Après l’inauguration de la nouvelle Mairie, la vie reprend son cours avec le travail à la ferme pour Pierre. À l’approche de la mauvaise saison, il a du travail pour entreposer et entretenir tous les outils ou diverses plantes qui risquent de geler en hiver. Pour Louise, la couture, les occupations ménagères de son petit nid et les projets pour l’arrivée de son bébé l’occupent toutes les journées. Elle possède déjà le petit berceau en bois peint et sculpté fabrication de son papa, présent offert à leur mariage. Mais il faut songer au trousseau, les brassières à confectionner avec quelques broderies apprises auprès de sa maman en Franche-Comté, lieu de ses origines. Les draps, le petit édredon qu’elle songe à confectionner avec des petits morceaux de tissus que lui ont donnés ses amies, cuisinières et femmes de chambre qui travaillent avec elle au Château. Pour le rembourrage, elle utilise la laine des moutons que lui a offerte un jeune fermier du centre du village, ami d’enfance de Pierre, ce sera confortable et chaud. Mais cela lui fait de l’occupation en plus de ce qu’elle assure auprès de la Châtelaine. Mais quel plaisir de préparer les petites choses pour le futur bébé.
Depuis leur rencontre avec les jeunes du centre du village, ils se sentent moins isolés et comme prévu ils choisissent un dimanche pour rendre visite aux gens de maison du Château de Maison-Rouge.
Le dimanche 16 novembre 1890 a été retenu pour cette visite. Louise et Pierre se font une joie de retrouver leurs amis et découvrir ce château perché sur la hauteur du village mais ils ne savent pas que la route sera assez longue et la montée pentue mais qu’importe, rien ne les arrête du moment qu’ils seront en bonne compagnie et qu’ils vont faire d’autres découvertes.
Avec l’automne, les brumes se précisent surtout le matin, une petite couche blanchâtre couvre les toits et les sols, signifiant que le froid a fait son apparition avec ses gelées…
Le dimanche prévu, il a été décidé que le cocher du château de Maison Rouge, Thomm Joseph, anglais de naissance, très courtois et réputé pour sa gentillesse viendrait chercher quelques volailles chez Pierre et en même temps emmènerait dans la calèche Louise qui commence à être un peu fatiguée par sa grossesse, afin de lui éviter une grande marche et surtout la montée de la côte de Maison rouge si réputée pour sa difficulté. Pierre rejoindra le groupe à pieds, ils se sont tous donné rendez-vous devant leur nouvelle Mairie et ils se rendront par le chemin des trois-charmes [1], chemin tracé jusqu’à la maison des jardiniers. Julien et Angélique Gauthier et leur petit garçon les accueilleront avec plaisir.
L’épouse du jardinier s’est afférée dès potron-minet pour préparer un frugal repas convivial pour tout ce petit monde, selon leurs moyens et les produits frais du potager, mais avec tant de plaisir de recevoir leurs nouveaux amis, ainsi que les jeunes couples rencontrés lors de l’inauguration de la mairie.
Angélique a prévu de la volaille et des légumes variés, le panais qui remplacera la carotte et divers légumes du jardin. En dessert, plusieurs tartes de pommes et de prunes de Gagny, le tout arrosé du petit vin de Gagny, car Julien a une petite vigne pour ses besoins personnels. Après ce déjeuner, tout ce petit monde en profitera pour découvrir le domaine de Maison Rouge, avec cette si jolie bâtisse en briques rouges de Bourgogne qu’est le château. Ses deux étangs avec leurs canards et les poules d’eau, sans oublier le petit pont Louis XIII enjambant un des étangs pour joindre les berges. La ferme, et bien-sûr, un bref passage à la chapelle qui ne sert que pour les messes privées des châtelains mais plus précisément pour la messe de la Saint Fiacre.
Le domaine du château de Maison Rouge a été acheté en 1861 par Michel-Victor Cruchet, sculpteur connu à Gagny par sa sculpture de l’Autel dans l’Église « Saint-Germain » du centre du village. Michel-Victor Cruchet fit ériger une deuxième tourelle au château pour lui donner une allure plus altière. En 1870, le château est occupé par l’armée allemande laissant de bien vilaines inscriptions sur les murs. À leur départ, le château retrouve sa tranquillité et sa vie courante avec son personnel de maison resté fidèle à leurs châtelains.
La chapelle se présente en un modeste édifice de quelques mètres carrés d’aspect assez lourd, coiffé d’un toit de tuiles à quatre pentes. La façade est agrémentée d’un portail de style ogival à colonnettes encastrées dont le tympan est percé d’une prise de jour trilobée. Au-dessus s’ouvre une grande baie ronde entourée d’une moulure en dents de scie [2]. C’est un très grand et très agréable Domaine, Maison Rouge.
Tous les amis des jardiniers arrivent et sont accueillis avec joie dans l’attente de passer un agréable moment, il fait une superbe journée. Le jardinier les emmène faire un petit tour dans son potager, pour les mettre en appétit avant de déjeuner. Il servira de guide pour le reste de la visite. Le palefrenier Edjoe Henri, les femmes de chambre, Marguerite Guyot, Goulton Cécile, ainsi que Jean Lafarge, valet de pied, et le valet de chambre Royer Jean Baptiste les rejoignent, tous ont un grand plaisir à faire découvrir ce domaine, lieu de leur vie et de leur travail, en expliquant leur tâche respective. La bonne d’enfants Angélique Magret est absente, elle est actuellement à Paris dans les appartements parisiens que possèdent les châtelains.
Tous admirent ce magnifique et grand domaine et le jardinier étant très féru d’histoire explique que le château a été érigé à l’emplacement de l’ancien prieuré de Monseigneur Baglion. La Duchesse de Chevreuse y a vécu et même décéda dans ces lieux religieux après s’être retirée du monde.
Après une partie de la visite, tous commencent à avoir une petite faim qui les tenaille, et ils se dirigent vers la grande tablée installée dans la cour de la ferme pour déjeuner. L’ambiance est gaie, des rires fusent et les échanges d’idées ne manquent pas. Tous assez jeunes ont des projets plein la tête. À la fin du repas, ils entonnent des chansonnettes de l’époque. Les femmes aident à débarrasser tout en échangeant des idées sur leur travail ou simplement leur vie courante, l’éducation des enfants. Enfin les bavardages vont bon train.
Ils reprennent la visite en allant admirer le château et les étangs. Ils envisagent déjà, à la belle saison, d’organiser une journée de pêche.
Mais après cette journée bien occupée, il va falloir penser à repartir vers leurs lieux de vie. Louise et Pierre, les plus éloignés ont un bon bout de chemin à faire, mais là ils emprunteront la côte en descendant et ce sera moins dur. Les chemins sont secs, ils traverseront à travers bois pour rejoindre leur ferme du château de Maison Blanche. Les autres amis, il y a ceux du château de Montguichet et les plus nombreux des fermes du centre du village.
Après s’être congratulés, ils complimentent la cuisinière pour ce repas succulent. Puis ils repartent en groupe jusqu’au centre du village, ceux de Montguichet partent sur la gauche et Louise et Pierre empruntent la rue de Neuilly pour entrer dans les lieudits « la fossette et le grimpet ». À travers les bois, ils atteindront rapidement la ferme. Ils arriveront très fatigués, mais tellement heureux d’avoir pu profiter de ce jour de rencontre prévu depuis si longtemps.
Maintenant la vie quotidienne va reprendre, Louise pour accueillir le petit bébé et Pierre pour les travaux de la ferme pendant la période hivernale.
Les premiers froids étant arrivés, Pierre est beaucoup plus souvent à l’intérieur de son étable pour l’aménager encore mieux qu’il n’avait pu le faire auparavant. Les travaux des champs sont terminés. Les labours et les premières semailles de blé sont déjà effectués.
Dans cette petite ferme bien agencée pour l’époque, l’étable est séparée de l’habitation car il faut signaler que bien des fermes encore possèdent l’étable proche, voire dans la salle commune. Pour Louise et Pierre, elle est agencée d’une façon plus récente.
Une grande cheminée de style « cantou », comme on l’appelle dans le centre de la France, dans laquelle de chaque côté de l’âtre une petite chaise est installée pour se chauffer, avec au centre une potence qui soutient un chaudron ou selon les besoins une marmite pour faire mijoter la soupe ou tout autre plat.
À l’intérieur sont suspendus les ustensiles de cuisine. Si la saison a été bonne et que le cochon a été tué, le jambon sèche suspendu très haut dans un coin. Au-dessus de cette cheminée, une étagère sur laquelle sont posés des objets, un crucifix accompagné d’une petite statuette de la vierge et diverses plantes séchées gardées précieusement dans des pots de faïence, pour faire des remèdes en cas de maux. Louise connaît des recettes de tisanes qu’elle a apprises dans son village de la Haute-Saône en cas de maux divers, transmises par sa grand-mère Marie-Magdeleine.
L’hiver approche à grands pas. Ce matin lorsque Louise et Pierre se réveillent, une petite couche de neige recouvre le sol, le paysage est transformé. Le silence règne. Il fait froid, Noël est proche.
Louise travaille toujours au château et aide la cuisinière pour les préparatifs afin de prévoir le souper de la veillée de Noël composé de boissons chaudes, de tourtes, divers biscuits pour les châtelains qu’ils dégusteront après avoir assisté à la messe de minuit célébrée par un cousin Abbé dans leur petite chapelle privée.
Louise, femme de chambre personnelle de la Châtelaine, sera autorisée à assister avec Pierre à la Messe de Minuit. Puis le jour de Noël, Louise avec ses deux amies, Eugénie Guevauviller la cuisinière et Angelina Garbeloni femme de chambre, prépareront le repas avec beaucoup de soins pour ce grand jour du 25 décembre 1890. Selon le choix des Châtelains, il sera composé d’un potage, d’un poisson péché dans la Marne ou dans l’étang de Maison Blanche, d’une viande (gibier qu’un des jardiniers ira chercher dans le belvédère situé près de l’étang de Maison Blanche, petite construction servant de glacière conçue pour entreposer au frais les produits de la chasse) garnie de légumes du potager de la ferme. Mais aussi des bouchées, des croûtes et des canapés très fortement relevés au poivre de Cayenne servis à la fin du repas, ensuite les desserts avec entremets, fruits et quelques douceurs. Suite illogique et pourtant suivant l’ordonnance habituelle des repas servis encore en 1890.
La neige a continué de tomber toute la nuit et une épaisse couche couvre le sol. Les toits du château, de la ferme et des dépendances disparaissent sous un matelas tout blanc. Les animaux sont à l’intérieur bien au chaud. Quelques poules et canards accompagnés de leurs copines les oies bavardes se lancent à l’extérieur, souvent dans un ballet artistique. Pour les humains, les déplacements à pied deviennent périlleux mais, c’est l’hiver. Le sol est immaculé seules des traces de pattes de petits oiseaux marquent la neige. Toute la vie marche au ralenti.
Nous voilà en 1891, le jour de l’an vient d’être fêté comme il se doit, les châtelains ont remis des étrennes à Pierre et Louise pour leurs bons et sérieux services.
Louise attend impatiemment la naissance de son fils ou sa fille. Ce sera une surprise. Elle est très inquiète car elle se sent un peu perdue sans la présence de sa mère auprès d’elle. Toutes les deux étaient si proches l’une de l’autre, mais l’éloignement et l’époque de l’année ne facilite pas les déplacements de longue distance. Venir de Franche-Comté c’est toute une épopée…
Le 18 janvier 1891, Louise ne se sent pas très bien, elle réveille Pierre pour qu’il se rende chercher la femme de chambre Angelina son amie au Château, car elle pressant que l’heure de la naissance approche.
Angelina qui a l’habitude de donner un coup de main pour les naissances donne les conseils de préparatifs à Pierre qui est tout sens dessus dessous : son premier enfant, quel événement. L’eau chaude et les linges propres afin d’être prêt pour accueillir ce « petitou ».
Angelina conseille à Pierre d’aller chercher Marie Cassel qui a mis au monde les enfants de ses amies du centre du village, car les choses avancent doucement, mais il vaut mieux le conseil d’une spécialiste de ce grand événement. Louise est calme supporte ses douleurs avec courage, elle sait que c’est pour la bonne cause mais heureusement qu’Angelina est près d’elle pour l’encourager et l’aider dans ce moment si important dans la vie d’une femme.
Marie Cassel arrive et s’occupe de tout. Elle a l’habitude, elle gère en deux coups trois mouvements toutes les choses à mettre en place et rassure Pierre qui n’en mène pas large…
Enfin le mardi 20 janvier à 1 heure du matin, Louise met au monde son premier bébé Marie-Victoire prénom de son arrière-grand-mère qui lui est chère. Pierre est fou de joie. Ce petit couple est comblé par cette très jolie petite fille de 3,200 kg, ronde, potelée car de petite de taille, 48 cm. Elle a de la voix et maintenant ce petit nid sera beaucoup plus animé.
Maintenant Louise se repose. Le bébé est dans son petit berceau de bois sculpté par son grand-père de Haute-Saône. Le calme est revenu dans la petite ferme. Pierre est très heureux et ne manquera pas de convier ses amis pour arroser cet évènement dans quelques jours.
Une nouvelle vie commence pour ses deux jeunes devenus parents.
Cette petite ferme n’a jamais connu autant de visites, des amis venant découvrir cette nouvelle venue. Tous, la trouvent très jolie et s’empressent de féliciter les parents. La châtelaine, elle-même ne manque pas de venir voir cette petite fille et complimente les heureux parents.
La vie de Louise et de Pierre ne sera plus comme avant ils ont maintenant des responsabilités. Cette petite Marie-Victoire.
Sources : Archives communales de Gagny. Cartes postales personnelles.