L’arrivée des maçons de la Creuse
En 1842, au moment où se construit le Pont du Pertuiset qui allait enjamber la Loire, au Pertuiset, remplaçant l’antique bac de la Mure, Benoît Berthollet construisait, à proximité de cet ouvrage, un moulin à farine et une auberge. Celle-ci allait connaître la prospérité, avec le développement du nouveau réseau routier qui allait relier l’Ondaine, sa métallurgie et son charbon, avec l’Auvergne et la Haute Vallée de la Loire.
Qui dit constructions, dit maçons et qui dit maçons dit… de la Creuse. C’est ainsi qu’une forte colonie de maçon creusois, en quête de travail va s’installer dans l’Ondaine et en particulier en bordure de Loire sur la commune voisine de ÇALOIRE, à Saint-Paul en Cornillo. Parmi eux, un tailleur de pierre, Guillaume Riffat, venue de la commune de Compas dans la Creuse, fréquente l’auberge Berthollet, s’éprend d’une jeune serveuse de vingt ans, Félicité Mirfleur. Le couple se marie le 5 septembre 1863.
Voici le premier obstacle auquel on ne s’attendait guère. En effet le couple Riffat n’est pas apparenté aux Berthollet. Comme l’acte de mariage donne la date et le lieu de naissance des mariés, on apprend que Félicité est née de parents inconnus, enfant abandonnée inscrite sur l’état-civil de Saint-Etienne à la date de sa naissance, le 3 septembre 1843, déclarée par M Estivalezet, chef du Bureau de police de l’Hôtel de Ville « enfant trouvée exposée sur le tour de l’Hôpital de cette ville, hier à 10 heures 1/4 du soir, âgée de quelques heures, ayant sur lui (elle) des vêtements avec un ruban jaune et bordures rouges. Le dit Estivalezet lui a donné le nom de Mirfleur Félicité... »
Tous les actes de naissance des enfants du couple Riffat/Mirfleur qui naîtront par la suite à Çaloire portent, sans aucune exception, les noms de leurs deux parents : Guillaume Riffat et Félicité Mirfleur. Il semblait difficile d’aller plus loin dans les recherches. Déception ! « La cabane était tombée sur le chien ! » comme on dit dans le milieu rugbystique, autrement dit, « il ne me restait que les yeux pour pleurer ! ».
Un étrange recensement
Au recensement de 1872, concernant la famille Riffat à La Mûre, on retrouve Guillaume sur la première ligne et à la seconde ligne, on s’aperçoit que sa femme se nomme non pas Félicité Mirfleur mais … Jeanne Berthollet.
Guillaume Riffat aurait-il divorcé ? Sa première femme Félicité serait-elle décédée ?
On peut penser qu’à Çaloire, tout le monde connaissait tout le monde et savait que la femme de Guillaume était « la Jeanne Berthollet ». « Mirfleur », c’était pour l’état-civil, à Saint-Etienne. Le script qui fit le recensement ignorait même ce détail !
Quant autres enfants de la famille nés après ce recensement, Antoine en 1872, Jules en 1874, Constance en 1876, Thérèse en 1878, avaient bien Félicité Mirfleur comme mère.
Alors, pour s’en tenir au langage rugbystique, « la jument n’avait pas encore tourné le dos au foin », il restait encore un peu d’espoir.
Mais si l’on regarde plus attentivement encore ce recensement, on lit sur la ligne numérotée 43 « Berthollet Jeanne, Mère de Madame Riffat, 51 ans ».
Décidément, « les mouches avaient changé d’âne » dit-on autour des terrains. Le moral remontait ! Cette Jeanne Bethollet et Félicité Mirfleur n’étaient certainement qu’une seule et même personne. La mère, également prénommée Jeanne, née le 5 août 1820 à Çaloire, accoucha « sous X » à Saint-Etienne pour éviter le « qu’en-dira-t-on » dans le petit village.
Voila donc les liens renoués entre les familles Berthollet et Riffat, liens d’autant plus resserrés que Mathieu Berthollet, donc le frère de Jeanne, devient le parrain de Mathieu Riffat, fils ainé de Guillaume, lorsque celui naîtra le 6 juin 1864.
Une preuve supplémentaire
Pourquoi Guillaume Riffat déménagea-t-il après la naissance de son premier fils Mathieu, peut-être même avant sa naissance puisqu’au moment où Mathieu nait, c’est Mathieu Berthollet (son oncle) qui va le déclarer en mairie, le père étant absent. On le retrouve dans un petit pays perdu de Lozère : Prévenchères. Manquait-il de travail en Ondaine ? Y avait-il d’importants chantiers en Lozère ? En effet, après recherche, on apprend que la ligne Nîmes-Clermont qui passe sur la commune de Prévenchères (gare), devait fêter le 150e anniversaire de la fin de ses travaux en 2020 (fête annulée cause COVID). Ce qui correspond à 1870, date à partir de laquelle la famille Riffat revenait en Ondaine. Pendant des quelques années lozériennes, elle s’installe dans le hameau de la Garde (Prévenchères). Le couple aura, pendant ce séjour, deux nouveaux enfants : Antoine Alexandre né le 13 juillet 1866, qui décède six mois plus tard et Marie-Eugénie née le 8 mai 1868.
Mais le plus beau était à venir. En effet, si l’on observe les actes de naissance de ces deux enfants, on constate que, loin de Çaloire, les parents donnent la véritable identité de la mère : Berthollet Félicité (Ils ont gardé le prénom), outre la faute d’orthographe au nom de famille : RIFA.
Quand la famille réintègrera Çaloire pour la naissance du fils suivant, Antoine, né en 1872, la mère se nomme cette fois-ci Millefleurs Félicité ! On peut espérer que cette gymnastique « onomastique » n’entraina pas chez Félicité un dédoublement de la personnalité !
De Riffat à Verdier, une histoire de famille
Des lors se succéderont à Çaloire, plusieurs générations de maires-aubergistes-meuniers du nom de Riffat ainsi que de leurs descendants. le premier étant …
Guillaume Riffat en personne, maire de 1881 à sa mort le 4 juin 1897. Les deux fils, Mathieu et Antoine Riffat qui déclarent la mort de leur père, se disent « meuniers » à la Mûre. Antoine deviendra à son tour maire de 1908 à 1935.
Verdier Marcel qui habitait Firminy et se disait « négociant » était marchand forain. Fréquentant Le Pertuiset, il s’éprend de Eugénie Riffat, la fille, non du maire alors en place, Antoine, mais celle de son frère aîné Mathieu. Le couple se maria le 30 juillet 1928. Il devient du même coup meunier, (plus tellement), aubergiste et succèdera à Antoine Riffat comme maire de Çaloire de 1935 à 1972. Pour clore la lignée, Roland Verdier restaurateur, fils de Marcel, sera maire à son tour de 1972 à 1995.
Aujourd’hui, le Moulin existe toujours mais c’est seulement un restaurant et il a quitté la famille Berthollet-Riffat-Verdié.
Quant à l’état-civil du 19e siècle, on se rend compte qu’il ne faut pas lui faire une confiance aveugle au vu des erreurs… ou des mensonges sciemment inscrits sous le sceau de la loi. Décidément comme aurait dit notre « Roger Couderc » national, « le cochon était dans le maïs ! ».