Annette connaît donc un sort beaucoup plus triste que celui de son beau-frère. En mars 1840, tous les recours ayant échoué, elle est définitivement condamnée à la peine de mort pour crime avec préméditation et guet-apens. Elle doit aller au supplice.
L’exécution d’Annette
L’exécution est prévue pour le 22 avril. En principe, elle devrait se dérouler sur le lieu du crime. Mais la cour d’assises choisit un autre endroit, St-Haon-le-Châtel, qui est le chef-lieu du canton, à mi-distance d’Arcon et de Roanne. En attendant, la jeune fille est amenée en voiture à cheval, de la prison de Montbrison à celle de Roanne, encadrée par deux gendarmes, un confesseur et un détachement de soixante hommes.
A la prison de Roanne, on dit qu’elle avoua son meurtre à son confesseur et que ce dernier lui assura la certitude du ciel, peut-être ayant appris les circonstances qui l’avaient amenée à cette extrémité.
Le mercredi vingt-deux avril 1840
Annette est conduite dans le même équipage que celui qui l’avait amenée de Montbrison à Roanne, déchaussée, les mains liées dans le dos et la tête couverte d’un voile translucide et non plus d’un voile noir, comme c’était le cas quelques années plus tôt. Napoléon avait supprimé cet usage, comme aussi la coutume barbare, qui consistait à couper le poing droit des condamnés.
Je tiens les détails qui suivent de différentes coupures de presse, dont j’ai fait la synthèse.
A une demi-heure de route de Saint-Haon-le-Châtel, la voiture s’arrête quelques minutes pour reposer les chevaux. La condamnée est autorisée à prendre air. Elle se sent défaillir à la vue du paysage printanier, où tout appelle à la vie, et elle pousse un cri de détresse. Tout autour se pressent des paysans, la plupart chapeau bas, des femmes égrenant leur chapelet. Il faut repartir.
Le bourreau a dressé les bois de justice
Parvenu au bourg de St-Haon, le fourgon s’arrête devant la porte de la justice. Après une rapide toilette, Annette est prête. Sur la place, le bourreau et ses aides ont dressé les bois de justice. A l’époque, la guillotine est encore installée sur un échafaud de planches, pour que le châtiment soit vu par un maximum de spectateurs. On raconte que six mille personnes (8 à 9000 disent certains journaux) se pressent tout alentour, venues de tout le Pays Roannais et même du Bourbonnais voisin.
« Pieds nus, encadrée par un peloton de gendarmes, Annette traverse la foule. Elle est soutenue d’un côté par l’abbé Brosse et, de l’autre, par l’exécuteur de Lyon, un géant au front haut et aux yeux bleu pâle. La voici agenouillée sur le premier gradin. Monsieur de Lyon la laisse prier quelques minutes, puis la relève sans brutalité. Résolue, prenant d’un seul coup sa respiration, elle monte sur le plancher et reçoit les dernières paroles du prêtre. Après avoir embrassé le crucifix que lui tend l’aumônier et demander pardon, elle reçoit la bénédiction des mourants ». L’abbé Brosse redescend les marches de l’échafaud, très ému, nous dit-on, appuyé sur les bras de deux soldats. La jeune fille reste digne, le visage empreint d’une extrême pâleur.
Une clameur s’élève de la foule
Annette est alors saisie par les aides et poussée sur la bascule. “Les trente kg du couperet tombent sur sa nuque de jeune fille, dans un fracas épouvantable. Une clameur immense s’élève de la foule et emplit la place, entendue par un bûcheron jusque dans la montagne (dit-on !) Les curieux, amoncelés par grappes depuis le matin aux fenêtres des maisons, sur les toits, les branches des arbres, se bouchent les yeux ou se détournent. Bien qu’ils soient venus par curiosité, ils sont tous impressionnés. Quelque-uns pleurent. Des journalistes, d’opinion opposée, se prennent à parti”. Ce fut la dernière exécution capitale en public de la région. Les prévenus par la suite furent exécutés à la prison.
Un greffier, venu de Roanne, dresse le procès-verbal de l’exécution. Le maire notifie le décès, sans mettre aucun commentaire. L’acte porte le numéro 12, il est daté du 22 avril 1840 à midi et mentionne le simple prénom d’Annette âgée de 21 ans révolus, fille de Jean Dufour et Jeanne Pras. Annette est enterrée dans le vieux cimetière de St-Haon-le-Châtel. Les contribuables payèrent la tombe. Sur une banderole de pierre supportée par des anges, au-dessus de la porte, qui donne accès de l’église de St-Haon-le-Châtel au cimetière, on peut lire :
Et Claude Bouffaron ?
Retour au pays ?
Après son séjour à Belle-Isle-en-Mer, Claude Bouffaron avait-il réussi à rejoindre son pays ? L’avait-il souhaité ? C’est grâce à Jean Mathieu [1] cette fois encore que nous avons pu y répondre : les recherches menées à la mairie d’Arcon n’avaient rien donné. En mars 2004, Jean Mathieu découvrait dans les registres de catholicité à Lyon que Claude Bouffaron avait bien fait retour dans son pays natal, puisqu’il est mort à son domicile au Four (le lieu du crime), à deux heures du soir précise l’acte, le 4 février 1890 ; il a été inhumé le lendemain à Arcon. C’est vingt ans après sa libération. Il avait quatre-vingt-cinq ans. Ainsi Claude Bouffaron a-t-il survécu longtemps à trente ans de bagne, il faut croire que ses traits délicats, sa petite taille, cachaient une résistance à toute épreuve !
C’est un de ses petits-fils, Benoit, âgé de trente et un ans, enfant naturel de sa fille Claudine, qui déclare le décès.
Nous pensons que Claude Bouffaron, après sa libération, n’avait pas flâné en route et était revenu directement. A la réflexion, vu son âge qu’aurait-il pu faire d’autre ? A-t-il fait le chemin à pied, à marche forcée, a-t-il pris parfois la diligence, car il a dû partir avec un petit pécule, aussi modeste soit-il ? Toujours est-il que sa résistance physique lui a permis là encore de faire le voyage sans dommage.
Il ne s’est pas semble-t-il installé aussitôt au Four, puisque “la maison du père Toulon” se trouvait à Masson ; Masson, un hameau de quatre maisons, en contrebas, sur la départementale remontant d’Arcon vers le nord. C’est toutefois proche du Four (à peine un kilomètre), si l’on prend un raccourci, à peine visible aujourd’hui.
Retrouvailles familiales
Ainsi, Claude Bouffaron aura-t-il eu le temps de retrouver sa femme Jeanne, morte en 1877, sept ans après sa libération ; sa fille Claudine, qui n’avait que trois ans à son départ pour le bagne, mariée enfin depuis dix-huit mois, après avoir mis au monde trois enfants naturels ; peut-être aussi sa belle-sœur Louise (neuf ans au moment du drame) qui s’était mariée en 1852 et qui habitait Four, tout au moins les premières années, puisque c’est dans ce village qu’elle a mis au monde cinq enfants.
Excepté Benoît, les petits-enfants nés ou à naître ont-ils tous connu leur grand-père ? Ont-ils été mis au courant du drame qui était survenu ? Même Benoît, que savait-il exactement ? Il était né en 1858, bien après l’événement.
Que penser de cette terrible affaire ?
Elle fit grand bruit à l’époque, car si les agressions, les querelles, les tentatives de crime étaient monnaie courante, ici il s’agissait d’un meurtre et plus encore d’un parricide. Il ne faut pas oublier que le père était tout-puissant dans ces campagnes et que sa personne était en quelque sorte sacrée, suscitant crainte, respect et obéissance. La nouvelle s’était répandue comme traînée de poudre dans toute la région.
Quel drame pour les Pras !
Plusieurs cousines germaines avaient presque le même âge que la jeune fille. Annette, c’était comme une sœur… elles ont dû être terriblement impressionnées ; combien de prières Philippine, toute jeune religieuse, n’a-t-elle dû adresser au ciel !
Que connaissait-on chez Antoine de la vie domestique des Dufour ? Savait-on que Jean s’était mis à boire, peut-être après les morts successives de ses enfants, notamment des garçons ? Que pensait-on de lui ? Annette avait-elle fait des confidences, comment était-elle considérée ? Que de discussions à la veillée… On peut imaginer que les soupçons se portaient davantage sur Claude Bouffaron, tant il était impensable qu’une jeune fille puisse tuer son père.
Il fallait aussi subir l’opprobre de toutes les familles alentour et même au-delà ; l’infamie rejaillissait sur l’ensemble de la parenté Pras… d’autant plus que le fils aîné Claude avait lui aussi été aux assises une douzaine d’années plus tôt… on ne l’avait pas oublié ! Comment après ce dernier drame, les sœurs des Claude, encore célibataires, pouvaient-elles trouver époux ? Seule la plus âgée, du nom de Marie, s’était mariée avant, en 1836 (elle était morte d’ailleurs un an plus tard) ; Jeanne, cependant, a pu épouser trois ans après le drame, en 1843, son voisin d’enfance Jean Couavoux, son promis sans doute depuis longtemps. C’est eux qui ont repris la ferme. Mais les autres ? Elles restent célibataires, une par vocation, Philippine, la religieuse ; les deux autres, faute de prétendants sans doute… Jeanne Marie d’ailleurs part à Lyon et vit avec ses frères.
Annette a bien tué son père
Personnellement, je pense que c’est bien Anne l’élément moteur, encouragée par le fait que son père avait des ennemis (d’après ce qu’elle déclare à plusieurs reprises) et particulièrement son beau-frère, dont le rôle reste obscur dans cette affaire. Il est impossible, à partir des éléments connus, de comprendre les liens qui les unissaient. Les témoins parlent de conciliabules secrets entre eux, dans les champs. Qu’est-ce à dire exactement ? Il est certain que Claude est présent, lors de la première tentative. Il est certain qu’il n’aimait pas son beau-père et qu’il avait de sérieuses raisons à cela… mais lesquelles ? Sa présence et sa complicité prouvent en tout cas, si besoin était, que la jeune fille ne souffre pas de trouble mental. Elle n’est pas seule avec son terrible projet.
Et si la cause du crime était taboue ?
Pourquoi une haine pareille chez cette jeune fille, au point de lui faire commettre un meurtre avec préméditation ?
Les raisons évoquées
Son père se serait opposé à un projet de mariage et aurait refusé de la doter ? C’est la version officielle, reprise dans les complaintes. Mais elle n’a que vingt ans et la vie devant elle. On ne connaît aucun détail sur cette affaire. Qui était le prétendant ? D’ailleurs, elle n’invoque jamais cette raison. Elle répond même quand on lui pose la question que son père lui aurait “donné un domaine et que c’est sa mère qui ne voulait pas”. Que viendrait faire là Claude Bouffaron, dont je ne pense pas qu’il ait été son amoureux, contrairement à la légende ? Il n’y a aucune complicité entre eux pendant le procès, tout au contraire.
L’autre raison, mise en avant par Annette, c’est que son père était souvent ivre et qu’il la maltraitait, ainsi que sa mère et les siens. On peut comprendre qu’elle ne supportait pas la situation, pour elle-même et peut-être davantage encore pour les autres, la mère et les plus petits qui avaient une dizaine d’années à peine. Il est arrivé ainsi que des fils s’interposent et tuent un père, parce qu’il battait leur mère. Annette est une fille, mais sa carrure, la force physique qu’on lui prête peuvent la faire réagir comme un garçon. On aurait davantage imaginé cependant qu’elle a agi en situation, en légitime défense en quelque sorte. Une fois, il est vrai, elle a attrapé une hache… c’était pour se défendre. Pour tuer à coup sûr, il vaut mieux un fusil et se préparer. C’est ce qu’elle fait.
Une raison indicible
Je pense que le motif qui la pousse ainsi à organiser son action est très grave, au point de lui faire braver les risques, au point de l’amener, sous le coup de la colère, à parler de ses projets de meurtre à son entourage. C’est la troisième hypothèse : non seulement, le père est violent, mais je pense qu’il est incestueux. Il a sans doute abusé d’elle et de sa sœur pendant toute l’enfance, il continue avec la petite sœur. Elle ne le supporte pas, elle ne le supporte plus. Si elle quitte le foyer, elle les abandonne. Son beau-frère est au courant. Il vit avec eux, sa femme Jeanne lui a fait des confidences... Qui sait de plus si Jean Dufour ne refuse pas de doter sa fille, non par pingrerie, mais pour se la garder encore ! Qui sait même, s’il ne continue pas, sous le coup de la boisson, à abuser de Jeanne ? Claude Bouffaron n’a-t-il pas dit un jour, d’après un témoin, que “son beau-père périrait de sa main”… fallait-il que sa colère fut grande !
Comment expliquer tout cela aux juges ? Qui les aurait crus ? Le sujet est complètement tabou. Pourtant l’inceste devait bien exister dans ces campagnes reculées, favorisé par la promiscuité et les multiples occasions que procurent la vie aux champs et les nombreuses dépendances qui entourent les fermes.
« Nous avions de grosses raisons »…
Cette hypothèse expliquerait les silences, les bizarreries, les explications vagues données par Annette pour sa défense. Nous avions de grosses raisons… dit-elle. Elle ne précise pas, parce qu’elle ne le peut pas. Il est étonnant d’ailleurs que personne ne lui demande lesquelles. Mais encore une fois qui l’aurait crue et comment aurait-elle pu dire l’indicible, quand on voit la difficulté encore aujourd’hui pour les victimes d’aborder le sujet. Et pour les témoins, s’ils soupçonnaient quelque chose, ce comportement paternel était peut-être toléré à l’époque, comme l’alcoolisme, et innocenter Annette s’était permettre toutes les révoltes et, en quelque sorte, condamner à mort tous les pères incestueux.
Autres temps, autres destins…
Pour ma part, l’inceste constitue l’explication la plus plausible, même si Maître Santinelli ne la partageait pas (je lui avais posé la question). Claude Bouffaron - qui a ses propres griefs, peut-être simplement des questions d’intérêt bien qu’il s’en défende (je ne lui ai rien demandé dit-il, quand on l’interroge sur la dot) - encourage sa belle-sœur et lui promet même sa participation. Il a trente-cinq ans, il connaît les risques, il préfère rester au second plan. Annette est habitée par la colère, l’inconscience de sa jeunesse… elle le paiera de sa vie. Les descendants Collet racontent qu’elle aurait dit juste avant de mourir "quelle belle journée pour mourir". Pour elle, malgré l’effroi, cette fin était peut-être aussi le signe de la délivrance ! Elle aurait obtenu aujourd’hui les circonstances atténuantes, une peine symbolique ou même l’acquittement... autres temps, autres destins, c’est bien sûr une évidence, mais cela me frappe toujours quand j’évoque la vie de nos ancêtres.
D’après ce qui se dit dans la famille de M. Ernest Laurent (les descendants du maire) ; c’est Bouffaron qui aurait chargé le fusil, mais c’est bien Annette qui aurait tiré. Elle avait, nous l’avons dit, une forte carrure et l’autopsie aurait révélé qu’elle avait quatre reins… et même deux rangées de côtes supplémentaires… ! Comme si, dans le fond, il était impensable qu’une jeune fille, “normale”, puisse tuer son père. Il fallait quelque part qu’elle fut une sorte de monstre. Ainsi la légende se construit, au fil du temps, et si l’histoire était inconnue dans notre famille elle reste tout à fait présente, nous l’avons dit, chez les descendants des populations d’alors.
C’est toujours une histoire d’amour qui a mal tourné et, comme dans toutes les complaintes, elle se termine par une morale, laquelle – avec des variantes – va toujours dans le même sens : il faut bien éduquer ses enfants.
Que sont les familles devenues ?
Jeanne Pras, la malheureuse épouse et mère
En cette année 1840, la tante des Claude perdit donc en même temps son mari, sa seconde fille et, d’une autre façon, son gendre envoyé aux galères. Que de catastrophes, après déjà les décès de quatre de ses enfants, entre 1822 et 1829. Elle a cinquante et un ans. Elle doit faire face. Il faut élever Louise, âgée de neuf ans, et le petit Pierre, qui en a six. Elle doit aussi soutenir sa fille aînée Jeanne (celle qui porte son prénom), qui se retrouve seule avec une Claudine de trois ans à peine, dont le père est aux galères ! Qu’a-t-on dit à tous ces enfants des disparitions soudaines survenues dans leur entourage tout proche ? On peut penser qu’ils ont tous été traumatisés par ces absences brutales. Quelques années plus tard, le 5 mai 1849, un nouveau malheur survient. La mort de Pierre âgé de quinze ans, le fils unique, celui sur lequel on commençait à compter ! Jeanne ne survit que deux ans à ce nouveau coup du sort. Elle succombe à son tour le 2 juin 1851, à soixante deux ans. Des huit enfants mis au monde, il ne reste que deux filles… Jeanne, trente-quatre ans, avec sa petite fille Claudine âgée de quatorze ans, et sa sœur cadette Louise de vingt ans, en âge de se marier.
Louise, entre père assassiné et sœur parricide
Douze ans après le drame, Jeanne Pras, la mère de Louise, n’est plus là pour le mariage de sa fille, intervenu en juin 1852 avec Benoît Palabost (fils de défunt Benoist, mort avant le drame en 1834, et de vivante Agathe Dufour, cultivatrice propriétaire, une parente peut-être ?). Louise a vingt et un ans, il en a vingt-sept. Elle est domestique à Arcon, lui à Renaison. Ils auront cinq enfants, dont nous venons de découvrir qu’ils sont tous nés au Four (de 1858 à 1865). La famille se trouvait-elle encore dans le village quand Claude Bouffaron est revenu quelques années après la naissance du dernier ? Nous ne connaissons pas leur descendance. Plus tard, ils ont semble-t-il quitté le pays.
Claudine, fille de bagnard
Celle qui est née de l’union malheureuse de Claude Bouffaron avec Jeanne Dufour ? Devenue adulte, elle ne trouve pas facilement de mari. Dans un premier temps, elle met donc au monde trois enfants naturels entre 1858 (elle a vingt et un ans) et 1862, tous nommés comme elle Bouffaron. Seul l’aîné, Benoît (né en l858), survit à l’enfance. Nous l’avons déjà évoqué, puisque c’est lui qui déclare la mort de son grand-père.
Dix ans après la naissance de Benoît, Claudine trouve enfin époux. Sa mère
Jeanne est toujours en vie et son père n’a pas encore été libéré, à un an et demi près. Nous sommes en décembre 1868. Elle a trente et un ans. Le mari, Jean Bancillon est un voisin d’enfance, de sept ans plus jeune, qui n’hésite pas à entrer dans une famille si tristement marquée. Il faut dire que le temps a passé depuis le drame, vingt-huit ans, qu’il est veuf et en charge d’un petit garçon, Mathieu. Jean Bancillon est agriculteur et tisserand dans le village. Ils auront trois enfants, dont un seul atteint là aussi l’âge adulte. Il se nomme Antoine et meurt en l946, à soixante-dix-huit ans. Six filles sont nées de cette union, de 1893 à 1908 (une seule décède l’année de sa naissance en 1899). La dernière, Louise, est morte en 1987. Elles ont eu semble-t-il surtout des filles dont certaines - qui n’ont pas quitté la région - viennent de découvrir l’histoire du parricide. Elles étaient présentes à la conférence de Maître Santarelli, prévenues par Jean Mathieu.
Benoît, l’enfant naturel
Quant à Benoît, le fils naturel survivant de Claudine, celui qui porte le patronyme Bouffaron de son grand-père, c’est lui qui héritera du domaine. Il se marie en 1890 à trente-deux ans, trois mois après la mort de son grand-père, cinquante ans après les faits, avec Marguerite Perche. La vieille maison, de sinistre réputation, est abattue, une haute bâtisse à plusieurs étages est construite à la place (elle est toujours là). Leur fille Clotilde, qui épouse un Policon, restera à Four ; elle vécut elle aussi une histoire de meurtre. Triste répétition, bien qu’il s’agisse de circonstances totalement différentes, puisque cette fois c’est son mari qui fut victime d’un crime crapuleux (ils ont eu deux garçons, dont l’un au moins est resté dans le village).
Ainsi, malgré tous les drames survenus, Jeanne Pras et Jean Dufour auront laissé une descendance.
Épilogue
Ce crime révèle, de façon extrême, me disait Jean Mathieu, l’état moral perturbé dans lesquelles se trouvaient les populations rurales à cette époque, surtout dans ces pays de montagne. On se situe après les grands chamboulements apportés par la Révolution. Il fallait partager les terres… les disputes étaient fréquentes, les rixes, les procès… les garçons et les filles avaient envie aussi de secouer le joug paternel. Rien n’était plus comme avant. L’histoire d’Annette se déroule dans ce contexte. Cette jeune fille est victime de son époque et suscite chez moi intérêt et sympathie. J’aurais aimé la connaître.
Ce drame nous le verrons fait suite à d’autres affaires douloureuses pour la famille, qui seront traitées dans les quatre épisodes suivants, puisque nous “cheminons à l’envers”, encore pour quelque temps au moins (jusqu’à la Révolution, comme je l’ai indiqué au début de cette chronique).
Pour terminer, je voudrais insister sur le fait que cette histoire n’aurait pu s’écrire sans un travail d’équipe et d’heureux hasards. Je dois un merci à tous ceux qui m’ont apporté leur concours et que je n’ai pu tous nommer ? La généalogie, c’est aussi toutes ces rencontres, dans une passion partagée pour faire revivre nos ancêtres.
Pour lire la suite : Le Forez avec Claude Aîné. Déboires d’un jeune homme trop impétueux.