Rappel : Danièle Treuil, fille de Georges Pras (1902-2004), fils de Stéphane
(1873-1955), fils de Claude Jeune (1826-1905) et neveu de Claude aîné (1808-1883), tous deux, fils d’Antoine (1779-1842), fils de Claude Pras et Marie George, décédés tous deux en 1818.
Avec les nouvelles dispositions inscrites dans la loi, les biens hérités des parents d’Antoine, Claude Pras et Marie George, ont donc été partagés à parts égales entre les neuf enfants, hors le quart préciputaire dont Antoine a bénéficié. S’il veut augmenter son lot, il doit dédommager ses frères et sœurs. Il n’y a pas de banque et il faut se débrouiller pour trouver de l’argent. Il se lance dans une opération propre à lui en apporter. Mais le bien de Borgeas est trop important et sa tentative ne suffit pas. Il sait qu’il lui faudra attendre pour reconstituer un domaine. Pendant plusieurs années, des mouvements d’argent et des ventes sont opérés entre les frères et sœurs.
Antoine est, pour l’instant, obligé de partager, notamment avec les époux des sœurs mariées, ce qui entraîne un voisinage difficile, source de nombreux procès.
Il serait long et fastidieux de les reprendre tous. J’en ai choisi quelques-uns, qui me paraissent significatifs. Pour ceux-là, je reprends ici quelques passages des actes qui les concernent. Il est intéressant, me semble-t-il, de découvrir les formules juridiques de l’époque, qui nous renseignent sur les mentalités, les précautions prises pour que rien plus tard – en principe - ne soit remis en question et sur la nécessité d’employer des formulations redondantes : le notaire qui lisait l’acte se devait d’être bien compris ; il ne faut pas oublier que les gens parlaient patois, entendaient mal le français et ne savaient pas toujours lire.
Trouver de l’argent
Emprunter pour acheter
Après le partage, le 13 octobre 1819, Antoine fait l’acquisition à Guyonnet, un village proche de Borgeas et de Brunon (quelques minutes à pied), de biens appartenant à Romain Perret. Il a hérité déjà de sommes en espèces et surtout il a emprunté le 19 août à une dame rentière, demeurant à Roanne, la somme de deux mille francs qu’il va lui rembourser avec intérêts sous forme de rente. L’intérêt est à 5 % à cette époque. C’est pratique courante : celui qui veut emprunter assure une rente annuelle au prêteur, dont le montant équivaut à l’intérêt annuel de la somme empruntée. La rente est garantie par une hypothèque.
Se « vêtir »…
Antoine achète ainsi une maison et ses dépendances, un jardin, un chenevier [1] et un pré contigu et encore un autre pré, appelé le Grand Pré Peccalion de la contenance à faire environ huit chards de foin. Perret s’engage, selon la formule consacrée dans ce type d’acte, “à maintenir et garantir le bien, l’en faire jouir en paix envers et contre tous, tant au pétitoire qu’au possessoire (c’est-à-dire tant en qualité de demandeur que de défendeur lors d’une action judiciaire éventuelle) ; après quoi, il s’est dévêtu des dits immeubles et en a revêtu l’acquéreur, qui en jouira comme il en a joui depuis environ deux mois. Se vêtir et dévêtir, une jolie formule je trouve qui montre combien le paysan ne faisait qu’un avec sa terre.
La vente est consentie pour deux mille francs. L’acte est passé devant le notaire Bernard. Mais une quittance établie par Romain Perret nous apprend cependant pour la vente que j’ai passée ce jourd’hui, le prix n’est porté que de deux mille francs. La vérité est que ledit prix est de quatre mille francs et que j’ay reçu aussy ce jourd’huy dudit Pras deux mille francs en sus (le 13 octobre 1819).
Se « dévêtir »…
En fait l’année suivante, le 6 mai 1820, Antoine et sa femme revendent à Claude Coppéré une partie du bien récemment acquis, par devant le même notaire Pierre Joseph Bernard. Selon la formule usitée depuis des siècles - puisque nous la retrouvons dans les actes les plus anciens en notre possession - ils ont par les présentes vendu, cédé, quitté, remis et transporté (on observe la formulation redondante) purement et simplement, et irrévocablement... les biens en question, en agissant de gré, libre volonté et solidairement sans division, ni discussion…. les vendeurs se réservent un passage pour desserte d’un pré, dont ils pourront user avec bêtes liées et déliées, chars et charretes et, pour l’irrigation, les eaux qui passent à la tête du pré suspendue dans le grand béat, à l’exception d’un jour qui sera depuis le lundi soleil levant jusqu’au mardy soleil devant, qui appartiendra à l’acquéreur. On remarque l’importance des droits de passage et des prises d’eau, préservés pour Antoine, qui garde des terres jouxtant celles qu’il vend.
Toucher des intérêts
Le prix est de 1800 F. Antoine et Claudine reçoivent une partie de la somme comptant - 500 F- et le reste sera payé à tempérament, à chaque Saint Michel l’Archange, 300 F chaque fois. L’intérêt est toujours de 5 %, On observe qu’on prend encore date, comme dans l’ancien régime, à partir de la St Michel, qui se situe le 29 septembre, après les récoltes.
Pour la sûreté des présentes, chaque partie affecte les biens qu’ils possèdent, l’acquéreur - outre les biens qu’il vient d’acheter - ceux qu’il possède à Guyonnet et aux environs de St Just ; Antoine, son domaine Borgeat et les biens possédés aux environs (précaution utile : pour éviter que les parties ne changent d’avis et se rétractent). Le coût de l’acte est de 108 F 90 centimes.
Une opération, plusieurs bénéfices…
L’opération est sûrement rentable. Il est à penser en effet qu’Antoine réalise un bénéfice entre le prix d’achat qu’il a payé pour cette parcelle, qu’il travaille et améliore depuis un an, et son prix de vente ; de plus, les intérêts qu’il va toucher de l’acquéreur, sur les 1300 F. restant à payer, vont compenser en partie ceux versés à la dame rentière... Et plus important, les terres qu’ils gardent sont sûrement très proches de celles qui relèvent de la ferme Borgeas et des biens dont il a la jouissance à Brunon ; c’est une façon d’agrandir son domaine. Là surtout, il sera propriétaire à part entière.
Le temps des échanges
Pour rappel :
Le 3 avril 1820, le frère Jean, résidant à Feugère, celui qui est dit « Jean Bérand » dans les actes, le cadet d’Antoine de quatre ans, vend à ce dernier « tous les biens mobiliers, bestiaux ou argent, denrées et obligations qui lui reviennent dans les successions de feu Claude Pras et Marie George », pour le prix de quatre cent cinquante francs, laquelle somme ledit Jean Pras « reconnaît et confesse avoir reçu d’Antoine Pras, tant cy devant que présentement, dont quittance finale et générale”. Jean Pras, sommé de signer, a déclaré ne savoir le faire. Il a sans doute à disposition les biens revenus à son épouse. Il est marié depuis 1813 à une Claudine Pras, d’une autre lignée (pour retrouver l’ancêtre commun, il faut remonter 6 ou 7 générations).
Le 28 janvier 1821, Antoine est mandaté par son frère Claude, curé à Monsol, pour vendre la part de ce dernier (ou une partie) à leur sœur Catherine et à son époux Nicolas Épinat : une maison et son jardin attenant, situé à Borgeas. Ladite maison est composée d’une cuisine, une chambre au dessus, un fournil, une chambre à côté et une chambre dans tout le dessus du fournil .. ledit jardin est de la contenance et superficie de vingt-quatre mètres, sauf meilleurs confins [2]. Le bien est vendu, selon l’expression consacrée avec toutes ses entrées, sorties, jours, égouts ordinaires, arbres de clôture, aizances et dépendances… C’est un peu plus d’un an après que Nicolas ait réclamé à Antoine la part d’héritage de sa femme Catherine. A l’époque ils habitaient Brunon. Là aussi, des précautions sont prises pour préserver la propriété de chacun : il est convenu que les acquéreurs ne pourront ouvrir, ny prendre aucun jour sur la cour dudit Antoine Pra, ny sur le petit espace de terrain dont il s’agit ; pourront néanmoins les acquéreurs continuer de construire le four commencé, sans que les acquéreurs puissent le faire plus grand et sans qu’au surplus rien ne puisse changer à ce qui doit être pratiqué par ledit Antoine, qui est un portail pour l’entrée de la cour, ainsy qu’il est déterminé, et qu’en aucune manière ils puissent interrupter le passage existant actuellement. Ladite vente est consentie pour le prix de six cents francs, qui se compense en partie avec les sommes qui sont dues aux mariés au titre de la succession. A partir de ce moment Antoine et les Épinat deviennent voisins.
Le 9 février 1826, Antoine acquiert pour cent francs de sa sœur Marie, épouse Laurencery, habitant St Romain d’Urfé depuis son mariage quinze ans plus tôt, une terre et une petite chenevière d’environ onze ares, situées au lieu de Borgeas, mais c’est peut-être une opération forcée car le bien est vendu au serpolet, ce qui signifie aux enchères (Marie ne sait pas signer). Marie a eu une douzaine d’enfants jusqu’à ce moment, dont quatre sont morts, parmi lesquels trois garçons ! La vie doit être rude pour le jeune couple marié le 5 septembre 1811 et qui vit depuis sur la paroisse de St Romain d’Urfé.
Pendant toutes ces années, Antoine verse à son beau-frère Épinat, les sommes prévues par les contrats antérieurs, pour assurer la dot de sa sœur, à savoir dans les années 1820-1822 (près de 2 300 F).
On remarquera qu’il est tantôt question de livres, tantôt question de francs. La livre est la monnaie du roi. Le franc a été institué avec la Révolution, par la convention nationale en 1795. Il a alors été étalonné par rapport à son poids d’argent ; la loi du 7 avril 1803 (17 germinal an XI) va lui attribuer une valeur or (0,322 g d’or fin). Depuis cette date, on peut considérer que la livre et le franc ont la même valeur.
Les démêlés avec beaux-frères
C’est le temps des échanges et des ventes, mais aussi celui des disputes ! Tantôt c’est Antoine qui est mis en cause et doit se défendre ; tantôt c’est lui qui porte plainte. Je prendrai une seule affaire un peu en détail, pour expliciter le déroulement de la procédure, les rebondissements, les intervenants divers.
Les instances de recours
En matière de justice civile, une nouvelle instance est apparue depuis la Révolution : la justice de paix. C’est le premier recours. Après, on retrouve le système ancien : le tribunal de première instance, qui siège dans les villes déterminées par la loi, en l’occurrence Roanne ; puis les cours d’appel, installées quant à elles dans les villes où avaient siégé les anciennes cours souveraines de la monarchie (Montbrison). Les jugements y étaient rendus par sept magistrats au moins !
Antoine contre Épinat et Brat, ses beaux-frères :
Le Grand Pré et le Fond Rui
Au moment du partage, il avait été précisé dans l’acte final des experts : quant aux droits de passage, ils seront à la manière accoutumée, néanmoins ils seront pratiqués dans et les endroits le moins dommageables de chaque immeuble... Les eaux seront partagées et chacun en jouira proportionnellement à sa grandeur.
Très vite, les disputes sont âpres avec les beaux-frères Épinat et Brat, qui se trouvent aussi être depuis peu les voisins d’Antoine à Borgeas, compte tenu du partage successoral, lequel malgré l’intervention des experts n’a pas satisfait toutes les parties et, de ce fait, entraîné rancœurs et procédures.
Première dispute
La première dispute éclate en février 1820, à peine plus d’un an après la succession, avec la sœur Françoise, mariée à Romain Brat. Ces derniers ont hérité d’une terre située à Borgeas appelée le grand pré, qui comporte pâturage et marais, de la contenance de 78 ares, 90 centiares. Antoine y a fait paccager ses bêtes, qui ont détruit le regain et ils réclament quarante francs d’indemnités. Antoine se défend, en prenant acte que cette terre a bien été relâchée aux mariés Brat, comme cohéritiers, à la forme du partage qui en a été fait par les sieurs Sardaine et Oblette, experts ; mais qu’il avait passé convention avec les mariés Brat pour jouir du regain l’année précédente, à cause de la sécheresse, qu’à raison de ce, il les tiendrait quittes du rapport, soit des sommes pécuniaires, soit du trousseau qu’ils avaient reçu en avancement d’hoirie. Le juge considère que la valeur du regain est due au demandeur, mais que la demande de quarante francs paraît exagérée. Il condamne Antoine à vingt-quatre francs.
Six ans plus tard…
En février 1826, éclate un nouveau différend avec le même Romain Brat, qui fait cause commune avec l’autre beau-frère Nicolas Épinat, tous deux entre-temps devenus veufs. Les sœurs d’Antoine ne sont plus là pour apaiser les tensions et servir de médiatrices, comme elles l’avaient sans doute fait pendant quelque temps. D’ailleurs l’un d’eux Romain Brat, est remarié depuis 1823. Toujours est-il que depuis le printemps, les beaux-frères ont changé le passage qu’ils empruntaient régulièrement pour se rendre à leurs champs situés à Guyonnet et Antoine les assigne devant le juge de paix, car ils saccagent les terres de son pré appelé Font-Rui. Notre arrière-grand-père, Claude Jeune vient tout juste de naître, alors que Claude-Marie, âgé de trois ans vient de mourir. Antoine a quarante-sept ans et une nombreuse famille à élever. Il défend âprement ses intérêts.
“...depuis le printemps de cette année, les sieurs Épinat et Brat ont voulu changer le chemin, pour aller dans leurs deux terres, ils ont pris le chemin qui conduit du village Borgeas au village Rimaud, puis ils entrent dans une terre à Chantelot et enfin ils trouvent le pré dudit requérant ci-dessus désigné, qu’ils traversent avec chars et charrettes et avec bêtes liées et non liées ; le requérant croyant que lesdits Épinat et Brat se rendraient à la raison et respecteraient sa propriété, leur fit défense verbale de continuer de passer par le pré dont il s’agit, en même temps il fit une clôture avec du bois mort, pour empêcher que l’entrée dans son pré fut praticable ; mais ils ont agi différemment ; ils ont poussé l’audace jusqu’à renverser et arracher la clôture dont il s’agit et ils continuent de passer comme auparavant. Ce passage dégrade entièrement le pré du requérant et les dégradations qui en résultent causent un grand dommage audit requérant, qui doit en obtenir la réparation en assignant les auteurs de ces dommages devant la justice de paix suivant l’article l0 du titre de la loi du 2l août 1790....”
Antoine réclame cent francs de dommages et intérêts. Le 27 juillet de la même année Épinat et Brat sont condamnés à payer la somme symbolique de trois francs… et aux dépens. considérant :
- qu‘il ne peut être établi qu’ils ont passé eux ou les leurs dans le pré de Pras, depuis l’an et jour pour le service de leurs terres.
- considérant qu’ils sont dans le cas de réclamer un passage sur les fonds de Pras, attendu que leurs terres n’ont aucune issue sur la voie publique
- considérant enfin que les dommages demandés sont exagérés...
Un expert est nommé
Finalement, un expert est nommé en effet, qui conclut de procédder à la vériffication de l’enclave et avons reconnu que les fonds des dits Épinat et Brat étoient entièrement enclavés, sans aucune issue sur la voie publique et ces derniers nous ont fait observé que leurs fonds leur avoient été relachés de la succession du père pras...et qu’ils pratiquoient comme lui, passant alternativement sur l’une ou l’autre terre…
Finalement, le juge de paix se déclare incompétent, d’autant plus qu’il est question dans le même jugement d’une autre affaire, qui concerne la propriété d’un tertre séparatif de deux champs, sur une terre dite du Brosset. Antoine avait assigné également Épinat à ce sujet : pour s’être permis depuis environ neuf mois de détruire le tertre dépendant de la terre du requérant et séparatif du pré, marais et brousailles dudit Épinat, pour que déffense soit faite à ce dernier de récidiver comme aussi qu’il sera tenu de remettre les choses dans leur premier état.
Le juge traite les deux affaires le 12 novembre en même temps, ce qui est négatif pour Antoine, car le deuxième point est une question de propriété qui ne relève pas de la compétence de la justice de paix.
Consultation auprès de « légistes »
Depuis quelque temps, Antoine fait appel pour se défendre à un légiste, étudiant en droit, dénommé Cros. En juillet 1826 - débordé sans doute par toutes les procédures en cours – il constitue un certain Jean Baptiste “Charrein”, pour son mandataire général, afin de faire tous dire, observations, réquisitions qu’il avisera en tout ou partie, transiger, recevoir ou passer quittance, constituer avoué et avocat, en révoquer et, généralement, faire pour ledit Pras tout ce qu’il jugera convenable… Antoine promet d’agréer le tout et de l’indemniser.
C’est alors que Charrein reçoit enfin en octobre la réponse du légiste Cros, qu’il avait appelé en consultation dès le mois d’août !
Les échanges de lettres
Réponse de Cros à Charrein
Après avoir examiné l’affaire de Pras avec son beau-frère Épinat, je crois que le juge de paix a mal jugé par son jugement du 12 novembre dernier, puisqu’en 1826 il a condamné Épinat, il devait le condamner en 1827, car Épinat n’a pu acquérir de droit depuis qu’il a été condamné en 1826.
Au surplus, le juge de paix ne pouvait s’empêcher de condamner, à moins qu’Épinat n’eût rapporté un titre lui donnant le droit de passer ; n’ayant pas un pareil titre, je crois que Pras peut interjeter appel et qu’il doit espérer de gagner à Roanne.
Si j’ai tant tardé à vous répondre, c’est que j’ai déménagé ; je suis maintenant chez moi et cependant ma nomination n’est pas encore arrivée.
signé : Cros.
Antoine Pras interjette appel en effet devant le tribunal civil de première instance de Roanne le 27 décembre 1827 et là “pras les attend” déclare Charrein. Nous n’avons pas le jugement, mais on peut penser : soit, qu’Épinat a été condamné une nouvelle fois, à moins que l’affaire se soit finalement arrangée entre eux ; soit qu’ayant perdu, Antoine n’ait pas cru bon de garder le verdict. Cette deuxième hypothèse est plus vraisemblable, car je pense que Cros a mal conseillé Charrein et Antoine : les beaux-frères n’avaient pas d’autre accès à la voie publique.
D’autres affaires…
Elles sont nombreuses à cette époque. Antoine doit faire face de tous les côtés…
C’est par exemple Pierre Chantelot, qu’Antoine assigne en justice en 1827 car il a pris fait et cause pour un certain Lauberas qui passe depuis presque un an lui aussi sur l’une de ses terres, dite du Rochat, dont il a débouché l’entrée, causant des dommages à la récolte pendante en avoine. Or Chantelot soutient que cette terre est à lui et qu’Antoine n’a rien à dire. L’affaire passe devant le juge de paix le 28 août 1827. Le juge de paix reprend les faits et rend ses conclusions. L’affaire coûte : cinq francs, 43 centimes. Elle est enregistrée le neuf novembre 1827 pour un coût 2 francs 20 centimes.
Le moment est mal choisi. Antoine est en grand souci comme nous savons avec son fils aîné, mon arrière-grand-oncle. Ce n’est peut-être pas étranger au fait qu’il accepte une conciliation avec celui – qui plus est – va devenir son beau-frère en 1829, car il épouse la petite sœur Marie. Nous apprenons en effet par une lettre du 17 septembre 1827 entre Cros et Charrein que Pras et Chantelot ont traité hier, ainsy je vous prie de suspendre toute poursuite et en même temps dites-moi combien il vous est du. Chantelot doit payer les frais.
Tout cela coûte cher
Bien sûr, toutes ces procédures ont un coût et font le profit des hommes de loi, Les huissiers sont particulièrement débordés, eux qui remettent les assignations, en se rendant au domicile des parties, où ils se sont tout exprès transportés, en parlant à la personne ou à quelqu’un du logis, enfant, domestique, avant de remettre copie de leur présent (entendez par là l’assignation à comparaître). De nombreuses professions fleurissent un peu partout, notamment celle de « conseillers, légistes » ou avoués… On est dans une période de transition, où le droit n’est pas très clair pour beaucoup, ni le champ d’intervention des différentes instances, comme celle de la justice de paix.
Des témoins parfois récalcitrants
Pour les témoins cités chaque fois, c’est une grosse contrainte, surtout quand ils doivent se rendre au tribunal de Roanne, à presque quarante kilomètres, pour être présents tôt le matin. C’est au moins une journée de perdue. C’est aussi prendre parti et se créer sans doute des inimitiés futures... Malgré l’indemnisation, on constate qu’un grand nombre est récalcitrant et est menacé de réassignation, avec amende.
Comme Antoine, ils ne prennent sans doute pas la diligence (qui s’arrête à l’époque quatre fois par jour à St Just), ce qui est source de dépenses supplémentaires, mais plutôt la charrette tirée par une ou deux vaches, à moins qu’ils n’aient été à pied. Il faut alors plus d’une journée ! La route est peu sûre.
Les attaques à main armée sont encore fréquentes ou bien les traquenards commencent de façon plus anodine. Le voyageur est invité à prendre un vin chaud, dans une des nombreuses auberges qui jalonnent le parcours. Là il est dévalisé, quand il n’est pas occis. L’écho de la Loire du 20 et 23 décembre 1834 relate de nombreuses histoires de cette sorte. Mais on peut penser qu’Antoine est trop malin pour se laisser prendre et qu’il se débrouille pour ne pas susciter les convoitises, ce qui ne fut pas le cas du mari de l’une de ses petites-filles, qui fut assassiné en 1903 en revenant de la foire de Roanne, où il avait vendu quelques bêtes. Nous avons appris depuis qu’il y avait peut-être eu erreur sur la personne ! On comprend qu’Antoine ait voulu se faire représenter, d’autant plus que d’autres procès sont en cours à ce moment-là.
Constituer un réseau
Pour s’en sortir, il faut pouvoir s’appuyer sur un réseau… des professionnels du droit certes, mais aussi des parents et notables. Rendre service, pour pouvoir en retour y trouver quelques bénéfices : emprunter de l’argent, obtenir des témoignages, favoriser des échanges de terres… Les réseaux qui s’étendent souvent sur plusieurs générations, comme dans l’autre sens les inimitiés et les querelles. C’est dans la perspective de conforter son réseau familial, qu’Antoine se porte caution d’un parent déjà un peu éloigné.
Être caution
Pendant toutes ces années, Antoine est caution d’un certain Antoine Treille, lequel doit de l’argent à Etienne Georges, lui-même débiteur de Romain Perret. Deux documents concernent cette affaire, mais l’un d’eux est très difficile à déchiffrer. On comprend cependant que le dénommé Treille a acquis un bien du sieur George, qu’il paye à tempérament, moyennant intérêt depuis 1809. Apparemment, il n’a pas payé comme il convenait, puisqu’en février 1815 une action est intentée à son encontre et à celle d’Antoine, qui s’est porté caution solidaire. La somme en jeu est de six cents francs, plus les intérêts. Un mois plus tard, le 17 mars 1815, la dette est éteinte. Romain Perret veut s’assurer que les débiteurs d’Etienne Georges ont bien payé leurs dettes et il réclame la quittance pour justification… Ces textes montrent l’imbrication des intérêts d’une famille à l’autre. Les Treille sont des cousins, qui étaient présents en 1808 comme témoins lors du contrat de mariage entre Antoine et Claudine (la grand-mère paternelle d’Antoine est née Treille) et les George représentent la famille maternelle. On est dans le même réseau de parenté. La société se tient les coudes, question d’intérêt, mais d’honneur aussi, comme nous l’avons dit.
En 1828, Antoine est toujours caution de son cousin Antoine Treille de Ranvé, puisqu’il paie pour lui le 18 juin le terme de la ferme eschue à la Noël dernière que ce dernier doit à Claude Treille de Crémeaux, soit 257 F. Claude Treille se réserve le droit d’exiger le surplus soit des mariés Treille et Pion, soit de Pras... subrogeant (alors) Antoine dans tous ses droits, place, privilège et hypothèque.
Claude Treille a semble-t-il sous-loué à Antoine Treille, sous la caution d’Antoine Pras. Il a de l’argent pour faire des transactions et sans doute ne possède plus le savoir faire pour cultiver lui-même. Comme Romain Perret, mais à une moindre échelle, c’est un brasseur d’affaires.
S’appuyer sur un notable
On constatera à plusieurs reprises que le sieur Perret intervient dans les affaires d’Antoine, notamment pour lui prêter de l’argent. La Famille Perret, vieille famille de St Just, a permis au bourg de ne pas perdre pendant la Révolution la chapelle Notre-Dame du Château et l’Église St Thibaud, en achetant en l’an 1791 la première et en louant la seconde, avec l’intention de les restituer à la Commune quand l’orage serait passé, ce qui fut fait. Ils furent plusieurs, de père en fils, à tenir le relais de poste de St Just, particulièrement important, à mi-chemin dans la montagne entre Roanne et Thiers. Un certain Romain Perret devint plus tard, le 21 novembre 1816, maître des postes sur la route de Paris à Montbrison. Mais nous pensons que le Romain Perret de notre histoire est son frère aîné, car il est quelquefois nommé “Romain Perret aîné” et il est toujours noté comme propriétaire négociant et non comme maître des postes. C’est de toute façon une famille de notables importants et c’est, pour Antoine, un soutien sûr.
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