Le contrat de mariage du 29 juin 1656
Ce contrat, qui concerne une jeane tamain roche et un jean roche, m’a posé plusieurs questions : qui étaient-ils, quel était leur rapport avec mon ancêtre Claudine ? Pourquoi, par ailleurs, leur mariage, à bien y regarder, apparaît-il étrange… ? Je vais essayer de vous faire partager, pas à pas, mon cheminement pour trouver réponse à ces interrogations. L’énigme a été beaucoup plus facile à résoudre du côté de l’épouse. Sur le dernier point, j’en suis restée à une hypothèse.
Un premier point à éclaircir : le lien des futurs mariés avec mon ancêtre Claudine ?
Le contrat de mariage m’est apparu comme un très beau document, facilement lisible (ce qui est rare) et plein de promesses. Mais je ne savais pas quel pouvait être le lien des futurs mariés avec claudine. Je n’avais pas alors trouvé son acte de naissance, ni son acte de mariage (les actes n’étaient pas en ligne…) encore moins le contrat, puisqu’il n’est apparu qu’en 2004 après le dépôt du notaire. Étaient-ils les parents de claudine, comme on pouvait le supposer ? Comme d’autres fois, j’ai avancé à petits pas… la marche habituelle du généalogiste.
Que m’apprenait le contrat de mariage sur leur parenté ?
Les parents de jeane sont nommés : il s’agit de françoise, veuve de claude tamain roche. Pour le jeune homme, de son père : claude roche de montloux ; la mère n’est pas désignée, est-il veuf ? A l’occasion des biens transmis à chacun, nous avançons un peu dans la connaissance des familles.
• Jean a un frère aîné, qui porte le même prénom. Nous l’apprenons par la formule suivante : “aussy estably en sa personne, aultre frère jean roche lainé, fils dudict claude et donc frère dudict futur espoux, lequel pour l’amytié et affection qu’il lui porte… luy a donné et constitué…” Pas d’autre allusion à une fratrie.
• Quant à jeane, la future mariée, sa mère françoise, après la mention des biens qu’elle donne à sa fille, il est précisé : “et pour ses aultres enfants, quy sont claudine et claudine tamain et anthoine tamain leur sera payé, lors qu’ils se marieront… “ Ils sont donc encore célibataires et sans doute plus jeunes que jeane. Il n’est pas question d’enfants plus âgés, qui seraient déjà mariés. Mais nous en avons plus tard identifié plusieurs.
Parmi les témoins présents ce jour-là, on remarque un pierre sagnollonge, patronyme familier, et un mathieu canard du fraigne, pour lequel je découvre un acte en date de 1660 dans le lot transmis, sans doute un parent ? Il est aussi question de pierre magnard et d’anthoine caure, dont je saurai un peu plus tard qu’ils appartiennent à la famille par alliance du futur époux.
••• Pour la signature de nombreux parents et amis sont présents, mais aussi un prêtre Pierre Thinet, « sossiétaire en lesglize parrochiale dudict St Just ». Seuls signent parmi « ceulx requis », le notaire royal Mathe et deux témoins.
Rapidement, la réponse à la question : lien de Claudine avec les mariés
Grâce à ces premiers éléments et à la vente forcée de 1615, déjà étudiée, j’ai pu - hors registres paroissiaux - franchir très vite l’étape concernant les parents de jeane cités dans le contrat, françoise et claude Tamain, Je connais ces deux-là : ils vivaient en communauté avec jehan roche et marye brat, au moment de cette vente qu’ils avaient déclarée « adverse et très préjudiciable » : françoise était leur fille et claude tamain, leur gendre. La future mariée est donc la petite fille, par sa mère, de jehan roche et marye brat. Restait le lien à trouver dans l’autre sens avec claudine. Ce fut chose faite quand mon cousin, Cyrille Pras, qui habite près de St Just, a trouvé son acte de mariage, daté de 1686. Comme je l’avais supposé, c’était bien leur fille. J’ai pu donner l’information dans l’épisode 36, quand j’ai abordé le couple estienne et claudine. Nous verrons qu’il est moins facile de déterminer les ascendants du futur époux.
Nécessité de compléter les informations, avec les registres paroissiaux
Impossible d’aller plus loin avec le contrat de mariage et les documents en ma possession… Il fallait pouvoir explorer les registres, sachant toutefois, que pour ces temps anciens, il existe des lacunes et que les actes de mariage sont souvent succincts. Je souhaitais cependant mieux connaître le réseau des jeunes mariés et aussi découvrir les liens possibles avec une famille canard, présente à la signature du contrat, mais surtout auteur d’une « élection d’amy », en leur faveur l’année suivante. J’avais déjà exploré, lors de mon passage à St Just, les tout premiers registres, notamment ceux qui concernent les pra et les roche. Mais c’est grâce encore une fois aux relevés très précis de Michel Taboulet, membre (déjà cité) de l’antenne parisienne de “Ceux du Roannais”, relevés effectués sur place, que j’ai pu préciser davantage les différents roche/tamain/canard impliqués dans l’histoire. On observe combien pour avancer il faut élargir les sources et croiser les informations… un vrai travail de défrichement, un peu ingrat, mais qui permet de mieux comprendre l’organisation des réseaux et comment s’installent les solidarités familiales.
Commencer par le commencement avec le couple Jehan Roche/ Marye Brat (ceux de la vente forcée de 1615)
Pour retrouver les ancêtres du jeune marié, un jean roche, je pensais intéressant d’explorer du côté du couple « jean roche/marye brat » et de leur parentèle. Voici un relevé que je pense le plus complet possible, car plusieurs informations ont été croisées, en particulier à partir des parrainages.
• Gilbert 2 mai 1590, pa Guibert ou Gilbert Roche (un oncle ?) [2] – ma : Marguerite, fa de Jehan Pra Oblette, mon ancêtre.
• Jeane ou Anne, 1593, ma jane Brat, sa tante, dite fa de feu estienne roche. (3) Anne est ma à son tour le 22/2/1617 de Jeane, celle du contrat de mariage (fa de Françoise Roche et Claude Tamain roche) et le 20/6/1624 de Pierre, fs de Francoise et Claude Tamain Roche, neveu.
• Jehan 1594 – ma : Françoise Brat, fa de feu estienne. Jehan est pa le 17/5/1619 de claudine, fa de Françoise Roche et Claude Tamain ; le 4/11/1627 de Jean fils des mêmes, des neveux.
• Françoise septembre 1595 (ma, Françoise Brat, fa de feu estienne) x avant 1615 Claude Tamain Roche.
• Claude, 1596 – ma : Françoise Brat, pa : Claude Sagnollonge Roche.
• Claude 22/9/1598 - ma et pa idem (laisse supposer que le premier est décédé)
• Jeane 1600,
• Jane 10/6/1601 – pa, Pierre Roche Plasson né le 10/10/1578, oncle paternel ? – ma :Vincent philippon de la caura.
Jehan roche, l’époux de marye brat est je pense le fils d’un autre jehan roche. il est nommé en effet fils de Jehan, quand il se trouve parrain d’un neveu. Par ailleurs, en dehors de guibert, il semble avoir pour frères un claude et un autre jehan, qui se trouvent parrains de ses enfants et réciproquement.
Quant à marye brat, ma lointaine ancêtre, elle a au moins deux sœurs, Françoise et Jane, marraines de neveu et nièces, notamment en 1595, 1598 et 1601 ; chaque fois, elles sont nommées, fa de feu estienne brat. Au passage, j’indique que ce patronyme Brat est présent déjà à St Just en 1446-1449, car il figure sur le registre de la Chambre des Comptes de Montbrison, pour la Prévôté de St Just-en-Chevalet : reconnaissance de Jean Brat pour Verchère, près de la route “de Grosolles au Creux” à l’Ouest. (source : Daniel de St André, qui a surtout travaillé sur les Tamain). C’est une famille qui compte déjà à l’époque d’estienne quelques notables, notamment en 1536, pierre et anthoine brat, tous deux notaires de St Just : et un noël brat, prêtre sociétaire de la même génération que marye. Nous retrouverons les brat un peu plus tard, puisqu’un des fils de claudine et d’estienne épousera à son tour une jane brat. On constate, une fois de plus, combien toutes ces familles sont imbriquées les unes aux autres.
Poursuivre la pérégrination, avec le couple françoise roche et claude tamain roche
Françoise était toute jeune mariée au moment de la vente de 1615, puisque nous venons de découvrir qu’elle est née en septembre 1595, qu’elle a plusieurs frères et sœurs, dont entre autres un frère aîné, gilbert roche, venu au monde en 1590 et un frère cadet claude roche, en 1598 (cf. tableau précédent).
Son époux, quant à lui, claude tamain roche, est je pense le fils, né le 3 mars 1591, d’un père thamain de vodiel » (= vaudier, le pays de claudine coudour). Il avait eu pour marraine, une Marie, fille de Jehan pra oblette, l’ancêtre connu le plus ancien de ma lignée paternelle.
Il m’a paru utile de connaître cette fois les enfants de ce couple françoise roche/claude tamain roche, en dehors de ceux cités déjà dans le contrat, à savoir : la mariée jeane, ses deux sœurs claudine et Antoine, tous trois encore célibataires. J’ai trouvé un jean en 1623 ?, un pierre en 1624 et la dernière semble-t-il, un just ou justa en 1629… une nouvelle Claudine apparaît aussi, baptisée le 17/5/1619, au total au moins huit enfants. Cette Claudine serait déjà mariée à Claude Mathe Roche. Nous retrouvons en effet un Claude Mathé dans un acte suivant. Quant à notre aïeule jeane, la jeune mariée, elle est venue au monde le 22 février 1617. Il semble qu’elle soit l’aînée.
En ce qui concerne les Tamain, ils sont ancrés depuis longtemps dans la région et présents à ces mêmes époques dans la tribu pra. En effet, une des sœurs de mon ancêtre just, déjà évoqué, claudine, se marie en 1631, elle aussi avec un claude tamain (cm), tandis qu’un fils de thomine combre – claude mathe, issu d’un premier mariage - épouse une claudie « tamin » vers 1625. Le prénom claude chez les tamain est donné depuis l’origine et il est difficile de ne pas s’embrouiller. Leur patronyme s’écrit souvent « thamaingt » à l’origine. Nous retrouverons les tamain dans l’ascendance d’une aïeule un peu plus tard.
Ainsi toutes ces familles s’entrecroisent au fil des générations, signe qu’on est bien dans le même réseau, à l’intérieur duquel la solidarité va jouer, mais aussi avec le temps quelques disputes et procès, au fur et à mesure que le temps passe (Nous avons plus tard un procès entre les Pra et les Brat par exemple et entre les Pra et les Roche).
Un constat et une nouvelle question ? Les jeunes mariés sont-ils en parenté proche ?
Les recherches qui précèdent laissent apparaître que le couple jeane Tamain/ jean roche a conclu un mariage atypique. En effet, en relevant les enfants de françoise roche et claude tamain, nous constatons que jeane, baptisée le 22/2/1617, a donc trente-neuf ans au moment de son mariage, ce qui est inhabituel, car il ne s’agit pas d’un remariage après veuvage. Pourquoi ce mariage tardif ? Pourquoi aussi n’a-elle eu qu’une fille claudine en 1661 (elle avait quarante-quatre), après un antoine né en 1647, mort avant l’âge adulte ? Je suis intriguée et j’ai envie d’en savoir plus sur l’époux jehan roche. On se sent tout à coup un peu détective ou, comme avec Modiano [3], embarquée dans des déambulations, à partir de maigres indices… Par où passer pour avancer ? Il me semblait que trouver d’abord qui était la mère du jeune homme, permettait éventuellement d’approcher quel pouvait être le père. Ainsi, la recherche se poursuit, pas à pas, de trace en trace…
Première étape. Quelle est la mère de jean roche ?
Le nom du père est connu ; à ce stade, pas de problème, il est noté dans le contrat de mariage de 1656 : claude roche de montloux. Mais la mère ? J’ai trouvé un acte de mariage en date du 30 juillet 1619, entre un claude roche et une claudine canard monloux. J’ai très vite acquis la quasi-certitude qu’il s’agit bien des parents de jean, pour plusieurs raisons :
• je n’ai trouvé pour Claudine Canard - née le 23/1/1595 - qu’un seul Claude Roche possible, pour avoir une date de naissance compatible (1598) avec celle du mariage : 1619.
• claude est dit « roche de montloux » ; Montloux, c’est précisément le village de claudine canard.
• un document canard est présent dans les actes transmis.
• le couple roche/canard a eu, parmi d’autres enfants, deux fils jean, respectivement le 5 janvier 1626 et le 4/11/1627 ; or nous savons par le contrat que le futur marié à un frère aîné, jean,
Deuxième étape : quel peut être le père de ce claude roche (marié en 1619 à claudine canard) ?
Dans l’acte de mariage de 1619, le nom des parents de Claude Roche ne figure pas, même pas celui du père, c’est dommage (il est sans doute décédé). Suite à plusieurs indices, l’hypothèse que je propose et que j’ai déjà évoquée : claude roche serait le frère cadet de Françoise, tous deux enfants de marye brat et jean roche. Claude aurait épousé claudine canard et françoise quelques années plus tôt, claude tamain roche ; leurs enfants respectifs, jean et jeane, les jeunes mariés seraient donc cousins germains.
Les registres correspondant à l’époque du mariage étant absents des archives, je n’ai pas pu trouver une mention éventuelle dans l’acte de mariage de ces derniers pour dispense de consanguinité. À l’époque de toute façon et jusqu’en 1692 la mention n’était pas obligatoire.
Quels sont mes indices ?
• le claude roche proposé - fils de marye brat et jehan roche - est né en 1598 ;
il est compatible au niveau des dates, pour un mariage en 1619 avec claudine canard.
• les parrains-marraines relevés concernant certains enfants du couple claude roche /claudine canard, outre les membres de la famille canard, sont à plusieurs reprises des enfants de marye brat et jean, donc des oncles ou tantes paternels. C’est l’indice le plus convaincant.
Il n’y a pas de certitudes, mais quand on ne trouve pas de preuves directes, reste à proposer - à partir d’indices - une hypothèse, ici pour expliquer un mariage atypique, celui de Jean Roche et de jeane tamain. Ma chance est d’avoir eu des relevés très détaillés des premières générations roche, les pièces d’un véritable puzzle, et d’avoir pu faire plusieurs essais d’emboîtement. Mais bien sûr le risque d’erreur n’est pas exclu !
Jehan roche, l’époux de marye brat, avait des frères. J’en connais quelques-uns, mais nous n’avons pas le nom de tous leurs enfants (il manque notamment des registres) ? … Il pourrait s’y trouver des claude, nés « aux bonnes dates ». Dans ce cas, les mariés seraient parents, mais cette fois issus de germains. Le dernier moyen de savoir, de façon certaine, si le degré de parenté est proche serait de consulter les archives du diocèse de Lyon pour trouver trace de la demande de dispense pour consanguinité. Mais les archives de cette époque n’ont pas toujours été conservées… A Paris, elles n’existent qu’à partir de 1729.
Autrement, il faudrait pouvoir trouver des actes notariés.
La tenue de registres de catholicité mentionnant les dispenses a été instituée par l’ordonnance de Villers Cotterets en 1539, comme celle d’inscrire les actes de baptême. Mais elle n’est devenue effective partout qu’un bon siècle plus tard. On note une augmentation des demandes dans la deuxième moitié du 17e siècle.
Les demandeurs doivent, entre autres, fournir un schéma généalogique en remontant à l’ancêtre commun et notifier la raison qui justifie la demande. Certains fonds d’officialité ont conservé les dossiers à partir de la fin du 17è comme à Paris (série complète à partir de 1729). Et quelques statistiques ont pu être établies. La première raison invoquée était la nécessité de ne pas accueillir de familles extérieures à la communauté, en raison de la « petitesse du lieu » dont on disposait… ! la deuxième était l’âge de la femme, quand elle dépassait 25 ans… on considérait que si le mariage n’était pas autorisé, elle trouverait encore plus difficilement époux… L’inclination affective, ni les raisons purement économiques n’étaient prises en considération par l’Église. Aussi ne fallait-il pas les invoquer.
Source : annales André Burguière –« Cher cousin », les usages matrimoniaux
dans la parenté proche dans la France du 18e, 1997 (annales, histoire sciences sociales, volume 42, pp 1339-1381.
Le temps et les termes du contrat
Les jeunes gens ont attendu pour se marier la fin d’un hiver glacial (qui avait suivi un été caniculaire), lequel va d’ailleurs se poursuivre l’année suivante. Le temps est détraqué… La moisson est loin de pouvoir démarrer. L’épidémie de peste, qui a débuté en 1644 touche heureusement à sa fin. Nous n’avons pas retrouvé l’acte de mariage. Les noces ont dû se dérouler en juillet. Quant aux affaires du royaume, le jeune Louis XIV a été sacré roi le 7 juin 1654 à Reims, mais vu son jeune âge, c’est de fait Mazarin qui gouverne la France pour quelques années (il meurt en 1661) avec la régente Anne d’Autriche.
Jean est donc plus jeune que sa future femme de dix années, si je m’en tiens à mon hypothèse pour ses parents - le couple Claude roche/claudine canard - puisqu’il est né en novembre 1627. Il n’a pas encore trente ans. Il n’est pas présenté non plus comme veuf. Il est laboureur à Roche et il est en mesure d’apporter tous ses biens et droitz, meubles et immeubles presans et advenir. Il promet employer en l’acquit des debtes et charges de la maison de sa dicte future espouse. Son frère, Jehan l’aisné, pour l’amityé et affection qu’il lui porte luy a donné et constitué cinq livres qu’il luy promect payer au jour de l’anneau et benediction nuptialle.
Jeanne, la jeune femme de son côté reçoit de sa mère, Françoyse, tous et ungs chacungs ses biens meubles et immeubles présans et advenir quelconques. Pour d’iceulx biens s’en mettre en pocession par ledit fitur espoux faire jouir d’iceulx comme bon leur semblera après la consomma(tion) du presan mariage… Elle se réserve toutefois sur sesdicts biens donnés de disposer d la somme de trois livres en principal a œuvre pie ou aultremen. Françoyse, qui est donc veuve, demande à sa fille, qu’elle veule bien qu’elle demeure avec elle et de plus qu’elle soit vestue, nourrye et entretenue … honnestement sa vie durant, en travaillant de son pouvoir en leur compagnie. On comprend que la mère compte sur sa fille, car elle est restée sans doute à ses côtés jusque-là.
Pour le frère antoine de jeane et les deux sœurs, appelées toutes les deux claudine, la mère demande que leur soient payées « lorsquilz se marieront, scavoir audictes filles, a chacune delles huit livres et aud anthoine, trois livres, pour tous les droicts de légitime et aultres qu’ilz pourroient pretendre sur les biens et hoirye de leur mère ».
Nous avons pour cette époque, 3 septembre 1658, un autre contrat, qui concerne un claude pra laboureur à Arcon avec une julianne barrel, cette fois sur la paroisse de Chérié. Ce claude est de la parenté de nos ascendants Pra par son père, puisqu’il est en fait un des petits-fils d’anthoine pra et de thomine Combre. La situation paraît plus aisée. Dans ce dernier contrat, à titre de comparaison, le père donne à son fils de la même façon par “donnation père et mère tout et uns chacuns ses biens meubles et immeubles prt et advenir”, mais cette fois “a la reserve de la moytié des fruits des biens donnés sa vie durant”. En effet, ici les deux parents sont toujours en vie et tiennent à garder leur indépendance.
Le père de la mariée, quant à lui, cède la moitié de ses biens à sa fille, réservant l’autre moitié à son décès. Voilà un jeune couple bien pourvu. Il donne par ailleurs dix livres à chacun de ses trois garçons, plus soixante livres à chacune de ses deux filles, quand ils se marieront, en telle sorte qu’ils ne puissent autre chose demander. Pourquoi les garçons sont-ils moins bien lotis ? Une formule amusante débute ce contrat : scavoir faisons comme ainsy soit qu’a l’honneur de dieu et augmentation de l’humain lignage, mariage a esté traité entre parents et amis, qui s’accomplira entre… Il faut en effet assurer la lignée !
Tous les mariages à l’époque faisaient ainsi l’objet d’un contrat, même si la famille était modeste et si depuis 1655, le coût s’en était accru, car il faut payer un timbre sur les actes notariés, comme d’ailleurs sur les actes judiciaires. Ces contrats, on le constate, sont riches d’informations, à une époque où les actes de mariage n’étaient pas toujours très explicites.
Avec ce mariage, la famille roche rebondit
Malgré le mariage entre parents proches, la famille roche étend un réseau qui lui permet de rebondir après les coups durs qu’ont connus leurs ancêtres : rupture d’une communauté en 1593, vente forcée en 1615. Il fallait repartir presque à zéro.
Si claude, le fils de jehan et marye brat, est bien celui qui épouse une fille canard, c’est une étape, car la famille de la jeune femme est nantie ; le mariage de leur fille Françoise avec un Tamain est également positif, car cette famille très nombreuse compte des notables. Nous avons deux actes qui les mettent en scène.
Le document de 1647 : une dette à honorer
Je reviens à l’année 1647, presque dix ans avant le mariage de « Jeane », pour présenter un acte qui concerne ses parents, françoise roche et claude tamain roche (ceux de la vente forcée de 1615).
Pour rappel : Jehan Roche et Marye Brat nés vers 1565/70, dont Françoise ° 1595 épouse avant 1615 Claude Tamain Roche ° 1591, dont Jeane Tamain ° 1617 épouse 1656 Jehan Roche ° 1627 (ceux du contrat de mariage) dont Claudine ° 1661 épouse 1686 Estienne Pra Roche.
Plus de trente ans ont passé. Entre-temps Richelieu est mort et c’est le tout début du règne de la régence avec Mazarin, "En ceste année 1642 mourut le cardinal de Richelieu qui gouvernoit la France. Il avoit troublé toute l’Europe et faict mourir beaucoup de braves gens en France" [4]. Une nouvelle épidémie de peste a démarré en 1644. La fiscalité augmente continuellement à cause des guerres… on se tient les coudes au sein des réseaux.
Claude tamaingt, déjà marié avec françoise roche en 1615 est encore en vie. Par l’acte de 1647, il confesse devoir toujours - mais depuis quand ? - à Maitre Claude Mathey, sieur d’Arfeuilles, conseiller du roi, au siège présidial de Forez à Montbrison, la somme de vingt-cinq livres tournois [5] pour « prest à luy fait avant ces présentes ». Il doit rembourser "à volonté et à la requête, à peine de dépens par obligation de corps et de biens". "Conseiller du roi", c’est le titre dont se prévalaient aussi nos ancêtres Michel (côté Coudour). Il ne s’agit pas bien entendu du conseil privé du monarque, qui ne comptait qu’une douzaine de personnes, mais de l’un des vingt-cinq mille "officiers ministériels" du royaume, constitués par les notaires, les magistrats et un certain nombre de notables.
Ce Claude Mathe est-il en lien de parenté ? Comme il a été évoqué, au sein de la même famille, il arrive que certains soient restés paysans et que d’autres aient brillamment réussi.
En mai 1655, huit ans plus tard, claude tamain est décédé, je ne sais pas depuis quand. L’hiver a été glacial, comme bien souvent, françoise a peut-être été souffrante. Née en septembre 1595, elle approche de la soixantaine et veut que ses affaires soient en règle. Elle rembourse la somme en instance, comme il est mentionné au revers du document suivant.
L ’acte de 1660 - l’aide d’un oncle, mathieu canard : une élection d’amy
L’acte se situe quatre ans juste après le mariage de jean roche et jeane tamain et un an à peine avant la naissance de leur fille claudine. Une transaction est passée devant le notaire Mathe (toujours lui ...). L’oncle maternel de jean roche, mathieu canard, du village Fragne, et sa femme, catherine fonthieure, viennent d’acheter "ce jourd’huy" une terre d’un chard et demi de foin, dans un ténement proche du village Roche, à noble Jacques Dubessey, conseiller du roi. qui la tient de son grand-père, Guillaume.
Dans l’acte concerné, lesdits mariés font "élection en amy" [6] en faveur de jehan roche, leur neveu, futur père de claudine, ce qui signifie qu’ils lui cèdent la terre à peine acquise. Le prix en est de cent livres, (soit 2400 fois environ le salaire horaire d’un manœuvre à ce moment, d’après la méthode de Jean Fourastié qui rapporte le prix d’un bien au salaire horaire) [7]. Jean roche paie "contant" aux époux canard. En fait, il les rembourse de ce qu’ils viennent de payer à Dubessey. Mathieu canard a servi d’intermédiaire, il ne garde aucun droit sur la terre acquise de noble Dubessey ; pour des raisons inconnues, il lui était sans doute plus facile qu’à son neveu d’obtenir le bien : peut-être existait-il une inimitié entre la famille Roche et les Dubessey, qui rendait la transaction en direct difficile ou peut-être était-il mieux placé, plus expérimenté, pour obtenir un meilleur prix ? [8] Cette acquisition a sans doute permis aux parents de claudine d’avoir quelques biens supplémentaires, pour traverser la famine de 1662, moins terrible cependant que celle qui survint plus tard en 1694, alors qu’estienne pra et claudine roche sont déjà mariés depuis six ans.
Épilogue
Ainsi, à travers ce récit, on observe comment au fil du temps se constituent les réseaux, basés ici sur une proximité géographique, qui favorise les mariages. Les chemins s’entrecroisent et il est difficile parfois de s’y retrouver, surtout avec la répétition des mêmes prénoms et souvent l’absence des actes de mariage.
Quand on connaît les épouses c’est parce qu’elles sont citées dans un acte (ex. marye pra) ou comme marraine, femme de…
C’est l’arbre touffu dont je parlais au début de cette chronique, à démêler patiemment. Mais c’est utile, si l’on veut comprendre comment les solidarités s’organisent, se font et se défont… certaines traversent les années, comme je l’ai observé entre les Pras et les Tamain par exemple.
Par contre, on ne parlera plus d’alliances entre les Pras de ma lignée et les Roche. Il faut dire que le nombre des familles portant le patronyme se rétrécit beaucoup après le début du 18è siècle. Les actes trouvés à la ferme Roche dont ils étaient propriétaires – actuellement la ferme de Michel Pras - m’ont permis d’observer qu’ils l’ont vendue à un Oblette (le gendre de Just aîné ?) vers 1730. Il existe ensuite plusieurs mouvements, dans les deux sens, entre les Oblette et les Pras, d’autant plus difficiles à démêler qu’ils existent au moins deux fermes sur le même replat et que d’autres familles sont impliquées (côté épouses). Je note que pendant la Révolution, mon ancêtre Claude Pra aîné et son frère cadet, claude pra jeune qui a épousé en 1771 une Antoinette haublette (variante de l’orthographe trouvée à plusieurs reprises) apparaissent dans les transactions, par exemple en 1784,1786. En 1808, les époux font une donation à leur fils jacques pra. A travers d’autres actes postérieurs, Les Pras apparaissent de plus en plus souvent, jusqu’à se trouver les derniers propriétaires.
Quelle hypothèse pour expliquer cette disparition progressive des roche. Ils étaient très concentrés autour de Roche et peu présents ailleurs. Ont-ils fait trop de filles, comme les Sagnollonge et, comme pour eux, la lignée patronymique s’éteint. Ont-ils manqué d’espace et ont-ils émigré plus loin, dans une autre région ?
Grâce au mariage de claudine avec mon ancêtre estienne pra, nous avons gardé quelques traces de leur présence dans la région jusqu’au début du 18è siècle, ce qui me permet de les évoquer aujourd’hui et ainsi de ne pas ignorer quelques-unes de mes branches, côté maternel. Je ne voudrais pas que le fait de suivre essentiellement ma lignée paternelle, devienne trop réducteur. Après tout, si la femme est l’avenir de l’homme, comme le dit Aragon, elle est aussi la matrice originelle !
A suivre... à la rentrée des vacances de Noël...
Bonnes fêtes et Bonne année à tous
et merci pour votre fidélité...