Quatre mois de périple, d’un bout à l’autre du front [1]
Après un mois de février 1917 passé en manœuvres au camp d’Arches, René et ses camarades de l’ambulance 210 reprennent la route par voie de terre. Les rares journées de repos sont appréciées après de longues marches à travers les départements des Vosges, de la Marne, de la Seine-et-Marne et de la Côte d’Or. Souvent transis de froid, les hommes arrivent épuisés aux étapes et, quand la pluie s’en mêle, comme le 15 avril dans l’Aisne, la 47e division éprouve des difficultés à avancer sur des routes défoncées par le dégel.
En mai, après une période de repos et d’instruction au sud de Condé-en-Brie (Aisne), les bataillons de Chasseurs alpins, accompagnés du Génie et du Service de Santé (Ambulances 209 et 210), se dirigent vers le front et occupent en juin un secteur vers Chevreux, non loin de Craonne, sur la route de Reims à Laon. L’artillerie ennemie pilonne le bastion et il n’est pas rare de voir un avion allemand survoler les tranchées. Lorsque, trop sûr de lui, le pilote descend bien bas, l’appareil tombe en flammes, touché par les mitrailleuses.
Les hommes profitent d’une semi-activité pour parler entre eux et se plaindre de cette guerre meurtrière, de ces ordres contradictoires, voire incohérents, et de ces déplacements constants qui épuisent les troupes. Le Poilu n’a plus confiance dans les états-majors qui, pour gagner quelques centaines de mètres, n’hésitent pas à lancer des offensives coûteuses en hommes. Régulièrement, des tracts de propagande pacifiste circulent sous le manteau, incitant le soldat à ne plus se battre. Ce dernier sait qu’en représailles, des mutins ont été fusillés pour l’exemple, et que, de plus, des rumeurs de négociations se répandent. Alors, pourquoi se faire tuer, pourquoi se sacrifier, si la paix est proche ?
On raconte aussi qu’à Paris on s’amuse, et que certains embusqués s’enrichissent à l’arrière pendant que les fantassins se font massacrer. Toujours prêt à réconforter ses compagnons, René leur rappelle les mesures prises récemment par le général Pétain, comme le rétablissement d’un tour régulier pour les permissions et le repos pour les hommes qui viennent de monter en ligne. Même s’il ordonne de faire des exemples chez les insoumis, le nouveau Commandant en Chef recommande aux officiers de ménager les troupes et de traiter le Poilu avec bienveillance.
Le moral revient chez les hommes de l’ambulance 210, et c’est avec plaisir qu’ils acceptent de poser pour le vaguemestre. La photo est ensuite imprimée sur un papier cartonné et adressée comme carte postale aux proches qui, dans l’angoisse, attendent quotidiennement des nouvelles de l’être cher. Chacun s’accoutre de son mieux, oublie ses peurs et ses tracas pour afficher son plus beau sourire devant l’objectif du photographe. Un chien perdu, devenu mascotte de l’ambulance, pose aussi tandis qu’un merle apprivoisé attend bien sagement sur les bras d’un infirmier que l’autre oiseau sorte de la boite !
Cette photographie est la seule conservée par la famille de René, soldat infirmier. Dame Anastasie oblige, elle ne contient aucune information sur l’endroit où elle a été prise. Mais Michel Guironnet a réussi à percer ce mystère.
Nous conseillons à qui voudrait en savoir plus sur ces mouvements de troupe entre février et juillet 1917 [2]de consulter le très pratique site interactif Cartographie 1914 - 1918 Le front ouest de la première guerre mondiale. Il pourra ainsi suivre en détail le parcours de la 47e division. |
La carte postale livre ses secrets.
- C’est bien l’ambulance de René...mais où est ce ?
- René Chuto
Parmi ces militaires posant pour la postérité, René Chuto, les bras croisés sur la poitrine, se trouve au 4e rang, 2e à partir de la droite.
Ce ne sont, à priori, que des infirmiers : ils sont 30 alors que dans une ambulance, en théorie, ils devraient être 38, dont 2 sous-officiers et 4 caporaux.
La plupart portent le N° 11 sur leur col (en rouge sur fond bleu) C’est le numéro de leur S.I.M : Section d’Infirmiers Militaires. Ce sont des "infirmiers d’exploitation", auxiliaires employés à de nombreuses tâches logistiques (transport, nettoyage, alimentation, gardiennage) ou administratives (écritures).
Quelques autres ont sur leur col le caducée, insigne porté par les "infirmiers de visite". Après avoir suivi un stage et passé un examen, ils sont habilités à faire des pansements, quelques gestes de petite chirurgie et relever les prescriptions.
Un caporal est assis au 1er rang, le 2e à partir de la droite. Deux infirmiers portent leur plaque d’identité au poignet... mais, même en agrandissant la photo, il est impossible de les déchiffrer !
Ce n’est pas tout : un examen attentif de cette photo livre des détails instructifs ou insolites. Sur la gauche de la photo, une pancarte de bois fixée sur la porte mérite quelques explications :
- Bureau des entrées. Triage
- Sur le col de cet infirmier,bien en évidence, le numéro 11
Ambulance de triage et bureau des entrées
« Un médecin s’installe en permanence à l’entrée de l’ambulance et établit une première sélection parmi les blessés. Il les divise en trois catégories : petits blessés ; moyens blessés ; blessés graves.
Ce triage n’a pas l’apparence scientifique, mais il est suffisant : les petits blessés comprennent tous ceux qui peuvent marcher sans souffrance, dont les plaies, très superficielles, ont peu saigné. Parmi les moyens blessés, nous rangeons les hommes atteints de blessures des parties molles (plaies en séton, larges éraflures, etc.), blessés incapables de marcher sans peine, éprouvés par leur traumatisme mais n’ayant aucune fracture des os longs des membres et n’ayant pas eu d’hémorragie sérieuse. Les blessés graves comprennent la plupart de ceux qui sont couchés sur brancards (crâne, thorax, abdomen, fractures, etc.). » [3].
Au « bureau des entrées » sont inscrits les blessés d’après la fiche que le médecin du poste de secours a attaché à un bouton de leur capote, fiche remplie grâce à la plaque d’identité qu’ils portent au poignet. C’est là aussi que le médecin-chef signe les évacuations et que les secrétaires rédigent les diverses formalités administratives.
- L’homme aux insignes
- L’homme au brassard et l’homme aux chevrons
En haut, l’homme au brassard : le seul soldat du groupe qui porte un brassard et respecte ainsi les consignes du "terrible" Docteur Hassler ! Voir l’épisode 3. En bas, l’homme aux chevrons : cousus sur sa manche gauche, ceux-ci indiquent son temps de présence dans la zone des armées. Le premier égale une année entière et chaque chevron supplémentaire correspond à une période de six mois. On en distingue 5, donc = 3 ans. Ce qui correspond bien à 1917. |
- L’homme au chien et l’homme au merle noir
Grâce à de patientes investigations, un peu tout azimut, notamment sur un site bien connu de cartes postales [4] ; Michel déniche "la sœur jumelle" de cette carte. Hormis quelques différences, elle est identique à la première.
- Le jeu des trois erreurs
- Nous n’avons trouvé que 3 différences entre les deux cartes. Et vous ?
Cette trouvaille n’indique pourtant pas la localisation de l’ambulance 210 ! Mais la découverte d’une autre carte postale ne laisse plus de doute sur la commune où a été pris le cliché. Cela confirme les indications données par le J.M.O du Service de Santé de la 47e division.
- Reffroy (Meuse) Ambulance militaire
- On reconnaît à droite de l’image le bâtiment devant lequel les soldats ont posé.
Deux mois d’instruction avec les Américains [5]
- Les Chasseurs alpins devant la mairie
- Au fronton de la mairie de Reffroy, remarquez les drapeaux américains
René garde précieusement cette carte afin de la remettre à ses parents lors d’une permission qu’il espère prochaine. Pour le moment, le personnel de l’ambulance 210 a fort à faire après l’arrivée des Américains le 13 juillet à Gondrecourt (Meuse).
En effet, las de voir nombre de ses navires coulés par les Allemands, le président Wilson, idéaliste et pacifiste, a été contraint de s’engager dans le conflit. C’est ainsi que le 17 juillet, la 1re division américaine se retrouve au complet (sauf l’artillerie) au camp de Gondrecourt, afin se suivre les instructions données par la 47e Division française.
Très vite, les quelque huit mille hommes du général Sibert bouleversent les paysages et la vie quotidienne des habitants de la région. Ils implantent deux aérodromes à Amanty et Delouze, une usine de fabrication de voies ferrées à Abainville et deux hôpitaux de campagne à Mauvages et Gondrecourt. Ce dernier, baptisé Camp hospital n°1, peut accueillir jusqu’à trois cents malades. Dans le même temps, des baraques sont construites pour recevoir l’infirmerie du 54e BCA (chasseurs alpins) et les ambulances 209 et 210 à Reffroy. Le personnel sanitaire de celles-ci est fort impressionné, lors de la visite du colonel Bailey K. Ashford, chef du service de santé. Médecin réputé, il est connu pour ses travaux en chirurgie et en maladies tropicales.
Le 19 août aux aurores, c’est le branle-bas de combat à Reffroy. Que l’on se rassure, l’ennemi n’attaque pas par surprise l’ambulance 210 ! Après une inspection en règle (aucun bouton ne doit manquer sur les tenues), les hommes montent dans les camions qui les conduisent à l’ouest de Delouze. Là sur le plateau, sous un soleil éclatant, la 47e division au grand complet est passée en revue par le général Pershing, commandant le corps expéditionnaire de l’armée américaine, le général Pétain et Paul Painlevé, ministre de la Guerre.
Le général français de Pouydraguin peut être fier de ses hommes, stimulés par le dynamisme de leurs nouveaux frères d’armes. Les Yankees, qui manifestent un enthousiasme et un évident désir d’apprendre, font preuve de la plus franche cordialité envers les descendants de La Fayette. Ils disent avoir hâte d’aller au combat derrière leurs étendards aux quarante-huit étoiles, encore neuves de gloire.
Auparavant, ils doivent s’habituer au port des masques à gaz dans trois tranchées couvertes. On ne signale pas d’incidents après leur passage en atmosphère nocive (bromure de benzyle ) [6]. C’est heureux, car les infirmiers de l’ambulance 210 sont accaparés par tous les malades qui se présentent. Déjà affaiblis par un mauvais état général, ils souffrent, entre autres, de bronchites, syphilis, gastralgies et sciatiques. Des cas de gale sont même signalés.
Malgré le travail intensif, René et ses camarades se plaisent à Reffroy qu’il leur faut pourtant quitter début septembre, le service de santé de la 18e Division prenant le relais.
- A Reffroy avec les Américains
Attention, Prolongation jusqu’au mardi 7 novembre pour souscrire au livre de Pierrick Chuto, Auguste, un blanc contre les diables rouges. Cléricaux contre laïcs en Cornouaille (1906-1924). Le bulletin de souscription du livre de Pierrick Chuto "Auguste, un blanc contre les diables rouges", cléricaux contre laïcs en Cornouaille (1906-1924) se trouve sur le site : http://www.chuto.fr/ Vous pourrez y lire la préface de Thierry Sabot et l’introduction. |
Pour lire la suite : 5e épisode "Les Chasseurs au secours de l’Italie"