Gérard de Nerval, Promenades et souvenirs juvéniles.
Avant de commencer l’histoire, je propose en trois épisodes une sorte d’introduction au voyage que je souhaite entreprendre avec vous dans ma lignée paternelle, une famille Pras originaire de St-Just-en-Chevalet dans la Loire. Dans le premier, intitulé « Il était une fois », je raconte comment et dans quelles circonstances je me suis trouvée, de façon inattendue, en possession de nombreux documents… et comment je me suis embarquée dans cette aventure généalogique.
En guise de Préambule
J’ai grandi à Paris, mais je suis née à Lyon, comme mon père Georges Pras et mon grand-père, Stéphane Pras. C’était un homme chaleureux. Placé au milieu d’une grande fratrie, il avait toujours servi de trait d’union entre tous ses frères et sœurs et plus tard il aimait réunir les siens, enfants et petits-enfants, en particulier l’été dans la région d’Annecy et à Pâques dans sa villa de Montchat, un quartier paisible de Lyon. Interrompues pendant la guerre, les retrouvailles reprirent après la libération. C’était la fête, quand nous nous entassions à six dans la vieille Peugeot 202 de mon père pour « descendre » de Paris participer à ces rencontres. J’en garde encore un doux souvenir. Nous étions toute une tribu, remuante et joyeuse… Nous étions jeunes… Loin de nous alors l’idée d’interroger nos grands-parents sur leur enfance et, encore moins leurs origines.
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Un curieux destin…
Nous avons appris peu à peu de nos parents que la famille Pras était originaire de Saint-Just-en-Chevalet dans la Loire, un bourg distant de quelque 120 kms et que c’est le père de Stéphane, un dénommé Claude, qui était venu à Lyon dans les années 1845-50. Là, il avait créé une fabrique de sabots galoches, s’était marié avec la fille d’un petit soyeux et avait mis au monde onze enfants, tous nés à Lyon, dont nous descendions. Un curieux destin, pour quelqu’un qui voulait être prêtre, nous dit-on, et qui avait du quitter à regret le grand séminaire à la mort de son père pour reprendre la ferme, avant de pouvoir rejoindre un peu plus tard la grande métropole. C’est tout ce que rapportait de lui la tradition familiale, avec toutefois quelques anecdotes et quelques photos découvertes plus tard.
Vive les facteurs !
L’année de mon mariage en 1966, j’ai eu l’occasion avec mon mari, passant dans la région, de faire un détour par St Just-en-Chevalet et de retrouver la ferme… non sans mal d’ailleurs et finalement grâce aux facteurs ! Les occupants - la famille Travard - nous ont appris qu’ils descendaient d’une sœur des Claude, car ils étaient deux en fait à porter le prénom, l’aîné et mon arrière- grand-père, le plus jeune. La Bussière, le hameau qui avait donné le nom à la ferme, n’était pas le berceau d’origine de la famille ; la ferme avait été acquise par le père des Claude, Antoine. Les ancêtres venaient plutôt de là haut dans la montagne, de l’autre côté du bourg de Saint Just. Ils n’en savaient pas plus…
Un évènement inattendu…
C’était un début, mais le temps manquait pour aller plus loin… nous nous sommes promis de revenir, séduits par les beaux paysages ouverts de la région et désireux d’en apprendre plus sur mes origines paternelles et la vie d’autrefois dans ces contrées, jusque là pour nous tout à fait inconnues. Nous sommes partis à l’étranger, les enfants sont venus… et nous en serions peut-être restés là, si un événement tout à fait inattendu, extraordinaire, ne s’était pas produit…Ce sont en fait mes ancêtres foréziens eux-mêmes qui sont venus à ma rencontre, depuis des temps lointains, me plongeant près de quatre siècles en arrière.
Le début d’une aventure
C’est ainsi qu’ils m’ont embarquée – soutenue tout au long par mon mari - dans un véritable voyage, dont j’ai écrit le récit par épisode pour les membres de la famille. J’ai rédigé une première version sous forme de feuillets de 1997 à 2001, à charge pour un représentant de chaque branche familiale, de le photocopier pour ceux qui étaient intéressés. Ce travail a été ponctué en l’an 2000 par un grand rassemblement de deux jours à St-Just-en-Chevalet.
Ensuite, à partir de 2005, une deuxième version a vu le jour, complétée et améliorée dans sa présentation, sous forme de huit livrets reliés, grâce aux possibilités d’internet et au dépôt en 2004 du notaire de St Just aux archives de St-Etienne (plusieurs actes en effet concernaient mes ancêtres et pouvaient enrichir le récit).
Une aventure à partager…
J’ai envie maintenant de partager mes découvertes avec tous ceux qui peuvent être intéressés par l’histoire, sur une dizaine de générations, d’une famille de paysans des montagnes du Forez, dont certains descendants sont venus un jour à la ville, une histoire que j’ai essayé de situer dans le contexte de l’époque ; mais, au delà, partager avec tous ceux qui sont intéressés par le cheminement d’une recherche. J’ai fait le choix en effet d’expliciter ma démarche généalogique, avec toutes les étapes parcourues, ses tâtonnements, les recherches, les hypothèses à confirmer, les rencontres qu’elle a suscitées, les surprises et les découvertes… y compris celle d’un secret de famille ! Un voyage et une aventure …
Je ne peux donner l’intégralité du récit, qui fait 1400 pages avec les annexes ! Tout en gardant l’essentiel du texte, tel que je l’ai écrit pour la famille, je me propose, génération après génération, de choisir quelques moments importants dans la vie de chacun… des étapes, qui je l’espère montrent le cheminement d’une famille à travers le temps et l’espace.
1 - Il était une fois
Que s’était-il donc passé pour provoquer la rencontre inattendue avec mes lointains ancêtres ? Comme dans toutes les histoires, celle-ci commence par « il était une fois ».
Il était une fois des liasses de vieux documents, souvent liés avec des brins d’osier, qui dormaient dans des cartons… il était une fois des cousins germains qui s’entendaient bien et qui se transmettaient les papiers de famille, même s’ils n’avaient pas eu le temps de les regarder, respectueux du dépôt qui leur avait été confié… il était enfin une future jeune retraitée, issue de cette famille, qui un jour hérita des précieux paquets…
Un vrai fil d’Ariane
Mon père, Georges Pras (né en 1902), fils de Stéphane, a reçu aux environs de 1975 un lot de vieux documents, que lui avait transmis son cousin germain, Claude, né en 1894. Claude les tenait lui-même de son père, Henri (né en l866), qui en avait hérité de son père Claude Pras Jeune, notre aïeul à tous, né en 1826. Par une chaîne ininterrompue, depuis 1615, à travers onze générations, ils arrivaient jusqu’à lui, jaunis, soigneusement ficelés, chargés de mystère ; Je n’ai pas de descendants porteurs du nom lui a dit Claude. Je te les confie, tu as des fils. Je n’ai pas eu le temps quant à moi de les regarder.
- La transmission des documents par voie familiale : suivre les flèches !
- NB. Fabrice et Alexandre ont depuis le début de ce récit mis au monde des garçons.
- Le plus vieux parchemin, transmis par la famille. Il date de 1615 et concerne l’ascendance de l’une de nos aïeules, Claudine Roche, un ancêtre contrait de vendre presque la totalité de ses biens (Extrait).
NB. Depuis nous avons trouvé dans une ferme un document de 1593 concernant cette même famille Roche.
Un trésor…
Mes deux frères étant très occupés par leur vie professionnelle, c’est moi qui ai hérité des liasses, avec l’intention ferme de les explorer, car j’ai toujours été passionnée d’histoire et de sociologie. L’aîné de mes cousins germains, Jacques Laugier, s’est joint à cette aventure et il a illustré par la suite plusieurs récits. Ensemble, nous avons découvert avec surprise et émotion des documents très nombreux et très anciens. Certains concernent la même affaire, notamment des procès qui durent parfois sur plusieurs générations ou une acquisition importante, qui s’étale aussi sur plusieurs années, avec les emprunts successifs, les retards de paiement… ; mais on trouve aussi des testaments, contrats de mariage, inventaires après décès, achats et ventes de terres, reconnaissances de dettes ou de créances, contrats de fermage, et même, dès le début du 19è siècle, plusieurs correspondances. Curieusement cependant, c’est depuis que notre branche familiale est installée à Lyon, aux environs de 1845, que nous n’avions plus rien qui concerne le patrimoine ou les actes de la vie : ni contrat de mariage, ni testament par exemple. Heureusement, la tradition familiale pouvait y suppléer quelque peu et nous étions prêts à conduire des investigations pour combler nos ignorances. C’était extraordinaire que tous ces documents soient parvenus jusqu’à nous, alors que d’autres plus récents s’étaient perdus. "C’est un trésor", a déclaré une historienne du Forez, Marguerite Gonon [1], à qui nous avions été amenée à écrire.
La terre, c’est la survie
Le fait que ces documents aient été conservés marque sans doute l’attachement de nos ancêtres à leur terre, transmise avec tant de soin, de génération en génération, du père au fils aîné. Pour eux, communiquer tous les documents qui racontent l’histoire de la propriété et, plus encore, la preuve de cette propriété constituait, outre l’aspect symbolique de cette transmission, une nécessité impérieuse. Il est bien arrivé que l’un de nos ancêtres achète une terre à quelqu’un qui n’en était plus propriétaire et qu’un procès s’ensuive ! La terre, c’est la survie - on y consacre tous ses soins, tout son labeur - et ce n’est pas par hasard que la rupture avec la terre, marquée par le départ des deux frères à Lyon, ait interrompu, non pas cette chaîne de transmission (puisque nous détenons les documents), mais l’arrivée de documents nouveaux. Il n’y a plus de terre, il n’y a plus rien de fondamental à transmettre.
Un fil à renouer parfois…
Le travail d’exploitation des documents s’est fait progressivement, étape par étape ; il fallait doucement tirer sur le fil, remonter peu à peu l’ascendance au travers des actes qui nous étaient transmis ; renouer les bouts quand ils étaient cassés ; nous rendre sur place à Saint-Just-en-Chevalet dans le Forez, paroisse des premiers Pras, pour consulter les registres et surtout connaître les lieux, ce que nous avons fait la première fois en 1979.
Un travail en réseau
Le travail mené n’aurait pu se faire sans de nombreux concours. Il fallait en priorité déchiffrer les textes, pas toujours très lisibles, rédigés bien sûr en français de l’époque, et les interpréter. Je me suis fait aider tout d’abord par l’entourage proche : un jeune normalien, Jean-Marc Moriceau [2]connu en 1977, alors que je m’intéressais à l’histoire d’Athis-Mons en Essonne, la ville où je réside. Et aussi, Gérard Panisset, installé à Naves Parmelan, près d’Annecy où la famille passe régulièrement des vacances ; j’avais découvert ses coordonnées dans une revue généalogique. Un heureux hasard ! J’ai pu deux étés consécutifs travailler avec lui. L’un et l’autre m’ont permis de comprendre le contexte général dans lequel les actes avaient été passés et aussi le sens d’expressions inconnues pour moi, tels, vente “a rémére”, “élection d’amy’ ou “droit de load”.
Mais très vite, il est apparu qu’il était nécessaire de préciser des filiations, compléter des généalogies, approcher de façon plus précise les premières origines, découvrir enfin la lignée de quelques unes de nos aïeules… On ne pouvait tout ignorer d’elles ! Consciente de l’importance du travail à mener et sans expérience dans ce domaine, je me suis inscrite à deux associations généalogiques, celle de ma ville d’Athis-Mons en Essonne et celle de Roanne – Ceux du Roannais - qui dispose d’une antenne parisienne. J’ai trouvé auprès d’elles soutien technique et informations ; l’occasion aussi d’entrer en relation avec plusieurs généalogistes amateurs, qui travaillaient sur leurs origines foréziennes. J’ai eu la surprise par exemple, lors du repas qui regroupait les adhérents parisiens de l’association du Roannais, peu de temps après mon inscription, d’avoir pour voisins de table des descendants de familles, dont le patronyme m’était familier. J’avais même des documents qui mêlaient leurs ancêtres aux nôtres ! Ils m’ont beaucoup fait avancer du côté des femmes. Et nous avons pensé que nos lointains ancêtres auraient sans doute été surpris et émus de nous entendre parler d’eux dans ce restaurant parisien, tant d’années après leur mort. J’ai connu aussi, grâce à cette association, un généalogiste professionnel de la région de Roanne, Jean Mathieu, qui m’a ouvert beaucoup de pistes.
Ce partenariat très actif m’a permis en 1997, alors que j’avais pris ma retraite et disposais d’un peu de temps, de démarrer une chronique familiale et de commencer à la diffuser au sein de la famille. En 2001, j’avais terminé la première version du récit, qui menait en trois siècles à passer des petits hameaux qui entourent le bourg de Saint-Just-en-Chevalet dans la Loire, berceau de mes ancêtres, à la ville de Lyon.
Pour lire la suite : L’histoire d’un patronyme