11 - Pour Claude Jeune, nouvelle aventure professionnelle dans le monde du sabot
Au moment du mariage, notre arrière-grand-père ne travaille plus avec son frère aîné qui s’est installé comme brossier l’année précédente, aidé en cela lui aussi par sa belle-famille. La voie des étoffes, qu’ils ont explorée semble-t-il depuis leur arrivée à Lyon, ne leur a pas permis vraiment de réussir, puisqu’ils ont fait successivement plusieurs tentatives si l’on en croit les allusions de Galerne. Manquent-ils d’expérience, de relations surtout dans ce domaine ? Leurs affaires ne sont pas florissantes et Claude s’inquiète sans doute pour l’avenir, maintenant qu’il a charge de famille. La nouvelle activité qu’il va entreprendre est peut-être moins concurrentielle, que celle des tissus au pays de la soie, et surtout il va pouvoir s’appuyer sur un réseau et des gens expérimentés.
Le monde du sabot : du savetier à l’entreprise
Au début du XlXe siècle, toute la France rurale allait encore en sabots et aussi le petit peuple des villes. Il ne faut pas oublier que la Révolution de 1789 s’était faite en sabots. Seules, les classes aisées portaient des chaussures, fabriquées sur mesure par le cordonnier et plus tard le bottier. Mon père (né en 1902) se rappelait qu’en 1913, à la veille de la guerre de 14, il allait à l’école comme ses petits camarades en galoches ou en sabots, avec un chausson à l’intérieur. On mettait les souliers pour sortir. Les adultes de sa famille se rendaient à cette époque chez le bottier. Les premières vraies chaussures de série furent les "godillots", du nom de celui qui les a promus et qui chaussa tous les soldats pendant la première guerre mondiale [1].
Le sabot est tout en bois, dessous-dessus, parfois décoré et vernis, tandis que la galoche est une chaussure montante, dont seule la semelle est en bois. Elle a un dessus en cuir moulé. Pour les femmes, on fabriquait des galochettes, avec petits talons et brides de cuir sur le dessus pour les maintenir bien au pied. Les sabots se vendaient par "grosses", constituées chacune de treize douzaines (3 dz hommes, 8 dz femmes + 2 dz enfants) pour un prix moyen quand ils étaient en hêtre de 36 à 40 F (en 1859). Ils pouvaient être aussi en noyer ou, pour les plus communs, en bouleau, saule ou tilleul, des bois faciles à creuser.
Les sabots étaient fabriqués à la pièce par des savetiers, dont chacun avait son savoir-faire. On reconnaissait le savetier à son sabot. Dans les villes, certains eurent l’idée de s’installer "marchands en gros", faisant fabriquer par des artisans à leur échoppe et regroupant la production pour la vendre à des détaillants. Ce fut le cas, semble-t-il, du père Chapolard, évoqué dans l’épisode 9, et que nous allons retrouver ici. L’étape suivante était de devenir soi-même fabricant, en regroupant les savetiers dans des ateliers.
Histoire d’une entreprise, de famille en famille et de père en fils
Aucun document ne nous a été transmis par la famille concernant l’entreprise, sinon quelques photos, précieuses, et la croyance - qui s’est avérée inexacte - que l’arrière-grand-père Pras en était à l‘origine. Le tribunal de commerce n’a pas retrouvé les actes, pourtant référencés au nom de l’entreprise, à l’exception de deux. C’est grâce finalement à l’indicateur Henry, une fois de plus, trouvé dans ces mêmes archives, qu’avec mon époux nous avons pu patiemment, de page en page et à petits pas, retrouver l’histoire de ce commerce de sabots en gros, devenu fabrique avec notre arrière-grand-père… Je vais essayer de vous faire partager notre « déambulation », qui commence en 1832, date du premier annuaire, et s’interrompt quelquefois, car des années sont manquantes. Mais pour l’essentiel, on peut comprendre le mouvement incessant de ces petites entreprises au cours du 19e siècle et retrouver la place qu’a tenue notre arrière-grand-père, dans celle de sa belle-famille.
Au départ, une entreprise fondée par un galochier des Dombes
Ainsi, Claude n’a pas créé l’affaire. Quand son nom apparaît à la rubrique de l’entreprise, trois ans après son mariage, l’activité existe depuis plus de trente ans déjà, installée près de la rive droite de la Saône, 2 rue des Treize Cantons, dans le 5è arrondissement, un quartier commerçant et très animé au 17e siècle, du temps des marchands Lombards, devenu vétuste deux siècles plus tard !
L’entreprise a démarré semble-t-il avec Jean-Baptiste Chapolard, galochier de son métier. Il était natif de Chazay-d’Azergues à une trentaine de kilomètres de Lyon et avait, dans un premier temps, exercé son activité dans un bourg proche, Chatillon-d’Azergue, où il s’était marié en 1818 et où son premier fils était né deux ans plus tard, un dénommé César Auguste. En janvier 1825, nous le trouvons à Lyon quand lui arrive un nouveau fils, Henri, né le 24 de ce mois. Il est alors noté comme galochier, résidant 123 quai de la Batellerie, (devenu quai Romain Rolland aujourd’hui). Il a trente et un ans environ. Depuis quand est-il dans la ville ? Aucun autre enfant, semble-t-il n’est né entre les deux garçons, dont l’acte de naissance pourrait nous renseigner.
1835 - Chapolard entre dans l’annuaire
Il faut attendre l’annuaire Henry de 1835, dix ans plus tard, pour retrouver trace de la famille. Jean-Baptiste Chapolard apparaît alors pour la première fois comme marchand galochier, 2 rue des Treize Cantons. À ce moment, son fils aîné César a quinze ans. Il peut l’aider, d’autant qu’il sait lire et écrire, ce qui n’est pas le cas du père. C’est peut-être ainsi que ce dernier peut passer du stade de l’artisanat à celui du commerce et qu’il s’installe dans des locaux plus adaptés. En 1838, il est toujours à la même adresse, une adresse qu’il ne quittera plus ; seul son nom figure, pas question du fils qui a dix-huit ans.
1851 - le fils succède au père
Le temps passe… pas d’indicateur avant 1851. C’est alors qu’apparaît le nom du fils, César Auguste ; celui du père a disparu : depuis combien de temps ? après le mariage de son fils survenu le 18 août 1858 ? César, à ce moment, est noté comme « fabricant de sabots », demeurant rue des Treize Cantons [2]. Le père est « rentier », il a cinquante-huit ans. Je n’ai pas trouvé la date de son décès (peut-être en 1876 ?). César est rejoint un peu plus tard, sans doute dans les années 1860, par son cadet Henri, qui a donc laissé son métier de mercier : l’annuaire indique en effet à ce moment « Sabots et Galoches Chapolard Frères ».
1864 - la roue tourne
Mais en 1864, l’histoire recommence : César Auguste est porté à son tour rentier . Il a à peine quarante ans, il n’est peut-être pas en bonne santé, car il meurt quatre ans plus tard, le 6 juin 1868. Henri se retrouve seul. Mais l’entreprise continue à s’appeler « Chapolard Frères », ce qui embrouille un peu. C’est peut-être, dès la retraite de son frère en 1864, qu’Henri fait appel à son beau-frère Claude Pras, du même âge que lui, nouvellement marié à sa petite belle-sœur Marie Monnet. Il semble en effet nécessaire, pour que l’affaire tourne comme il convient, que deux personnes s’en partagent la responsabilité. Après la proposition du beau-frère, Claude a dû réfléchir quelque temps. Il fallait de toute façon qu’il liquide l’affaire qui l’occupait jusque-là. En mars 1865 en effet, on le trouve encore rue Désirée, au moment de la naissance de sa fille Marie
1867 - Le nom de Claude jeune apparaît sur l’annuaire
Nous situons l’entrée effective de Claude Jeune dans l’entreprise Chapolard en 1866, car en mai nous le trouvons installé rue des Treize Cantons. L’état de recensement le donne à cette adresse avec la composition de la famille. Les trois sœurs Monnet sont donc voisines. A ce moment, la maison est très pleine : en dehors des deux frères Chapolard, de leur famille et des domestiques (une par foyer), un Jean Chapolard, musicien contrebassiste au Grand Théâtre, mentionné dans plusieurs recensements, est également présent. Il déménage un peu plus tard pour s’installer 54 rue Monsieur (devenue rue Molière) correspondant au 3e et 6e arrondissement. En dehors de la question de place, on peut penser que les pleurs des bébés Pras et le brouhaha provoqué par les plus grands n’étaient pas compatibles avec l’exercice de la musique, et ceci dans les deux sens ! Nous n’avons pas pu établir le lien de parenté entre ce Jean Chapolard [3] et Jean-Baptiste [4].
C’est donc sur l’annuaire de 1867, que nous trouvons pour la première fois le nom de Claude, avec la mention "commis négociant chez Chapolard". Claude se trouve salarié de son beau-frère à moins qu’il ne soit déjà son associé.
L’immeuble est son lieu de travail et d’habitation.
1875/1880 - Tentatives pour trouver un associé
Nous sommes presque dix années après l’arrivée de Claude. Le père Chapolard et le fils aîné sont morts, Henri Chapolard est devenu rentier à son tour. Il décède d’ailleurs cinq ans plus tard en 1880. L’activité des Chapolard aura duré presque cinquante ans, l’âge de Claude. Ce dernier reprend l’affaire le 16 septembre 1875, avec le titre de « négociant », en créant la Société Pras et Compagnie. Il a besoin de capitaux, car il veut pouvoir devenir fabricant et nous découvrons, grâce à l’acte trouvé au Tribunal de commerce, qu’il s’associe alors à un certain Picollet. Claude habite toujours avec sa famille rue des Treize Cantons, où on les trouve domiciliés dans le recensement de 1876. Ce n’est plus pour longtemps.
L’association avec Picollet ne marche pas, puisqu’on retrouve Claude, le 18/1/1879, avec un nouvel associé, un certain Rongier, marchand de sabots en gros 2 rue des Treize Cantons, un voisin et sans doute un concurrent jusque-là. L’immeuble de la rue des Treize Cantons est vétuste, comme le quartier. L’entreprise déménage alors à la Guillotière, au domicile de Rongier, 153 rue St Élisabeth, future rue Garibaldi. On a franchi deux fleuves. Claude, pour se rapprocher sans doute, vient habiter dans l’immeuble des Monnet, à deux pas des nouveaux locaux de l’entreprise. Avec Rongier il décide en 1880 de commencer la fabrication de galoches. Il écrit à un neveu il m’est impossible de les acheter dans ce moment (il s’agit des parts que son frère décédé possédait à la ferme de la Bussière) à cause de l’argent qu’il me faut pour notre nouvelle fabrication de galoches ; j’aurais plutôt besoin de trouver de l’argent que d’en distraire de mon commerce, nous étant décidés à continuer la vente des sabots, brides et chaussons, tout en fabriquant des galoches, ce qui demande beaucoup de fonds… Nous savons que Claude n’a pas renoncé à son projet, mais nous apprenons que le 11 novembre la « Société Pras Jeune et Rongier », à peine créée, est dissoute ! Une mésentente avec un associé pour la deuxième fois ? Il ne semble pas, car la séparation - d’après le deuxième acte trouvé aux archives -paraît se dérouler à l’amiable, sans explication toutefois.
1881 - Claude est seul maître à bord
Il apparaît sur l’annuaire avec la mention fabrique de sabots et galoches Pras Jeune. Je ne sais pas à quel moment il quitte l’immeuble Monnet, pour s’installer avec les enfants au-dessus de la fabrique, toute proche. Les bureaux sont au rez-de-chaussée, l’appartement au dessus et les entrepôts dans une rue voisine. Une anecdote raconte que, lorsque les enfants faisaient trop de bruit, leur mère tapait sur le plancher avec une canne et le père montait remettre de l’ordre, sans vouloir connaître le fauteur de trouble. Pour lui, ils étaient tous également responsables.
À l’époque, sur les papiers à en-tête aucune référence n’est faite au nom de « Chapolard », contrairement à ce qui se passe après 1886 où l’on trouve la mention « Fabrique de galoches, sabots, brides et chaussons - ancienne maison Chapolard Frères - Pras Jeune - l53 rue Garibaldi - Lyon la Guillotière ». Henri Chapolard est mort depuis six ans. Claude a-t-il repris à ce moment la référence Chapolard ? Nous ne savons pas quelles ont pu être les négociations, les arrangements financiers et juridiques de cette transmission.
À partir de 1896, l’histoire recommence : les fils Pras entrent dans l’entreprise
Comme avec les Chapolard, l’entreprise passe progressivement de père en fils, avec des périodes de chevauchement. Il s’agit d’abord de Joseph, âgé de vingt-neuf ans, le fils second de Claude (l’aîné a choisi la voie de l’enseignement). Nous sommes en 1896. Claude a juste soixante-dix ans. Il est temps de passer progressivement la main. Joseph s’occupera de la fabrication et de la vente. Le père gardera en charge la comptabilité et la gestion. Mon Père Georges le revoit penché sur un grand lutrin, devant les « livres de doit et d’avoir » ou décrochant le combiné du téléphone, accroché au mur. Nous avons peine à le croire, car Georges n’avait à cette époque que deux ans et demi ! Pourtant il évoque souvent ces images, restées dit-il gravées dans sa mémoire. À moins que l’homme qu’il revoit soit tout simplement Joseph ou Stéphane, son père !
L’entreprise voyage à nouveau
L’entreprise s’est agrandie à ce moment, en déménageant 2 quai de l’Archevêché (ancien quai de la Batellerie) , puis en 1901 en s’étendant jusqu’au numéro 4, avec deux entrepôts un peu plus loin. L’entreprise figure déjà en 1896 dans l’annuaire, au nom de Joseph avec la mention fabricant de chaussures et galoches. En 1901, il est devenu fabricant de sabots, chaussons, brides, pantoufles et espadrilles. La mention « chaussures » a disparu, mais il a pourtant diversifié la production initiale, pour s’adapter aux évolutions. On poursuit surtout la fabrication.
L’entreprise se développe encore et s’installe cette fois au 25 quai de l’Archevêché, près du Palais de Justice, qui a été entièrement rénové au milieu du siècle, pour remplacer l’ancien palais construit au XVe siècle, à moitié en ruines. Les deux entrepôts déménagent aussi. La situation est très favorable, à l’angle du quai et de la place, avec un grand dégagement et le passage d’une clientèle plus nombreuse. Claude et Marie habitent juste à côté, au numéro 23. Le vieil homme n’a pas loin à aller, pour surveiller sa fabrique !
1904 - Claude quitte la scène et l’entreprise devient « Pras Frères »
Nous savons que Stéphane mon grand-père est entré en 1904 dans l’affaire qui devient alors "Pras Frères", juste un an avant la mort de son père, qui vient donc de passer presque quarante ans dans le monde du sabot, dont trente à la direction de la fabrique. Il était content sans doute que deux de ses fils puissent reprendre les parts de la société, une SARL : Joseph, grâce à sa belle famille ; Stéphane, grâce à un héritage de sa marraine. Mais peu après, Joseph quitte l’entreprise pour créer sa propre affaire dans le pays de sa femme, près de Saint Étienne. Stéphane va poursuivre et faire construire une usine 41-47 rue du Dauphiné, un quartier familier proche de la rue Garibaldi ; mais il garde un magasin de vente et ses bureaux sur le quai. J’ai retrouvé quelques papiers à en-tête et de petites cartes de présentation, à distribuer aux fournisseurs et à la clientèle.
C’est ainsi qu’à partir d’un simple annuaire, il est possible de reconstruire l’évolution d’une fabrique… j’ai eu l’impression de me livrer à un vrai jeu de piste ! C’était un peu long et compliqué, mais je crois que c’est à l’image des mouvements incessants qui agitaient le monde de ces petites entreprises. Il faut suivre à la trace leur évolution. Dans ma version familiale, j’avais doublé le récit d’un grand tableau récapitulatif par dates « histoires et pérégrinations d’une fabrique ». Mais c’était trop encombrant à présenter ici.
Une histoire dans l’Histoire
L’histoire de cette fabrique m’a paru exemplaire ; elle montre la grande effervescence qui règne dans les affaires dans cette moitié de siècle. Cet essor est favorisé par la construction du chemin de fer (3 000 km en l852, 18 000 km en 1872), l’apparition du télégraphe, le développement prodigieux des banques, la création de la Caisse d’Épargne, la stabilité du franc et peut-être surtout l’absence d’imposition sur les revenus (qui fut créée le 17 juillet 1914) [5].
L’augmentation de la population amène dans le même temps un exode rural important. Avec un peu d’argent gagné comme artisan, on s’installe dans le commerce. C’est le cas de Jean-Baptiste Chapolard. On quitte ensuite le commerce de détail pour le commerce en gros et surtout, si on a un peu d’instruction, pour devenir "négociant". Quand on regarde l’annuaire Henry, on est frappé par le nombre de personnes qui exercent cette profession. Le négociant est celui qui fait fabriquer et vend, dans la ville, en France, voire à l’étranger.
"L’époque moderne voit naître le mot négociant (emprunté à l’italien negoziante = , marchand), qui apparaît à la fin du XVle siècle. L’expression est revendiquée comme valorisante par rapport à celle de marchand ou de commerçant et elle s’oppose à celle de détaillant. Un négociant ne se commet pas dans le commerce de détail. Ce qui le caractérise, c’est la polyvalence de son activité. La forme et l’ampleur des relations qu’il sait créer transforment le simple marchand en négociant. L’instruction est une exigence et une nécessité pour tenir sa place. Il faut savoir lire, écrire, compter. La maison du marchand est à la fois une résidence, un lieu de travail, un entrepôt." In : Revue Généalogie Magazine – avril 1997.
Dans notre histoire, à l’origine commerce de détail puis de marchandises en gros, l’affaire devient fabrique avec Claude et s’adapte aux besoins de la clientèle. Après avoir été entièrement consacrée aux sabots, elle propose d’autres produits, notamment les espadrilles, les chaussons, complémentaires du sabot puisqu’ils se portent à l’intérieur, les pantoufles, les galoches et galochettes. Nous ne saurons jamais combien de savetiers l’entreprise a regroupés, du temps de Claude et de ses fils… D’après mon père, une trentaine, je pense plus modestement une vingtaine. Elle fait vivre aussi plusieurs membres de la famille, des fils Pras comme associés ou représentants, ainsi que des beaux-frères et neveux.
Le monde du sabot en déclin
Le règne du sabot commence cependant à décliner, surtout dans les villes. De toute façon, à partir de la fin du siècle - et donc dès avant la mort de Claude - on note la disparition progressive des entreprises artisanales, au profit de grandes industries qui regroupent d’énormes concentrations de capitaux. De nombreuses petites fabriques et ateliers ferment, tandis que s’élèvent de vastes usines. Ce n’est pas par hasard que plusieurs des fils de Claude quittent progressivement l’affaire, qui n’est plus vraiment rentable, malgré la diversification des produits. En plus, les entrepôts sont mal gardés, on y vole comme dans un bois. Une anecdote m’a été rapportée, par mon père : autour des années 1930, un prêtre est venu apporter à Stéphane une somme assez conséquente : c’est un de vos anciens employés qui avant de mourir vous rend ce bien détourné… je ne peux vous dire son nom, c’est un secret de confession. Bien sûr, du fait de la dépréciation de la monnaie, la somme ne représentait plus grand-chose !
La tentative menée par Stéphane, en 1909, pour sauver la fabrique en l’agrandissant et en construisant une véritable usine, n’aboutit pas. Certes Stéphane, mal conseillé, a fait une spéculation malheureuse pour rembourser plus rapidement les emprunts qu’il avait fait auprès de la famille, mais de toute façon aurait-il surmonté les difficultés liées à un marché plus complexe et devenu de plus en plus concurrentiel ? À la veille de la première guerre mondiale, il dépose le bilan.
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