- Position de la 47e division au 5 mai 1918
- Le 5 mai, l’ambulance 210 est à Pronay
(vers St Pôl, au sud de Ramecourt)
JMO de la 47e DI (26 N 356/4)
Du Pas de Calais à la Marne [1].
Grave épidémie de grippe
Doté d’une tour imposante, le château d’Hervarre (Pas de Calais) a fière allure. Mais René et les infirmiers de l’Ambulance 210 n’ont guère le temps de le visiter, tant les malades sont nombreux à se présenter dans le vaste hall de cette demeure. Non seulement, les soignants doivent secourir les blessés mais, depuis le 5 mai, ils doivent trouver des couchages pour les innombrables Poilus de la 47e Division, qui se plaignent de fortes fièvres, de maux de tête violents, de courbatures et d’un affaiblissement général.
Le docteur Côme Ferran, Médecin-Chef, [2] doit se rendre à l’évidence. Tous ces hommes sont victimes d’une importante épidémie grippale très contagieuse et, sur des organismes déjà épuisés par des conditions inhumaines, des complications bronchiques sont à redouter. Le 20 mai, la pandémie prend une extension considérable et le docteur Ferran, secondé par Charles-Félix Muffat Jeandot, pharmacien aide-major [3], doit parer au plus pressé. Originaires de Lyon, les deux hommes s’apprécient et gèrent au mieux la situation. Malgré un tempérament autoritaire, le docteur Ferran fait l’admiration de ses hommes. Son dévouement est inlassable et combien de fois l’a-t-on vu, au mépris du danger, soigner les blessés dans des conditions particulièrement périlleuses.
Fin mai, alors que l’épidémie se propage de plus en plus, c’est une 47e division affaiblie qui embarque en gares de Wizernes et Saint-Omer pour tenir le front dans la région de Chézy en Orxois - La loge aux Bœufs. Soumis à des déménagements successifs qui entraînent fatigue et lassitude, certains infirmiers sont à leur tour victimes du terrible fléau qui s’abat sur la troupe. Ordre est donné aux soldats de ne pas évoquer la pandémie dans les courriers aux proches. L’ennemi doit ignorer ce nouveau coup du sort.
- Relève sur le Canal de l’Ourcq
Le 5 juin, l’ambulance 210 arrive à Lizy sur Ourcq (sur le canal de l’Ourcq au nord-est de Meaux) le 12 juin, elle se déplace à Gué à Tresmes (En bas à gauche de la carte, au nord de Congis). L’ambulance 209 est à May en Multien et fonctionne comme ambulance de triage [4] |
René n’a guère le temps d’écrire à sa famille. Tout juste trouve-t-il de rares moments pour lire les courriers qui lui parviennent avec retard.
Sa mère l’entretient de la carte individuelle d’alimentation entrée en vigueur le 1er mai, des jours décrétés sans viande et du pain sans froment. Son père écrit avoir honte de l’attitude de certains noceurs qui se répandent dans les rues en braillant à pleins poumons devant des jeunes soldats américains choqués. Mais pas un mot sur la grippe [5] Il semble qu’elle n’a pas encore atteint le Finistère, à moins que ses parents ne veuillent pas inquiéter René !
Combats autour de Crouy
Le 12 juin, l’ambulance 210 se transporte à Gué à Tresmes, au "Château du Moulin et à la Distillerie", comme dépôt d’éclopés pour y traiter les ypérités, les petits malades et petits blessés de guerre. L’épidémie de grippe est enfin en voie de disparition, mais les infirmiers vont néanmoins avoir fort à faire ! Les premières lignes de tranchées sont à Chézy en Orxois et La Fontaine de Vailly. Les "actions locales", comme les appellent pudiquement les communiqués officiels, sont nombreuses et violentes de part et d’autre du front [6].
- Combats autour de Crouy
- Pour bien situer les lieux cités.
Mort d’un conducteur muletier
René s’est lié d’amitié avec des soldats de l’escadron du train des équipages militaires. Comment ne pas admirer ces hommes qui vivent dangereusement ? Chargés avec chevaux et mulets de convoyer les ambulances pendant les déplacements et de véhiculer le GBD, ils s’approchent au plus près des premières lignes et des postes de secours, pour transporter les blessés vers les ambulances. Le plus souvent, ils doivent emprunter de mauvais chemins, les routes étant réservées aux convois.
Les ambulances 209 et 210 ont vu agoniser plusieurs de ces soldats et c’est chaque fois un déchirement pour les soignants des deux entités qui entretiennent de bonnes relations et s’entraident [7].
- acte de décès du conducteur Claret
Acte de décès Louis Félix Claret, « conducteur de deuxième classe » au 14e escadron du Train des Equipages Militaires, 36e compagnie ; né le 16 août 1876 à Vallorcine (74). Mort pour la France à l’ambulance 209 à May en Multien le 16 juin 1918 à 21 heures de blessure de guerre. |
- Equipage muletier
Bombardement au gaz
Dans la soirée du 18 juin, de 21 h 30 à 22 h 15, un tir nourri d’obus à gaz (arsine, bromure de benzyle, ypérite) s’abat sur "la corne Nord Est du Bois de Cerfroi", zone occupée par la 2e compagnie du 115e B.C.A. Une averse survenue à 3 heures aggrave les effets des produits toxiques [8] Parmi les soixante-dix-sept Chasseurs "ypérités", beaucoup meurent les jours suivants à l’Ambulance 210, tandis que d’autres, évacués, décèdent dans des hôpitaux.
Les ambulances sont bombardées
Dans la nuit du 1er au 2 juillet, un guetteur, entendant le vrombissement d’un avion, donne l’alerte. Quelques secondes plus tard, des bombes tombent sur les ambulances installées au château du moulin au Gué à Tresmes, suivies par des tirs de mitrailleuse. Heureusement, il n’y a pas de victimes à déplorer mais, seulement, quelques vitres brisées. Malades et soignants n’en sont pas quittes car, vers une heure du matin, un second avion vient jeter de nouvelles bombes. Cette fois encore, plus de peur que de mal, mais ordre est donné d’évacuer le plus possible de blessés, puis de dessiner partout autour de la formation sanitaire de grandes croix à dimensions réglementaires et de rentrer sous un hangar les cuisines roulantes. Constatant les trous de 25 à 30 mètres de diamètre occasionnés par ces engins de mort, René remercie le ciel d’avoir évité un carnage.
Le 8 juillet, c’est avec tristesse que les hommes de l’ambulance 210 voient partir le docteur Ferran, leur Médecin-Chef.
Le 15 juillet, l’offensive allemande est déclenchée sur le front. Dès le 18 juillet, la 47e division participe à la contre-offensive. Les troupes sont maintenues "en état d’alerte". Malgré l’incertitude d’une issue heureuse qui tarde à venir, les hommes gardent le moral. Beaucoup ont une confiance absolue en Foch, Pétain et Clemenceau. René ne doute pas un instant que Dieu va sortir la France de ce conflit ô combien meurtrier. Aux moments les plus tragiques, il se souvient de ce que disait M. Salaun, professeur à Saint-Vincent : Vivez le moment présent : lui seul répare le passé et prépare l’avenir. Ces mots lui paraissent aujourd’hui bien vides de sens !
Au cœur de la bataille de Picardie
Si les Allemands ont franchi la Marne, ils ne progressent plus et sont bientôt contraints de repasser la rivière, laissant dix mille prisonniers derrière eux. C’est maintenant au tour des armées alliées de se lancer dans l’offensive. Comme l’ennemi doute, il importe de ne pas lui laisser le moindre répit.
Le 29 juillet, l’ambulance 209, sur ordre du Haut Commandement, quitte la 47e division pour devenir ambulance de la 1re armée. Ce n’est pas pour autant que l’effectif de la 210 est augmenté ! L’ambulance 210 stationne au Gué à Tresmes jusqu’au 25 juillet. Le 26 juillet, elle quitte le secteur de la Marne pour aller en Picardie, son nouveau "théâtre d’opérations". « Le 30 juillet, dès son arrivée l’ambulance 210 est déployée à Equennes et fonctionne comme ambulance de petits malades et petits blessés récupérables… »
Du début août au début septembre, dans la région au sud d’Amiens, elle accompagne et soigne les troupes de la 47e division dans toutes les étapes des combats [9].
Je viens de passer par de dures journées
Alors que Foch est élevé à la dignité de maréchal de France, l’offensive française et britannique porte ses fruits. Devant la poussée inexorable des alliés, l’ennemi laisse sur le terrain des milliers de morts, de nombreux prisonniers et un matériel impressionnant.
Ludendorff, quartier maître général allemand, dira plus tard : le 8 août est le jour de deuil de l’armée allemande. Ayant compris que la guerre est perdue pour son pays, il ordonne le repli et fait expédier sur l’Allemagne tout le matériel qui peut être enlevé dans les régions occupées.
Très éprouvé par cette bataille de Picardie, depuis Davenescourt où l’ambulance est stationnée, le sage René écrit à son ancienne école. C’est la première fois qu’il ose raconter la vérité cruelle de cette guerre à outrance :
« Je viens de passer par de dures journées. La division, après avoir poursuivi le boche pendant plus de 20 km sur l’Ourcq, a été immédiatement jetée sur l’Avre et là encore depuis Moreuil jusqu’au canal du Nord a combattu sans arrêt. Nous avons soigné autant d’Allemands que de Français. Mais quel champ de bataille. Vrai champ de pourriture dans le plus horrible chaos.
Voilà déjà 8 jours que nous sommes au repos à 80 km du front et cette vision et ces odeurs me poursuivent toujours.
Les boches ont laissé derrière un pays entièrement rasé et vidé. Ils sont passés maîtres dans l’art de piller. Je me souviens d’un château près d’Hangest en Santerre. L’extérieur avait relativement peu souffert, mais dans les chambres et salons tout était nu. Les tapisseries avaient pris la direction de l’Allemagne.
L’arrivée des français avait interrompu le déménagement. Gouttières arrachées, martelées, coupées en plaques, mises en petits paquets, ficelées et étiquetées. Tous les objets métalliques, poignées et ferrures de portes, tringles de rideaux, crochets étaient déjà en sacs. La bibliothèque et plusieurs caisses de vieux papiers (dont l’état civil) n’attendaient plus que d’être mis en wagons. »
Plus tard, bien après la fin du conflit, René aimait raconter à sa femme et ses enfants les exactions des Boches, comme il continuait à les appeler. Ayant reçu l’ordre de procéder avec méthode et hâte à de nombreuses destructions, ils volaient tout, matériel, bestiaux, argent, jusqu’aux habits. Ils enterraient des livres, des meubles, et contaminaient les puits. Aux habitants effarés par une telle méchanceté, les Allemands ne donnaient qu’une seule explication : c’est la guerre. Dans son courrier, René parle des dégradations occasionnées dans un château près d’Hangest en Santerre (Somme). Cet épisode se place le 10 ou le 11 août 1918. Il doit s’agir du Quesnel où l’on retrouva, après la fuite des occupants, des lits en fer à l’état neuf, volés à des marchands des villes environnantes. Le village et l’église subirent aussi de nombreux pillages [10].
Depuis plusieurs mois, l’ambulance 210 est implantée dans des demeures somptueuses, ou du moins qui l’ont été avant la guerre. Mais René et ses camarades, loin d’être des privilégiés, ne connaissent pas la vie de château ! Après avoir risqué leur vie dans trois départements de mai à août 1918 (Pas-de-Calais, Marne et Somme), seront-ils enfin chez eux pour la Noël ?
Ces articles sont en partie tirés du livre de Pierrick Chuto "Auguste, un blanc contre les diables rouges", Cléricaux contre Laïcs en Cornouaille (1906-1924). Plus de renseignements : http://www.chuto.fr/ Vous pourrez y lire la préface de Thierry Sabot et l’introduction et le commander en ligne ou par courrier. Franco de port jusqu’au 31 décembre 2017 : 22 € |
A suivre : derniers combats, dissolution de l’ambulance, démobilisation (septembre 1918-septembre 1919))