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La séduction dans le milieu rural au temps d’Aubin Denizet, « paysan sans histoire »

Le jeudi 18 octobre 2018, par Alain Denizet

Les humbles ne font jamais l’objet de livres. Ils n’apparaissent que furtivement dans les ouvrages généraux à titre d’exemple. C’est pourquoi, à la suite d’Alain Corbin et de son sabotier Pinagot, j’ai voulu écrire sur un inconnu : l’arrière grand père de mon grand père, Aubin Denizet. Sa vie enjambe la première partie du XIXe siècle.

Avant d’écrire ce livre – dont la réédition est présentée par la Revue Française de Généalogie n°238 d’octobre-novembre [1] - j’ai d’abord reconstitué la généalogie d’Aubin, listé ses relations familiales et de voisinage. La connaissance de ces familiers était la garantie de sélectionner par la suite, les évènements et les affaires qu’il avait eu le plus de chance de connaître à leur contact sans compter celles dont il était le témoin direct. Les articles précédents, en mai et juin, évoquaient les disputes de voisinage, les violences conjugales et l’enfance d’Aubin marquée par les guerres napoléoniennes. Les ressources de l’état civil, des notaires, de la justice et des folkloristes nous permettent de cerner le thème de cette semaine, le plus secret qui soit : l’intimité de nos ancêtres.

Filles et garçons avant le mariage

La séduction dans le milieu rural a laissé peu d’indices. Il faut donc faire le détour par les proverbes, les folkloristes du XIXe siècle, les archives judiciaires pour poser les généralités, puis sonder les registres d’état civil et de notaire pour espérer une approche plus personnelle.

Les affinités peuvent naître pendant les veillées, à la faveur des foires et des marchés ou dans le brouhaha des fêtes de village et des mariages. Mais des échanges ont également lieu lors des travaux qui mêlent garçons et filles, tels ceux de la moisson ; les premiers fauchent, les secondes rassemblent les gerbes, occasion d’apprécier l’ardeur au travail car la robustesse n’est pas seulement un apanage masculin : « À la campagne, la force et la santé sont plus prisées que la grâce et l’élégance », écrit le folkloriste beauceron Chapiseau.

La séduction passe par des gestes brusques, sorte de bourrades et sans doute par des baisers et des caresses échangés. À ce propos, Chapiseau rapporte cette expression commune : « Si on ne touche qu’au-dessus du sac, il n’y a pas grand mal. » Dans la Beauce d’Aubin, le pourcentage de conceptions prénuptiales – 20 % sur le demi-siècle – et le taux d’illégitimité de 8 % indiquent que les relations ne sont pas seulement platoniques.

Que pouvait connaître le jeune Aubin de la sexualité ?

De toute évidence, il y a d’abord les connaissances de la cour de ferme glanées ça et là, expliquées peut-être par le frère aîné ou le berger. Fils de laboureur, Aubin sait, parce qu’il le voit, comment le taureau s’accouple à la vache et, mis au travail très tôt, il évolue au milieu d’adultes, entend d’inévitables plaisanteries égrillardes, devine les attouchements entre jeunes gens et servantes.

C’est une deuxième source d’information car certains garçons sont fanfarons, y compris dans des affaires de viol. Les agresseurs laissent deviner une tranquille assurance : conscience limitée du mal infligé, publicité de l’agression, vantardise virile parfois, trophée si possible.

En 1812, à Fresnay-l’Evêque, deux charretiers abusent d’une jeune servante sans craindre l’intervention des domestiques de la ferme âgés de seize, quinze et douze ans, et parlent lors de leur déposition de « badinage [2] ». En 1820, un jeune homme d’Ymonville se fait traiter de « fameux polisson » par un camarade quand il se vante d’avoir arraché à sa victime une poignée de poils pubiens [3].

Pour ceux qui avaient tiré le mauvais numéro, l’armée et la vie de garnison signifiaient, entre autres, l’apprentissage de la sexualité vénale et nous pouvons penser que les conscrits de Germignonville ont raconté leurs frasques à Aubin.

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A la sortie de l’église. Messager de la Beauce et du Perche, 1864. Dessin de Hoyau. Le mariage.

Comment Aubin et sa femme se sont-ils rencontrés ?

Quand Aubin atteint ses vingt ans en 1818, quarante jeunes filles de dix-huit à vingt-cinq ans vivent au village ; elles sont par conséquent plusieurs centaines à être de sa génération sur l’ensemble des communes environnantes [4]. Mais toute une série de contraintes ramène ce large éventail à un petit nombre de familles au sein desquelles Aubin peut chercher sa promise.

Dans une société où la grande affaire est de maintenir l’héritage, tout mariage pose la question de la dot et celle des alliances ; les mariages d’intérêt sont par conséquent la norme. Dans le milieu des cultivateurs qui est le sien, l’homogamie – le mariage entre soi – est de 63 % en 1840.

À cette contrainte sociale, l’interdit de la consanguinité jusqu’au quatrième degré canonique vient encore limiter le choix d’Aubin : une vingtaine de jeunes filles sont en quelque sorte éliminées. Pour Aubin dont la famille est installée depuis plus de quatre générations dans ce petit périmètre de Beauce, c’est un interdit concret qui suppose de connaître sa généalogie. L’a-t-il su ? À Viabon, le mariage d’une cousine de son père avait été rompu en 1779 pour cette cause avant d’être « réhabilité ».
Enfin, les parents s’attachent à ce que l’honneur des familles choisies soit sans tache. Je n’ai relevé pour les deux familles ni affaire de justice même mineure, ni naissances illégitimes : des paysans vraiment sans histoire…

L’union d’Aubin et de Marie-Louise Levassort répond à l’ensemble de ces conventions sociales. Tous deux nés à Germignonville, les deux futurs époux sont enfants de laboureurs –propriétaires d’une vingtaine d’hectares - qui avaient en outre des fonctions au conseil municipal.

Un autre parti était-il possible pour Aubin ? Moins de dix jeunes filles répondent aux critères définis. Dans ces limites, il n’est pas exclu que l’inclination ait joué, écartant les filles des voisins Claye et Dorson et lui faisant préférer Marie-Louise, la cadette des Levassort, alors que le mariage par ordre de naissance qui semble la règle lui aurait attribué l’aînée, Angélique.

Indice révélé par les registres de baptême, Aubin et Marie-Louise, à l’orée de leurs vingt ans, sont choisis comme parrain et marraine de Stanislas Aubin Guédou en 1820. Pendant quelques heures, ils sont ensemble aux réjouissances et en Beauce, raconte le folkloriste Lecoq, le parrain et la marraine s’embrassaient après la présentation de l’enfant à la mère sous peine que l’enfant soit « morveux », puis ils accomplissaient un tour du village.

Ce lien est sans doute déterminant. Trois ans plus tard, soit une durée de fréquentation tout à fait dans les normes, c’est le mariage suivi d’un premier enfant prénommé – curieuse coïncidence ou déclinaison d’un souvenir heureux – Stanislas...

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Mariage vers 1820 en Beauce.

Pour Aubin et Marie-Louise, que veut dire « vivre ensemble » ?

On pense souvent que la vie commune est courte à cause de la disparition précoce de l’un des conjoints. C’est oublier que l’espérance de vie, passée le cap de la jeunesse, peut être longue. Entre 1818 et 1830, j’ai relevé trente-deux mariages de parents et de connaissances d’Aubin et de Marie-Louise : quinze d’entre eux ont une durée supérieure à trente ans. Trois seulement sont rompus par la mort avant les dix ans.

Aubin et Marie-Louise sont âgés de vingt-quatre et vingt-trois ans à leur mariage. Aubin étant décédé le premier à 55 ans, le couple a donc eu une vie commune de trente et un an. Ce qui nous amène à une question simple : pour eux, que veut dire vivre ensemble ?

Si femme et homme ont des taches spécifiques et d’une certaine manière leur territoire (à Marie-Louise la cuisine, la basse-cour ; à Aubin les champs), n’oublions pas l’essentiel : il n’y a qu’une pièce à vivre, la « maison ». Matin, midi et soir, l’un ne peut échapper à l’autre sauf à aller pour l’une aux veillées et pour l’autre au cabaret... Les archives judiciaires montrent que mari et femme discutent des petits bonheurs, des tracas de la vie quotidienne, des inquiétudes nées du temps et de l’approvisionnement.

Aubin et Marie-Louise dorment ensemble dans l’alcôve, une évidence qui peut faire sourire, mais dans les milieux bourgeois ou aristocratiques, ce n’est pas forcément la norme. Le lit à part, c’est en des circonstances précises, veiller un enfant malade ou coucher un parent. La promiscuité des logements interdit l’intimité du couple ; enfants, parents et grands-parents et, parfois, la domestique partagent l’espace.

Aubin et Marie-Louise se voient donc chaque jour et un certain nombre de travaux agricoles les réunissent comme l’entretien de l’étable et la moisson. On peut penser que ce travail commun, décisif pour l’économie de la famille et l’accomplissement des projets, renforce leurs liens.

Enfin réédité !


[1« Livre salué à sa parution (en 2007), il est proposé avec un texte revu et corrigé, complété par l’ajout d’un cahier de 20 pages d’illustration. Encore mieux ! ». La critique est précédée d’une interview de Jean-Louis Beaucarnot. Revue de presse complète sur alaindenizet.fr

[2AD, 2 U cour d’assises, 1e session de 1812.

[3AD, 2 U cour d’assises, dossier Gallas, 2e session de 1821, arrêt du 11 juin.

[4Dans 80% des cas, la distance entre les villages des deux époux est inférieure à 15 kilomètres.

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