Rastatt est une ville allemande, située dans le Bade-Wurtemberg, nom autrefois orthographié « Rastadt ».
Le « Congrès de Rastadt », entre novembre 1797 à avril 1799, a pour objectif de négocier des compensations aux princes allemands ayant perdu leurs états sur la rive gauche du Rhin, états annexés par la France. La République française envoie au Congrès ses « plénipotentiaires ». Ce sont ses représentants dotés, théoriquement, de pleins pouvoirs. Mais, de fait, très contrôlés par Bonaparte et Talleyrand.
- Assassinat des plénipotentiaires
"Violation du droit des gens, ordonnée par le gouvernement autrichien : et exécuté par ses hussards de Szeckler qui dans la nuit du neuf au dix floréal an 7 ont assassiné à 200 pas de Rastadt les ministres plénipotentiaires de la République française, envoyés au congres, pour traiter la paix avec l’Empire germanique. Lèves toi, peuple français, pour venger ton honneur et l’humanité" par Anton Wilhelm Strack, graveur (1799) Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb40254441h |
« Une victoire fut remportée par Moreau sur les Autrichiens, à Rastadt, le 6 juillet 1796. Des conférences commencèrent dans cette ville, en 1797, pour amener la paix entre la France et l’Allemagne, mais elles n’aboutirent pas et, en 1798, de nouvelles conférences furent ouvertes. On espérait obtenir la neutralité d’une partie de l’Allemagne, et les plénipotentiaires français restaient encore à Rastadt, lorsque la délégation de l’Empire se déclara suspendue.
Or, voyant qu’il n’y avait plus rien à tenter pour parvenir au but que le Directoire s’était proposé, le 28 avril au soir nos trois plénipotentiaires, Bonnier, Roberjot et Jean Debry, se décidèrent à quitter la ville.
Un colonel de hussards, commandant les avant-postes de l’ennemi, avait déclaré que les envoyés français pourraient passer sans courir aucuns risques.
Forts de cette assurance, Bonnier, Roberjot et Jean Debry, partirent, Mais, au mépris du droit des gens, leurs voitures furent arrêtées dans un bois peu distant de Rastadt. Un détachement de hussards hongrois (de Transylvanie) fit le coup. Des soldats s’élancèrent sur les trois plénipotentiaires, qu’ils arrachèrent des bras de leurs femmes et de leurs enfants, et qu’ils assassinèrent lâchement.
Bonnier et Roberjot périront aussitôt. Jean Debry, qui n’était que blessé, eu la force de se traîner sous les arbres ; il échappa aux meurtriers. Ceux-ci pillèrent les voitures et se saisirent des papiers de l’ambassade. Le but qu’ils poursuivaient était atteint.
En apprenant l’odieux guet-apens de Rastadt, une indignation générale éclata en France. Le Conseil des Cinq-Cents décida que les sièges des victimes resteraient vides ; qu’on y placerait leurs costumes de représentants couverts d’un crêpe ; que les noms des ambassadeurs assassinés seraient compris dans l’appel nominal ; que les secrétaires du Conseil répondraient pour eux, et qu’enfin le président ajouterait : « Assassinés au congrès de Rastadt... que leur sang retombe sur les auteurs de l’horrible massacre ! » [1]
« L’affreuse nouvelle fut transmise de Strasbourg à Paris par le télégraphe. Voici les dépêches relatives à cet événement précédées d’une lettre écrite à Chappe par le général Laroche, commandant à Strasbourg :
« Du 11 floréal au matin (30 avril).
« Veuilles, citoien directeur, transmettre de suite à Paris la dépêche ci-jointe. Vous frémirez d’horreur en la lisant. Quels monstres que les Autrichiens ! nos ministres seront vengés, mais la France déplorera longtemps la perte qu’elle vient de faire. Salut et fraternité. Laroche. »
Du 11 floréal au matin (30 avril 1799).
« Nos ministres viennent d’être assassinés par les Autrichiens à un quart de lieue de Rastadt. Bonnier et Roberjot n’existent plus. Jean Debry s’est sauvé par miracle. Il est à Strasbourg depuis ce matin. Cet événement présente des horreurs inouïes et telles que l’histoire n’en offre point de pareilles. Le général Laroche. »
La deuxième dépêche fut adressée à Talleyrand par le survivant, Jean Debry.
« Strasbourg, le 11 floréal an VII de la République française (30 avril 1799).
« Le ministre plénipotentiaire de la République française au congrès, au citoyen Talleyrand, ministre des relations extérieures. Citoyen Ministre,
« Je suis arrivé hier avec les débris de la légation française. Je suis couvert de plaies ; mes deux collègues sont tués par les Szeklers autrichiens. Cette affreuse catastrophe eut lieu au moment de notre départ de Rastadt ; le secrétaire de la légation a partagé nos dangers et n’est échappé comme moi que par un prodige inconcevable. Demain je vous transmettrai les détails par le courrier. Salut et respect. Jean Debry. » [2]
Extrait des délibérations de la « municipalité de canton de Condrieu »
« L’an sept de la république française et le vingtième prairial à dix heures du matin, l’administration municipale du canton de Condrieu, le commissaire du directoire exécutif près d’elle, le juge de paix et ses assesseurs, les administrateurs de l’hospice d’humanité, les instituteurs et leurs élèves du canton de Condrieu se réunissent dans le lieu des séances administratives pour exécuter la cérémonie funèbre ordonnée par la loi en mémoire des plénipotentiaires français assassinés à Rastad le 9 floréal dernier par le barbare autrichien.
Déjà, et depuis le point du jour, des coups de canon tirés à divers intervalles rappellent au peuple indigné la scène d’horreur exécutée par les satellites du farouche tyran d’Autriche, le deuil de la patrie et les sentiments d’une juste vengeance.
A dix heures et demie, la garde nationale, la compagnie de vétérans nationaux, la brigade de gendarmerie sont sous les armes sur la place de la maison commune. A onze heures, moment du départ, les autorités réunies descendent et se rangent avec le cortège qui se dispose ainsi qu’il suit : la brigade de gendarmerie ouvre la marche, suit une division de la garde nationale amalgamée avec la compagnie de vétérans. Au-devant du drapeau tricolore ; qui est ceint dans sa cime d’un crêpe noir, et qui se trouve dans le centre ; sont deux jeunes élèves portant chacun l’une des deux inscriptions indiquées dans les articles six et sept de la loi du 22 floréal dernier.
- Hymne
- 1 L 450 archives du Rhône
Viennent ensuite les autorités et fonctionnaires publics ci-dessus indiqués, ayant chacun ainsi que tous les officiers du cortège un crêpe et une branche de chêne à la main. Suit la seconde division de la garde nationale ; le cortège se dirige dans cet ordre vers le temple décadaire ; les soldats portent l’arme basse.
Pendant la marche, les tambours font entendre des roulements lugubres. On arrive au temple décadaire, là est préparé un catafalque tendu de noir sur lequel sont deux urnes ayant chacune le nom des deux ministres assassinés.
A l’endroit le plus apparent de la salle et en face de l’estrade sont placées les inscriptions par les jeunes élèves. Chacun prend place, la séance s’ouvre par l’hymne des Marseillais.
Le Président prend ensuite la parole et dans un discours plein de cette sensibilité touchante, il déplore la perte des vertueux ministres de paix, que la férocité autrichienne a immolée à sa despotique cupidité. Il peint l’héroïque patience employée par eux et par leur gouvernement pour arriver à la paix. Il fait une courte description de leur vie politique toujours exemplaire et digne du nom français depuis le commencement du règne de la Liberté jusqu’à ce jour de deuil pour la patrie et d’opprobre pour la maison d’Autriche où un glaive parricide trancha le fil de leurs jours destiné à faire la gloire de leur patrie.
Il finit après avoir jeter des fleurs sur leurs tombes pour inspirer aux républicains la juste vengeance commandée par la patrie, il fait un appel aux défenseurs chargés de ce noble emploi.
Les cris de vengeance se répètent dans la salle. Le couplet « Amour sacré de la patrie » retentit dans le temple. Un officier de la garde nationale, le citoyen Pioche [3], s’élance à la tribune et demande à parler et lit à l’assemblée quelques strophes en mémoire des vertueux plénipotentiaires que nous pleurons.
- Hymne (suite)
Le secrétaire de l’administration fait au nom de cette dernière un tableau complet dans lequel il trace d’une part la conduite modeste et philanthropique des ministres français pendant la durée du Congrès à Rastadt ; d’autre part celle astucieuse et perverse de la maison d’Autriche ; la loyauté de nos ministres et la perfidie des envoyés du tyran.
Il peint ensuite les circonstances qui ont précédées et suivies le plus horrible attentat qui ait pu jamais se commettre chez aucune nation de l’Europe et qui a mis le comble à la férocité autrichienne. Il décrit le sang froid avec lequel elle a consommé ce meurtre ; sans être même émue par les touchantes expressions des familles malheureuses et intéressantes qu’elle a forcé d’être témoins de sa férocité. Il appelle ensuite la vengeance nationale sur cette violation inouïe du droit sacré des nations. Le chant du départ succède à ce tableau.
Immédiatement on proclame le nom des conscrits partis pour la défense de la patrie et on affiche le nom de ceux qui ne sont pas partis au poste d’honneur. Avant la fin de la séance, on communique aux assistants la nouvelle officielle de la victoire du Général Masséna dans laquelle il annonce avoir déjà commencé à exécuter la vengeance nationale sur ce barbare régiment digne exécution d’un despote et tyran.
Bataille de Zurich remportée le 7 juin 1799 par le Général André Masséna sur les Autrichiens commandés par l’archiduc Charles. |
Aussitôt les cris de Bravo ! vive la République ! se répètent avec l’éclat qu’inspire le désir de la vengeance. On retourne ensuite dans le même ordre à la maison commune, ainsi se termine cette cérémonie.
Condrieu ce vingtième prairial an sept de la république française
- Les signatures
(suivent les signatures : Laurent Guilhermet, Président ; Michel Gueraud, agent municipal ; Jean Marie Chambeyron, agent municipal ; Bertholat, commissaire du Directoire exécutif ; Joseph Bernard, agent municipal) » [4]
Quelques pistes en conclusion
Pour bien appréhender comment nos ancêtres ont vécu ces événements nationaux et internationaux, quelques réflexions :
- Comment apprennent ils ces nouvelles de l’étranger (Rastadt est loin !) : le télégraphe Chappe, les courriers à cheval, les journaux...il y a encore beaucoup à creuser !
- Combien de temps entre l’événement à l’étranger et sa célébration à Condrieu : 41 jours pour la cérémonie funèbre des plénipotentiaires !
- Le but de ces célébrations : éducatif (défendre les valeurs républicaines) et psychologique (souder la Nation) surtout en période de difficultés (situation internationale mais surtout intérieure de l’époque)
- Par quels moyens les consignes "descendent elles" du Directoire au petit Président de Municipalité de Canton (à Condrieu mais pas seulement !)
- Est-ce que ces fêtes atteignent leur but ? Sont-elles spontanément partagées par les participants ou ceux-ci sont-ils fortement contraints par les "autorités" ?