Pour bien comprendre le contexte
« Des premiers pas de la Constituante jusqu’à la Constitution civile du clergé se sont enchainées rapidement des mesures législatives susceptibles d’éveiller le soupçon que l’Assemblée est hostile à la religion catholique.
Dans la foulée du 4 août, elle a supprimé les dimes et, à la différence des autres droits, sans indemnités ; le 2 novembre, elle a mis les biens du clergé à la disposition de la Nation pour rembourser le déficit. Dans les deux cas, elle justifie la dépossession par l’argument que l’Eglise n’avait pas la propriété de ces biens, mais seulement l’usufruit pour remplir ses tâches traditionnelles d’éducation et d’assistance. En février, c’est le vote de la loi sur les vœux monastiques. Aucune de ces mesures n’ouvre toutefois un véritable conflit. L’Eglise, il est vrai, était accoutumée à subir la loi du pouvoir politique : on ne la contraint plus au nom de la couronne, mais au nom du peuple souverain.../...
Le conflit pourtant ne prend sa véritable forme qu’avec la difficile ratification de la Constitution civile du clergé. Dans le vide créé par la mauvaise grâce du pape (8 mois pour prendre sa décision, décision que les évêques attendent !), l’Assemblée se décide, le 26 novembre 1790, à exiger du prêtre un serment à la Constitution : ce serment à la Constitution civile du clergé doit se faire publiquement, à la sortie de la messe, devant l’assemblée des fidèles.
Les municipalités se mettent à organiser la cérémonie et sa validation : c’est l’occasion d’interminables contestations lorsque le serment, comme ce va être souvent le cas, a été enrichi de commentaires, détourné de son sens initial ou suivi de rétractations.
Au terme de ces opérations confuses, où la communauté laïque s’arroge le droit de juger de la validité des serments, il y a donc en France deux clergés, l’un jureur, l’autre réfractaire.
Il y en aura même trois, puisque le serment fait une catégorie inédite de prêtres : ceux qui ont bien prêté le serment, mais refuse toutes relations avec les prêtres élus en remplacement des réfractaires, que stigmatise la dénomination d’« intrus ».
.../... Quels prêtres juraient, et quels prêtres non ? Où jurait-on le plus volontiers ?
Dans l’écheveau des raisons qui pouvaient inciter un prêtre à prêter serment, on peut démêler des motifs économiques : l’Ouest, dont le clergé était relativement aisé, a refusé massivement le serment. Inversement le Bassin parisien, la Champagne, le Centre ont vu leurs prêtres pauvres s’y soumettre.
La densité de l’encadrement clérical a beaucoup joué aussi : les prêtres se sont dérobés au serment là où ils se sentaient soutenus par un groupe cohérent et dense, là aussi où ils étaient le moins personnellement exposés au jugement, dans les villes par exemple.../... Sans aller jusqu’à postuler que le choix du prêtre a été le simple miroir des sentiments de la communauté, il est remarquable que la géographie du serment, pour une large part, puisse dessiner à l’avance les cartes de la pratique religieuse des années 1960.../...
Malgré l’extrême bigarrure des situations locales et le caractère inédit de l’événement, on voit donc celui-ci partager durablement une France cléricale et une France anticléricale : ce qui relativise le choix personnel du prêtre et met en valeur l’attitude de la communauté des fidèles.
Quoi qu’il en soit, le bilan de cette première secousse révolutionnaire est très lourd ; s’il est relativement aisé de remplacer les 80 évêques défaillants, il l’est beaucoup moins de faire élire les prêtres des paroisses.
Ou bien les prêtres élus n’acceptent pas leurs postes, ou bien la population les boycotte, et la Constituante doit se résigner à laisser en fonction les réfractaires qui ne trouvent pas de remplaçant.
Dans cette situation d’impasse, y a-t-il une amorce de déchristianisation ? » [1]
L’assemblée électorale des citoyens actifs
Une "assemblée électorale des citoyens actifs" est réunie à huit heures au matin du dimanche 12 juin 1791, dans la chapelle des Pénitents du Confalon de la ville de Vienne, pour procéder au remplacement des cures dont le bénéfice est vacant... pour n’avoir pas voulu prêter le serment prescrit.
Les électeurs de chaque canton du district de Vienne assistent au Veni Creator et à la messe solennelle célébrée par le curé de Saint Georges.
Après avoir imploré les lumières du Saint Esprit, les quarante huit électeurs présents (dont Louis Boudin, Etienne Ramay, élus municipaux et Jean François Albert, curé, pour Les Roches/Saint-Clair) élisent d’abord un Président et un secrétaire, puis des scrutateurs au vote.
Le 12 juin, trois heures après midy, chaque membre de l’assemblée prête serment et appose sa signature au bas du serment. Les élections peuvent commencer.
Divers orateurs ont successivement parlé sur l’obligation qu’avaient les électeurs de faire un bon choix, ils ont éloquemment disserté sur le mode qu’il fallait prendre pour y parvenir. L’assemblée a applaudy à leur zèle.
Sont à pourvoir les cures suivantes : Feyzin, Estrablin, Pact, Vaulx-en-Velin, Bossieux, Arzay, Grenay, Saint-Pierre de Chandieu, Charpieux, Semons (en Isère), Jons, Toussieux, Jonage, Roche (à côté de Bourgoin), Chaumont et Pusignan. [2]
On procède, une par une, à l’élection aux cures du diocèse de Grenoble pour le district de Vienne.
Nomination à la cure de Jons
Le lendemain 13 juin 1791, le Président de l’Assemblée électorale fait lecture d’un extrait du registre de la municipalité de Pusignan, et d’un autre de celle de Jons [3] qui attestent que les curés de ces deux paroisses ont persisté dans leurs refus de prêter le serment exigé.
"L’assemblée a arrêtté... qu’on pourvoirait au remplacement de ces curés... "
L’élection se déroule au scrutin individuel et à la pluralité absolue.
A trois heures de l’après-midi quatre-vingt-onze électeurs ont écrit leurs bulletins sur le bureau ; après l’appel nominal ayant dit « Je le jure » le scrutin (est) ouvert.
Les suffrages comtés et dépouillés par MM. les scrutateurs, M. le Président a annoncé que M. l’abbé Valory, vicaire aux Roches, ayant obtenu la pluralité absolue, il était à la forme des décrets, élu curé de Jons.
L’assemblée a témoigné sa satisfaction par ses applaudissements. M. l’abbé Valory est entré dans la salle et a dit : « M.M. j’accepte avec reconnaissance les fonctions pénibles mais honorables auxquelles votre choix me dévoue. La religion et la patrie au service desquels j’ai consacré le printemps et l’été de ma vie, recevront le sacrifice de mes derniers jours.
M. le Président luy a répondu : Monsieur, l’Assemblée connaissant vos services passés, était sûre, en vous nommant, de donner un bon pasteur à l’église, et un soutien de plus à l’édifice de la Constitution.
Après l’abbé Roulet, obligé de partir des Roches en 1789, les Rochelois voient partir leur vicaire Vallory après deux ans passés au milieu d’eux.
Son dernier acte comme vicaire est du 3 juin 1791. Pourtant il ne semble pas qu’il quitte le village dès sa nomination à Jons.
Le 29 juin 1791, à Jons, c’est encore le curé Maisonhaute qui signe l’acte de mariage de Nicolas Matra avec Claudine Ravier [4]
- Maisonhaute est encore curé !
- "...je soussigné, curé de Jons..."
Quelques jours plus tard, on relève cet acte du 10 juillet 1791 : « …je soussigné, en l’absence de Mr Valory, Curé Constitutionnel de Jons, ai baptisé dans l’eglise de ladite parroisse… » Pierre Brady. La signature est celle de Maisonhaute, mais il précise « Prêtre » et plus « curé de Jons »
- Transition pacifique entre les deux curés
Augustin Vallory doit encore être aux Roches, occupé à préparer son départ vers ses nouvelles fonctions. Il faut arriver au 24 septembre 1791 pour voir la signature de « Vallory, curé de Jons » sur l’acte de baptême de Nicolas Henry.
- La 1re signature de Vallory, curé de Jons
Il va être remplacé aux Roches par Nicolas Guillot. Celui-ci restera longtemps avec ses paroissiens rochelois et traversera toute la Révolution dans notre petite patrie.
Augustin Vallory va finir ses jours comme simple citoyen, après avoir été un temps ; comme son confrère Jean François Albert, l’ex-curé de Saint-Clair ; "officier municipal" de Jons.
- Acte de décès d’Augustin Vallory
« aujourd’hui sept juillet mil sept cent quatre vingt treize…par devant moi Jean Claude Burin, membre du conseil général de la commune de Jons…sont comparus » Guillaume Bressard ? et François Michel « lesquels m’ont déclarés que Augustin Vallory est mort hier ; âgé de quarante ans, à deux heures du matin en son domicile. »
Nomination à la cure de Tramolé
Un procès verbal de la municipalité de Culin [5] du 22 mai 1791 atteste qu’André Orjollet curé de Tramolé (Culin et Tramolé sont une seule commune) a rétracté son serment.
A la forme du décret du 27 novembre , il a donné par cet acte sa démission, ... Il convient donc de le remplacer. L’élection à la cure de Tramolé a lieu le mardi 14 juin 1791.
... M. l’abbé Roulet, ancien vicaire des Roches, ayant obtenu la majorité a été reconnu curé élu de Tramollé, avec acclamation générale.
A l’instant, il s’est présenté et a fait part de sa reconnaissance et de son acceptation. L’assemblée luy a témoigné sa satisfaction par l’organe de son Président et par ses applaudissements.
Les décrets de l’assemblée nationale exigent que la proclamation des pasteurs élus se fit dans l’église principale, en présence du corps électoral, du clergé et du peuple ; après laquelle on devait célébrer une messe solennelle.
Sont invités à ces festivités : la municipalité de Vienne, la garde nationale, les officiers de la troupe de ligne. Il convient de fournir des détachements et de la musique pour donner à cette auguste cérémonie, prévue pour le lendemain à 10 h et demie, la pompe la plus majestueuse... [6]
Eglise et Etat font encore bon ménage ; du moins s’agit-il de l’église constitutionnelle. L’Eglise réfractaire,elle, est déjà en mission.
- Passation de pouvoir à Tramolé
- Le 13 juin 1791, le curé Orjollet signe son dernier acte. Le 28 juillet, Fleury Roulet le remplace.
Nominations aux cures d’Agnin et de Reventin
Une élection de curés a lieu entre le 15 et le 18 septembre 1791 pour pourvoir, notamment, aux cures de Agnin et Reventin.
"Jeudi quinze septembre mille sept cent quatre vingt onze dans l’église des ci-devant Augustins de la ville de Vienne... se sont assemblés les électeurs du district de Vienne... à l’effet de procéder à la nomination aux cures de... Agnin, Reventin, Saint-Prim... (suivent de longues explications pour la nomination d’un président, d’un secrétaire, prestation de serment pour tous les membres de l’assemblée électorale...) [7]
Le dimanche dix huit septembre mil sept cent quatre vingt onze... Mr le Vice-président a donné connaissance à l’assemblée d’une lettre qui vient de luy être adressée par Mr Pioct, Maire de Vienne, contenant invitation à MM. les électeurs d’assister au Te Deum que la municipalité a (arrêté) de faire chanter dans l’église de St Maurice, aujourd’huy à six heures et demie du soir, à l’occasion de l’acceptation libre du Roy des français de notre sublime Constitution. »
« L’assemblée, à la lecture de cette lettre, a vivement partagé l’enthousiasme des bons français, des vrays amis de la Constitution, et arrêtté par acclamation qu’elle se rendrait en corps et assisterait au Te Deum à l’église indiquée... »
Auparavant, ils vont assister à la messe paroissiale à Saint-André-le-Bas « accompagnés d’un détachement de la Garde nationale, ayant à sa tête des citoyens musiciens. Mr Dubanchet, curé, a célébré la messe... après quoy, Mr le Vice-Président a annoncé à l’assemblée qu’elle devait s’occuper de l’élection des curés des parroisses de... Agnin, Reventin... seulement, attendu que Mr Gay, vice-procureur syndic avait annoncé... que le Directoire (du département) avait (sursis) à la nomination du curé de Saint-Prim jusqu’à la circonscription des paroisses... » La nouvelle administration cherche à regrouper les paroisses, à mieux les délimiter.
Le lundi 19 septembre 1791, pour l’élection du curé d’Agnin, 84 électeurs sont présents. Au premier tour, personne n’obtient la majorité. Au deuxième tour, sur 78 électeurs, « Mr Loriol, vicaire à Bougey (Bougé-Chambalud) a recueilli soixante trois suffrages, ce qui fait plus que la majorité absolue... en conséquence M. Loriol est élu curé de la paroisse d’Agnin. »
Pour Reventin, « M. Baulu, vicaire de Champier, ayant recueilli cinquante quatre suffrages... est élu curé de Reventin. M. Baulu s’est présenté et a accepté avec reconnaissance. »
On apprend par A. M. de Franclieu, dans « La persécution religieuse dans le département de l’Isère », que Tulpin, curé de Saint-Maurice-l’Exil est banni pour avoir rétracté son serment, avec beaucoup d’autres.
Le fossé va encore se creuser entre « Jureurs » et « Réfractaires ». Leurs partisans vont se déchirer. Les persécutions commencent contre les fidèles de Rome.
Le 29 novembre 1791, l’Assemblée législative décrète que tous les réfractaires seront tenus pour suspects. La déchristianisation va s’accélérer après le 10 août 1791, chute de la Royauté, et la Convention Girondine. La région de Vienne ne sera pas épargnée.
Conseils de l’évêque aux électeurs
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