Après cette visite du 7 octobre 1890 dans le village, par nos jeunes mariés, le soir bien fatigués et après avoir exécuté leurs travaux de métayer, ils soupèrent et allèrent se mettre au lit, Pierre doit se lever très tôt demain et Louise, doit se rendre au Château.
Pendant que la vie se poursuit dans le village et ses environs, Monsieur Léon Bry, depuis l’an 1889, tire des plans sur la comète, il a été informé de la vente du Château Laugier Villars et il se dit que cela serait tout à fait bien de l’acquérir et de le transformer en Mairie. L’ancienne mairie serait quant à elle transformée en école car celle existante devient vraiment vétuste pour les petits villageois. Il lance cette proposition lors d’un conseil municipal.
Monsieur Léon BRY, Maire de la commune de Gagny, après en avoir discuté avec son conseil municipal, décide de se mettre en quête pour trouver une solution afin de déplacer la mairie actuelle, beaucoup trop exiguë, et en même temps de pouvoir agrandir l’école qui est dans la même situation. Le village s’est considérablement étoffé depuis quelques années.
Le Château du Comte de Laugier Villars a été vendu à Monsieur et Madame Peretmère en 1880 et il se trouve qu’ils décident de mettre en vente le château et le domaine en 1889.
Une enquête publique pour l’acquisition en vue de la mise en place de la nouvelle mairie est tenue les lundi 18, mardi 19 et mercredi 20 février 1889. Elle révèle que la population n’est pas d’accord pour la majorité mais, attendons les souhaits de tous les Villageois.
Le procès-verbal d’enquête de commodo et incommodo sur le projet d’acquisition d’un immeuble par la commune pour y établir la mairie et transformer l’ancienne mairie en nouvelle école maternelle est rédigé.
De nombreux villageois se manifestent pour lire la proposition d’acquisition. Certains s’inquiètent, ils ont peur que cela déclenche une très grande augmentation d’impôts, d’autres en discutant soulignent que la mairie actuelle est bien suffisante pour le village. Le Maire a des idées de grandeur il va se prendre pour « un châtelain » !!! Au sein du Conseil Municipal, les plus opposés sont Messieurs Jacquet et Frambois. Monsieur Léon Bry a précisé très souvent qu’actuellement il y avait 3200 âmes et qu’il fallait compter d’ici peu de temps au moins 4000 pour les années à venir mais rien ne les faisait fléchir : droit dans leurs bottes…
Dans cette opposition ferme, nous trouvons les signatures de Monsieur ARNAULT Paul Pharmacien, complètement opposé, Messieurs ELIOT Frédéric Propriétaire du quartier de l’Époque qui trouve que c’est
absolument inutile, TROUBLE Alfred fruitier de profession, DAUPHIN Alexandre champignonniste, Paul Royer fabricant de plâtre.
Mais heureusement il y en a qui sont vraiment du côté de Monsieur Léon Bry et eux trouvent que c’est une excellente idée et signent des deux mains : Messieurs DENOS Léon pâtissier, GUYOT Jules charretier, les frères ALEXANDRE Eugène et Edouard et LANDRE Jean jardinier et bien d’autres signatures tout aussi emballées pour ce projet...
À cette époque, il faut remarquer que ce ne sont que des Messieurs qui se manifestent !! Ces dames ne sont pas sollicitées pour donner leur avis. Petite constatation d’une femme : « ce n’était pas l’époque… »
Il en résulte à la fin de l’enquête publique qu’il y a 119 pour et 91 contre.
La décision sera prise le 20 février pour l’acquisition du Château Laugier-Villars.
Le conseil municipal se réunit et par une délibération du 2 avril 1889 décide de l’acquisition de cet édifice pour y installer la nouvelle mairie pour la somme de 70 000 francs.
Monsieur le Maire et son Conseil Municipal sont heureux et vont préparer une grande fête pour l’inauguration.
L’annonce est faite par voix d’affiche dans la ville : l’INAUGURATION aura lieu
le 12 octobre 1890 à midi, devant le Château de Monsieur Laugiers-Villars qui deviendra à cette occasion la Mairie de Gagny, tout un programme pour ce petit Village près de Paris.
De nombreux villageois se manifestent pour lire la proposition d’acquisition.
La vie et le travail continuent en attendant de pouvoir aller assister en spectateurs avec les autres villageois à l’inauguration de la nouvelle mairie. Les habitants se passent le mot de bouches à oreilles pour s’y rendre, car ce doit être une cérémonie tout à fait extraordinaire pour de petites gens comme Louise et Pierre ainsi que pour tous les cultivateurs, vignerons, fermiers des environs. Une grande fête se prépare et les abords de la future mairie sont en effervescences. Installation de banderoles, préparation d’une estrade afin que les autorités puissent faire leur discours. À l’intérieur, préparation des salles ainsi que la mise en place de cocardes, drapeaux afin d’honorer le Président de la République, ce n’est pas tous les jours qu’il vient à Gagny.
La Châtelaine du Château de Maison Blanche, Madame Teusch, réunit ses gens de maison pour leur donner des instructions concernant cet événement. Au château ce jour-là, il est prévu le soir un grand dîner pour fêter cet événement avec des invités de la région, en particulier le Maire de Neuilly-sur-Marne avec qui les relations sont les meilleures. Monsieur Georges Rémond, les familles Alexandre, Barthelemy, Guichard, et bien d’autres.
Le Château est en ébullition et les femmes de service aussi ! Louise aidera comme toujours la cuisinière pour confectionner ses délicieuses préparations.
Mais pour Louise c’est un grand jour car venant de son village de la Haute-Saône, elle n’avait jamais eu l’occasion de voir ou d’apercevoir le Président de la République. Elle pense qu’il va lui falloir une toilette présentable pour se rendre avec tout le monde devant cette nouvelle mairie. Elle pense que sa jupe en coton noir et sa belle blouse blanche seront correctes et sur sa tête une coiffe de sa région qu’elle porte pour faire connaître ses origines.
Pour Pierre le costume de marié fera l’affaire, il va sentir un peu la naphtaline, mais qu’importe, ils seront à l’extérieur... Dans leurs travaux quotidiens, ils ne pensent plus qu’à ça. Contents car ils vont pouvoir rencontrer d’autres métayers de Gagny, des vignerons et peut-être se faire de nouveaux amis.
Pierre originaire d’une famille de cultivateurs dans le centre de Gagny connaît déjà certains fermiers, et c’est toujours un plaisir de se revoir, il se réjouit de retrouver des jeunes gens qu’il a côtoyés dans son enfance et il en profitera pour faire admirer sa jolie petite Louise dont il est très fier, d’autant que profitant de cette même occasion, ils annonceront qu’un héritier arrivera début de l’an prochain en 1891…
Le 12 octobre 1890 à Gagny
Les distractions sont rares et il ne faut pas manquer l’occasion.
Le jour « j » arrive tout le monde se dirige vers l’ancien Château, les invités se pressent pour saluer le Maire, les notables. Le médecin arrive avec sa calèche et sa valisette de soins, pressentant qu’il y aurait peut-être des malaises dans la foule. Les villageois en grande tenue approchent avec beaucoup de discrétion, ils ne sont pas habitués mais ils veulent voir le Président de la République Monsieur Carnot [1].
On peut apercevoir les dames du village habillées et chapeautées comme pour une noce, les messieurs sont endimanchés, bien souvent comme pour Pierre dans leur costume de marié (devenu un peu étriqué avec les années passées) et qu’ils ne mettent qu’aux enterrements ou pour cette occasion exceptionnelle.
Il fait une belle journée d’automne, les arbres se sont revêtus de leurs feuilles rousses pour honorer cette fête. Le décor est planté.
Un peu avant midi le vrombissement d’un moteur se fait entendre, tous se pressent pour voir. Des murmures et exclamations surgissent : « c’est le Président Carnot » accompagné de son Ministre de l’intérieur Monsieur Constans. Le préfet de Seine et Oise Monsieur Bargeton et son sous-préfet Monsieur Druard, arrivés peu de temps avant. Monsieur Léon Bry, fier et en grande tenue, les accueille avec émotion. Pour lui, c’est un grand jour…
À midi, la cérémonie commence sur l’estrade installée à cet effet. Les discours se succèdent et chacun de ce public de villageois boit les paroles de cette haute sphère.
Après les discours de cette Inauguration en grande pompe, les villageois en très grand nombre sont invités à prendre un petit verre d’amitié et surtout signer le grand registre afin d’y laisser une trace de cette journée. Ils pénètrent pour la première fois dans cette demeure seigneuriale devenue maintenant leur Mairie. On peut voir les familles Alexandre, Guichard, Guillet, Guérin, Jacquet, Pavy, Mme Emma-Arnoult de Chicago Gills Vve Denos sans oublier le curé de la Paroisse Saint Germain, Jean-Baptiste Baltus né le 28 janvier 1843 à Laix Meurthe-et-Moselle, décédé à Gagny le 19 avril 1910 dans sa charge) qui a d’ailleurs fait sonner les cloches à 12 heures précises à toute volée. Des gens tout simples, même en tenue de travail car la vie continue et ils n’ont pas toujours des habits de cérémonie, mais ils sont présents c’est l’essentiel. Les villageois, ceux qui osent et savent signer déposent avec émotion leur paraphe. Après avoir bu un petit verre de vin de Gagny offert par les vignerons, et déguster quelques douceurs, tous retournent à leurs occupations. Ils ne sont pas prêts d’oublier cette cérémonie tout à fait exceptionnelle et qui dans leur esprit sera sûrement la seule à laquelle ils assisteront au cours de leur vie simple…
Des conversations sont menées à bâtons rompus entre certains, et des questions sur le fonctionnement de leur nouvelle mairie. Comment va-t-on pouvoir côtoyer notre Maire Monsieur Léon Bry maintenant qu’il sera dans son grand Château-Mairie ? Ils sont un peu inquiets, car impressionnés, tout va être changé... D’autres commencent à repartir vers leur ferme ou leur belle demeure de Gagny pour certains qui se sont déplacés des villes avoisinantes, ils repartent avec leur calèche ou tout simplement avec une charrette aménagée en transport pour cette occasion.
Louise et Pierre après s’être rafraîchi à la nouvelle mairie et avoir rencontré les amis de Pierre, et beaucoup discuté de leur avenir, des projets et ce que pourra leur apporter cette nouvelle mairie décident de continuer leur visite du village tout en se dirigeant vers leur retour. Certains sont des gens de maison du château de Maison-Rouge qui se sentent un peu isolés sur leur « montagne » ou se trouve le château. Le valet de pied Jean Lafargue, la cuisinière Angélique Gauthier et son époux Julien le jardinier, une des femmes de Chambre Marguerite Guyot, l’autre partie du personnel de maison était restée au Château, ils ne pouvaient pas tous assister à la cérémonie.
Louise et Pierre décident d’accompagner les fermiers de la Ferme Guyot, en profitant des chemins pour pouvoir découvrir sur la Montagne la ferme du Château de Mont-Guichet, une bonne côte les attend mais qu’importe, ils sont jeunes et Pierre veut faire découvrir à Louise les coins et recoins de son village.
Ils se dirigent sur le côté du château Laugier Villars à sa gauche et empruntent la grimpette, ils ne sont pas très loin de la ferme Guyot, une des plus grosses fermes du village, les conversations vont bon train. Au détour d’un petit sentier et se trouvant sur les hauteurs de Gagny, les jeunes se séparent de Louise et Pierre qui eux continuent en empruntant le lieudit « la barrière
verte » puis ils pénètrent par les bois dans le lieudit « Le parc de Mont-guichet ».
Ils découvrent enfin le château de Mont-Guichet, avec sa grosse ferme et « La laiterie ». Ils sont accueillis par les fermiers qui eux n’ont pu se rendre à cette manifestation dans le centre du village, n’étant pas assez nombreux pour laisser la ferme du château, et surtout servir les gens qui viennent chercher le bon lait de leurs vaches. Ils sont contents d’avoir des nouvelles et se réjouissent à l’écoute des explications de Louise et Pierre qui leur décrivent le déroulement de cette fête. Ils les invitent à s’approcher pour admirer le château de Mont-Guichet dont ils dépendent et sont fiers de leur faire découvrir cette belle bâtisse.
Il se situe à une altitude de 109 mètres, point culminant du village de Gagny, aussi haut que le château de Maison-Rouge.
Le château sera occupé par les Prussiens en 1870 jusqu’au 20 septembre 1871, et c’est de cet emplacement qu’ils envoyaient des obus sur le Plateau d’Avron tenu par les Français, situé sur la colline en face, dans le haut village de Neuilly Plaisance.
Ce domaine deviendra la propriété de Madame Hocquart pendant une longue période. En 1890 c’est le Baron de Laumond grand-père d’Armand Marquiset.
Armand viendra au monde dans ce château le 29 septembre 1900. Il y vécut heureux et choyé mais devenu adulte il mène grande vie, de façon désordonnée dans la vie mondaine et dilapida une partie de sa fortune. La mort de sa grand-mère le perturbe et c’est à ce moment de sa vie qu’il décide alors de se consacrer aux pauvres en fondant « Les Petits frères des Pauvres » en 1946.
Les métayers de la Laiterie après leur avoir décrit la superbe bâtisse de leurs patrons, les invitent à prendre un grand bol de lait avec du bon pain de la ferme afin qu’ils puissent reprendre la route en direction de leur ferme de Maison-Blanche pour être présents lors de la réception donnée par Madame Teusch. Louise y est attendue pour seconder la cuisinière comme à son habitude. Elle commence à être un peu fatiguée avec son ventre qui prend des formes arrondies, doucement mais sûrement…
Après cette nouvelle rencontre agréable Louise et Pierre reprennent la route, en descendant par le chemin de Mont-Guichet bordé de tous les pruniers donnant les « prunes noires de Gagny », et divers autres arbres fruitiers.
L’automne arrive à grands pas et les feuilles des arbres se transforment en se donnant de belles couleurs rouges et brunâtres, quelques oiseaux avec leur chant mélodieux les accompagnent dans leur retour. Après quelques mètres dans le chemin de Montguichet, ils arrivent au-dessus du pont de chemin de fer enjambant la ligne Paris-Strasbourg, ils entendent le rugissement d’une locomotive qui est toute proche avec son panache de fumée noire. Le bruit de cet engin moderne est beaucoup moins mélodieux que les petits oiseaux qui les accompagnaient pendant leur descente vers leur ferme, mais il faut subir le modernisme qui amènera de grandes choses dans la vie courante de chacun.
Ils approchent de leur ferme et aperçoivent au loin les cimes des grands arbres du Parc du château de Maison-Blanche où le travail les attend. Mais après une si agréable journée bien occupée, fatigués, mais tellement heureux d’avoir pu discuter avec des gens de leur condition sociale et avec de la jeunesse.
Ils attendront avec impatience le jour ou ils se rendront tous ensemble pour aller saluer les gens de maison du château de Maison Rouge, et découvrir un nouveau coin de ce si joli petit village de Gagny.
Louise est enchantée par toutes ces découvertes et elle ne regrette pas d’avoir suivi son Pierre pour cette région près de Paris après leurs épousailles. Maintenant attendons la naissance du bébé…
Le Château de Maison-Rouge
Le Duc d’Orléans est propriétaire depuis 1845. Petit château flanqué d’une tourelle ronde. Une ferme s’élevant au sud fait partie des communs.
Une chapelle a été érigée, à la demande de Madame de Ferrary et c’est en 1663 qu’elle sera bénie pour y célébrer la messe du jour de la Saint Fiacre.
- Pour lire la suite : une balade dans le Village de Gagny, 3e partie.
La visite au Château de Maison Rouge
Sources :
- Archives communales de Gagny
- Archives départementales de Bobigny
- Documents : personnels et archives de Gagny