Virieu-le-Grand bénéficie d’un atout. Le calcaire qui forme ses montagnes est particulièrement propice à la fabrication de chaux. Pour mémoire, la chaux hydraulique est fabriquée par la cuisson du calcaire à haute température (1 000°) dans des fours spécialement construits. En sortie du four, le résultat est de la chaux vive. Ensuite, un traitement à l’eau permet d’obtenir de la chaux hydraulique ou du ciment, selon les conditions. C’est une industrie qui demande peu de capitaux, sauf pour la construction des fours, mais qui nécessite à cette époque une main d’œuvre importante pour assurer toutes les opérations depuis l’extraction du calcaire jusqu’à la livraison de la chaux. Il y a trois facteurs importants pour l’efficacité de cette activité : disposer d’un calcaire de qualité, bénéficier d’un combustible efficace et économique, c’est-à-dire pouvoir s’approvisionner en charbon à un prix compétitif, et enfin implanter l’unité de fabrication (les fours) en un point permettant de minimiser le plus possible le transport de la matière première et du produit final.
- Vestiges des fours à chaux de l’entreprise Pochet et Cie, à Virieu-le-Grand. Situés sur les terrains de l’entreprise « Le Saloir de Virieu », au lieu-dit « En Mussignin » sur la route de Virieu à Cuzieu. Ils permettent d’imaginer à quoi ressemblaient ceux de François Genet.
- Schéma d’un four à chaux extrait de : Guide du briquetier, […], suivi du Guide du chaufournier […], par Émile Lejeune, Paris, Librairie du Dictionnaire des arts et manufactures, 1870.
A Virieu, les mines de pierre à chaux, découvertes en 1842, sont exploitées dès 1855, mais leur importance s’accroît en 1864 quand Jurron fabrique pour la première fois le ciment de Portland [1]. Bénéficiant d’une bonne renommée, la chaux de Virieu profite de l’ouverture de la ligne Lyon-Genève qui permet d’écouler la production locale depuis Lyon jusqu’à Genève et dans les départements limitrophes : les Savoie, Ain, Jura, Saône-et-Loire, etc. Après une étape encore « artisanale », l’activité s’organise et des sociétés se créent : Pochet fils et Cie, à Virieu-le-Grand, au capital de 40 000 francs, par un acte du 17 septembre 1877 ; Jurron, Delastre et Cie [2], par un acte du 6 juin 1876. Cette dernière société prendra une grande importance. Elle dispose de deux dépôts, l’un à Vaise, près de Lyon et l’autre à Genève, aux deux extrémités de la voie de chemin de fer. En 1907, Virieu-le-Grand dispose de deux usines (Buscal, héritière des usines Pochet, et Lourdel, qui poursuit l’activité de la société Jurron et Delastre), qui emploient 60 ouvriers et produisent annuellement 56 000 tonnes de chaux.
- Cette vue prise depuis les ruines du Château, à quelques dizaine de mètres de l’emplacement de la carrière, permet de distinguer la localisation des fours à chaux de François Genet. Ils sont situés près des deux arbres en boule visibles à droite, à l’horizontal de la tête du personnage. On visualise ainsi le parcours nécessaire entre le lieu d’extraction et le lieu de fabrication de la chaux (détail ci-dessous, fig 13.)
Est-ce cette activité en plein développement qui a donné l’envie à François Genet de se lancer lui aussi ? Est-ce un goût personnel pour entreprendre ? Est-ce que ce sont les réussites autour de lui qui l’ont poussé à tenter aussi sa chance ? S’ennuyait-il dans son épicerie, modeste par la taille ? Nous ne saurons jamais. Ce que l’on sait de source sûre, c’est ce que l’on peut reconstituer à partir des documents à notre disposition [3].
- Sur ce détail de la vue générale de Virieu-le-Grand, on distingue très bien la carrière créée par François Genet (flèche rouge) à gauche des ruines du château d’Honoré d’Urfé (flèche verte). Le bourg est en contrebas avec l’église dont on reconnaît le clocher. Au fond, on remarque les carrières des usines à chaux de Lourdel, qui a succédé à Jurron, Delastre et Cie.
- Sur cette photo récente, la trace de la carrière et son emprise sont encore très visibles dans le paysage, au centre de la photo (flèche rouge). Sur la droite, les ruines du château, avec la statue de la vierge (flèche verte). La tour carrée au deuxième plan est le vestige de l’usine à chaux de Lourdel.
C’est ainsi qu’en 1877, François Genet se lance dans la production de chaux. En janvier 1877, il achète à Antoine Manjot une parcelle de terrain au Cuchon [4], près de la route départementale d’Ambérieu à Culoz pour y construire deux fours à chaux. L’emplacement de cette parcelle nous interroge. Certes, elle est bordée par la route qui permettra d’apporter la matière première et d’emporter la chaux produite vers la gare de Virieu. Elle bénéficie aussi d’un écoulement d’eau. Mais elle est éloignée des carrières, ce qui conduira à beaucoup de transport et manutention. La raison du choix de cette parcelle est peut-être due à ce que c’est la seule qu’on a consenti à lui vendre. La situation financière de François Genet est déjà précaire et les vendeurs sont probablement méfiants. Pour ajouter à notre présomption, le vendeur, Antoine Manjot, est un cousin de Clotilde Genet, qui a aussi été un des témoins à leur mariage. François Genet négocie l’achat de la parcelle au plus juste car le vendeur lui découpe une surface de 664 m2 dans une parcelle de plus grande surface qu’il doit juger suffisante pour y installer les deux fours projetés et le hangar pour abriter les blutoirs.
Dans le même temps, il s’associe avec son frère Claude qui travaille du 7 avril au 15 août 1877 pour construire les deux fours à chaux sur la parcelle et qui se charge d’aller acheter les briques réfractaires à Givors, chez Mayet et Catton. Il fait probablement aussi appel à un entrepreneur isérois, Roybon, qui travaille à Belley. On le retrouvera plus tard parmi les créanciers, comme d’autres fournisseurs : Faure et Bouvier, fondeurs, à Grenoble, Mignot-Morel, à Lyon, fournisseur de tissus métalliques, pour les blutoirs, Charlas frères, à Lyon, fournisseur de matériel pour moulins, etc. Comme on le constate assez vite, que ce soit l’achat de la parcelle, les fournitures pour la construction des fours et des blutoirs, le travail de son frère, tout se fait à crédit. Et ce n’est que le début…
La question des fours étant résolue, il lui faut se procurer la matière première : le calcaire brut mis à disposition par la nature sur tout le territoire de Virieu. Il se met d’accord avec Jean Surgère, qui lui vend une parcelle de 12 ares, proche des ruines du château de Virieu, au bord de la route [5]. Le prix convenu est de 3 000 francs, dont il ne paye rien au moment de l’achat. Il s’engage à payer et, comme garantie, il hypothèque tous les biens qu’il possède avec sa femme. Cette parcelle est vendue comme une terre inexploitée, une « hermiture », qu’il doit transformer en carrière. Son emplacement, probablement favorable du point de vue de la matière première, met en lumière les faiblesses du plan de François Genet. En effet, il faut traverser tout le village pour mener les pierres calcaires jusqu’aux fours à chaux, puis ensuite assurer le transport de la chaux produite jusqu’à la gare.
A peine commencées, les menaces s’amoncellent au-dessus de l’activité naissante.
L’association qu’il imaginait avec son frère ne fonctionne pas. Par un exploit d’huissier du 27 septembre 1877, Claude Genet demande la dissolution de la société entre eux, ce qui lui est accordé par un jugement du tribunal de Belley le 13 octobre 1877. La cause probable de la mésentente réside dans le fait que Claude Genet n’est pas payé pour son travail, ce qui se cumule aux sommes que lui doit déjà son frère [6]. Pendant le même temps, les créanciers s’activent. Dès le mois de juin, François Genet doit reconnaître une créance de 520 francs à un charron de la région, pour prêt de chariots. En juillet, c’est l’entrepreneur de travaux Roybon qui lui fait signer un billet de plus de 700 francs. En septembre, ce sont ses dettes d’épicier qui le rattrapent : Joseph Brun et Cie, fabricant de pâtes alimentaires à Lyon, obtient un jugement du tribunal de Belley pour une dette de 171,75 francs. Ensuite, il est amené à signer d’autres billets. Le plus important est celui de 927 francs au profit d’un marchand de chevaux de Genève, en décembre 1877. Pour finir l’année, et alors que sa nouvelle activité démarre, c’est le tribunal de Lyon qui le condamne le 31 décembre à payer 567 francs à Bietrix aîné et Cie, droguistes, de Lyon.
Pour débuter son activité, il lui reste deux points à régler : la commercialisation de sa production de chaux et l’approvisionnement en anthracite, combustible indispensable pour la cuisson du calcaire. N’ayant probablement pas les moyens d’assurer cela par lui-même, il passe une convention avec la société Jurron, Delastre et Cie, le fabricant historique de chaux et ciments de Virieu-le-Grand, bien installé dans son négoce, qui bénéficie d’une infrastructure commerciale avec ses dépôts à Lyon-Vaise et Genève. Par cette convention signée le 27 octobre 1877, François Genet leur garantit l’exclusivité de sa production pour un prix fixe convenu entre eux et l’approvisionnement en combustible. Cela lui résout ses deux derniers problèmes mais le met dans une dépendance totale vis-à-vis d’eux.
Il ne reste plus qu’à embaucher la main d’œuvre nécessaire. Il lui faut des carriers pour extraire le calcaire de la mine, des ouvriers pour remplir et vider les fours et conditionner la chaux, des charretiers pour le transport du matériau brut et de la chaux en sacs. C’est ainsi qu’il emploie neuf ouvriers [7], tous italiens. Population éminemment flottante, même si nous connaissons leurs noms, ils ont laissé fort peu de traces dans la vie de Virieu. Le charretier Baptiste Locatelli, un des rares qui semble être resté, est né vers 1855 à Sedrina dans la province de Bergame. Un autre ouvrier, Lorenzo Adobati, est aussi originaire de la province de Bergame. Cette population italienne est alors très présente à Virieu. En 1896, premier recensement dont on dispose, 175 habitants sur 1 148, soit 15 %, sont étrangers, italiens dans leur très grande majorité. Enfin, à défaut de bénéficier de l’aide de son frère, il s’adjoint les services de son beau-frère Grégoire Pugieux. Pour donner un ordre de grandeur, les ouvriers sont payés 120 francs par mois et son beau-frère, qui faisait peut-être office de contremaître, gagne 230 francs par mois.
L’activité peut désormais démarrer. La première livraison de chaux à Jurron, Delastre et Cie a lieu le 22 décembre 1877. Sa production totale de chaux légère sera de 1 263 tonnes entre décembre 1877 et début septembre 1878. La moyenne hebdomadaire de production est de 33 tonnes, avec une moyenne un peu inférieure de 28 tonnes jusqu’en avril 1878, suivi d’une forte activité entre fin avril et début août, avec une moyenne de 41,5 tonnes. Probablement à cause des difficultés dont on va parler, à partir de la mi-août et jusqu’à la cessation d’activité, la moyenne a continûment baissé jusqu’à 21 tonnes par semaine. Ses ouvriers, las de ne pas être payés, ont probablement commencé à déserter le chantier.
Dans le même temps, la pression des créanciers est toujours plus forte. Déjà dépendant de Jurron et Delastre pour son activité de fabricant de chaux, via la convention signée, la relation va se renforcer avec eux car leur arrangement inclut aussi la prise en charge par Jurron et Delastre du paiement des créances dues par François Genet. Pour cela, ils procèdent à une retenue de 1,5 franc par tonne de chaux. Ils sont associés, voire acteurs (nous n’avons pas de documents suffisamment précis) pour l’établissement d’un concordat [8] avec les créanciers de François Genet. Des différents éléments que nous avons, nous en déduisons que cette démarche a été mise en place à la fin 1877, lorsque les premières retenues ont été appliquées sur les livraisons de chaux. Les discussions sur la mise en place du concordat, qui ont nécessité des déplacements de Jurron et Delastre évalués plus tard à 150 francs, doivent avoir eu lieu durant le premier semestre de 1878. Même si la mise en place du concordat a échoué, en juillet 1878, Jurron et Delastre ont tout de même versé 1 098 francs à Lyonnet & Cie, épicier en gros à Lyon, près de 2 500 francs au notaire de Virieu, Me Jeantet, qui est intervenu dans le projet de concordat, et quelques centaines de francs à d’autres créanciers.
L’analyse des documents de gestion fournis par Jurron et Delastre permet de conclure que l’équilibre économique de l’activité de François Genet est très fragile. Pendant la durée de son activité, les deux associés lui versent 10 171 francs en espèces, pour une facturation estimée de 23 700 francs. La différence sert à couvrir les frais de fournitures de combustible et d’avoine, ainsi que les paiements aux créanciers pour un total de plus de 4 000 francs. En regard de ces 10 171 francs, les frais de personnel sur 9 mois sont estimés à 11 790 francs [9]. Autrement dit, toutes les espèces versées par Jurron et Delastre sont utilisées pour le paiement des ouvriers. A partir du moment où ils ne versent plus aucunes sommes à François Genet, celui-ci n’a plus les liquidités nécessaires pour verser leurs salaires à ses ouvriers. C’est probablement ce qui s’est passé en août 1878, après le dernier versement en espèce. A partir de ce mois, les ouvriers ne sont plus payés et leur action va précipiter la chute de François Genet. Avant de poursuivre, on peut se demander pourquoi Jurron et Delastre décident de lui « couper les vivres » ? Peut-être parce que les créanciers se montrent de plus en plus pressants ? Peut-être parce que l’échec du concordat montre que la situation vis-à-vis des créanciers est sans issue ? Quel a été le rôle exact de Jurron et Delastre, on ne le saura jamais, mais vu la dépendance de François Genet à leur égard, ils tenaient son destin économique entre leurs mains. A leur décharge, la situation paraissait difficilement tenable, avec une activité qui ne générait quasiment pas de profit et une dette globale de plus de 26 000 francs, soit plus que ce que François Genet a pu facturer en 10 mois d’activité. Enfin, Jurron et Delastre se sortent sans dommage de cet arrangement, car François Genet ne leur doit pas d’argent après la cessation d’activité.
Le 9 septembre 1878, il livre sa dernière marchandise. Les ouvriers, qui n’ont pas touché leurs salaires, demandent leur dû par exploit d’huissier le 21 octobre 1878. La procédure de déclaration de cessation de paiement et de faillite est engagée.
- Ce document trouvé dans le dossier de faillite de François Genet est la seule trace écrite que nous possédons de lui, en dehors de sa signature. Rédigé à la première personne, il conteste l’arrêté des comptes des associés Jurron et Delastre du 20 juillet 1878. On y voit un homme à l’écriture fluide, à l’orthographe correcte (seul l’accord du participe passé avec l’auxiliaire avoir n’est pas fait), avec une aisance certaine à manipuler les chiffres et les principes de base de la gestion des affaires.
La faillite
Suite à l’assignation des ouvriers, le 31 octobre 1878, le tribunal de Belley déclare François Genet, épicier et fabricant de chaux, en état de faillite et nomme un juge-commissaire, Léon Juvanon du Vachat [10] 37, et un syndic, Marin Legrand, greffier au tribunal de Belley. La machine judiciaire est lancée. De procédure en procédure, elle va se dérouler sur un an. On peut suivre, acte après acte, le parcours judiciaire de François Genet à travers les annonces légales de la dernière page du Courrier de l’Ain [11], donnant une publicité à l’anéantissement des rêves et des espoirs d’un homme qui a peut-être imaginé qu’il pouvait rejoindre le monde de cette bourgeoise industrielle en plein essor qu’il voyait autour de lui à Virieu-le-Grand et que sa surface financière, très certainement insuffisante, obligera à revenir à la réalité et à la situation sociale de ses pères.
En décembre, François Genet fait un point de sa situation devant le syndic de la faillite. Il estime son actif, essentiellement immobilier, à 13 060 francs et le passif, représenté par les dettes qu’il a auprès de 47 personnes ou sociétés, à 21 674 francs. Et pourtant, le montant des dettes ne s’arrête pas là. Pendant plus de 10 jours, du 11 janvier au 20 janvier 1879, défilent au tribunal de Belley, devant les différents juges et François Genet lui-même, tous ceux qui souhaitent faire valider leurs créances dans le cadre de la faillite. De nouveaux créanciers viennent, d’autres ne se présentent pas. Ce sont 42 créanciers qui se présentent pour un total de 19 417 francs. Si on ajoute ceux que François Genet a identifiés et qui ne se sont pas présentés, on arrive à 69 créanciers, pour un montant total des créances de 26 124 francs. Qui sont ces créanciers ? Neuf d’entre eux sont des personnes du pays envers qui il a des dettes : billets à ordre, solde de ventes de terrains, etc. Ensuite, ce sont 14 artisans locaux à qui il doit souvent des petites sommes pour services rendus ou fournitures : serrurier, charron, ferblantier, voiturier, potier (Jean Louis Silbereissen, fabricant de poêles de faïence à Belley), etc. Pour son activité d’épicier, il a des dettes vis-à-vis de 16 fournisseurs qui, pour 14 d’entre eux, se trouvent à Lyon. Ils lui ont fourni de l’épicerie, de la confiserie, de la mercerie, de la droguerie, de la quincaillerie, de la toile, de la bonneterie, etc. Enfin, il doit des sommes souvent importantes à 12 fournisseurs directement liés à son activité de fabricant chaux, tant pour la mise en place de la fabrication (entrepreneur, fabricant de briques réfractaires, de matériels, etc.) que pour les consommations de son activité (fournisseur de charbon, de sacs en toile de jute, etc.). Signe que cette nouvelle activité lui a élargi son horizon, on les trouve géographiquement plus dispersés, avec même un fournisseur installé à Picquigny dans la Somme, mais aussi à Genève, Saint-Etienne, Grenoble. Je ne reviens pas sur les neuf ouvriers dont nous avons déjà parlé, ni des dettes qu’il a vis-à-vis de son frère Claude et de son beau-frère Grégoire Pugieux, suite aux prestations qu’ils lui ont fournies. Pour finir cette litanie, je mets à part E. Hyacinthe, fabricant de billards, 9-11, cours Bourbon à Lyon. François Genet a-t-il acheté un billard pour son usage personnel ? Meuble un peu surprenant quand on connaît ses origines, mais peut-être volonté de marquer sa promotion sociale.
La procédure, inexorable, se poursuit par la saisie de ses meubles et de ses biens immobiliers. Le dimanche 23 mars 1879, tout son mobilier est proposé aux enchères dans son domicile de Virieu-le-Grand : « Vitrine et tiroirs de magasin, banques, bascules, balances, horloge, vaisselle, batterie de cuisine, bonbonnes, futailles, cuves, chariot à quatre roues, tombereau, brouettes, harnais, sacs vides, quantité d’articles de mercerie et d’épicerie, etc., etc. » [12]. Ses biens immobiliers sont vendus aux enchères devant le tribunal civil de Belley le 17 juillet 1879. Cependant, avant de voir le résultat de cette vente, revenons rapidement sur la situation de sa famille qui est, bien entendu, aussi entraînée dans ce « feuilleton » judiciaire.
Ses deux enfants du premier mariage, Philibert et Marie Françoise, avait obtenu leur émancipation en juillet 1878 [13]. En ce même printemps 1879, ils demandent que l’on procède au partage des biens communs entre leur père et leur mère décédée. Cela conduit à une deuxième vente aux enchères, le 7 août 1879, trois semaines après celle résultant de la faillite [14]. Entre autres biens, c’est la maison familiale qui est alors proposée aux enchérisseurs. Enfin, dernier épisode avant la liquidation finale, Clotilde Genet demande la séparation de biens. Elle l’obtient le 17 juin 1879. Même s’il est difficile d’en déduire la nature exacte de la relation entre François Genet et sa femme Clotilde, il faut probablement plus y voir un signe de confiance et d’intérêt bien compris pour les deux. Ainsi en ces printemps et été 1879, se joue la dernière partie de la « saga » de François Genet à Virieule-Grand.
Lors de la première vente aux enchères qui propose tous les immeubles en sept lots, Clotilde Genet se porte acquéreur de quatre lots, pour la somme de 900 francs. On comprend l’intérêt de la séparation de biens et la confiance mutuelle qu’il devait y avoir entre eux [15]. Dans la seconde vente aux enchères, c’est le père de Clotilde, Jean Genet, qui se porte acquéreur de tous les lots proposés, dont la maison familiale, pour 3 875 francs. N’y a-t-il pas de la psychologie du joueur chez François Genet ? En effet, même « lessivé », il espère toujours se « refaire » ! En achetant ces lots (Jean Genet est probablement un prête-nom pour son gendre), il prend un engagement de plus de 4 700 francs, somme énorme lorsqu’on sait qu’il doit déjà plus de 26 000 francs et que cette somme viendra en surplus.
Est-ce pour cela qu’un ancien notaire et un propriétaire de Virieu-le-Grand s’associent pour surenchérir dès le 30 juillet sur les lots attribués à Clotilde Genet ? C’est peut-être pousser loin l’hypothèse que de penser que les notables de Virieu-le-Grand ne souhaitaient plus voir « sévir » François Genet dans la région après avoir laissé tant de dettes. Lors de la liquidation finale de la faillite en 1882, seuls 192 francs seront distribués aux créanciers pour un passif total de 19 506 francs. Autrement dit, les créanciers n’ont recouvré que 1 % de leurs créances !
Cela peut laisser quelques ressentiments. Le rêve de François et Clotilde Genet de rester à Virieu s’évanouit. Ils abandonnent le combat. Lors de la vente sur surenchère le 13 septembre 1879, Clotilde Genet ne tente pas de suivre. Dans le même temps, Jean Genet s’empresse de trouver un acquéreur pour les lots qui lui ont été attribués. Il les vend à Antoine Gojoz, cordonnier de Virieu, le 17 septembre 1879 [16]. En cette fin septembre 1879, plus rien ne lie François et Clotilde Genet à Virieu-le-Grand, hors leurs familles respectives. Une nouvelle vie commence, plus précaire.
- Le tribunal de Belley
- Le numéro du 21 juin 1879 du Courrier de l’Ain annonçant la vente des biens de François Genet, suite à sa faillite.