A titre d’exemple, voici un extrait d’un débat sur un sujet de société toujours d’actualité...
Séance du 23 août 1793 : Projet de décret concernant la manière dont se règle les droits des époux.
Article 10 : « Les époux ont et exercent un droit égal pour l’administration de leurs biens ».
Thuriot : « Je crois que le mari seul doit avoir l’administration des biens, et aussi en être seul responsable. Bien peu de femmes seraient en état de gérer cette administration. Cependant je ne voudrais pas que ce droit fût donné explicitement par la loi au mari ; cette loi mettrait la discorde entre les époux ; et les biens des femmes sont suffisamment assurés par l’hypothèse de leur dot, et par la disposition de la loi qui exige leur consentement pour la vente des immeubles.
Lacroix : « Citoyens, je soutiens au contraire que l’administration commune doit résulter de la communauté même, et que dans un pays libre on ne peut pas tenir plus longtemps les femmes dans l’esclavage. Il est ridicule que dans la société du mariage un seul sociétaire administre exclusivement les biens de la communauté, et qu’un mari puisse dilapider à son gré la fortune qu’il tiendra de son épouse. »
Merlin (de Douai ) : « Si la Convention adoptait l’article qui lui est présenté par le comité, elle ferait une chose absurde, injuste, et introduirait dans les ménages des dissensions perpétuelles. Je pense que la femme est généralement incapable d’administrer, et que les hommes ayant sur elle une supériorité naturelle doit la conserver. »
(…)
Cambacérès : « Le comité a voulu dire que le mari ne pourrait disposer des biens de la communauté sans le consentement de la femme. »
Danton : « Eh bien ! Rien n’est plus naturel. »
Garnier : « Je demande que cette proposition soit décrétée, si elle a quelques inconvénients, ils sont corrigés par la loi du divorce. »
Camille Desmoulins : « Je suis de cet avis. Je ne veux pas que l’on conserve plus longtemps la puissance maritale qui est une création des gouvernements despotiques. A l’appui de mon opinion vient cette considération politique, qu’il importe de faire aimer la Révolution par les femmes ; vous atteindrez ce but en les faisant jouir de leurs droits. »
Couthon : « Il suffit d’avoir fait quelques réflexions sur la nature de l’homme, pour s’être convaincu que la femme est née avec autant de capacité que l’homme ; si jusqu’ici elle en a moins montré, ce n’est pas la faute de la nature, mais celle de nos anciennes institutions. J’observe de plus qu’il est ridicule de refuser l’administration commune des biens à deux époux qui ne peuvent les vendre que d’un commun consentement. »
Thuriot : « Cette loi serait tellement contraire aux principes, et si dangereuse dans ses résultats, que les peuples étrangers ne voudraient plus, tant qu’elle existerait, avoir des transactions commerciales avec les Français. Cette loi asservirait et dégraderait l’homme en le mettant sous la tutelle de la femme. L’administration de confiance donnée à celle-ci par son époux, l’honorerait plus que le droit qu’elle tiendrait du code. Au reste, cette question est assez importante pour qu’elle soit profondément méditée. Je demande donc qu’elle soit ajournée à trois jours. »
L’ajournement est décrété… probablement pour méditer profondément ! [1]
Source : Archives parlementaires, tome 72, p. 673-674. Séance du 23 août 1793 disponible sur le site de l’Université de Stanford.
Note : sous l’Ancien Régime, la femme mariée est dite « en puissance de mari » car elle est sous la coupe de son époux. Mais bien qu’elle jouisse d’une capacité juridique réduite, elle bénéficie de nombreuses mesures de protection, notamment dans le cas où son mari administre mal ou dilapide les biens du ménage.