la construction de l’Hôtel des postes
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La renaissance à Lyon vue par les Dames Bardey
Résumer le XVIe siècle à Lyon en 8 bas-reliefs n’était pas chose facile, Jeanne et sa fille Henriette ont su en saisir l’essentiel. J’ai repris quelques notes tirées de "Histoire de Lyon et du Lyonnais" afin de présenter les différents thèmes qu’elles ont abordés.
La peste à Lyon - Lyon a vécu dans la hantise de la « contagion », le mot recouvrait les épidémies les plus diverses : grippes, scarlatine ... et la peste bubonique, la plus redoutable de toutes. L’obsession de la peste ne s’est guère relâchée. Les alertes furent nombreuses « 1481, 1497, 1520, 1551, 1564, 1577, 1581 ... » L’on exigeait des certificats de santé de ceux qui venaient de lieux suspects, tandis que les marchandises étaient mises en quarantaine. Rien ne préparait mieux l’entrée de la peste et son développement dans la ville que la guerre, qui multipliait les allées et venues des soldats, les disettes qui rendaient la population pauvre très vulnérable, les étés chauds et humides. La conjonction de ces facteurs a fait la gravité exceptionnelle des deux plus grandes pestes qui frappèrent Lyon : celle de 1564 et de 1628 ... Ambroise Paré, chirurgien du roi Charles IX, a laissé un vivant témoignage de l’épidémie dans son « Traité de la peste » publié en 1568 ... [34]
- Jeanne et Henriette Bardey, bas-reliefs de l’Hôtel des postes (Photo collection personnelle)
- La peste à Lyon
Rabelais, la médecine - Les hôpitaux du Moyen Âge étant de petite capacité d’accueil, les échevins de Lyon, dont Gadagne et Symphorien Champier [35], décidèrent de construire un grand hôpital, sur les lieux de l’actuelle chapelle : c’est l’Hôpital de Notre-Dame de la Pitié du Pont-du-Rhône ou Grand Hôtel-Dieu. [36] François Rabelais, venu de Montpellier en 1532 et séjournant jusqu’en 1536, médecin à l’Hôtel-Dieu, ami des lettrés et des libraires ... publie en 1532 « Les horribles et épouvantables faicts de Pantagruel ». [37]
- Jeanne et Henriette Bardey, Bas-reliefs de l’Hôtel des postes (Photo collection personnelle)
- Rabelais et la médecine à Lyon
L’imprimerie - L’apparition de l’imprimerie à Lyon dès 1473, trois ans seulement après Paris, tient avant tout à des conditions économiques exceptionnellement favorables. Son initiateur, Barthélemy Buyer, fils et frère de juristes alliés à des familles marchandes, saisit le parti à tirer des foires : Allemands amenant leurs techniques, Italiens et autres « gros marchands » assurant des débouchés, Lyon pouvait devenir un centre de production et de diffusion d’ouvrages. Pari gagné : dès avant la fin du XVe siècle, ses cinquante « impresseurs de livres » plaçaient la ville au troisième rang en Europe par le nombre de ses éditions ... [38]
- Jeanne et Henriette Bardey, bas-reliefs de l’Hôtel des postes (Photo Charles Maxence Gelin)
- L’imprimerie
La banque, le commerce - Lyon organise quatre grandes foires par an qui se tiennent à la fête des rois, à Quasimodo, le 2 août et à la Toussaint. L’essor de ses foires internationales, l’arrivée des grands marchands-banquiers étrangers font de Lyon l’un des principaux centres européens du grand commerce et de la banque ... L’année 1466 vit la banque des Médicis transférer sa succursale de Genève à Lyon ... A son exemple les étrangers affluèrent. Florentins, Gênois, Lucquois, Milanais et Piémontais formèrent, dès avant la fin du siècle, des colonies nombreuses. En 1466, il y avait déjà quinze maisons florentines ; elles seront 46 en 1502 ... [39]
- Jeanne et Henriette Bardey, bas-relief de l’Hôtel des postes (Photo collection personnelle)
- Les marchands et le changeur devant la loge du change
- Jeanne et Henriette Bardey, bas-reliefs de l’Hôtel des postes (Photo collection personnelle)
- Le commerce
Les teinturiers en fils de soie - Les traits majeurs du commerce lyonnais se dégagent : prédominance écrasante des soies et soieries dont, il est vrai, Lyon est devenu l’unique entrée officielle depuis l’établissement par Louis XI d’un droit de 5 % à l’importation ... Rappelons qu’en 1536 une ordonnance de François 1er marquait l’acte de naissance de la soierie lyonnaise. [40]
- Jeanne et Henriette Bardey, bas-reliefs de l’Hôtel des postes (Photo Charles Maxence Gelin)
- Les teinturiers en fils de soie
L’architecture, Philibert de l’Orme - Deux quartiers de Lyon gardent aujourd’hui l’empreinte de la grande période 1470-1550. C’est le vieux Lyon, entre St Paul et St Georges, et aussi sur la rive gauche de la Saône, dans la presqu’île, la rue Mercière et ses voies adjacentes. On y retrouve quelques beaux Hôtels comme celui de Gadagne, ... l’Hôtel Bullioud avec sa ravissante galerie [41] construite par l’architecte Philibert De l’Orme.
- Jeanne et Henriette Bardey, bas-reliefs de l’Hôtel des postes (Photo collection personnelle)
- Philibert De l’Orme, architecte
La poésie et la musique, Louise Labbé - Louise Labbé [42], née vers 1524, femme d’un riche marchand cordier, belle, cultivée, sachant l’équitation et la musique, le latin et l’italien, a exprimé dans le « Débat de folie et d’amour », dans ses trois élégies et ses vingt quatre sonnets publiés en 1555, les feux d’une passion ardente et sensuelle. L’influence des italiens, celle des marotiques sont évidentes mais c’est par la spontanéité que valent ses vers les plus admirables. [43]
- Jeanne et Henriette Bardey, bas-reliefs de l’Hôtel des postes (Photo collection personnelle)
- Louise Labbé, la belle cordière
- Jeanne et Henriette Bardey, bas-reliefs de l’Hôtel des postes (Photo collection personnelle)
Inauguration du nouvel ’Hôtel des postes
Les études du nouvel Hôtel des postes commencées en janvier 1932 durèrent plus de 2 ans et furent approuvées en mai 1934. Les travaux s’étalèrent de juin 1935 à juillet 1938, 42 entreprises y prirent part avec 800 ouvriers des divers corps d’état.
Le dimanche 17 juillet 1938 le nouvel Hôtel des postes est finalement inauguré par Jules Julien, ministre des P.T.T, en présence d’Edouard Herriot.
Le Progrès du lundi relate cet événement : ... Les visiteurs officiels regagnèrent l’intérieur de l"édifice. La symphonie des P.T.T les attendait dans la salle où s’installera bientôt l’appareillage du central télégraphique. On entendit, sous la direction du maestro Agnès, un concert de qualité. Un apéritif d’honneur fut alors servi, préludant au banquet.
Les tables avaient été disposées au rez-de-chaussée, dans l’immense salle du « tri » postal. Quand les appétits furent calmés, les orateurs prirent la parole. Le premier fut M. le directeur régional Bouchez ... Ayant salué chacun de ses hôtes, il eut un mot de courtoisie à l’adresse de ses collègues de l’administration ... L’orateur n’eut garde d’oublier le maître de l’oeuvre, l’architecte lyonnais Roux-Spitz, grand prix de Rome, et il lui associa MM Marsollier et Thimel, les artistes Bouquet, Salendre, Bardey et Dulac, ainsi que M. Charial, directeur de cette coopérative ouvrière L’Avenir qui, dans une période particulièrement difficile, a permis de faire vite et à bon marché ...
Très acclamé, le président Herriot se lève pour dégager le sens de cette journée ... « Nul, en cet instant, dit-il, ne peut être plus heureux que le maire de Lyon à qui on remet ce splendide édifice. » J’estime qu’une grande institution doit avoir, comme un être humain, un corps et une âme. Le corps, vous le voyez aujourd’hui, il est splendide. Un architecte dont le nom seul fait l’éloge a créé ce corps. Il a su accorder la façade de l’édifice à l’ordonnance de la place voisine, dans une harmonie qui est la qualité propre de l’architecture française, faite de goût, de correction, de mesure, du mépris des ornements postiches et des accessoires inutiles. Il ne nous resterait qu’à supprimer le clocher voisin. J’avais demandé à l’artiste de le prendre en charge, au moins pour partie. Il s’y est obstinément refusé. Comme maire, je peux le regretter, comme amateur d’art, je ne puis que le féliciter. Je le loue encore du choix des artistes qu’il s’est adjoints comme collaborateurs et qui ont donné à cette maison la seule ornementation qui lui soit convenable, interprétant dans une note modeste et sobre le passé de notre ville ... [44]
Liens
Sources
- Centre de documentation du Musée des Arts décoratifs de Lyon
- Musée des Beaux-Arts de Lyon
- Maison Ravier : Madame Nathalie Lebrun
- Madame Annie Humbert
- Madame G., petite nièce de Jeanne Bardey
- Bibliothèque Municipale
- Généalogie et histoire, revue du Cégra, n° 140 de décembre 2009 : François Guiguet, dessinateur et portraitiste d’exception
- Bulletin de la Société Lyonnaise des Beaux-Arts N° 4 de Juin 2006 : Un peintre de Naguère, François Joseph Guiguet
- Histoire de Lyon et du Lyonnais, sous la direction de André Latreille, Privat éditeur, 1975