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Accueil » Articles » La vie militaire » « Nos Poilus » » "Mémoires de guerre" : en août 1914, avec le 78e régiment d’infanterie » Les « Mémoires de guerre » du Lieutenant Charles Rungs (4e épisode)

Les « Mémoires de guerre » du Lieutenant Charles Rungs (4e épisode)

Avec le 78e régiment d’infanterie à la Bataille de Carignan

Le jeudi 14 novembre 2013, par Andrée Rungs, Michel Guironnet

« Au cours de la nuit (du 23 au 24 août 1914), le général de Langle résume ainsi la situation au général en chef : la IVe armée a éprouvé à nouveau des échecs graves sur plusieurs points de son front, particulièrement à sa droite …/... Les pertes sont graves et les troupes extrêmement fatiguées.
Le 17e corps est établi entre Meuse et Chiers sur les hauteurs d’Amblimont …/… Dans ces conditions, le général de Langle considère que l’offensive est enrayée pour le moment et qu’il convient de reporter la IVe armée sur la Meuse et sur la Chiers, où elle trouvera une position lui permettant de durer et de réparer ses pertes, en vue de se reporter en avant ultérieurement.
En attendant, le général de Langle donne à son armée les ordres suivants pour le 24 août : les corps de droite résisteront sur la rive droite de la Chiers… puis sur la tête de pont de Carignan : le 12e corps couvrant les ponts de la Ferté, Linay, Blagny ; le 17e corps, ceux de Carignan à Douzy »
 [1].

Le Lieutenant Rungs, au cœur de l’action, nous raconte ; avec force détails ; cette tragique journée.

Bataille de Carignan – 24 août

C’était l’aube d’une grande bataille, loin des forêts, en rase campagne, dans ce pays de Carignan où en 1870 nos aînés s’étaient également battus.

« La bataille de Carignan (31 août 1870), plus terrible que le combat de Mouzon, fut aussi plus désastreuse ; c’est elle en réalité qui a décidé du sort de la campagne, et l’effroyable journée du lendemain ne fut vraiment que la suite de cette mêlée ardente où, plus qu’en aucun autre combat peut-être, la lutte devint une boucherie, lutte corps à corps et combat d’artillerie. L’ennemi, décimé par nos mitrailleuses, revenait sur nous à la charge avec une épouvantable furie. Il vainquit, on peut le dire, à prix de sang. Les eaux rougies de la Chiers traînaient des cadavres allemands. Sous le feu des obus, dans l’incendie de Carignan, Mac-Mahon retrouvait son énergie militaire, cet héroïsme sublime de Reischoffen qui fait de lui, sinon un tacticien éminent, du moins un admirable soldat. Contraint de céder une fois de plus devant le nombre, il abandonna Carignan après l’avoir intrépidement défendu, et, chef d’armée encore vaincu, il eut du moins cette consolation amère de laisser à l’ennemi un champ de bataille où les morts prussiens et bavarois se comptaient par milliers »
« Le Champ de bataille de Sedan » par Jules Claretie (1871).

Jetons un coup d’œil sur le terrain, faisons le tour d’horizon. Le 12e corps, non entamé, n’ayant pas beaucoup souffert, avait à faire tête à l’envahisseur dans le quadrilatère formé par les Ardennes au nord, la rivière Marche à l’est, la voie ferrée de Carignan à la Belgique à l’ouest, au sud coulait la Chiers.

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Carignan et ses environs
Détail agrandi d’une carte de 1911 du département des Ardennes au 1/250.000e

L’ordre transmis était : Arrêter sur la Meuse l’adversaire, tenir au moins 48 heures.
Par la carte au 1/80.000 que je n’ai jamais eu entre les mains, il sera facile de suivre les opérations successives.

  • A notre droite (rivière Marche) était une division coloniale du corps colonial, division toute fraîche.
  • A quatre heures du matin, le 107e, 138e, 300e débouchaient de la forêt vers Mogues et Tremblois et allaient s’établir : le 300e vers les Deux Villes, le 107e et 138e vers Charbeaux ; l’autre division du corps d’armée était à notre gauche.
  • Le 63e se portait vers Auflance, tandis que le 78e portait un bataillon en avant de Mogues et les deux autres bataillons s’établissaient sur la face ouest du mouvement de terrain de Mogues, face au nord.

Les avions allemands nous survolent. Pas un coup de fusil de nos avant-postes. Le canon allemand tonne toujours vers Pin (et) Izel qui brûlent.

Six heures du matin : Williers brûle. Les Uhlans sont donc au contact avec les nôtres puisque ce village, qui nous a reçus il y a trois jours, est victime nouvelle de l’invasion.

Six heures trente. Le régiment par échelons va se porter en arrière, à l’est de Charbeaux, sur le mouvement de terrain Charbeaux Auflance.Le mouvement à peine amorcé, nouvel ordre : le 78e organisera défensivement les deux positions au nord de Linay, Fromy et Fromy Moiry, le 3e Bataillon du 78e restera sur la ligne Charbeaux Auflance.

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détail agrandi d’une carte d’état major de 1914
Extraite du JMO du 21e Régiment d’Artillerie de Campagne (26 N 940/1)

La bataille n’est pas encore commencée. Le XVIIe Corps est poursuivi à nouveau, car, vers Messincourt Sedan, la fusillade est vive. Nous venions de terminer nos tranchées, d’organiser nos réseaux de fil de fer, de repérer nos distances, lorsque quelques uhlans et chasseurs bavarois sortirent de Puilly. Se tenant à 1.500 mètres, ils battirent l’estrade, cherchant à repérer nos positions.
Nous ne nous laissâmes pas prendre au piège, ils en étaient pour leurs frais lorsque arriva cet ordre !!! :

  • 3e Bataillon, réserve du régiment, vers source ruisseau qui passe à Moiry.
  • 1er Bataillon s’établira sud Auflance surveillera ruisseau qui vient du Nord.
  • 2e Bataillon remplacera le 3e Bataillon.
    En voilà un chassé-croisé… Exécution immédiate.

Nous nous replions dans les blés et les avoines non coupés. Le Commandant nous arrête, non au point indiqué, mais bien au nord. A 200 m de ma section, j’ai une batterie d’artillerie en position.
« Mauvais tabac, dis-je à mon Capitaine, les coups longs sont pour nous. »
Il va trouver le chef de bataillon, mais la position doit être supérieure, car nous restons, nous réserve de régiment, sur le plateau en vue de tous les environs.
Qu’en résulte-t-il ?

Je mangeais avec mon Capitaine, en tête de ma section, lorsqu’un obus éclate à 600 m de nous sur notre gauche. Un second le suit, celui-là plus long, il passe sur nos têtes. Arrive un troisième, il se fiche en terre à 25 mètres de la queue de ma section. Nous sommes couverts de terre.

Mais comme les obus allemands projettent leurs éclats en hauteur, nous n’avons pas de mal. Mais la position commence à être mauvaise. Nous organisons aussitôt la carapace de tortue et nous ne bougeons plus.

Un article de 1903, tirant les enseignements de la Guerre des Bœrs, en parlant des nouveaux canons à tir rapide, dit : « Il est aisé d’imaginer ce que peut couvrir de terrain une batterie d’artillerie (4 pièces) tirant avec des hausses différentes. C’est une véritable zone de mort dans laquelle on n’aura plus qu’une ressource : s’agenouiller face à l’ennemi et mettre la tête entre les jambes de façon à ne lui présenter qu’une carapace de sacs. On a constaté en effet que les sacs chargés ne sont pas traversés par les balles qui jaillissent des obus après leur éclatement.

Cette formation est dite, vulgairement, formation « en tortue » Il est curieux de constater qu’à trois mille ans de distance les armes ultra perfectionnées et les armes primitives ont conduit à la même manière de combattre, ou plutôt, de se protéger contre les projectiles.

Quand les Grecs et, après eux, les Romains marchaient à l’assaut d’une place forte, ils se serraient les uns contre les autres et élevaient au-dessus de leur tête leur bouclier de métal de façon à former une voûte d’airain sur laquelle glissaient les projectiles, Eux aussi, appelaient cette formation faire « la tortue ».


« La bataille future, les armes modernes » L’Universel. Magazine hebdomadaire illustré (1903).

Les obus continuent à pleuvoir. Pas pour longtemps, car le 52e d’artillerie, qui était en surveillance, a eu vite fait d’éteindre ces distributeurs de mort.
En réalité nous n’avions que des blessés, le plus dangereusement atteint était un sergent de la 1re compagnie, l’omoplate était percée et le poumon était légèrement atteint.

Enfin, nous nous replions dans la vallée, à l’abri dans un ravin où est le 21e d’artillerie. Cette journée du 24 était pour nous une journée d’artillerie et jusqu’à dix heures du soir il en a été ainsi.

En effet, à deux heures du soir, le Lieutenant Colonel de Montluisant, du 78e, vient prendre le commandement du bataillon. Un bataillon du 63e, le bataillon de Vildary [2] lui était également confié ainsi que les troupes qu’il trouverait en position à la côte 301 W.W.Est de Carignan.

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Détachement du Lt Colonel de Montluisant
Date du 24 août JMO du 78e RI (26 N 663/1)
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Le 1er bataillon du 63e RI fait partie du détachement du Lieutenant Colonel de Montluisant (A la date du 24 août dans le JMO 26 N 656/7)

Ordre était de se porter à l’abri de (la cote) 301 pour rejeter les colonnes ennemies par une contre attaque et empêcher la prise de Carignan et de ses ponts. Le XVIIe Corps recevait l’ordre de nous appuyer à l’ouest, par la vallée où coule le ruisseau de Messincourt.

Deux heures de marche par Linay, Blagny. Pendant ce temps la fusillade fait rage. Vers Charbeaux a lieu une charge allemande ; les clairons n’ont pas le même ton que les nôtres. A cette charge a répondu le « monteras tu la côte » de nos clairons, suivi immédiatement de La Marseillaise. L’attaque était prévue puisque la musique était de la partie. Et aussitôt les mitrailleuses se firent entendre…

Pour entendre cette sonnerie au clairon, cliquez sur ce lien (un grand merci à Alain Dubois) :
http://perso.orange.fr/choulik/la_cote.mid

Vous pouvez lire également la très intéressante discussion (sur deux pages) sur les sonneries au clairon sur le Forum Pages 14-18 :
http://pages14-18.mesdiscussions.net/forum2.php?config=pages1418.inc&cat=3&post=3883&page=1&p=1&sondage=0&owntopic=1&trash=0&trash_post=0&print=0&numreponse=0"e_only=0&new=0&nojs=0

Puis le canon allemand, auquel répondirent aussitôt les 75 ! Et comme nous suivions la voie ferrée, nous ne saurons que plus tard ce qui s’est passé sur la partie de ce champ de bataille que nous venions de quitter.

Enfin nous sommes à 301, comme d’habitude je suis en tête. Par le chemin de terre qui passe au cimetière de Carignan, je gagne le bois situé à l’ouest de 301.De ce bois j’ai des vues superbes. Devant moi, au nord, la vallée avec un moulin, vers Matton, plus à l’est des pentes douces montant vers Charbeaux.

Lorsque j’arrive, des colonnes d’assaut ennemies, formées de lignes déployées à 50 m de distance l’une de l’autre, les officiers à cheval au milieu, c’est donc qu’elles ne sont pas sous le feu, gravissent les pentes.

Tout le peloton, suivant les indications du Capitaine, ouvrent un feu à répétition bien ajusté avec les hausses de 1.000, 1.200, 1.400. L’effet fut immédiat. Certaines fractions regagnent le ravin en arrière de leur direction de marche, d’autres se terrèrent. En dix minutes la colonne était à terre, les officiers à pied, personne ne bougeait plus. Le feu fut arrêté, et la 3e section qui prolongeait la ligne reçut l’ordre de surveiller ces lignes d’assaut et d’ouvrir le feu dans les mêmes conditions au moindre mouvement en avant.

Cela allait bien, l’artillerie ne nous avait pas repérés, quoique nous étions fort mal placés.L’ordre donné à la 3e section était motivé.

En effet, en colonne de sections par quatre, un bataillon sortait des prairies qui avoisinaient le moulin. Mon peloton prit ce nouvel objectif et notre feu produisit le même effet sur cette nouvelle ligne ; il y eût même plus de désordre. Notre feu était si bien ajusté, l’arrosage si parfait, que ce Régiment allemand a dû se croire sous le feu de plusieurs sections de mitrailleuses. Il faut dire que mes hommes, n’ayant pas reçu un coup de fusil, visaient sans se presser, comme au polygone [3]. Il fallait entendre leurs cris de joie devant l’effet produit.

Mais ce succès n’eût qu’un temps. Le XVIIe Corps produisait son effet sur le flanc d’attaque ennemi, nous reçûmes l’ordre d’aller rejoindre la réserve générale établie au sud de 301.Elle était constituée par une ligne de feu : 3e Cie du 300e, une compagnie du 63e, une batterie d’artillerie.

A 500 m en arrière, sur la déclivité de terrain partant du cimetière et passant par une usine, (dans une) déclivité en forme de cuvette,(se trouve) le reste des troupes en formation déployée et peu dense, baïonnette au canon, (avec) défense de tirer.
Nous devons lutter jusqu’au dernier homme pour permettre l’écoulement des troupes qui vont recevoir l’ordre de se replier sur Olisy et Malandry.

Un taübe vient planer au dessus de nous ; il décocha une flèche embrasée sur notre position et aussitôt toute l’artillerie allemande nous couvrit de projectiles. Il n’y eu pas de mal pour le 78e, mais l’avant ligne, surtout le 300e fut pris de panique.

Mon adjudant, avec sa section, recueillit les fuyards et se porta sur la ligne de feu. La nuit les y laissa. Mais quelques balles commençaient à siffler. Le bois de sapin à l’ouest du 301, bois que nous avions occupé en arrivant était en possession des Allemands.

Je me portais en avant, derrière un peuplier pour voir ce qui se passait.A peine arrivé derrière l’abri, les balles sifflèrent. L’arbre ne fut pas touché. Avec ma jumelle, je parvins à dénicher le Teuton, habillé en Feldgrau , qui en voulait à ma personne. Il se détachait très bien sur le fond noir du bois.Défense de tirer, tel était l’ordre Il a eu de la chance, car il était à 400 m et à cette distance mes balles ne se perdent pas.

L’église de Carignan nous donnait l’heure. Il y avait bien une heure que nous subissions le feu de l’artillerie et six heures avaient tinté à l’horloge lorsque la première colonne d’assaut s’élança du bois sur Carignan.

Elle n’alla pas loin : 12 obus tombèrent sur elle, avec une précision mathématique. Ce fut un sauve qui peut. Dix minutes s’écoulèrent, notre artillerie bien défilée s’était tue. Nous ne connaissions l’existence que d’une batterie, mais il y en avait d’autres. Car les bois proches de notre position furent amplement arrosés de boîtes à mitraille et d’obus à mélinite. Ce tir dura quelques minutes, il fut efficace, très efficace car jusqu’à 6 h 40 nous n’entendîmes plus siffler les balles.

Mais l’artillerie lourde allemande continuait à arroser notre position. Les projectiles éclataient trop haut ; quelques hommes furent blessés, peu dangereusement.
Un cavalier accourt : une brigade et de l’artillerie est à 2.500 m environ et marche sur Carignan par la route de Messempré [4].

Nous ne bougeons pas, mais l’artillerie prenant cet objectif, en dix minutes eût vite fait de la désorganiser, et de rendre à l’armée allemande, la monnaie de la pièce qu’elle nous avait donnée dans les bois de Luchy lorsque le 20e et le 11e furent anéantis [5]

Puis vers sept heures, les colonnes d’assaut revinrent à la charge sur nous. Notre ligne de feu dut se replier devant la masse, mais pas pour longtemps, car nos batteries et nos mitrailleuses brisèrent encore ce choc et, de nouveau sous bois, les colonnes rentrèrent, poursuivies par les obus.

Sept heures et quart sonnaient lorsque les obus lourds tombèrent si drus sur notre droite que la terre en fut labourée. Il y avait là un grand mur qui entourait une propriété : il fut mis en miettes. Nous ne l’avions pas utilisé, bien nous en a pris. Mais le comble pour cette artillerie, c’est que raccourcissant son tir jusqu’à la nuit, 7 h 45 à peu près, elle arrosa le bois qui était à 300 m en avant de la côte 301, et dans ce bois il n’y avait que des allemands.

Notre artillerie s’était repliée, une section seule sous les ordres d’un capitaine était restée. Stoïque, le capitaine se sachant sacrifié avait tenu à faire tête avec nous, aux derniers assauts. Et jusqu’à 8 heures, sans s’arrêter, il continua à tirer dans les bois, « jusqu’à ce que les pièces éclatent », avait-t-il dit à ses hommes.

Ce héros restera un inconnu, car il est reparti avec ses pièces, sans crier gare, vers dix heures du soir, nous voulions le remercier, nous ne l’avons pu.

Car avec la nuit était venue l’accalmie. Une mitrailleuse tirait de temps à autre, pour nous dire probablement : nous sommes là.Sur la route, derrière nous, les colonnes passaient, c’était une nouvelle retraite. Et cependant on n’avait pu nous déloger de notre position.Allions-nous rester pour lutter jusqu’au dernier, comme nous l’avait demandé le lieutenant Colonel ?

De temps en temps un coup de fusil troublait le silence de la nuit, rien du côté allemand ; c’étaient de nos hommes qui rentraient dans nos lignes.
Un soldat du 50e, blessé, est ainsi de nouveau blessé. Pas grand chose heureusement : le bras effleuré. En pleurant il nous conte ses mésaventures. Il est tombé à quatre heures avec un camarade. A six heures le régiment se repliait. Il ne put le suivre et avec son camarade, ils s’acheminaient. En passant près d’un bois, on tire sur eux. Son camarade est tué, il se laisse tomber et fait le mort. Les brutes arrivent, ils se penchent sur eux, leur ouvrent les yeux, les fouillent et s’en vont, croyant laisser deux morts. Et dire que ce rescapé a failli tomber d’une balle française !

Mais nous n’avions rien à manger, rien à boire. Et défense était de se lever. Chacun était allongé à la place où il s’était mis vers cinq heures, avec le fusil baïonnette au canon, à portée de la main.

Arrive vers dix heures 30, un sous-officier blessé du 126. En arrivant près de Carignan, il a été arrêté par « Ver.da ». Il s’est couché dans le fossé et a fait le mort, fuyant le village, il est venu sur nous, heureux de nous trouver. Nous le conduisons au colonel, il lui donne le renseignement qu’il vient de nous communiquer.

J’interprète ce "Ver. Da.", si j’ai bien lu, comme l’abréviation des mots allemands signifiant "Halte là" ou "Qui vive ?" Qui pourrait me le confirmer ?

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le passage original



Je poste la question sur le Forum Pages 14-18. Nul doute qu’un des nombreux passionnés trouvera la réponse ! Elle arrive très vite grâce à Achache : Wer (ist) da = qui (est) là ?

On charge Mayaud, un de mes camarades de la 9e Cie, d’aller vérifier le fait, mais avant on détache des patrouilles vers les bois qui sont à 500 m de nous, avec ordre de brûler deux ou trois cartouches sur ces bois, au hasard.

Mayaud va trouver un sous-lieutenant, notre jeune Cyrard Lialle, qui doit occuper le cimetière qui commande la route et qui comme nous n’a pas tiré un coup de fusil. Il le trouve à son poste, il n’a rien vu, mais il a entendu dans Carignan des nombreux bruits d’auto.

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Lialle, jeune Saint-Cyrien au 78e RI

Mayaud va voir. Il trouve le quartier général du XIIe Corps au complet. La situation est bonne pour le XIIe Corps, nous n’avons pas été entamé, mais les Marsouins et le XVIIe Corps ont cédé du terrain : il faut suivre le mouvement.

Ordre est donné au Lieutenant Colonel de se trouver sur la rive gauche de la Chiers à minuit. La retraite sera faite sans bruit, baïonnette au canon : une Cie du 63e, la compagnie Marty restera en position pour empêcher une poursuite possible. Après minuit les ponts sauteront, celui de Blagny sautera après le passage du 63e.

Onze heures : nous réveillons nos hommes. Comme des brigands, nous nous sauvons ( le mot est exact). Par les prairies, nous gagnons la Chiers de façon à ne pas attirer l’attention.Nous devons nous arrêter avant de franchir le pont. Il y a dans Carignan des blessés, il y a des isolés que la gendarmerie a recueilli ; nous devons emmener ce monde. De plus l’État-Major du XIIe Corps est encore au travail.
Nous finissons par organiser notre colonne que va commander notre Lieutenant Colonel. Voitures malades 300e, 78e,63e. Minuit est sonné lorsque nous passons le dernier pont.

En route sur Mouzon. La nuit est noire, en face de nous beaucoup de télégraphie optique. La route est en plaine. Très fatigués, harassés par le sommeil, torturés par la faim (nous avions pu boire en traversant Carignan) nous marchions très mal.Le Lieutenant Colonel dût se fâcher pour maintenir l’ordre !

Le 300e faisait peine : on dut à la première pause le faire passer en queue. C’est à cette pause que nous rencontrâmes le Génie chargé de faire sauter les ponts. Il réussit cette besogne, mais vers trois heures, heureusement que se croyant battus les Allemands ne nous avaient pas poursuivis.

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Le pont Alix sur la Chiers détruit
(Site Delcampe)

Avec nous, revenait l’aumônier, un Jésuite de Limoges. Il avait parcouru le secteur où nous nous étions battus. « C’est affreux ce que j’ai vu » nous a-t-il dit. « Dans le bois en face de votre position les corps sont couchés les uns sur les autres, certains dans la position du sommeil, d’autres sont déchiquetés, arrachés. Plus loin dans des tranchées, j’ai cru voir dormir des sections : ils s’étaient éteints dans la position de combat. D’après ce que j’ai vu, ils ont dix fois plus de morts que nous ».

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Notice extraite du "Livre d’Or du clergé" (1922)
Jésuite de Limoges, Aumônier volontaire à la 23e Division...tout correspond. Malheureusement, impossible de vérifier : le JMO du Service de Santé de la 23e DI pour 1914 n’existe pas (ou plus !)

Et nous marchions toujours. Le sommeil me donnait des hallucinations. A droite et à gauche de la route, je voyais des maisons, je croyais qu’on me parlait, pour me réveiller, je portais toutes les dix minutes mon bidon aux lèvres. Une gorgée d’eau fraîche me rappelait à la réalité. Et pour comble mon échauffement continuait à m’empêcher de mettre mes jambes d’aplomb.

Dans les environs de deux heures nous sommes au carrefour des routes de Mouzon, Carignan et de Stenay, Douzy. Les voitures de tout le régiment étaient là (Les deux autres bataillons s’étaient repliés sur Olizy sur Chiers).
La soupe, le café furent engloutis. Quant à moi, je me suis allongé dans la luzerne humide sans demander mon reste. Qui dort dîne, et j’ai dormi jusque vers sept heures.

A suivre


[1« Les armées françaises dans la Grande Guerre » Tome I, premier volume.

[2En fait, il s’agit de Villadary.

[3C’est-à-dire comme à l’entrainement, en prenant bien le temps de viser, comme au polygone de tir.

[4C’est un hameau industriel de Pure où sont installées des forges.

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1 Message

  • Les « Mémoires de guerre » du Lieutenant Charles Rungs (4e épisode) 15 novembre 2013 12:57, par Henri-Claude MARTINET

    Bonjour,
    C’est toujours avec le même intérêt que je lis ces récits historiques ! Souvent, l’auteur relate avec des mots simples et même avec une certaine naïveté des faits dramatiques. Mis bout-à-bout, on arrive à avoir une vue assez précise des conditions de vie des combattants.
    J’en profite pour remercier Thierry Sabot pour la communication de l’adresse de JMO : j’ai pu reconstituer la date exacte et le moment de la mort d’un grand-père ! Amicalement
    H-Cl. Martinet

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