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Accueil » Articles » Chroniques familiales et aventures généalogiques » Une famille de paysans, les Pras, originaires d’un village du Forez » « Les pères de nos aïeux » : Une famille à découvrir : mes ancêtres Roche (épisode 38)

« Les pères de nos aïeux » : Une famille à découvrir : mes ancêtres Roche (épisode 38)

Le jeudi 12 décembre 2013, par Danièle Treuil †

Après avoir évoqué dans les épisodes 28 à 31 mon aïeule Claudine Coudour, l’arrière-grand-mère de mon père Georges – qui nous a conduits jusqu’aux lointains ancêtres Michel - nous voici de nouveau en présence d’une autre Claudine. C’est l’épouse d’Estienne Pra, née environ cent vingt-cinq ans plus tôt. Elle ouvre aussi un chemin vers une lignée très ancienne, celle des Roche car elle apporte – dans sa corbeille de mariage pourrait-on dire - quelques documents, dont le premier daté de 1615 est le plus vieux parchemin transmis par voie familiale. Un hasard extraordinaire nous a permis d’en découvrir un autre et de remonter encore vingt-cinq ans en arrière. Je vous propose donc une nouvelle bifurcation pour cheminer quelque temps au sein de sa famille, qui est aussi celle de l’une de mes aïeules.

Une communauté importante

Répartie entre plusieurs villages

Il existe un peu en dessous du village des Pras et de celui d’oblette et juste au-dessus de Borjas, un hameau rassemblé sur une sorte de terrasse taillée dans la pente au pied d’une grosse “roche” ; elle est envahie depuis quelques décennies par la végétation.

Aujourd’hui une grande ferme avec des dépendances occupe la place, habitée par une famille Pras. Une communauté importante vivait là autrefois et l’on disait “chez Roche”, selon la coutume. En fait l’espace étant tout de même mesuré, leurs membres, au fil du temps, s’étaient installés dans les hameaux alentour, souvent à l’occasion de leur mariage. On les trouve notamment à Plasson, Arfeuille, Rymos, Feugère… mais aussi à Montloux, Epinat, Borjat… pour prendre des lieux déjà cités ; de toute façon, ces hameaux sont très proches les uns des autres. Mais le point de départ, c’est la Roche. Celle-ci a-t-elle joué un rôle magique dans les temps anciens, comme plusieurs rochers de l’environnement, considérés longtemps comme sacrés ?

Entre paysans et notables

Comme les pras et les oblette [1], les roche apparaissent en fait très nombreux, quand nous les rencontrons en cette fin du 16è siècle et pratiquement tous en parenté. Les communautés installées là regroupaient, au moment des mariages, d’autres familles, par exemple les sagnollonge, tamain, oblette, et d’autres… Par ailleurs, comme chez les carré et chez les boysson notamment (familles des épouses pra déjà évoquées), on trouve chez les roche des laboureurs, mais aussi des notables. En particulier, on note en 1712 un roche, notaire royal, procureur d’office d’Urfé et de Champoly ; en 1719, un maître anthoine roche (1649-1729), docteur en théologie, archiprêtre de "la Bresse en lionnais" et curé de Valsorne.. Il est sans doute de la parenté, car il est témoin au mariage du fils de claudine et d’estienne, notre ancêtre mathieu. Il s’agit de la branche des roche de Plasson, très nombreuse (Plasson touche Roche), dont deux frères s’appelaient Antoine comme leur père : le premier, c’est donc l’archiprêtre ; le second, marié à claudine molin, a eu deux fils prêtres à leur tour (sous l’influence de l’oncle sans doute). On trouve d’ailleurs des "Roche" prêtres, dès le XVIè siècle, notamment un Anthoine Roche, fils de Jehan en 1587 [2].

A cette occasion, je remarque que chez les oblette - premier patronyme connu du côté des épouses pra - on comptait aussi quelques prêtres, comme Pierre oblette, qui le 8 septembre 1631, lors de l’épidémie de peste, dicte son testament “du haut de sa galerie sur le terme de sa maison sise au bourg de St Thibaub (un quartier de St Just) déclarant estre atteinct du mal contagieux” (source : Jean Canard). Je ne trouve pas le même phénomène chez les pras de l’époque, pas de prêtres, pas de notables. Tous ceux que j’ai rencontrés travaillaient la terre. Il me semble donc que les garçons pra se mariaient avec des jeunes filles, dont les familles avaient plutôt un meilleur statut social. Ce phénomène se poursuit, nous le verrons, avec le temps qui passe.

Les traces des “roche” à travers quelques documents…

C’est avec beaucoup de curiosité et aussi d’émotion que j’ai identifié avec mon cousin Jacques Laugier, dans la masse des documents qui m’étaient transmis, les parchemins les plus anciens. Ils concernaient les roche, une famille pour moi tout à fait inconnue jusque-là. Il y avait quatre documents, datés de 1615, 1647 1656 et 1660 ; un cinquième, encore plus lointain - 1593 - m’est parvenu après coup, dans des circonstances particulières. Dans cet épisode, je vais vous parler des deux plus anciens : celui de 1615 (c’est le premier que j’ai déchiffré, je n’avais pas encore l’autre) nous apprend qu’un certain jehan roche, époux d’une marie brat, est obligé de vendre la presque totalité de ses biens, car il ne peut rembourser ses dettes ; l’autre de 1593, découvert dans une ferme, raconte l’histoire de la rupture d’une communauté entre trois roche, communauté qui existait de “tous temps… entre eulx et leurs prédécesseurs”.

Les documents ultérieurs feront l’objet d’un prochain épisode ; ils permettent d’observer que la situation de la famille s’est améliorée par la suite. Il s’agit de la vie ordinaire d’une famille de paysans.

Le document de 1615 : une vente forcée

La transmission des documents

L’acte de 1615 est donc le premier document que nos ancêtres nous ont transmis, avec quelques autres. J’ai dit que ces actes notariés étaient venus avec Claudine, mais c’est en quelque sorte indirectement. J’ai compris en effet que les documents ne suivent pas les familles, mais restent à la ferme, bien à l’abri dans le coffre, quand celle-ci passe à d’autres mains. Il faut que les nouveaux venus – suite à un achat ou un héritage - puissent connaître l’histoire de la propriété et justifier leurs droits, si besoin est. C’est le cas ici. Notre ancêtre estienne reprend la ferme à la mort de son beau-père. Il hérite alors des vieux papiers roche, que d’ailleurs il ne peut pas lire, mais dont il sait combien ils sont importants.

L’histoire d’un gros revers de fortune

Les roche ont connu en 1615 un gros revers de fortune : Jehan Roche, celui dont je découvrirai qu’il est l’arrière grand-père de Claudine, est obligé, pour rembourser ses dettes, de vendre un nombre considérable de terres (l’énumération fait huit pages), pour un prix de huit cent-trente livres, et encore n’a-t-il pas dû s’en défaire dans les meilleures conditions ! La somme est importante. Un ouvrier agricole gagnait à l’époque à peine cinq sous par jour, soit quinze livres par mois environ, ce qui correspond donc au salaire d’un ouvrier pendant un peu plus de cinq ans ! 3 Nous trouvons quelques indications concernant les prix de l’époque dans "l’inventaire sommaire des registres paroissiaux" édité par les Archives Départementales de St Etienne : "l’an 1615, à la Noël, le blé valloit 10 s. le carton, le vin commun ung sol la pinte, l’huile deux sols la livre, le sel 26 s la coppe." Nous trouvons aussi quelques commentaires sur la situation du royaume. "Le roy notre sire esposa la fille d’Espaigne et le roy d’Espaigne la fille de France. La guerre fut faicte par Monsieur le Prince en France et fut le peuple fort afflicgé et plusieurs ruyné. Toutefois, par la grâce de Dieu, ce pays fut libre. Dieu soit loué. Faict huy 26 dessambre 1615" (Il s’agit du mariage de Louis XIII avec Anne d’Autriche, fille de Philippe III d’Espagne).

L’endettement est la plaie des campagnes

Pour produire plus, les paysans qui ont un peu de bien cherchent à agrandir leur domaine, puisqu’on ne sait pas améliorer les rendements. La deuxième moitié du XVIè a été une période difficile. Malgré l’embellie correspondant aux dernières années du règne d’Henri IV, on vit toujours dans la crainte des disettes et des famines. On emprunte alors pour acquérir des terres nouvelles, afin d’augmenter ses produits et ses revenus, on emprunte pour avoir la fierté de transmettre une propriété plus vaste à ses enfants, on emprunte pour faire la soudure après de mauvaises récoltes ou un accident familial.

Justement depuis quelques années le temps est pourri, comme nous l’avons vu lors de l’épisode concernant anthoine, avec l’entrée dans le petit âge glaciaire ; l’hiver 1613-1614 a été particulièrement rigoureux : "l’yvert avoit commencé le jour de la Saint Martin (La St Martin d’hiver correspond au 11 novembre. La Saint Martin d’été, au 14 juillet) et il fit un grand froit qui dura jusqu’au mois d’april 1614. Le bois fut bien chert et n’en pouvait-on trouvé pour argent." le 14 april 1614 : "ledit jour faisoit froid. La neigge avait gasté les blez en seste montagne... le peuple patissoit beaucoup et estoit en grande nécessité, à cause qu’on ne gagnoit rien, couvoit des malladies. Le froid avait consummé les personnes" signé : Noël Durelle curé de St Just en Chevallet. L’hiver suivant fut à nouveau glacial. On peut imaginer ce qu’il en était au-dessus de St Just à près de neuf cents mètres d’altitude, où il neigea même un premier août 1618, au point que "la terre en estoit couverte" (de neige). Quand vient le moment des remboursements, qu’on cherche à retarder le plus possible, le coût des intérêts a considérablement augmenté la dette. Le taux évolue entre 4 et 8 % l’an.

“Souvent nourry sont ceux qui ne font rien”

Cette situation profite à certains, notamment aux marchands, nobles d’offices ou encore bourgeois de robe, comme c’est le cas ici, puisque la vente est réalisée au profit de Jehan Ramey, avocat et juge (du comté d’Urfé et de St Just), dont l’épouse est nommée de façon pour nous inattendue "jugesse" (Elle est qualifiée comme telle, en tant que marraine en 1600).

Tout au long du XVIè et jusqu’au milieu du XVIIè, le notable citadin, dans l’immense majorité des cas, cherche ainsi à placer son argent dans la terre, qu’il se soit enrichi par le commerce (comme les Michel à l’origine), par le prêt ou par l’exercice d’une profession libérale. "Un domaine campagnard est à la fois un revenu sûr, la possibilité d’assurer une part de la subsistance de la maisonnée et de spéculer en temps de crise sur les grains, enfin signe de promotion sociale" [3]. C’est ainsi que se constitue autour de chaque ville, grande ou petite, une couronne de propriétés de marchands, de rentiers, de gens de loi, au détriment de la paysannerie traditionnelle.

L’acte de vente forcée

C’était la première fois que je faisais appel à Jean-Marc Moriceau, avec lequel je travaillais sur l’histoire de notre commune, pour m’aider à déchiffrer l’essentiel [4]. L’écriture est magnifique, mais je n’avais pas l’habitude de ces textes anciens. Il m’a aidée à comprendre et à interpréter. Je donne ci-après le début et la fin du texte. Comme d’habitude j’ai surligné certains passages, pour en faciliter la lecture et ajouté de la ponctuation.

Extrait de l’acte de vente de 1615

Il est personnellement establye Jehan Roche, laboureur de la paroisse de St Just en Chevalet et sous son authorité Marye Brat sa femme, conjointement et l’un d’eux seul et pour le tout, sans division ni discussion (mot illisible) lesdits droictz, lesquels de leur grés ont vendu, cédé, remis et transporté, par vente pure et simple, irrévocable, et promettent de garantir, maintenir et faire jouir en paix à honorable maistre Jehan Ramey, advocat au dit baillage de Forest, juge au comté d’Urfé et audit St Just, présent et acceptant, pour lui et ses hoires (= héritiers)

par premier, la grange à paille à eux appartenant au village de Roche avecque l’estable et (mot illisible) d’icelle et uns pré joignant à icelle, avecque un petit jardin tenant ensemble ledit pré, contenant 1/2 chard et le jardin, un carton [5] de semailles, avecque leurs aisances, jouxtant la grange et pré de Just Saignollonge, de bize ; la terre et pré de Just Roche l’ainé, de matin et quasy bize ; à la terre et chenevier dudit Sagnolonge, une muralle entre deux de midy ; un chemin entre deux à la place du village, de soir.

item, une terre appelée soulz les hortz, contenant vingt cartons .. jouxtant la terre de l’achepteur de soir, la terre de Guibert Roche, de soir et midy ; au pré de la Goutte cy-après confiné, de mattin et à la terre dudit Sagnolonge de bize et au jardin de l’achepteur et .. dudit Guibert Roche, de bize et au chemin ou sentier tendant de Roche au pré de la Goutte, de bize.

item, uns pré, appelé de goutte, contenant huit chardz de foin, jouxtant la terre et de repaire, appartenant à Guibert Roche de midy et soir, le boys d’Oblette dudit Sagnollonge de mattin et midy, le pré de Guibert Roche de mattin, le pré dudit Sagnollonge de bize, laditte terre soulz les hortz sur confins et la terre dudit Sagnollonge du soir et bize.
Item, une terre appelée du tailley, contenant cinq cartons, joignant le pré du soir et quasy midy au boy tendant de Roche à St Just de mattin, à la terre dudit Sagnollonge de bise

ainsi continue l’énumération sur six pages, chaque paragraphe commençant par : item … le texte se termine :

Cette vente faite en la présence et du consentement de Claude Tamain, laboureur dudit St Just, gendre dudit Jean Roche vendeur et du consentement de Françoise Roche, sa femme et donnataire de la moytié desdits fonds, de l’effect de laquelle donnation, ils se sont despartis et despartent et de tous les droits et actions qu’ils pourroient prétendre sur lesdits fonds ..
de ladite donnation, laquelle ils ont reconnu leur estre adverse et beaucoup préjudiciable, d’autant que les deptes des vendeurs excèdent beaucoup la valeur desdits biens, desquels ils se départent et désistent, comme aussy de la dite donnation .. et vente, procédent la somme de huit cent trente livres tournois et trois livres d’espingles pour lesdites femmes [6], les dites trois livres payées réellement et comptant et pour ladite somme principalle ledit Ramey promet de payer en l’acquit desdits vendeurs, scavoir :

  • quinze livres tournois à Anthoine Popullo (?) pour le principal de la moytié d’une pension.
    - deux cent cinquante-trois livres à Estienne Lay
  • cent une livres à (illisible)
  • trois livres et desdites sommes cy rapportées acquit à requeste et le surplus en acquicte de plus anciennes debtes et obligé dudit Jehan Roche ..(mots illisibles) que ceux dont Just Sagnollonge, cy devant son parsonnier est chargé, et sans comprendre le mariage de ladite Mary Brat et dudit Tamain, lequel Tamain se réserve néanmoins de recouvrer son dit mariage sur ledit Jehan (ou claude) Roche et le surplus de ses biens comme aussy ladite Brat et moiennant lesdits acquitements, lesdits vendeurs ont quitté ledit Ramey… promettent lesdites parties avoir gré et entretenir - ce que dessus de tous dépens, dommages et intérests, obligent corps et biens

ont soulmis à haute court et renonçant à tous droitz contre...
faict audit St Just en Chevalet, maison dudit achepteur, le 18 juillet avant middy 1615. Présent : M Claude…, sergent royal, Mathieu Buissonnet, hoste (= tenant hôtel, aubergiste), Pierre Roche Plasson et Just Roche Laboureur.

Commentaires :

• concernant l’énumération des biens vendus.

  • Il faut d’abord remarquer que si une grande partie des terres et quelques bâtiments, comme une grange, tous situés sur Roche, sont vendus, jehan roche garde la maison d’habitation et sans doute aussi quelques terres pour survivre.
  • On voit que les terres sont très imbriquées les unes aux autres et se répartissent
    essentiellement entre les familles roche et just sagnollonge (le parsonnier). Mais l’acheteur a également au moins une terre en cet endroit - peut-être davantage - et on comprend que, par cette opération, il cherche justement à agrandir son domaine.
  • On se rend compte combien l’identification des terres, avant l’existence du cadastre, était compliquée, puisqu’il fallait procéder en nommant chaque terre voisine, située de façon concrète par rapport au soleil, selon les différents moments de la journée, sauf pour le nord, appelé "bize" (chacun savait d’où venait ce vent froid), direction où jamais le soleil n’apparaissait.
  • Chaque pays avait ses mesures. Ici, on ne mesure pas en surface mais en biens rendus Il s’agit de "chard de foin" et de "carton", appelée plus tard "cartonnée". L’appellation de ces mesures est restée constante jusqu’à la Révolution.

• concernant les différents acteurs et les conditions de la vente.

Sont nommés la femme de jehan roche, marye brat, sa fille françoise et son gendre, claude tamain roche. Sont nommés aussi les différents créanciers de jehan roche. C’est Jehan Ramey qui va les payer directement en lieu et place des roche. Apparemment, cette vente ne suffit pas à acquitter toutes les "debtes", car il existe aussi des dettes anciennes. De ce fait, la fille et le gendre, qui considèrent que tout cela leur est "adverse et beaucoup préjudiciable", renoncent à tous leurs droits sur le domaine. Le gendre, claude tamain, se réserve néanmoins celui de récupérer "le mariage" (je pense qu’il s’agit du montant de la dot) sur claude roche (son beau-frère ) ? Sont cités également comme témoins à l’acte : pierre roche Plasson et just roche, sans doute des parents.

Non seulement, jehan roche a eu besoin de l’accord de ses enfants, mais aussi de l’accord de son parsonnier, just sagnollonge [7]. Nous avons parlé de l’origine de cette institution dans le précédent épisode.

Nous sommes donc en présence à Roche d’un réseau étroit de familles, constitué notamment, comme nous l’avons dit, par les roche, les sagnollonge, les tamain et aussi des pra. Je pense par ailleurs que Claude Roche plasson et Pierre Roche sont frères de Jehan. Les mariages, les parrainages, sont croisés entre eux tous, sur plusieurs générations. La fille de jehan roche épouse un tamain, dont la fille épouse à nouveau un roche. Cette dernière se marie à un "pra", dont l’oncle estienne avait convolé, comme nous l’avons vu lors des épisodes précédents, avec une sagnollonge, prénommée denyse, fille de pierre. Or les sagnollonge ont été en communauté avec les roche… ! Et ainsi de suite… de quoi s’y perdre !

Dommage que les roche n’aient pu attendre l’année suivante. On note en effet dans l’inventaire sommaire cité plus haut, malgré un hiver encore rude : "3 juillet 1616 - on faisoit bonne chère pour trois sols. la grâce de nostre Seigneur estoit abondante sur la terre. Se fit de belles moissons et à la Saint Jean Baptiste on les commencat, chose qui ne s’estoit vu il y avoit plus de trente ans". Mais les répits sont de courte durée : "le 11 octobre 1616, Monsieur le Prince fut mis prisonnier pour avoir fait la guerre et entrepris sa Majesté. La guerre estoit entre l’espagnol et le savoyard. La France estoit à demi troublée. Le comte d’Auvergne estoit sorti de prison, où il avoit demeuré l’espace de treize ans environ ... estoit de graves maladies, la fièvre chaude, la dissentrie .. “ C’est en effet le retour de la peste à St Just. La dernière grande épidémie dans la région surviendra en 1632.

Le document inattendu de mars 1593

Le partage d’une communauté

Ce document inespéré a été retrouvé, après le regroupement familial qui s’est déroulé dans la région, à la fin de l’été 2000. J’avais organisé un passage dans tous les hameaux de nos ancêtres. Le propriétaire de la dernière ferme du hameau Roche, un Michel Pras, à la demande de notre cousin Gérard, a trouvé plusieurs vieux parchemins dans son grenier, qu’il n’avait jamais essayé de déchiffrer. Miracle… ils concernaient une famille roche, de toute évidence propriétaire de la ferme à l’origine. Le plus ancien datait de 1593, il était en parfait état et écrit magnifiquement. Il avait résisté depuis tout ce temps, à l’eau, au feu, aux rats… Il avait été transporté d’une construction à l’autre, car on ne pouvait imaginer que la ferme actuelle était celle d’origine ; une famille pra, en reprenant l’exploitation voici plusieurs générations, en avaient hérité. On nous l’a prêté et nous avons pu le scanner. Ce document nous bascule vingt-deux ans avant la vente catastrophique de 1615 et plus de quatre cents ans en arrière par rapport à aujourd’hui !

Que se passait-il en ce temps-là ? La peste qui avait sévi en Forez dans les années 1585/90 s’était éloignée pour un temps. Mais on connaissait depuis quelques années des hivers très froids et des étés pourris. Sur le plan du royaume, Henri IV le 25 juillet 1593 abjurait le protestantisme à St-Denis devant une foule enthousiaste, avant d’être sacré roi à Chartres au mois de février suivant ; mais les luttes entre catholiques et protestants, qui avaient commencé tardivement en Forez, font encore rage. C’est en 1593 justement, que l’église de Chérié (à dix kilomètres de Roche) est dévastée : “un lieutenant fait mener ses chevaux et ses putains dans l’église”. Nos paysans du Forez, très attachés à leur religion, sont scandalisés. Il est temps que le pays retrouve la paix religieuse !

Sur le plan de la lignée Pra, Anthoine, fils de jehan pra oblette et marguerite oblette a six ans… Les parents se trouvent parrain ou marraine de bébés roche, concernant les familles citées dans le document.

Le document a pu être déchiffré grâce à un membre parisien de l’association "Ceux du Roannais", Virginie Joathon. Il s’agit du partage d’une communauté entre trois “roche”, dont l’un concerne semble-t-il notre lignée.

Les acteurs du partage

A l’époque nous apprenons que trois Roche vivaient jusque-là en communauté, avec pour certains leurs enfants. Il s’agit de Jehan Roche et Guibert Roche, d’une part ; d’autre part, Just Roche aisné, son fils Just jeune (ou son frère cadet), sa fille Jane avec son mari Claude Epinat Roche et le gendre de ces derniers, Pierre Oblette, “lesquels partis ont dict que de tous temps et ... eulx et leurs prédecesseurs ont vécu en communauté chacun pour un tiers partie et esgalle pourtion”. On remarque qu’il s’agit - pour partie – du nom des personnes citées dans l’acte de 1615, notamment ceux qui sont les voisins de jehan roche au moment de la vente forcée, just roche aîné et guibert roche entre autres, lesquels ont des terres limitrophes. Celles-ci n’étaient plus communes, justement depuis la séparation de la communauté vingt-deux ans plus tôt.

En 1593, deux ou trois familles constituent donc les parsonniers, avec des écarts d’âge, qui représentent plusieurs générations, comme c’est souvent le cas dans les communautés. Just roche aisné est même grand-père d’une jeune femme née espinat mariée à pierre oblette, ce qui signifie qu’il est né aux environs de 1525/30. Il représente avec fille, petite fille, leurs époux respectifs et aussi son frère (ou fils) Just jeune, deux parts de la communauté.

Quant à la troisième part, elle est dévolue à Jehan Roche et Guibert Roche. S’agit-il du Jean Roche de 1615 (celui de la vente forcée). Si c’est le cas, ayant découvert qu’il avait un fils aîné, venu au monde en 1590, on peut présumer que sa naissance se situe vers 1565.

Il est difficile de démêler les parentés entre les Roche, à cause de la fréquence des mêmes prénoms, en particulier Jean, Just… qui s’appellent tantôt “ayné”, tantôt “jeune”, sachant que les jeunes deviennent aînés, quand le père meurt (ayné et jeune peuvent être aussi utilisés au sein d’une fratrie entre deux frères qui portent le même prénom). La suite de mes recherches me permet d’envisager deux possibilités pour les parsonniers jehan roche et guibert roche :

• première possibilité : jehan roche, époux de marie brat (celui de 1615) ? Etant donc beaucoup plus jeune que just roche aîné, ce serait plutôt son neveu, ainsi que guibert (en effet jehan a un frère guibert, parrain de son premier fils en 1590).

• deuxième possibilité : un jehan roche, père des précédents ? (il semble en effet que c’est le nom de leur père. Indice : un acte de baptême). Dans ce cas, c’est lui qui est parsonnier de just roche aîné, avec cette fois son fils guibert (celui ci-dessus)

Toujours est-il que tous ces roche sont des parents proches, des fils, frères, neveux, au plus loin des cousins, comme le démontrent les terres, qui restent imbriquées les unes aux autres après le partage et aussi les parrainages des enfants. A titre d’exemple, Just Roche aîné a un fils jehan qui se trouve parrain en 1593 d’une jane, fille de marye brat et jehan roche.

Ils sont tous présents à l’acte, pour mettre fin à leur communauté, à l’amiable, même s’ils ont requis la présence de notables, pour valider leur décision et l’officialiser par un acte. Ils se séparent, mais comme nous l’observons plus tard, plusieurs terres attribuées à jehan et guibert se retrouvent dans la vente forcée de 1615.

L’acte de partage de la communauté

Le document traite donc d’un partage, comme il s’en produisait régulièrement au sein des communautés, quand des différends s’élevaient entre les parsonniers. Ici, ils prennent leur décision “d’aultant que depuis quelque temps ils ont heu quelques (divergences) et ne peulvent compatir ensemble, ils se sont trouvé d’accord de partager et diviser leurs biens tant meubles qu’immeubles et d’en passer les prtes soit ainsy que s’ensuit ...". Cette fois, tout semble se passer à l’amiable, ce qui évite les frais d’un procès. Il est certain qu’ils appartiennent tous à la même famille, comme je viens de l’évoquer. C’était la coutume dans les petites communautés de la région. Cette relation a sans doute facilité la transaction, mais on passe devant notaire pour régulariser la situation et l’accord est entériné par “Anne, comte d’Urfé, marquis de Baagé, Baron de Chateaumorand, Chevalier de l’Ordre du Roy, cappitaine de cinquante hommes d’armes et surtout Bailly du Forez”. C’est à ce titre qu’il intervient.

Le contrat est passé devant Maître Legrand, notaire royal “au lieu de la Roche, le sabmedy vingtiesme jour de mars après midy mil cinq cent quatre vingt treize”, avec pour témoins : un notable, garde du sel royal, un certain Vintimille, châtelain du Château de St Just, et plusieurs laboureurs, sans doute leurs voisins : Anthoine Seignolle, Pierre et Estienne Brossard, prud’hommes des parties. "lesquels et lesdits parties ont déclaré ne signer de ce enquis, excepté ledit Seigneur de Vintimille qui a signé en la cedde des prtes".

Ont-ils procédé au moment de la dissolution, à la cérémonie du “chanteau”, présidée par le maître, souvent le plus ancien des membres, qui consistait à partager un pain ou un gâteau en autant de parts que la communauté comptait de parsonniers ?

La répartition des biens communs

Tout est prévu, il ne faut rien laisser au hasard, si l’on veut éviter plus tard les problèmes : le partage des terres, des maisons, du bétail, de l’eau… et, très important aussi, l’organisation des droits de passage pour le ramassage des récoltes et du foin, sans oublier la répartition des dettes et des impôts !

• La répartition des biens mobiliers : terres, maisons et bétail
Dans le partage des terres, je reconnais certaines dénominations présentes dans des actes concernant plus tard mes ancêtres, comme “repairo”, les “Gorses” ou “les Gouttes”… ce qui laisse à penser que parmi ces parsonniers, se trouve bien ma famille d’origine, côté roche.

“Ils partagent les maisons avec leur grand jardin ou leur petit jardin, "dans lequel est le grand pomier". Pour Just l’ayné, c’est “la maison vieille”… !
Pour le bétail, rien n’est pas détaillé. Les parties déclarent simplement “avoir partagé le bestial avec les meubles et en avoir eu trois parties, parts et pourtions”.

• un problème épineux : ravitaillement en eau et droits de passage
Ce sont des points essentiels. Nous avons vu, avec Antoine, les litiges qui pouvaient en résulter au moment de la Révolution, quand les terres étaient partagées entre tous les héritiers et que certaines terres se trouvaient de ce fait pour certain complètement enclavées…

  • les eaux pour arroser leur prés
    "Item a été dict que les eaux pour arroser leurs prés se prendront par chacun deulx comme s’ensuit, scavoir quand au pré de Champtgolland, que led Jehan Roche l’aura la moitié du temps et la prendra une sepmaine entière comme le plus éloigné de la prise d’icelle, et la semaine subsequente sera par moitié entre lesd Just et Juste Roche l’ayné desquels la prendra le samedy matin et la gardera jusqu’au mardy à midy et l’autre le reste du temps, touchant le pré de Bella Charra chacune des partyes la prendra troys jours consécutifs et commencera led jehan toche a la prendre le sabmedy quand le voisin la laissera et les autres consécutivement, pour le regard du pré des gouttes elle sera par moitié entre lesd Jea) et juste l’ayné desquels commencera aussi à la prendre le sabmedy matin jusqu’au mardy a midy et le jeune le reste du temps .."
  • Quant aux droits de passage :
    "item a été dict que les partyes passeront ls foings, gerbes et fumiers de leurs héritages l’un arrière l’autre comme ils avoient acoustumé faire estant en communaulté, et si elles ne se peulvent servir commodément des chemins pour mieux pasturer leur bétail passeront aussi l’un arrière l’autre au moings de dommage que faire se pourra, et soubs lesd réserves icelles partyes se sont devestues et dévestent .."
  • Pour les impôts enfin, Ils décident que "les tailles dheus par les parties comme aussi les servis deubz sur leurs fonds et héritages se payeront par tiers et esgalle portion et s’il se trouve que la part de l’ung soit plus chargée que celle des autres, seront tenus de l’en satisfaire (?) et recompensé. Je comprends par là qu’il sera dédommagé. Ils viendront aussy “a division et partage de leurs debtes”, dont l’énumération est donnée.

Régularisation

En 1608, le 8 janvier, tous les acteurs du partage se retrouvent comme il est indiqué ci-après : “pardevant le notaire royal au baillage de forest soubvsigné et en prse des tesmoigts apprès nommés, sont comparus en la personne de juste roche l’eyné en son nom et de juste son fils et donataire, laboreur de Sainct Just d’une part ; Gilbert Roche en son nom et Jehan Roche aussy laboureur de lad paroisse d’aultre ; et encore claude epinat roche pour et au nom de jane roche, sa femme et pierre oblette leur gendre, d’aultyre et 3e part.” Ils se réunissent pour régler le problème du partage des impôts “recogneu avoir faict partage et division de cens et servis par eulx deubz a la seigneurie de St Just”.

L’acte est postérieur de quize ans à celui de 1593. Une remarque : Il est possible qu’ici just roche l’aîné soit le just roche jeune de l’acte de 1593, compte tenu du glissement qui se produit de père en fils, à la mort du père. Et le jean roche fils de 1608 serait fils de celui devenu aîné…

Chacun paie son dû, selon des termes bien compliqués à déchiffrer et à analyser. A titre d’exemple :

“le thiers dud. gilbert roche monte en somme

en argant xiiii sols x deniers - soigle un cartons - avoyne iiii ras iii - “gelline demy ix thiers ; charron et manœuvre, quart.”

Il est écrit en dessous : … des servis du prieur de St Just, de l’an mil six cent et quatre

Le moment n’est pas faste pour mettre un point final au partage, car l’hiver est particulièrement froid et la disette commence à sévir. Mais peut-être justement ont-ils estimé qu’il ne fallait pas attendre davantage ? Le 31 décembre de la même année, just eyné et just jeune vendent à pierre oblette, l’époux de la petite fille de just eyné, une terre de deux cartonnées appelée “gorses”, pour une somme de dix livres.

Ainsi se maintiennent, au fil du temps, des liens étroits entre les anciens parsonniers, qui ont peut-être d’ailleurs recréé des communautés nouvelles. C’est le cas je pense pour mon ancêtre jehan roche, époux de marie brat, s’il s’agit de lui, qu’on retrouve comme nous l’avons évoqué, en communauté avec sa fille françoise, son gendre claude tamaingt et un certain just sagnollonge, au moment de la vente forcée de 1615. S’il a perdu alors la plus grand partie de son bien, nous allons voir que son gendre a pu rebondir, comme nous l’avons observé dans d’autres documents, venus aussi des Roche.

Pour lire la suite : Les Roche rebondissent – Nouvelles alliances avec les Tamain et les Canard.


[1Reconstitution des familles Roche à disposition, comme pour les premiers Pras et Oblette, pour ceux qui sont intéressés.

[2Les prêtres Roche ou Oblette : renseignements tirés de "la société des prêtres de St Just en Chevalet." par l’abbé Jean Canard, 1958.

[3Histoire de la France rurale de 1340 à 1789- auteurs multiples Neveux, Jacquart, Duby… - ed du Seuil.

[4Jean-Marc Moriceau, historien de l’histoire rurale (déjà cité).

[5carton = deux décalitres, soit 20 litres.

[6espingles : C’est une sorte de dessous de table. Il s’agit d’une coutume d’origine franque, qui remonte aux temps mérovingiens. Il s’agissait à l’époque de se concilier les bonnes grâces de l’épouse, en lui donnant des "espingles", sortes de fidules qui servaient à l’agrément de sa toilette. Avec le temps, les "espingles" se sont transformées en monnaie. Il est intéressant de noter que cette coutume s’est perpétuée pendant plus d’un millénaire et les notaires qui consignaient la formule ignoraient certainement son origine. (d’après Gérard Panisset déjà cité).

[7Ce just Sagnollonge est donc de la même génération que Pierre Sagnollonge, le père de Denyse, tante par alliance d’estienne pra, l’époux de Claudine.

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