Pour faire pendant avec un précédent article intitulé « Quand, en 1793, l’égalité homme-femme provoque des débats houleux au sein de la Convention ! », voici la réponse des républicaines de Dijon au citoyen Prudhomme. Il faut dire qu’il avait bien mérité cette volée de bois vert, car « il avait tourné en ridicule les femmes qui formaient des sociétés politiques au lieu de vaquer aux soins de leur ménage. »
La mission des femmes en République
« Citoyen Prudhomme, quel fruit pensez-vous retirer pour la République de la critique (…) que vous sous êtes permis d’insérer dans le numéro 183 ? Vous la dirigez principalement contre les femmes de Lyon et de Dijon ; vous attaquez même en général toutes les femmes françaises, en reprochant à celles qui connaissant leur dignité se réunissent en clubs, tiennent des séances régulières et en conservent les procès-verbaux. En vérité, ce langage nous étonne de votre bouche, et se pourrait-il que des femmes aujourd’hui plus élevées à la hauteur de la révolution qu’un républicain même, lui donnassent des leçons de philosophie et de liberté ?
Un gouvernement républicain est de tous celui qui approche le plus de la nature ; et comme dans ce gouvernement chaque individu forme partie intégrante du tout, il doit donc coopérer en ce qui le concerne au bien de la République ; il s’ensuit nécessairement que les femmes, qui font partie de la société, doivent contribuer autant qu’elles le peuvent au bien de tous.
Il était donc tout naturel que dans cette circonstance où notre révolution, unique dans les annales du monde, exigeait de tous les citoyens de la République son tribut de travail, de richesse ou de lumière, il était tout naturel que les citoyennes qui en font partie et s’en enorgueillissent, dussent se rendre utiles à la chose publique, et avisassent aux moyens de la faire. Pour y parvenir d’une manière avantageuse et plus sûre, il fallait se réunir ; car que peuvent faire tous les individus isolés l’un de l’autre ? C’est de la réunion fraternelle des républicaines que sont résultés ces effets étonnants de lumières philosophiques qui, en les affranchissant des antiques préjugés qui avilissaient les femmes, ont renouvelé en elles le germe des vertus qu’elles sont destinées à transmettre à tous les Français dès leur première enfance.
C’est dans leurs assemblées populaires que l’émulation de faire le bien a dû naître et s’échauffer ; c’est là où chacune d’elles communiquant ses idées a souvent donné lieu à des projets intéressants et salutaires dans leur résultats.
N’ont-elles pas donné l’exemple et stimulé parmi les citoyens les dons patriotiques destinés à soulager nos braves volontaires ? et elles-mêmes n’ont-elles pas travaillé de leurs mains aux équipements de leurs frères d’armes ? Ne se sont-elles pas occupées sans cesse des moyens de secours et de bienfaisance pour la classe indigente ou infirme ?
C’est à cette société que les officiers municipaux ont eu recours pour les prier de se charger du soin des prisonniers, que les femmes ci-devant nobles avaient abandonnés par aristocratie ; c’est encore cette société de citoyennes qui a formé un établissement de secours, où elles occupent à la filature, depuis quinze mois, environ trois cents femmes qui manquaient d’ouvrage ; établissement important dans les circonstances actuelles, et dont le produit rentre toujours dans la caisse de secours. Qui ne sent pas toutes les peines qu’exigent cette institution, le mode de distribution, la comptabilité, etc., toutes ces opérations régies avec le plus pur désintéressement ?
Nous ne nous bornons point, citoyen Prudhomme, à chanter l’hymne à la Liberté, comme vous nous le conseillez, nous voulons encore exercer des actes de civisme.
Il vient de s’ouvrir parmi nous une souscription pour les défenseurs de la liberté, où chacune vient déposer telle somme qu’autrefois, dans ces temps, l’on sacrifiait aux plaisirs frivoles des bals.
C’est la société des citoyennes réunies en club qui lors du retour à Dijon du second bataillon, indignement trahi à Longwy, allèrent au-devant de ces braves guerriers, et leur portèrent à plus d’une lieue de nouvelles armes et un drapeau, sur lequel ces soldats, qui n’avaient point désespéré de leur patrie, jurèrent solennellement de venger leur liberté et de vaincre au nom de la France et de leurs concitoyennes ; ce sont ces mêmes citoyennes qui, aux époques du départ de leurs frères d’armes, les ont exhortés avec l’énergie des femmes libres de ne jamais reparaître dans leurs foyers sans avoir auparavant anéanti les despotes ! Eh ! Quelles ne sont pas les hautes actions qu’inspire notre sexe quand il parle à des Français le langage de la gloire et de la vertu !
Il semble d’après vous, citoyen Prudhomme, qu’il est inutile aux femmes de savoir lire ; vous dites encore que les clubs de femmes sont les fléaux des mœurs domestiques… Et c’est un philosophe, un républicain qui parle ainsi ! Voulez-vous donc toujours tenir les femmes dans un état d’enfance ou de frivolité ? Que deviendra donc cette mère de famille qui n’ayant aucune instruction se trouve, par la mort de son mari, obligée de régir des affaires compliquées ou commerciales ? Est-il mieux qu’elle confie ses intérêts, ceux de ses enfants, à un stipendiaire insouciant ou inhabile ? Que deviendront ces enfants entre les mains d’une mère tendre à la vérité qui les laisse périr dans leurs maladies faute de certaines connaissances que tout individu devrait posséder ? Et l’enfance confiée aux femmes ne se chargera-t-elle pas de préjugés ineffables, si celles-ci sont dans l’ignorance de ce qu’elles doivent savoir ? La culture des sciences ne détourne point du travail ; elle prépare les sentiments honnêtes en ouvrant l’esprit aux lumières ; les occupations toujours essentielles des maris ne leur permettent guère de donner tous les soins qu’exige la première éducation ; ils doivent être flattés que leurs épouses puissent leur suppléer.
Ce n’est qu’avec de l’instruction que les mères puiseront dans le grand livre de la nature auquel vous les renvoyez. Dans une famille, pour donner l’exemple de l’ordre, il faut adopter une certaine conduite, qu’on peut à peine attendre d’un être élevé sans principe.
Renoncez donc, citoyen Prudhomme, à votre système, autant despote envers les femmes que l’était celui de l’aristocratie envers les peuples. Il est temps d’opérer une révolution dans les mœurs des femmes ; il est temps de les rétablir dans leur dignité naturelle. Eh ! Quelle vertu pourrait-on attendre d’une esclave ? ‘De tout temps, dit Montesquieu, l’on a vu marcher d’un pas égal en Asie la servitude domestique et le gouvernement arbitraire.
Partout où les femmes seront esclaves les hommes seront courbés sous le despotisme. ‘Sachez encore, dit Casta, que l’influence des femmes est partout plus forte que celle du climat et du gouvernement même, que les plus grandes révolutions dans les empires étant la suite des révolutions dans les mœurs, et les mœurs étant leur ouvrage, c’est sur elles que doivent porter premièrement les vues de la philosophie pour produire une réformation générale et rendre les homme meilleurs.
Soyez donc juste, hommes qui vous piquez de lumières, et ne censurez pas les femmes ; qu’elles aient part à vos droits, et elles imiteront vos vertus, car elles deviendront plus parfaites en devenant plus libres, et notre liberté commune sera l’ouvrage de l’instruction et de l’intérêt que nous prendrons à la République.
BLANDIN-DEMOULIN
Présidente de la Société des amies de la République établie à Dijon. »
Quel est l’impact de cette lettre ?
« Prudhomme, visiblement embarrassé, répond aux citoyennes de Lyon et de Paris ; mais il ne trouve rien de mieux à dire que d’invoquer l’exemple de Cornélie et les paroles de Rousseau.
Il ne faisait pas bon à ce temps-là d’avoir contre soi les sociétés fraternelles de femmes ! Leur personnel fournissait aux tribunes de la Convention, au cortège de la charrette, à l’émeute et au pillage, les agents les plus énergiques et les plus cruels. Les femmes étaient chargées de mettre les hommes au pas.
Prudhomme caponne (= se montre couard) visiblement lorsqu’il s’en prend au sans-culotte Reynard pour éviter de mettre en cause trop personnellement les citoyennes indignées de Lyon, Paris et Dijon » !
« Nous ne ferons pas d’autre réponse au bon sans-culotte de Lyon, le citoyen Reynard, qui se déclare le chevalier de ses concitoyennes clubistes ; qu’il sache que ce ne sont ni les calottins, ni les aristocrates factieux de cette ville, comme il le prétend, qui ont pu nous indisposer contre les clubs de femmes. Nous ne nions pas le bien que ces sociétés ont pu et peuvent faire à la République ; mais les citoyennes la serviront mieux encore sans sortir de chez elles, sans se donner en spectacle et prêter au ridicule que ces calottins et ces aristocrates ne manqueront pas de jeter sur elles. En un mot, qu’elles ne prétendent pas à devenir meilleures que les femmes de Sparte et de Rome dans le bon temps. Si Cornélie avait été d’un club, nous passerions condamnation sur ce que nous avons dit d’après la nature, la raison et Jean-Jacques Rousseau. »
Extrait de :
La Démagogie en 1793 à Paris, p. 105 à 109.