Avec les registres paroissiaux, les dénombrements constituent l’autre source essentielle pour connaître la composition des familles et estimer la population d’un territoire sous l’Ancien Régime. Souvent très anciens, ils répondent à des visées fiscales, ce qui explique que généralement les individus sont comptés en feux [1].
Petit tour d’horizon chronologique des principaux dénombrements et recensements de la population sous l’Ancien Régime :
Les premières tentatives de dénombrement de la population
- En 1328, la Chambre des comptes établit un Estat des paroisses et feux des bailliages et sénéchaussées de France (Document exceptionnel et premier dénombrement de la population) : 23 671 paroisses sont comptabilisées pour un total de 2 469 987 feux (soit 7,7 feux au kilomètre carré). Mais sont exclus de ce dénombrement les grands fiefs comme la Bretagne, la Bourgogne, la Flandre, la Gascogne anglaise, le Barrois, le Béarn, le Bourbonnais, le Forez et la Marche, ainsi que les apanages et seigneuries de l’Artois, d’Alençon, de Chartres, d’Evreux, de Mortain et d’Angoulême. Il s’agit d’un document à caractère fiscal afin d’évaluer la levée des subsides pour le financement de la guerre en Flandre. Un « document symbole du développement de la monarchie territoriale et administrative », selon l’historien Alain Demurger. À la même époque, les chroniqueurs indiquent que le royaume compte 1 700 000 clochers. À partir de l’évaluation moyenne de 4,5 habitants par feu, les historiens estiment la population du royaume à environ 18 à 20 millions de sujets (dont 200 000 à Paris). Mais à partir de 1330 et jusqu’en 1450 (cf. cette date), on enregistre un effondrement démographique qui touche du tiers à la moitié de la population (cf. Ferdinand Lot, L’état des paroisses et des feux de 1328, dans Bibliothèque de I’École des chartes, t. XC, 1929, appendice n° 1, p. 305-308. Traduction de l’ancien français).
- En 1397, la plus ancienne « visites des feux » pour la répartition des tailles est organisée en Bourgogne [2].
À partir de la fin du XVe siècle, la constitution d’un grand État monarchique et le progrès de la pensée politique vont permettre le développement de la comptabilisation de la population à l’échelle du royaume.
- En 1492, le roi Charles VIII procède à un dénombrement des feux : « Nous avons conclu et délibéré de savoir à la vérité quel nombre de feux il y a en chacune des élections et pays de notre royaume »... mais ce dénombrement n’a laissé aucune trace dans les archives.
- En 1503, Louis XII aurait également ordonné un recensement des feux de son royaume. Il n’en reste aucune trace.
- Vers 1525, François Ier lance à son tour un dénombrement de la population. Il n’en reste aucune trace.
- Vers 1560, Charles IX décide d’un nouveau recensement de la population. Les états des feux du Berry (1565) et du Bourbonnais (1569) sont peut-être des épaves de ce dénombrement [3] .
À noter que l’idée et l’intérêt des enquêtes et des recensements font leur chemin tout au long du siècle : Ainsi en 1576, Nicolas Froumenteau publie un ouvrage intitulé : Le secret des finances de France découvert et départi en trois livres, dans lequel il indique, diocèse par diocèse, le nombre des paroisses, des maisons, des familles, des moines occis, des maisons brûlées et des filles violées pendant les guerres de religion (cf. les références sur Froumenteau sur Gallica). |
C’est surtout au cours du XVIIe siècle que les dénombrements par feux ou par tête d’habitants furent nombreux (cf. ci-dessus la note 2 pour la Bourgogne), citons par exemple :
- Selon B. Gille, les papiers de Vauban (liasse 59 de la collection privée du marquis de Rosambô) conservent un dénombrement des feux de Franche-Comté, exécuté en 1624, pour réformer le règlement de la milice.
- En 1666, Naicquart réalise un recensement par tête d’habitants de la population de Lille [5].
- De 1680 à 1684, la population de Laon est dénombrée par communiants (hommes et femmes) et par huguenots (baptêmes et décès) [6] .
- Les statistiques de communiants sont également très nombreuses sur la période : B. Gille cite l’exemple du diocèse de Montpellier pour les années 1684 et 1687 [7].
Les grandes enquêtes statistiques
- La première grande enquête statistique est incontestablement celle que Colbert confie aux intendants en 1664 dans l’ensemble des provinces du royaume. Ceux-ci doivent lui fournir un état de la noblesse et du clergé, une description des provinces et des villes et de leurs activités économiques afin de permettre le développement de « toutes les choses utiles au roi comme au peuple » (cf. B. Gille). Malheureusement, peu de rapports des intendants sont parvenus jusqu’à nous [8]... mais l’enquête a permis la réalisation d’un très bel Atlas des gabelles [9] dont les cartes sont accompagnées de tableaux statistiques pour les pays de grande Gabelle [10] avec indication du nombre des paroisses, des feux et des individus âgés de huit ans et plus, soumis à l’impôt.
- A une date inconnue, Vauban publie une Note sur le recensement des peuples. Selon lui, « sans un recensement répété tous les ans une fois, ou du moins tous les deux ou trois, on ne peut savoir précisément le nombre de sujets, l’état au vrai de leur richesse et pauvreté, ce qu’ils font, de quoi ils vivent, et quel en est le commerce et les emplois, s’ils sont bien ou mal, à quoi les pays sont propres, ce qu’il y a de bon ou de mauvais, quelle en est la qualité ou fertilité, jusques aux valeurs et rapports des terres ; ce que le royaume nourrit d’habitans de son cru, et qu’il en pourrait nourrir sans l’assistance de ses voisins s’il était dans le meilleur état où on le puisse mettre, quels sont les arts et métiers les plus en usage aux habitans, ceux dont ils pourraient ajouter sans préjudicier à ceux des provinces voisines. »
- En 1676 et en 1680, Vauban, alors gouverneur de Valenciennes, s’inspirant de sa Note, fait procéder au dénombrement des hommes, des femmes, des garçons, des filles, des valets, des servantes et des étrangers de cette ville [11]. Il semble que sa méthode soit également l’inspiratrice des dénombrements de Tours (1681), Douai (1682), Dunkerque, Graveline, Ypres, île d’Oléron (1685), Bergues, Furnes, Bourbourg et encore Valenciennes et Dunkerque (1686).
- En 1686, Vauban propose sa Méthode générale et facile pour le dénombrement des peuples. Il s’agit d’une œuvre majeure pour la statistique démographique. Selon Scarlett Beauvalet-Boutouyrie, « Le principe général est de répartir les maisons de chaque ville, bourg ou village en petits groupes et de les confier à un responsable local chargé de tenir un registre des feux et des individus qui les habitent. Chaque « agent recenseur » note sur un tableau les renseignements qu’il a recueillis par groupes de maisons ou rues (Vauban recommande de faire tenir le tableau sur une feuille de « papier un peu grand »), puis dans un second temps rassemble les tableaux en un livre. Le premier tableau doit comporter le nom de la généralité ou province, de l’unité recensée, de la paroisse, de la rue ou du hameau ; chaque famille (à chacune correspond une ligne du tableau) est ensuite inscrite avec les noms et qualités du chef de famille, sa profession, les noms et qualités des occupants de la maison répartis en hommes, femmes, grands garçons, grandes filles, petits garçons, petites filles, valets, servantes et, pour finir, la récapitulation de leur nombre. Lorsque plusieurs familles occupent une même maison, une notation le signale. Tous ces renseignements sont ensuite récapitulés dans une table générale établie pour un gouvernement ou une province et complétés par des informations concernant l’économie. » Pour mener à bien son enquête, Vauban demande aux intendants de lui envoyer des mémoires statistiques sur leur généralité. Malheureusement, peu de rapports sont connus : bailliage de Tournai, Lille [12], Tours, prévôté de Valenciennes, Franche-Comté [13] (1688), ville et prévôté de Valenciennes [14] (1693), Dunkerque (1695), élection de Vézelay, Flandre occidentale [15] (1696), île d’Oléron, Bailleul (1697), Ypres (1698). On connaît également quelques dénombrements non datés de paroisses rurales : Aunay, Ahun, Cervon, Epiry, Sardy.
- En 1693, à l’occasion de la disette des années 1692-1693, le pouvoir royal ordonne la visite des blés, dans les magasins « des villes et lieux du royaume ». Selon B. Gille, « les visites devaient se faire par paroisses et maisons. Et, pour justifier la présence de telle quantité de grains, il était logique de connaître le nombre des habitants. En Auvergne, l’intendant conseilla de faire les tournées en compagnie du curé et des autorités municipales. Pour faciliter la tâche des commissaires, des tableaux à colonnes furent imprimés et distribués, comportant par subdélégation le nom des paroisses, le nombre des communiants, le nombre des non-communiants et des enfants, et, à la suite, 5 colonnes sur les quantités des divers grains et une dernière sur la valeur des dîmes en blé de la paroisse.
Nous possédons pour l’Auvergne, non seulement une partie de ces tableaux chiffrés, mais même les procès-verbaux de visite avec le recensement nominatif de toutes les maisons, indiquant donc la profession, la composition des familles » [16]. Un relevé de ce dénombrement serait donc pour l’historien et le généalogiste du plus haut intérêt (A ce sujet, lire l’article de E. Esmonin dans la revue Population .
- En 1694-1695, la création d’un nouvel impôt, la capitation [17], donne lieu à un dénombrement général du royaume dont « il semble toutefois qu’il ne soit pas resté grand chose », selon B. Gille [18].
- de 1697 à 1701, à la demande du duc de Beauvillier, et pour parfaire l’éducation du prince de Bourgogne, les intendants reçoivent l’ordre de rédiger des mémoires sur l’état de leur généralité ou de leur province. Il s’agit alors de connaître pour chaque paroisse le nombre des villes, des villages et des maisons, celui des chefs de famille, des femmes, des enfants non mariés, des valets, des servantes et des pauvres mendiants (les ecclésiastiques sont notés à part), l’état de l’agriculture et de l’industrie, les courants de migration. 34 intendants sur 35 enverront un Mémoire à Versailles... mais la qualité des textes est très inégale et beaucoup reprennent des données anciennes, notamment de l’enquête de 1694 (série H 1/1588 8 à 1588 46 des AN). Selon Scarlett Beauvalet-Boutouyrie, « c’est sans doute l’enquête la plus connue et la plus largement utilisée par les historiens ». En 1728, Boulainvilliers a publié cette enquête dans son Etat de la France [19] (Cf. sur books.google.fr).
- En 1707, deux publications traitent de la question des impositions : Vauban publie son Projet de dîme royale dans lequel il expose sa méthode pour le dénombrement des peuples. Avec cet ouvrage, il évoque également le sort misérable des manouvriers. La même année, Boisguilbert publie Le Factum de la France qui préconise l’établissement d’un impôt unique payable sur le dixième du revenu (cf. Gallica).
- En 1709, le « Grand Hyver » va donner l’occasion d’une nouvelle enquête afin de connaître l’état des blés et le recensement des bouches à nourrir. Mais selon J. Dupâquier, il est possible que ce dénombrement n’est pas été exécuté [20]. La même année, Claude Saugrain publie un Dénombrement du royaume par généralités, élections, paroisses et feux (nombreux renseignements administratifs... mais fiabilité variable car les chiffres utilisés sont ceux de l’année 1693) (cf. 1720 & Gallica).
- En 1713, une circulaire ordonne un dénombrement par feux [21]. Celui-ci repose sur le comptage des rôles de tailles en pays d’élections [22]. Il manque les pays d’États (sauf la Bourgogne), le Hainaut, le Dauphiné, la Franche-Comté, l’Alsace, les Trois-Évéchés et le Roussillon.
- En 1716-1717, selon J. Dupâquier, un arrêt du Conseil d’Etat invite les intendants « à se transporter dans les paroisses, ou à y envoyer des commissaires pour dresser avec des experts choisis par les habitants, un état exact de tous les biens-fonds et héritages quelconques, et des noms, profession, commerce et industrie de chaque contribuable.
Un essai fut fait dans l’élection de Lisieux, une enquête dans celle de La Rochelle, mais l’effort principal porta sur la généralité de Paris. Des commissaires furent envoyés dans quelques paroisses ; ils y travaillèrent toute une année à grands frais, rapporte Saint-Simon, qui prétend que la dépense atteignit 800 000 livres. »
- En 1720, pour corriger sa précédente publication, Claude Saugrain publie Le Nouveau Dénombrement du royaume par généralités, élections, paroisses et feux qui contient une liste des paroisses comprenant le nombre de « feux ». Sa méthode de calcul repose sur les cotes d’imposition qui permettent de recenser le nombre de contribuables en fonction d’un nombre d’habitants par feu, variable selon les régions (fiabilité variable) (cf. l’Ined & Gallica).
- De 1724 à 1726, trois enquêtes successives dont celle du contrôleur général Dodun permettent de connaître l’état des feux et des gabellants (personnes âgées de 8 ans et plus), paroisse par paroisse, pour les pays de grande gabelle (Selon Scarlett Beauvalet-Boutouyrie, il s’agit d’« une source privilégiée pour l’étude du peuplement. »).
- En 1726, à partir des données de ses précédents ouvrages, Claude Saugrain rédige un Dictionnaire universel de la France où il donne la population de chaque paroisse en nombre d’habitants et non par feux (Selon J. Dupâquier, « malheureusement presque tous ses chiffres semblent avoir été calculés en appliquant un cœfficient au nombre des feux indiqués dans son Nouveau dénombrement. »).
Après 1726, les problèmes d’ordre économique, notamment agricole, prennent le pas sur les questions démographiques.
- En 1730, le contrôleur des finances, Orry, demande aux intendants de dénombrer la population de leurs généralités... Les réponses sont peu nombreuses (Gap, Romans, Valence et Montélimar) [23].
- En 1744-1745, Orry demande à nouveau aux intendants de dénombrer la population de leur province par la méthode de l’évaluation par les cotes d’imposition... mais peu de réponses semblent avoir été conservées dans les fonds d’intendance et les chiffres semblent bien en dessous de la réalité (cf. l’article de F. de Dainville dans la revue Population). La même année, le géographe Pierre Doisy publie un livre intitulé : Le Royaume de France et les Etats de Lorraine par ordre alphabétique (mais les chiffres proposés sont ceux de Saugrain).
- En 1760-1762, le contrôleur général Bertin envoie aux intendants des copies des mémoires de 1697 afin qu’ils s’en inspirent pour une nouvelle enquête. Il leur demande de dresser un rapport précis de la situation de l’agriculture dans les généralités. Seules les réponses des intendants d’Alençon, de Lyon [24] et de Tours [25] sont connues.
- Entre 1762 et 1770, l’abbé Jean-Joseph d’Expilly rédige son monumental Dictionnaire géographique, historique et politique des Gaules et de la France. Le tome 3 est une étude démographique intitulée De la population de la France, mais il s’agit d’une source peu fiable (cf. 1780 et les AN). Dans cette étude, il explique que pour passer du calcul des feux à celui des habitants, il faut appliquer comme multiplicateur le nombre moyen de personnes qu’il attribue à chaque feu : à savoir 4,5. Mais, se rendant compte de l’arbitraire de sa méthode de calcul, il en propose une autre qui consiste à déduire le chiffre de la population du nombre moyen des naissances annuelles, multiplié par un cœfficient calculé d’après les dénombrements effectués dans les registres de catholicité de plusieurs provinces (Comtat Venaissin, Provence et Flandre wallonne). Selon Scarlett Beauvalet-Boutouyrie, « débute alors tout un travail de prospection. Il se met en rapport avec la plupart des intendants et, avec leur aide, fait compter par les curés le nombre des naissances, mariages et décès dans toutes les paroisses de France pour les années 1690-1701 et 1752-1763. Après divers tâtonnements, il propose le multiplicateur 25 et montre que la population a augmenté entre les deux périodes étudiées. »
- En 1764, le nouveau contrôleur général Laverdy lance lui aussi une nouvelle enquête dont il ne reste que deux minutes dans les fonds d’intendance : [26] et Languedoc [27]... ce qui est regrettable car « cette enquête pourrait nous apporter des renseignements précieux sur l’état de la France vers la fin du règne de Louis XV » (B. Gille). La même année, l’abbé Jean-Joseph d’Expilly publie une étude démographique, De la population de la France, tome 3 de son Dictionnaire géographique (une source peu fiable) (cf. 1780 et les AN).
- En 1766, Louis Messance publie ses Recherches sur la population des généralités d’Auvergne, de Lyon, de Rouen et de quelques provinces et villes du Royaume. Il fonde son étude sur les relevés des baptêmes, mariages et sépultures des villes étudiées (de 1747 à 1756 pour Riom, de 1749 à 1759 pour Lyon et de 1752 à 1762 pour Rouen) auxquels il applique des cœfficients multiplicateurs différents : 24 pour Lyon, 24,5 pour Riom et 27,5 pour Rouen. Au final, il propose une moyenne de 25 pour l’ensemble du royaume. Enfin, pour étudier la croissance de la population, Messance procède à des relevés des naissances et mariages de 10 en 10 ans, depuis 1690 jusqu’en 1730, dans plusieurs villes, bourgs et paroisses rurales de chaque généralité. Ses résultats confirment les conclusions de l’abbé Expilly sur l’augmentation de la population.
Les enquêtes des intendants :
À titre d’exemple, B. Gille propose la liste des mémoires identifiés pour l’Auvergne :
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- En 1770, le contrôleur général Terray encourage les intendants à établir chaque année une statistique des naissances, mariages et décès de chaque généralité à partir des cotes de la capitation et de la taille... mais le projet est vite abandonné.
- En 1772, Terray fait établir des statistiques régulières sur le mouvement de la population. Les relevés sont faits dans les généralités d’après les registres de baptêmes, mariages et sépultures pour chacune des paroisses, puis les intendants envoient à Paris des tableaux récapitulatifs.
- En 1774, Turgot, qui vient de succéder à Terray, demande aux intendants de faire procéder à des recensements (en fait, des sondages) par tête dans les chefs-lieux de subdélégation [28] et dans trois paroisses avoisinantes avec mention sur huit colonnes des hommes mariés, des femmes mariées, des veufs, des veuves, des garçons, des filles, des journaliers et des journalières. B. Gille souligne les difficultés de mise en œuvre de l’opération : « Dans leur propre ville, les subdélégués ne savaient trop comment s’y prendre. Il fallut souvent faire appel aux municipalités. Certains problèmes n’étaient point faciles à résoudre : fallait-il compter la population scolaire, celle des communautés religieuses, les mendiants (...). Ce fut pis encore dans les paroisses rurales. En certains cas, le subdélégué exécuta tous les dénombrements. Ailleurs, on insistait sur l’opposition du clergé, sur les craintes de la population de voir augmenter les impôts. En 1776, Turgot réclamait encore ses états à l’intendant. » Selon J. Dupâquier, les résultats régionaux sont restés presque tous inédits (Voir la série C des A.D.).
- En 1776, l’abbé Lacroix publie des statistiques très détaillées sur le mouvement de la population de la ville et des faubourgs de Lyon pour la période 1750-1775, par paroisse et par mois, avec tableaux des décès par groupes d’âges et récapitulations annuelles [29].
- En 1778, Moheau publie ses Recherches et considérations sur la population de la France. Il se prononce en faveur du dénombrement par tête, dont les inévitables erreurs sont corrigées par d’autres procédés : nombre des communautés, des maisons, des feux ou des cotes d’imposition... Il s’agit du premier véritable traité de démographie dans lequel il introduit des notions nouvelles sur la taille des hommes, les rapports mariages-naissances, les mois de conception, la mortalité par groupes d’âges et enfin la notion de « vie moyenne ».
- En 1780, Necker informe les intendants qu’il désire connaître « l’état des choses » et notamment les progrès de l’agriculture dans chaque généralité (dessèchements et défrichements, abolition du droit de parcours, partage des communaux, communications vicinales). Peu de réponses sont connues et elles sont toutes imprécises.
Pour De Brou, intendant de Bourgogne, l’inutilité de cette enquête semblait une évidence, car il écrit en marge de la circulaire :« tout cela ne servira qu’à barbouiller du papier. » |
- Toujours en 1780, avec l’aide de l’administration, et en s’appuyant sur une étude des registres paroissiaux, Jean-Joseph Expilly publie une étude statistique importante : le Tableau de la population de la France (cf. Gallica).
- Entre 1784 et 1786, le pouvoir royal fait établir un relevé des feux dans toute la France (par exemple, voir le recensement de l’Auvergne aux A.D. du Puy-de-Dôme, C 7558). En Bourgogne, le dénombrement est complet avec répartition par sexes et par groupes d’âges pour environ 150 paroisses (A.D. Côte d’Or, C 73 et 73 bis).
- En 1787-1788, plusieurs assemblées provinciales s’inquiètent de la situation économique des provinces et demandent la rédaction de mémoires qui font une large place aux questions agricoles (Voir la série C des A.D. et les A.N. cote F 10, 221).
- En 1790, le chevalier des Pommelles souhaite établir une meilleure répartition des charges de la milice. Pour cela, il s’intéresse à la population : il prend connaissance des travaux de ses prédécesseurs, voyage en France, s’informe auprès des intendants et des curés et consulte les archives militaires.
Sources :
- Thierry Sabot, Contexte, guide chrono-thématique, Editions Thisa, 2012.
- Jacques et Michel Dupâquier, Histoire de la démographie, Paris, Editions Perrin, Collection Pour l’Histoire, 1985.
- Bertrand Gille, Les Sources statistiques de l’histoire de France, des enquêtes du XVIIe siècle à 1870, Paris, Librairie Droz, 1964. Un ouvrage essentiel mais très difficile à trouver y compris chez les bouquinistes.
- Scarlett Beauvalet-Boutouyrie, La population française à l’époque moderne, démographie et comportements, Paris Editions Belin, 2008.
- Jacques Dupâquier, La Population rurale du bassin parisien à l’époque de Louis XIV, Publications de l’Université de Lilles III, Paris, Editions de l’EHESS, 1979 (notamment le chapitre 2.1 Naissance de la statistique démographique et le chapitre 2.3 Géographie du doute méthodique. Étude critique des données).