La généalogie : pour tracer des décès prématurés de femmes entre 25 et 55 ans (potentiellement mortes de cancer du sein à caractère héréditaire)
La généalogie, « la vie et la mémoire des hommes » ! La mémoire (indirecte) des femmes, aussi, mortes prématurément … d’une maladie qui devait alors passer inaperçue : le cancer du sein. Imperceptible car, possiblement confondue, à son stade ultime (métastases aux poumons ou au cerveau), avec d’autres affections mortelles et fréquentes comme la tuberculose. Discrète, aussi, car touchant une zone intime du corps féminin (même si elle était dévoilée lors de l’allaitement) ; et pour des populations rurales quasiment privées de tout suivi médical, l’absence de mots appropriés et transmissibles pour en décrire les (premiers) symptômes. Mortalité par cancer finalement invisible, car les femmes mourant de cancer du sein après une grossesse (affaiblissant l’immunité, donc faisant « flamber » ce cancer) un an, deux, trois ans après une naissance, cela ne devait pas plus émouvoir ou étonner que la longue litanie des décès maternels « périnataux ». Pour celles qui mouraient de cancer du sein un peu plus tard (40 à 55 ans), le diagnostic pouvait être « volonté de Dieu », ou plus prosaïquement : « femme usée par la vie et ses chagrins » …
Un mode d’emploi pour chacun.e (en France : 58 000 cancers du sein/an), d’après mon parcours d’auto-formation au cancer du sein
Deux ans après la découverte et les traitements d’un cancer du sein, grâce à la généalogie, j’ai retravaillé sur mon histoire familiale avec ce nouvel éclairage « cancer » et tout ce que j’avais appris au fil des rencontres ou des lectures sur cette maladie. Ma grand-mère paternelle était morte à 39 ans, en laissant trois orphelins, dont mon père (3 ans). Même si j’ai été touchée plus tard à 50 ans, il m’est vite apparue, au terme de mon auto-formation au cancer, qu’une seule et même maladie nous avait atteinte. Quelques éléments factuels sur l’éventuelle transmission héréditaire de ce type de cancer sont à expliciter :
- Une des informations médicales précieuses sur la patiente (celle soignée aujourd’hui, à partir de laquelle on peut construire cette démarche d’enquête généalogique) : le sein opéré comportait-il plusieurs tumeurs cancéreuses ? Si oui, les référentiels médicaux (INCa, 2009) considèrent que l’hypothèse d’un cancer du sein d’origine génétique ne peut être écarté.
- Même si cela parait contre intuitif aux béotiens, les prédispositions génétiques au cancer du sein peuvent être transmises aussi bien par la mère que le père (un seul des deux parents atteints suffit). Avec des glandes mammaires dites atrophiées, les pères ou grands-pères ne développent pas de cancer du sein dans l’immense majorité des cas, tout en étant potentiellement porteurs de l’anomalie génétique problématique, mais indétectable (avec une malchance sur deux de la transmettre à chacun.e de leur descendant.e).
- Le fait d’avoir des tests d’oncogénétique négatifs n’invalident pas le besoin d’étudier sa propre ascendance : aujourd’hui, seuls 6 gènes de prédisposition au cancer du sein sont testés en routine (un nombre plus important de gènes restent encore à l’étude). Sans parler d’anomalies de l’ADN dites « SNP » (en dehors de l’exome [1]), qui concentrent l’attention des chercheurs pour faire un jour toute la lumière sur les prédispositions génétiques aux cancers.
- En attendant ces progrès, les onco-généticiens parmi les plus renommés expliquent que les familles avec des tests d’oncogénétiques négatifs pourraient avoir une anomalie génétique qui leur soit spécifique (donc, en clair, jamais un test sophistiqué viendra nous prévenir de cette vulnérabilité) : la généalogie s’impose donc comme le dernier recours pour y voir plus clair.
- Les services d’oncogénétique ne remontent pas au-delà de vos grands-parents (alors que le résultat de mes propres recherches généalogiques tend à illustrer qu’il est pertinent de remonter 4 à 6 générations en arrière (au tout début du 19e siècle, soit après la Révolution qui a permis à la population de vivre plus dignement donc plus longtemps).
- L’approche est donc de faire une généalogie ascendante (qui permet de repérer des décès prématurés de jeunes femmes (entre 25 et 55 ans) dans une branche, puis une généalogie descendante, en partant de l’ancêtre sur laquelle se portent les soupçons de cancer du sein … dont j’ai hérité !
D’un livre pour capitaliser tous ces enseignements …à une volonté d’échanges avec d’autres passionnés par le sujet Oncogénétique - généalogie.
De cette quête, j’en ai écrit un livre : non pas pour le vendre à des milliers d’exemplaires, mais pour en faire un outil au service d’un chantier de science participative. En outre, tout ce qui est résumé ci-dessus, à propos de la complémentarité entre oncogénétique et généalogie, est détaillé dans le chapitre 4 (au milieu du livre). L’état d’esprit est d’encourager d’autres patientes atteintes par le cancer du sein, à faire le même « voyage dans le temps » grâce à la généalogie et aux archives d’état civil accessibles en ligne. Voyage dont on peut ramener des éléments de preuve (indirecte, donc pas de certitude absolue), sur le caractère héréditaire du cancer du sein sur certaines branches de famille. Pour celles qui n’ont pas survécu, qui ont disparu trop tôt, comme ma grand-mère paternelle, cela peut être réconfortant de revisiter la compréhension de ce décès prématuré sous l’angle de la généalogie :
- Source schéma : Marie-Lise ARESTAY, Un siècle avec le cancer du sein – 1933 – 2034 (publié en 2022, 380 pages) Marie-Lise ARESTAY.
Comme à chaque fois que l’on a une idée utile, donc enthousiasmante : l’étape suivante peut être, me semble-t-il, de la partager afin de vérifier que plein d’autres personnes l’ont eu … avant soi-même ! Aussi, chers lecteurs.trices de cet article, dites-moi vers où ce type d’idées vous a mené ? Malgré la fatigue des traitements contre le cancer, auriez-vous envie de mettre un peu d’énergie pour faire se rencontrer ces questions légitimes de patientes (pourquoi ce cancer ?) avec celui des passionnés de généalogie et d’histoire rurale ? Si, comme moi, après deux – trois semaines de recherche généalogique en « amateur », vous avez pu débroussailler d’où pourrait provenir le cancer du sein qui vient de vous toucher : parlons-en ! (marielise.arestay chez yahoo.com )
Certaines associations de patientes recherchent des approches innovantes de la prévention : donnons ensemble toutes ses chances à la généalogie, en sortant nos enseignements. Les miens sont très précisément décrits dans mon livre et offrent une méthode clé en main (et bien plus) si d’autres hésitent encore à s’y mettre (Un siècle avec le cancer du sein - 1933 - 2034 (bod.fr)