Que deviendront-ils ?
Des Français, des Citoyens français ?
ou
Resteront-ils des étrangers ?
1re partie : 1789 - 1793
« Cejourd’hui, trente Messidor septième année de la République française, par devant nous, Jean Louis Latois, Président de l’Administration municipale du Canton d’Hauteville, sont comparus dans le local destiné à la réunion des Citoyens du chef-lieu dudit canton pour contracter mariage d’une part Joseph France, se disant hongrois et déserteur étranger, résidant dans le canton d’Hauteville depuis 3 ans et actuellement demeurant à Landricourt, même canton, département de la Marne, âgé de 23 ans, fils de Joseph France, chapelier, demeurant à Tourne en Hongrie et de Marie Anne Anius ; d’autre part Marie Marguerite Loisy... » Extrait de l’acte de mariage de Joseph France du 18 juillet 1799 à Sainte-Livière (Marne) [1].
Ce type d’acte établi durant la période révolutionnaire provoque chez celui qui entreprend des recherches plus de questions que de réponses et ce d’autant plus que toutes les informations ne reposent que sur de simples déclarations, donc peu fiables. Ainsi, son âge lors de son mariage, 23 ans, semble pour le moins incertain, car, si lors de la naissance de ses premiers enfants il correspond, à partir de 1813 et à son décès en 1848, il est déclaré avoir une dizaine d’années en plus.
Joseph France, nom sans aucun doute francisé, était-il, lorsqu’il épouse une Française, encore Hongrois ou déjà Français, comme sa qualité de déserteur étranger pourrait le laisser supposer ?
Son état de déserteur étranger, quand on considère la date tardive du mariage, était-il réel ou seulement mis en avant pour faciliter sa situation en France et par là, son mariage ?
Et s’il n’était qu’un de ses nombreux prisonniers de guerre qui, à l’inverse de l’énorme majorité voulant retourner au pays par quelque moyen que ce soit, désirait sincèrement rester en France pour s’y installer définitivement ? Quelle serait alors sa véritable situation administrative ?
Quand et comment aurait-il acquis la nationalité française, s’il l’avait obtenue ? Quels étaient ses droits et ses devoirs vis-à-vis de sa terre d’accueil ?
Et puis son statut d’ « étranger » fut l’objet, au cours de la Révolution française, de tellement de lois et décrets divers et variés que, lui-même, ne savait probablement plus au juste quelle était sa véritable situation.
Le but de cet article est de tenter d’apporter une réponse à ces questions en décrivant l’évolution des concepts de citoyenneté et de nationalité au cours des années 1789 – 1803, concepts soumis aux convulsions provoquées tout à la fois par les événements extérieurs, la politique intérieure, la volonté des dirigeants nationaux contrecarrée parfois par les débordements des révolutionnaires locaux, aléas qui font qu’à la même période, pouvaient être prises des décisions contradictoires dans la mesure où, entre la législation nationale et l’interprétation qui en était faite au niveau local, chacun avait sa propre conception de ce qu’aujourd’hui on qualifierait de « naturalisation » et voulait, au nom de la Liberté, l’imposer aux autres.
Pour ce qui nous intéresse, nous prendrons essentiellement en compte les étrangers nés hors de France de parents étrangers, c’est-à-dire aussi bien ceux déjà installés avant la Révolution, que ceux contraints et forcés par les combats d’y vivre durant la période considérée : c’est-à-dire les déserteurs étrangers et les prisonniers de guerre, pour qui la naturalisation est le seul moyen d’acquérir la citoyenneté française, mais partiellement aussi ceux qui, par extension, seront déclarés « étrangers » par le pouvoir du fait de leur attitude face à la Révolution et qui, en conséquence, perdront la citoyenneté et se trouveront alors exclus du corps social.
Petit rappel historique :
- Assemblée Nationale Constituante : (juillet 1789 – octobre 1791)
- 14 juillet 1789 : Prise de la Bastille
- 4 août 1789 : Abolition des droits féodaux
- 26 août 1789 : Déclaration des Droits de l’Homme
- 3 septembre 1791 : Constitution de 1791
- Assemblée Législative : (octobre 1791 – septembre 1792)
- 22 avril 1792 : déclaration de guerre à l’Empire austro-hongrois
- 20 septembre 1792 : Bataille de Valmy
- La Convention Nationale : (septembre 1792 – octobre 1795)
- 22 septembre : Proclamation de la République
- 21 janvier 1793 : Exécution de Louis XVI
- Avril 1793 : Création du Comité de Salut Public
- 24 juin 1793 : Constitution de 1793
- 5 septembre 1793 : Instauration de la Terreur
- 22 août 1795 : Constitution du 5 Fructidor An 3
- Le Directoire : (octobre 1795 – 9 novembre 1799)
- Deux chambres législatives :
- le Conseil des Cinq-Cents
- et le Conseil des Anciens
- Le Consulat : (10 novembre 1799 – 18 mai 1804)
- 9 novembre 1799 : Coup d’État du 18 Brumaire An 8
- 13 décembre 1799 : Constitution du 22 Frimaire An 8
- 18 mars 1803 : Code civil du 27 Ventôse An 11
Étranger sous l’Ancien Régime
Avant 1789, sous l’Ancien Régime, seul le roi pouvait accorder aux étrangers vivant sur le territoire (« les aubains ») des « lettres de naturalité » faisant d’eux des sujets. Cette naturalisation dépendait exclusivement de la volonté du souverain qui était libre de l’accorder ou de la refuser.
Mais, dans la vie quotidienne, est-ce que les étrangers installés alors dans le royaume, éprouvaient le désir de solliciter cette naturalisation ? Comment étaient-ils perçus par la population avec qui ils vivaient ? Cette lettre de naturalité leur aurait-elle permis de mieux s’insérer dans la société et leur aurait-elle procuré quelque avantage qu’ils n’avaient pas en gardant leur statut d’étranger ?
Trois mariages d’étrangers avec une Française contractés à Nogent-sur-Seine dans l’Aube avant la Révolution donnent un aperçu de la situation sur le terrain.
D’abord, en 1775, celui de Dominique Nardi avec Marie Anne Augé :
« Le 6 juin 1775. Après la publication des bans faite aux prônes des messes de paroisse les 7, 14 et 21 may, sans qu’il se soit trouvé un empêchement ou opposition quelconque, les fiançailles célébrées la veille, Dominique Nardi, fils majeur de Léonard Nardi, vigneron à Jouviane de la République de Lucques, et de Marie Nicole Brachini, ses père et mère, d’une part, et Marie Anne Augé, fille mineure de feu Pierre Augé, vivant compagnon de rivière et de Marie Moinat, ses père et mère, tous deux de fait et de droit de cette paroisse, ont reçu la bénédiction nuptiale de nous, vicaire soussigné, vu le consentement du père du contractant, comme il appart par une missive de frère Barthélémi de Lucques, gardien des Capucins, en datte du 29 mars, trouvée d’ailleurs suffisante par Monseigneur l’évêque de Troyes, certains aussi de sa liberté par acte authentique signé Jean Ignace Lippi, vicaire général de l’archevêché de Lucques, contresigné Jean Baptiste Christe Fani, chancelier dudit archevêché en datte de 25 mars année susdite en présence de Jean Eloy Berger, menuisier, de Laurent Beau, boucher, de la mère de la contractante, de Jean Moinat, pêcheur et de Antoine Millet, cordonnier qui ont signé. Les contractants n’ont pas signé. »
Puis, en 1782, celui de Bernard Barsanti avec Marie Anne Françoise Bussot :
« Le 5 février 1782, après la publication des bans faite aux prônes des messes paroissiales de cette église les 8, 20 et 24 janvier présent, sans opposition ny empêchement parvenus à notre connaissance, les fiançailles célébrées, Bernard Barsanti, manouvrier, fils majeur du deffunt Michel Barsanti, laboureur à Julianne en Italie et de Marie Mathieu Braccini, ses père et mère, d’une part, et Marie Anne Françoise Bussot, fille mineure de Nicolas Bussot, marinier et de la deffunte Margueritte Oudard, ses père et mère, d’autre part, tous deux de fait et de droit de cette paroisse, ont reçu de nous, vicaire soussigné, de leur plein et mutuel consentement la bénédiction nuptiale en présence du père de la consentante, de Pierre Jérôme Banot, oncle de la contractante, de Martin Antoine Paulantru, fabriquant de souliers, de Louis Martin, maçon, de Nicolas François Champenois, boulanger, tous trois amys du contractant qui ont signé avec nous, les contractants ont déclaré ne savoir signer. »
Et enfin, en 1792, celui de Dominique Lucariny avec Victoire Gabrelle :
« 21 août 1792, après la publication de promesse de mariage faite aux prônes des messes paroissiales de cette église le 12, 15 et 19 du présent mois et an, sans aucun empêchement parvenu à notre connaissance, les fiançailles ce jour étant préalablement célébrées, Dominique Lucariny, figuriste en plâtre, fils majeur de Regle Lucariny, laboureur à Tereille et de feu Catherine Fontaine, ses père et mère de la République de Lucque en Toscane, d’une part, et Victoire Gabrelle, fille mineure d’Antoine Gabrelle, manouvrier et de Geneviève Vincent, ses père et mère en cette paroisse de Nogent-sur-Seine, d’autre part, tous deux de droit de cette même paroisse, ont de nous vicaire de ladite paroisse de Nogent, de leur plein et mutuel consentement reçu la bénédiction nuptiale , du consentement du père du contractant selon qu’il nous appart par l’acte authentique passé à l’Archevêché de Lucques Toscane et en présence du père de la contractante avec nous soussigné, de sa mère qui a déclaré ne savoir signer, de Jacques Vincent, bourrelier, son oncle, Jean Pierre Herluison, tourneur avec nous de soussignés et de Bernard Barsautz, manouvrier qui a déclaré ne savoir signer ainsi que la contractante. Le contractant a signé en italien (Domenico Lucarini). »
Ces trois actes de mariage peuvent être considérés comme de la même époque, car celui daté de 1792, bien que pendant la Révolution, est encore établi par le curé de la paroisse de Nogent-sur-Seine, le nouveau calendrier et l’état civil n’entrant en application que l’année suivante et les bouleversements politiques et législatifs à Paris ne semblant pas avoir encore eu d’effet à l’échelon local. De plus, ils sont identiques dans leur déroulement.
Dans deux cas, le mariage est soumis exactement aux mêmes conditions que pour un mariage entre Français issus de paroisses différentes. Le contractant, né hors de Nogent, est obligé d’obtenir de sa paroisse d’origine, outre le consentement de son père, celui des autorités ecclésiastiques, ici de Toscane. A aucun moment, il n’est fait allusion à sa nationalité italienne, comme si la nationalité des deux contractants n’avait aucune influence sur cette union, ainsi que sur leur vie future au sein de la commune. Alors que, comme nous le verrons par la suite, lors de leur mariage, le premier habitait Nogent depuis déjà 7 ans, donc peut être considéré comme intégré, le troisième, au contraire, n’y était installé que depuis 2 ans, donc encore partiellement étranger, comme sa signature en italien semble le confirmer.
Le cas de Bernard Barsanti est encore plus explicite quant à l’indifférence concernant son origine étrangère. Bien que né en Italie, comme les deux autres, le prêtre qui le marie, le considère de fait et de droit de Nogent, c’est-à-dire comme né à Nogent, n’exigeant même pas l’acte de baptême de son lieu de naissance. Deux raisons probables, la difficulté pour obtenir cet acte, mais certainement prépondérant, le fait que lui aussi, réside à Nogent depuis 14 ans, donc y est totalement intégré.
Il semblerait que sous l’Ancien Régime, la notion d’étranger ne soit nullement prise en compte dans les actes administratifs, seuls sont considérés les sujets soumis à l’autorité du roi, sujets ne participant d’aucune manière à l’exercice du pouvoir, d’où l’indifférence quant à la nationalité.
Étranger il est, étranger il restera, et son épouse ? Elle restera Française puisque, née de parents français, elle vit et réside en France et le nouveau couple continuera à vivre comme auparavant, sans guère se soucier de la nationalité du mari. Et leurs enfants nés sur le sol français ? Ils seront Français à condition de rester dans le royaume, cette dernière condition est et restera obligatoire, respectant en cela l’arrêt du 23 février 1515 qui introduit le « jus soli », (= droit du sol).
En pratique, personne ne cherche guère à connaître le véritable statut juridique des sujets concernés dans la mesure où la distinction entre naturalité (= Français) et extranéité (= étranger sur le sol français) n’a d’importance que pour des questions de succession.
Cette indifférence de la part des étrangers mais aussi de l’administration et des habitants au niveau local envers les décisions du pouvoir central les concernant se perpétuera au début de la Révolution, ce qui ne tardera pas à poser des problèmes.
Comment, en quelques années, changer des habitudes vieilles de plusieurs siècles ? Pour tenter de contrecarrer ce comportement et afin de garantir que lois et décrets soient connus de tous, la Convention décidera, le 22 novembre 1792, « de la formule qui sera employée à l’avenir lors de la promulgation des lois : Le conseil exécutif provisoire mande et ordonne à tous les corps administratifs et tribunaux que la présente loi, ils fassent consigner dans leurs registres, lire, publier, afficher (…) » [2], ce dont les différents agents s’exécuteront consciencieusement en inscrivant en marge de chacune d’elles : « Lu à l’audience du, … » avec leur signature.
- Archives de l’Aube.
Étranger sous la Révolution
Principes généraux :
La Révolution Française, avec ses idéaux, son égalitarisme et un romantisme quasi sans limite, marque très rapidement dans ses rapports avec les étrangers une rupture avec l’Ancien Régime. Le pouvoir discrétionnaire du souverain d’octroyer la nationalité ou plutôt la « naturalité » française est aboli pour laisser place à un droit de la nationalité en tant que droit de l’individu, ancré dans les constitutions jusqu’à ce que le Code civil rétablisse les compétences de l’État dans ce domaine.
Dès le début, l’aspiration à une paix universelle fait accueillir les étrangers de façon très libérale. La naturalisation sera même attribuée « de plein droit » [3], assujettie certes à certaines conditions, mais indépendamment de toute déclaration et de tout contrôle qu’il soit législatif ou exécutif. Autre élément fondamental : le principe du « jus soli » valable jusqu’à la promulgation du Code civil qui veut que « tous les individus nés en France tenaient du seul lieu de leur naissance la qualité de Français ; pour être étranger, il fallait tout à la fois (…) être né en pays étranger et de parents étrangers ». [4].
Les lois qui se succèdent à un rythme soutenu durant ses premières années, sont le reflet de la soif d’une nouvelle société symbolisée par la devise « Liberté, Égalité, Fraternité » qui imprègne, dans un premier temps, toutes les décisions concernant l’attribution de la nationalité française ou plutôt de la « citoyenneté française », car inspirée par la volonté d’intégrer les étrangers au sein même de la société en devenir, elle veut leur faire prendre une part active à la vie politique. Dualité entre les deux expressions que Sophie Wahnich explique dans un entretien : « La notion de nationalité n’existait pas au cœur de la Révolution française. Ni le mot nationalité, ni le mot citoyenneté n’étaient employés à l’époque. (On utilisait) une série d’expressions telles que « le droit du citoyen », parfois « les droits du citoyen français », la « qualité » ou encore « le titre de citoyen ». Or ce mot de citoyen effaça de fait les distinctions entre l’appartenance légale à la nation, l’engagement patriotique et l’exercice des droits politiques ». [5]
Et ainsi, entre 1789 et 1799, les deux concepts deviennent au fil du temps si intimement liés que celui de citoyenneté finit par devenir prédominant et supplante celui de nationalité (ou de naturalité). Cette notion de citoyenneté matérialisée par la possession de droits et devoirs au sein de la communauté politique permet de participer activement à son fonctionnement : l’individu est « Citoyen d’abord », c’est-à-dire que « c’est la reconnaissance de droits politiques qui domine, qui détermine la qualité de Français » : ainsi se crée une stricte hiérarchisation entre citoyenneté et nationalité qui s’inversera avec le Code civil où « c’est la nationalité qui fait d’un individu un Français et qui, subsidiairement et éventuellement en fait un citoyen » [6].
De façon générale, entre 1789 et 1799, la qualité de citoyen français sera accordée à tous ceux, Français de souche ou naturalisés de quelque manière que ce soit, qui adhèrent aux idéaux du nouveau système politique à la condition qu’ils élisent domicile en France et qu’ils prêtent le serment civique. Reconnus citoyens français, ils deviennent de fait Français. Il y a ainsi affirmation du droit du sol, du « jus soli », soit en étant né, soit en résidant sur le sol français.
Toutes les constitutions et les lois successives accordent, certes, selon ces principes la citoyenneté française aux étrangers domiciliés sur le sol français, mais avec des modalités fluctuantes selon la période considérée, car deux tendances opposées ne tarderont pas à influer sur la législation. Ainsi, à un accueil bienveillant et une intégration très facile durant les années 1789 - 1792, succèdent, dès 1792 - 1793, avec l’entrée en guerre contre les différentes nations européennes, méfiance et suspicion à l’égard d’étrangers devenus ennemis de la nation française, origine d’une législation de plus en plus restrictive.
Cette évolution poussée à son paroxysme introduira une discrimination entre le « citoyen », c’est-à-dire l’individu qui œuvre en faveur de la révolution et l’« étranger », c’est-à-dire celui qui lui tourne le dos et la combat.
Est alors étranger, certes, toujours celui qui, juridiquement, n’est pas français d’origine ou naturalisé, mais rapidement aussi celui qui est hostile aux idéaux révolutionnaires, et qui est considéré comme traître à la nation. Et finalement, se retrouvent par extension sous ce vocable aussi bien les étrangers de l’extérieur que les étrangers de l’intérieur, comme les ecclésiastiques réfractaires, les émigrés, leurs familles et même leurs domestiques. Juridiquement, ils sont considérés, du fait de leur hostilité à la Révolution, comme s’étant d’eux-mêmes exclus de la communauté française et ayant perdu leurs droits à la citoyenneté.
Première tendance : accueil libéral de tous les étrangers
1789 – 1792 :
Durant ces premières années, l’euphorie révolutionnaire imprègne toutes les décisions qu’elles soient politiques ou sociétales : La Révolution se veut être la base d’une nouvelle société où l’Homme en est l’élément central grâce à une liberté individuelle et politique quasi illimitée. Son désir d’universalisme lui fait accueillir tous les étrangers pour les faire participer à cette grande aventure qui doit servir de modèle aux autres peuples, afin de propager à partir de la France les idées révolutionnaires et de montrer comment se débarrasser « de l’ancienne distinction en libres et esclaves, la plus barbare et la plus humiliante pour l’espèce humaine, diamétralement contradictoire à la signification du mot français, incompatible avec l’éclat de la liberté que les lois attribuent dans le royaume à tous ceux qui y habitent, nés, naturalisés ou étrangers ». [7]
Assemblée Nationale Constituante
La Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen, base de toute législation :
Lors de la présentation du projet, le rapporteur déclare : « que l’homme, né pour être libre, ne s’est soumis au régime d’une société politique, que pour mettre ses droits naturels sous la protection d’une force commune » [8].
D’où le 26 août 1789, la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen, proclamée par « les Représentants du Peuple Français, constitués en Assemblée Nationale » :
Article 1 : « Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits. »
Article 2 : « Le but de toute association politique est la conservation des droits naturels et imprescriptibles de l’Homme. Ces droits sont la liberté, la propriété, la sûreté et la résistance à l’oppression ».
Article 3 : « Le principe de toute Souveraineté réside essentiellement dans la Nation. »
L’Assemblée Nationale Constituante associe, ainsi, nation et citoyenneté : la nation française y apparaît comme l’espace où s’appliquent à tous les individus indépendamment de leurs origines, les droits et libertés définis dans les articles 2 & 3, en particulier les droits politiques à travers la représentation des citoyens.
Ainsi, tout homme, né en France ou hors de France mais y résidant depuis le 14 juillet 1789, début de l’ère nouvelle, peut être considéré comme adepte de l’idéologie révolutionnaire et devenir citoyen français.
L’enthousiasme et l’élan patriotique provoqués par cette Déclaration ne tardent pas à inspirer poètes et chansonniers faisant l’apologie de droits jusque-là inconnus :
Cependant, dès le 21 juillet 1789, lors de la présentation du projet, est déjà prévue une différenciation entre « Citoyens passifs. Citoyens actifs : Tous les habitants d’un pays doivent jouir des droits de citoyen passif (…), mais tous n’ont pas droit à prendre une part active dans la formation des pouvoirs publics ; tous ne sont pas citoyens actifs. Les femmes, du moins dans l’état actuel, les enfants, les étrangers (…) ne doivent point influer activement sur la chose publique » [10].
Décret du 29 septembre 1789 :
Cette conception de la séparation entre citoyens actifs et citoyens passifs ne sera pas sans provoquer au sein de la Constituante de violents débats. Alors que certains députés, fidèles à l’esprit de l’Art. 1 de la Déclaration des droits de l’homme : « Les hommes naissent (…) égaux en droit », souhaitent accorder le droit de vote à tous les citoyens sans exception, la majorité de la Constituante imposent le 29 septembre 1789, « le décret sur le marc d’argent », (le terme franc étant aboli au profit de marc) qui instaure le système électoral censitaire avec comme corollaire le citoyen actif opposé au citoyen passif et où la citoyenneté est subordonnée à la nationalité :
« Art. 4, Tous les citoyens actifs, c’est-à-dire tous ceux qui réuniront les qualités suivantes : 1° d’être né Français, ou devenu Français, 2° d’être majeur ; 3° d’être domicilié dans le canton au moins depuis un an ; 4° de payer une contribution directe de la valeur locale de trois journées de travail ; 5° de n’être pas alors dans une condition servile, auront droit de se réunir pour former dans les cantons les assemblées primaires ».
C’est la naissance de l’association entre nationalité et citoyenneté : « la nationalité apparaît comme une condition nécessaire à la citoyenneté » [11], cette dernière étant délimitée par un territoire, la France.
En conséquence seul le citoyen actif, c’est-à-dire le Français, d’origine ou naturalisé, domicilié dans son lieu de vote depuis au moins un an, payant une contribution directe et n’exerçant pas une profession de servitude telle que domestique, peut être électeur et jouir des droits politiques que la Révolution avait, à l’origine, prévu pour tout homme.
Cette conception se justifie, selon certains députés, « parce que les serviteurs à gages n’ont pas une volonté propre, libre et indépendante, telle qu’elle est nécessaire pour l’exercice du droit de cité » [12].
Face à eux, les opposants à ce mode d’élection censitaire instaurant deux catégories de Français tentent de faire valoir leur point de vue : « Tout citoyen est actif dans l’État, quand il s’agit de s’occuper des droits de tous les citoyens », et sur la question de contribution directe : « la pauvreté est un titre, et qu’elle que soit l’imposition, elle doit être suffisante pour exercer les droits du citoyen », d’où leur conclusion : « Le décret sur les qualités nécessaires pour être citoyen actif, étaient trop contraires aux véritables principes de la justice et de la représentation, en exigeant un marc d’argent » [13]
Mais, finalement, le décret du marc d’argent sera voté, et Sieyès justifiera cette décision en considérant le vote comme une fonction plus que comme un droit, et que la capacité économique des citoyens justifiait leur capacité politique. Ainsi, seuls ceux imposables seront appelés aux urnes, comme les plus aptes à remplir leur fonction politique, ceux en situation de dépendance ne méritant pas d’avoir les mêmes droits. Sont directement concernés les femmes, les enfants, les domestiques et tous les pauvres qui se trouvent ainsi exclus de toute action politique.
Loi des 30 avril - 2 mai 1790, première loi traitant de la nationalité.
Le premier texte législatif concernant directement les étrangers est la loi des 30 avril – 2 mai 1790 relative « aux conditions exigées des étrangers pour devenir citoyens français ».
Le pragmatisme est à l’origine de cette loi, car, comme l’expose le député Target lors du débat à la Constituante, beaucoup de villes ont pour habitants des « hommes nés en pays étranger, mariés, propriétaires depuis longtemps, ou possesseurs d’établissements de commerce ; ils ont occupé des fonctions civiles, (…) tous ont prêté le serment civique », en conséquence la Constituante décide :
« Tous ceux qui, nés hors du royaume de parents étrangers, sont établis en France, seront réputés Français, et admis, en prêtant le serment civique, à l’exercice des droits de citoyens actifs après 5 ans de domicile continu dans le royaume, s’ils ont, en outre, ou acquis des immeubles, ou épousé une Française, ou formé un établissement de commerce, ou reçu, dans quelque ville, des lettres de bourgeoisie (= lettres de naturalité) ».
Il justifie sa proposition en déclarant : « ce sont des amis de plus que vous acquerrez à une constitution qui voudrait que rendre tous les hommes heureux » [14].
En les intégrant comme Français, s’ils respectent les trois conditions exigées, la Constituante prend en compte les réalités du terrain et fait d’eux des citoyens à part entière, avec les mêmes droits que les citoyens d’origine française, en particulier les droits politiques dans la mesure où le serment civique devient une condition à la naturalisation. Ainsi, le titre de Français et la qualité de citoyen se trouvent intimement mêlés, car cette loi va même jusqu’à faire d’eux des citoyens actifs lorsqu’ils ont prêté le serment civique. On leur reconnait le droit de jouer un rôle réel dans la vie politique : Ils peuvent devenir électeurs et désigner les députés s’ils paient « une contribution directe au moins égale à la valeur de 3 journées de travail », toujours selon le principe que seule une personne subvenant à ses besoins doit pouvoir influencer les décisions qui la concernent. Ces dispositions seront reprises dans le titre 1er de la Constitution du 3 septembre 1791.
Cette possibilité de participation active à la vie politique sera, à maintes reprises, l’objet d’un long débat quant à savoir si l’étranger qui obtenait la qualité de Français était tenu ou pas à la prestation du serment civique : certains arguant qu’avec ou sans prestation de serment, il « n’en demeurait pas moins Français par adoption »
[15].
L’acquisition de la citoyenneté française grâce à cette loi ne demande pas le consentement de l’étranger concerné. Il devient Français « de plein droit », c’est-à-dire automatiquement, s’il remplit les conditions fixées, en particulier les 5 années de résidence. Il est difficile de savoir comment cette loi fut appliquée, car aucun document de cette époque ne fait état de l’acquisition de la citoyenneté par un étranger de cette manière. Et si elle le fut, il semblerait que nombre de ceux qui en furent les bénéficiaires n’en fussent nullement informés ainsi que les autorités de leur lieu de résidence, à moins qu’ils aient, eux-mêmes, négligé de faire valoir leur droit à la citoyenneté comme, probablement, ces deux étrangers vus lors de leur mariage sous l’Ancien Régime résidant à Nogent-sur-Seine depuis de nombreuses années et répondant aux critères demandés.
Décret du 6 août 1790 :
Dans son désir d’égalité entre tous les citoyens français, indifféremment de leur origine, la Constituante décide logiquement l’abolition des droits d’aubaine qui faisait du roi l’héritier des biens des étrangers. Au nom de « cette grande maxime que la liberté procure : Les hommes forment une même famille répandue sur la surface de la terre », elle propose sous l’impulsion du député Barrère : « Que tout étranger vienne chercher en France une patrie ; qu’il puisse y séjourner, sans crainte de voir ses héritiers légitimes, frustrés d’un bien qui doit naturellement leur appartenir ; qu’il y jouisse de la liberté pendant sa vie, et ses enfants de sa bienfaisance après sa mort. »
Et ainsi, ultime rupture avec l’Ancien régime, l’Assemblée nationale abolit, le 6 août 1790, « le droit d’aubaine et de détraction » ( un dixième de l’héritage retenu) mettant en avant « que ce droit, établi dans les temps barbares, doit être proscrit chez un peuple, qui a fondé sa constitution sur les droits de l’homme et du citoyen, et que la France libre doit ouvrir son sein à tous les peuples de la terre, en les invitant à jouir, sous un gouvernement libre, des droits sacrés et inviolables de l’humanité », cette mesure accordant aux étrangers « la liberté la plus complète » [16].
Les étrangers installés en France et ayant prêté le serment civique disposent maintenant de droits identiques à ceux des Français d’origine.
Loi des 9 – 15 décembre 1790 :
Nouvelle étape vers plus d’universalité : Voulant appliquer à chacun sans aucune distinction –hormis envers les émigrés et autres renégats- les droits accordés par la Révolution, la Constituante va étendre par la loi des 9 – 15 décembre 1790 article 22 la possibilité d’intégration des étrangers aux « naturels français » [17], descendants des religionnaires expatriés, c’est-à-dire les descendants de Français qui ont dû quitter le royaume pour des questions religieuses, en particulier les protestants après la révocation de l’Édit de Nantes. Pour recouvrer la nationalité de leurs ancêtres, ils seront cependant soumis aux mêmes obligations que celles imposées aux autres étrangers : fixation du domicile en France et prestation du serment civique.
C’est dans cette ambiance de générosité et de fraternité envers tous les individus, mais surtout pour marquer la volonté de rupture avec l’Ancien Régime, qu’est discutée à l’Assemblée la Constitution de 1791.
Constitution du 3 septembre 1791 :
La Constitution du 3 septembre 1791 reprend en grande partie dans son titre II les dispositifs des lois précédentes et les complète.
Sont citoyens français :
« Art. 2- Ceux qui sont nés en France d’un père français.
Ceux qui, nés en France d’un père étranger, ont fixé leur résidence dans le Royaume.
Ceux qui, nés en pays étranger d’un père français, sont venus s’établir en France et ont prêté le serment civique.
Enfin ceux qui, nés en pays étranger, et descendant, à quelque degré que ce soit, d’un Français expatrié pour cause de religion, viennent demeurer en France et prêtent le serment civique.
Art. 3 - Ceux, qui, nés hors du royaume, de parents étrangers, résident en France, deviennent citoyens français après cinq années de domicile continu dans le royaume, s’ils y ont, en outre, acquis des immeubles ou épousé une Française, ou formé un établissement d’agriculture ou de commerce, et s’ils ont prêté le serment civique.
Art. 4- Le pouvoir législatif pourra, pour des considérations importantes, donner à un étranger un acte de naturalisation, sans autres conditions que de fixer son domicile en France, et d’y prêter serment civique.
Art. 5- Je jure d’être fidèle à la Nation, à la loi et au roi et de maintenir de tout mon pouvoir la Constitution du Royaume, décrétée par l’Assemblée nationale constituante aux années 1789, 1790 et 1791.
Art. 6-La qualité de citoyen français se perd : (entre autre)
1. Par la naturalisation en pays étranger.
2. Par la condamnation aux peines qui emportent la dégradation civique, tant que le condamné n’est pas réhabilité. (…)
Concernant la citoyenneté française, l’Assemblée constituante adopte une position plus libérale encore que dans la loi de 1790 et offre aux étrangers relativement facilement la possibilité de devenir citoyen et par contrecoup Français. Elle donne la primauté au droit du sol, « jus soli », avec cependant une exception : ceux nés en pays étranger d’un Français expatrié, il y a pour eux, la reconnaissance du droit du sang, « jus sanguinis ».
La citoyenneté reste toujours de plein droit, sans que le pouvoir exécutif ou législatif n’ait à intervenir, sous réserve toutefois de prêter le serment civique. Cette dernière obligation a une double valeur : elle suppose par ce serment la démarche volontaire de l’étranger de manifester son intention de devenir citoyen français, mais surtout elle est la preuve de son engagement en faveur de la Révolution. Par cette obligation, l’acquisition de la citoyenneté française n’est plus automatique comme auparavant.
A noter que dans l’Art. 4, le pouvoir législatif se réserve le droit d’accorder la naturalisation à un étranger « pour des considérations importantes » s’il fixe son domicile en France et prête le serment civique. Ici, la naturalisation est liée, de manière indubitable, à la résidence, mais surtout au serment civique ! Les considérations importantes ne sont pas définies, mais laissent supposer des manifestations d’approbation et d’adhésion à la Révolution. Cet article trouvera sa concrétisation avec la loi du 25 août 1792 qui, comme nous le verrons, permettra d’accorder la citoyenneté française à des intellectuels étrangers.
L’application de l’article 5 concernant le serment civique fut l’objet d’objections de la part de députés quant à l’étendue de son interprétation : « Le serment civique est la base du décret qui en fait, en quelque sorte, la pierre de touche à laquelle on doit reconnaître (…) les citoyens sincèrement attachés à la Constitution, mais cette même Constitution, qui assure protection à tous les citoyens, ne le prescrit nulle part impérieusement, si ce n’est aux étrangers qui veulent devenir Français ; son défaut n’est point au nombre des conditions qui, art. 6 titre 1er, font perdre la qualité de citoyen français. Il est seulement exigé pour exercer les droits de citoyen actif » [18], nouvelle preuve que, pour les étrangers, citoyenneté et nationalité se trouvent liées, avec comme conséquence que l’étranger, astreint au serment civique, devient automatiquement citoyen français détenteur de droits politiques.
Malgré tout, une nouvelle divergence d’interprétation voit le jour. C’est, par exemple, Daniel de Folleville qui, dans son traité sur la naturalisation, déclare : « La naturalisation résultait ipso facto du concours des conditions exigées indépendamment de toute manifestation de volonté de la part des intéressés », [19] donc du serment civique, mais, dans ce cas, toujours selon lui, l’étranger naturalisé ne serait pas reconnu comme citoyen français, mais comme « Français par adoption » sans droits politiques.
A l’inverse, tous les Français qui se sont coupés de la nation, c’est-à-dire en particulier les émigrés, les ecclésiastiques réfractaires, perdent leur qualité de citoyens français, mais comme les députés Moreau et Roederer le répètent à plusieurs reprises lors de la discussion de l’article 6 : « Une personne peut encourir les peines de dégradation civique, et pour cela, ne pas cesser d’être citoyen français. Il (sic) perd bien le droit de citoyen, mais il est toujours Français. (…) On peut interdire la condition de citoyen français actif, mais on ne peut pas rayer de la liste des citoyens non actifs », « Il est toujours Français ! » [20].
En conséquence, sont citoyens français dotés de droits politiques tous ceux qui, nonobstant leur origine, manifestent par le serment civique leur attachement aux idéaux révolutionnaires, les autres étant considérés comme des Français « non actifs », sans droits politiques, car étrangers à la Révolution.
Devenir Citoyen français en 1791
Seconde tendance : suspicion et méfiance
1792 - 1793, années charnières :
L’année 1792 marqua le début de la campagne militaire contre les troupes austro-prussiennes avec comme fait marquant la Bataille de Valmy le 21 septembre 1791.
A l’inverse, l’année 1793 fut une année terrible. La France semblait perdue : elle n’avait plus d’armées, elle n’avait plus ni fusils ni canons, elle n’avait plus de poudre. Les armées ennemies avaient franchi toutes les frontières et envahissaient le pays.
En politique intérieure, l’Assemblée Nationale Constituante fit place le 1 octobre 1791 à l’Assemblée Législative qui, elle-même, sera remplacée de 20 septembre 1792 par la Convention, assemblée dans laquelle les deux groupes politiques principaux, les Montagnards et les Girondins, tenteront d’imposer leur propre conception des destinées de la Nation, d’où des affrontements de plus en plus violents qui aboutiront, sous l’influence de Saint-Just et de Robespierre, à l’instauration de la Terreur le 5 septembre 1793.
Les premiers concernés par tous ces bouleversements seront les étrangers. Dès 1793 apparaitront deux courants opposés quant à l’accueil qui leur sera fait. Si, au début, ils sont toujours accueillis sur le sol français de manière très bienveillante, voire même avec enthousiasme, en particulier ceux qui ont déserté des troupes ennemis et qui vont devenir les « déserteurs étrangers à Valmy », avec les revers militaires, la volonté d’universalisme fera progressivement place à une hostilité envers eux qui va trouver son expression dans une législation de plus en plus restrictive.
L’Assemblée législative :
Au début de cette année 1792, l’Assemblée législative continuant la politique de la Constituante, manifeste toujours autant de générosité et de bienveillance envers les étrangers arrivant sur le territoire alors que, parallèlement, va progressivement s’installer un système inquisitoire avec la création du certificat de civisme, indispensable sésame préalable à toute activité.
Le but de ce certificat est d’exercer un contrôle sur chacun, étranger ou citoyen et avant tout de surveiller son patriotisme. Car, ce document sera à l’origine d’une véritable mise en fiche de toute la population avec des conséquences d’une importance vitale pour celui qui se le verra refuser ou ôter.
Chacun essaiera d’obtenir le plus rapidement possible ce document. A titre d’exemple, le 2 décembre 1792, Louis François Clopin, notaire à Chesley dans l’Aube, sollicite auprès de la municipalité ce fameux certificat :
« Nous, maire, officiers municipaux, notables et procureur de la commune de Chesley, chef-lieu de ce canton, certifions que le citoyen Louis François Clopin, notaire demeurant à Chesley, a toujours et dans tous les temps et dès le commencement de la Révolution française prouvé et démontré publiquement partout où il s’est trouvé un civisme, un patriotisme incontestable, en foy de quoy nous luy avons donné le présent certificat après avoir entendu le réquisitoire du procureur de la commune ».
Muni de ce certificat, il pourra continuer à vaquer à ses activités habituelles.
Pour les étrangers, essentiellement ceux qui désertent les troupes ennemies pour rejoindre les combattants français, la situation est encore pleine de promesses. Tout est fait pour qu’ils trouvent sur leur nouvelle terre d’accueil des conditions de vie opposées à celles qu’ils avaient connues jusque-là [21]. D’où toute une série de lois en leur faveur.
Loi du 3 août 1792 :
La loi « relative aux Sous-officiers et Soldats des armées ennemies qui abandonneraient leurs drapeaux pour venir se ranger sous ceux des François » concerne tous ceux qui, par la suite, seront désignés par l’expression « Déserteurs étrangers », et le 27 août 1792, cette loi est étendue « aux officiers … qui embrassent la cause de la liberté ».
Ainsi, tous les combattants ennemis déserteurs, quel que soit leur grade, bénéficient d’avantages récompensant leur acte.
Ces lois sont un véritable manifeste en faveur de la désertion. Elles ont en premier lieu un but militaire : faire « tout ce qui tend au succès des armes de la nation Françoise et au triomphe de la cause de la liberté » et « ne négliger aucun moyen de terminer une guerre que la nation Françoise n’a entreprise que pour défendre la Constitution et son indépendance », ce qui impliquait que « l’Assemblée Nationale considérant que les hommes libres ont seuls une patrie ; que celui qui abandonne une terre asservie pour se réfugier sur celle de la liberté, ne fait qu’user d’un droit légitime » et qu’en conséquence « la nation Française n’en doit pas moins, ne fût-ce qu’à titre d’indemnité, des marques de reconnaissances et de son intérêt aux guerriers étrangers qui viennent se ranger sous les drapeaux, ou qui abandonnent ceux de ses ennemis pour n’être pas forcés à tourner leurs armes contre un peuple dont tous les vœux et tous les principes appellent la paix universelle et le bonheur de tous les hommes ».
A ce préambule plein d’enthousiasme et de pathos dans lequel la désertion est uniquement considérée comme un acte volontaire, suivent des mesures concrètes explicitant la manière dont ces étrangers doivent être accueillis :
Si l’Article premier est politique : « Les sous-officiers et soldats des armées ennemies qui, jaloux de vivre sur la terre de la liberté & de l’égalité, abandonneront les drapeaux d’une puissance en guerre avec la France, & se présenteront soit à un poste militaire, soit à une des autorités constituées, soit à un citoyen François, seront accueillis avec amitiés & fraternité, & recevront d’abord comme signe d’adoption une cocarde aux trois couleurs », les articles suivant sont par contre très concrets : « … après avoir fait la déclaration de vouloir embrasser la cause de la liberté, (ils) recevront à titre d’indemnité des sacrifices qu’ils auront pu faire, un brevet de pension viagère (….) ; ils seront en outre admis à prêter le serment civique, & il leur sera délivré une expédition du procès-verbal de la prestation de leur serment ».
Ces combattants déserteurs qui abandonnent les armées ennemies et qui font la déclaration « d’embrasser la cause de la liberté », donc supposés adhérer aux idéaux révolutionnaires, reçoivent « la cocarde aux trois couleurs » et sont admis « à prêter le serment civique ». Selon ce processus, ils deviennent de fait citoyens, mais sont-ils Français ?
Je crois qu’à cette question, nous pouvons répondre par l’affirmative bien que nous ne disposions d’aucun document qui indiquent de manière indubitable leur nationalité. La naturalisation reste certes toujours subordonnée à 5 ans de résidence continue sur le territoire, mais dès le 25 août, ils bénéficieront des mesures de la nouvelle loi : « servir la cause de la liberté ».
De plus, comme nous le verrons par la suite, l’attitude des autorités à leur égard indique qu’ils sont reconnus comme tels : une première fois, lorsque les Comités de salut public convoquent tous les étrangers, eux restent à l’écart et une seconde fois, lorsque les Sociétés Populaires tentent vainement de leur interdire le port de la cocarde pour ne plus voir en eux que des étrangers prisonniers de guerre.
Français certes, mais Français jouissant d’un statut particulier, car, lorsqu’ils seront chassés des armées pour être répartis dans les communes le 12 Frimaire An 2 (2 décembre 1793), ils seront contraints bien que toujours coiffés de la cocarde tricolore, de porter comme signe distinctif la lettre « E » « façonnée en drap d’une couleur tranchante avec celle de l’habit, et cousue sur les deux bras » de leur veste afin de pouvoir être « surveillés avec plus de sévérité ». Les actes administratifs mentionneront certes comme origine : « déserteur étranger » mais feront fréquemment abstraction de leur nationalité au moment de leur désertion.
Si pour les déserteurs-citoyens, l’attribution de la « cocarde aux trois couleurs » a valeur de laisser-passer qui leur donne la liberté de circulation, elle a, pour les autorités, une importance prépondérante. Elle est le symbole d’un engagement politique et constitue le signe extérieur de ralliement à la Révolution française. Ainsi, la cocarde permet de différencier le citoyen français, indifféremment de son origine, favorable aux idéaux révolutionnaires, le bon citoyen aux yeux des autorités, de l’étranger à la Révolution, voire de son ennemi, qui, lui, refuse le port la cocarde tricolore. A l’inverse, interdire le port de la cocarde à un individu, lui ôte du même coup la qualité de citoyen.
Conséquence logique de cette volonté de différenciation : le 8 juillet 1792, son port est rendu obligatoire pour les hommes, et le 21 septembre 1793, pour les femmes. Le refus de la porter rend suspect, chaque commune prouvant son ardeur révolutionnaire en appliquant ces mesures avec beaucoup de zèle, comme par exemple, le Comité de Salut Public de Nogent-sur-Seine qui, le 14 Nivôse An 2 (3 janvier 1794) décide :
« Le Comité révolutionnaire de Nogent-sur-Seine prévient que les femmes qui seront trouvées dans les rues sans être décorées de la cocarde tricolore seront punies de huit jours d’emprisonnement conformément à la Loi du 21 septembre dernier dont l’exécution est recommandée aux portes de la maison commune » [22].
Loi du 25 août 1792 :
L’esprit qui inspire cette loi, explicite en fait l’acquisition de la citoyenneté prévue par la Constitution de 1791. Toujours empreinte du même désir d’accueillir tous ceux qui sont supposés favorables aux idéaux révolutionnaires, la pétition lue la veille par Marie-Joseph Chénier devant la Convention en résume l’objectif : « Tous ceux qui, dans les diverses contrées du monde, ont mûri la raison humaine et préparé les voies de la liberté, doivent être regardés comme les alliés du peuple français » [23].
Le 25 Août 1792, la « Loi qui confère le titre de Citoyen Français à plusieurs étrangers » concrétise l’article 4 du titre II de la Constitution du 3 septembre 1791 concernant l’attribution de la qualité de citoyen français à des étrangers « pour des considérations importantes » :
« L’Assemblée Nationale, considérant que des hommes qui, par leurs écrits & par leur courage, ont servi la cause de la liberté, & préparé l’affranchissement des peuples, ne peuvent être regardés comme étrangers par une Nation que ses lumières & son courage ont rendue libre.
Considérant que, si cinq ans de domicile en France, suffisent pour obtenir à un étranger le titre de citoyen français, ce titre est bien plus justement dû à ceux qui, quel que soit le sol qu’ils habitent, ont consacré leurs bras & leurs veilles à défendre la cause des peuples contre le despotisme des rois, à bannir les préjugés de la terre, & à reculer les bornes des connaissances humaines. (…)
Considérant enfin qu’au moment où une convention nationale va fixer les destinées de la France & préparer peut être celle du genre humain, il appartient à un peuple généreux & libre, d’appeler toutes les lumières & de déférer le droit de concourir à ce grand acte de raison, à des hommes qui par leurs sentiments, leurs écrits & leur courage s’en sont montrés si éminemment dignes ».
Dans sa thèse : « Genèse du code de la nationalité française », Pierre Berté considère cette loi comme « l’ouverture de la nationalité française et de la citoyenneté française aux personnes présumées favorables à la Révolution »
[24]. Mais, cette mesure ne sera pas sans provoquer des oppositions au sein de la Convention : « Je ne m’oppose point, a dit M. Lasource, (député) à ce que le titre de citoyen soit accordé aux étrangers qui ont défendu par leurs écrits la cause de la liberté : mais je m’oppose à ce qu’on le leur accorde avant qu’ils le demandent » [25].
Car, cette décision de conférer solennellement la citoyenneté française à d’illustres personnages étrangers s’adresse à des individus qui pour certains ignorent tout de la langue et des mœurs françaises et conséquemment, effet imprévu par ses auteurs, cette loi permet selon Jean Bart la dualité : « être à la fois étranger et citoyen » [26], car ce titre n’est assujetti à aucune des obligations habituelles : résider en France et y prêter le serment civique. Pour Patrick Weil, « ce qui leur est attribué, c’est une citoyenneté d’honneur » [27], l’acte de naturalisation ne prenant effet qu’avec leur installation en France et la prestation du serment civique.