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L’année du laboureur : Juin

Le mercredi 1er juin 2005, par Thierry Sabot

Les historiens ont pris l’habitude de rassembler sous l’appellation de « culture matérielle » les éléments de la vie quotidienne qui se rapportent à l’habitat, l’habillement et l’alimentation de nos ancêtres... Autant de préoccupations essentielles ! La Nouvelle Maison rustique du sieur Louis Liger, ouvrage publié au XVIII° siècle, nous livre de précieuses informations sur ces différents sujets.

En juin [1]. On continue de fumer au second labour, les terres qu’on sèmera en blé en octobre.
On donne aussi un second labour aux terres où l’on plantera du safran [2].

Les semailles de ce mois sont la navette dans les pays froids, le colza dans les terres humides, marécageuses, fraîchement labourées [3] ; le lin [4] encore, le chanvre [5], le millet [6] et le pani [7].

Il est temps d’ébourgeonner la vigne et de l’accoler aux échalas [8], auxquels on l’attache avec du feurre [9] de seigle coupé en deux et trempé dans l’eau , ou du, jonc, ou du petit osier.

On doit faucher les luzernes [10] et sainfoins [11] en pleine fleur, et au plus tard aussitôt que les premières graines paraissent ; le foin en fera plus fin, plus tendre et plus nourrissant pour les chevaux. Plus tard les feuilles tombent, il se dessèche et durcit, et l’on perd quelquefois une coupe à attendre, et l’on tombe enfin dans les pluies de l’équinoxe, qui ne manquent guères après la Saint-Jean, si elles ne sont venues devant.

Dans des endroits, on esseigle [12] avec soin les froments [13] ; c’est-à-dire, qu’un homme parcourt les sillons une latte à la main, avec laquelle il fait sauter tous les épis du seigle qui paraissent au dessus du froment, afin que celui-ci se vende mieux, étant plus net et plus pur : on a cette attention surtout encore pour les blés dont on compte foire les semences. Dans d’autres endroits on s’en rapporte au crible.

Vous ne négligerez pas de faire faire des claies [14] neuves pour faire parquer les bestiaux, ou de faire raccommoder les anciennes.

On fait garder les cerisaies pour les défendre des moineaux et des passants. Dans les terres où il y a beaucoup de cerisiers et autres arbres fruitiers sur les chemins, on vend les fruits par adjudication [15]. L’acheteur a soin de les faire garder à ses dépens.

Les fromages [16] nouveaux seront salés, à moins qu’on ne veuille les donner à bon marché.

Bestiaux & volailles. Continuez de faire veiller les abeilles [17]. Dans quelques endroits, elles donnent encore des essa.ims.

On laissera sortir les petits dindonneaux [18] avec la mère ; ils sont à présent hors de danger.

La nourriture des lapins [19] ne fera plus que de l’herbe toute seule dans cette saison.

On tond [20] les moutons vers la saint-Jean, quand le temps est chaud : il ne faut pas les tondre au soleil, et l’on ne tond point les bêtes malades ; ce serait risquer de les faire mourir.

On lave les laines [21] depuis le mois de Juin jusqu’au mois d’Août ; l’eau qui est tiède alors, en détache mieux toutes les saletés. Plus on attend, et plus il y a de déchet. Les marques imprimées sur le corps des brebis pour les reconnaître gâtent la laine ; il faut les marquer à la tête ou aux oreilles.

Ventes & achats. Au commencement du mois, c’est le temps de vendre du beurre long [22], ou paille de seigle pour accoler la vigne [23], et pour lier les gerbes de blé dans la moisson. On l’envoie par charretées [24], ou à somme sur des chevaux, dans les endroits où les terres ne portent que du froment, dont la paille ne peut pas faire des liens, parce qu’elle est trop courte et convient mieux pour la nourriture des chevaux. Dans l’Ile-de-France, où il vient peu de seigle, on y supplée par des liens d’écorce de tilleuls.

Le beurre n’est pas si bon qu’en Mai pour fondre ou pour saler ; on le porte au marché, ainsi que le surplus des oeufs.

On se défait encore du reste des petits vins [25], qui sont recherchés pour la moisson ou les vendanges.

Il est bon d’acheter des genisses, quand on a des pâturages pour les engraisser jusqu’à l’entrée de l’hiver.

Les oies commencent à muer après la saint-Jean ; il faut les plumer auparavant, pour vendre leur plume [26] ou en faire usage pour la maison. On la met au four pour la bien sécher avant de l’employer ; le suc qui resterait dans le tuyau la ferait corrompre.

Foires :

Le premier, à Meudon.

Le 8, jour de saint-Médard, à Messe, près d’Etampes.

La dernière fête de la Pentecôte, à Flagy, près de Moret, pour les chevaux & bestiaux.

Le 9, à Château-Thierry, foire franche.


Source :

Louis Liger, La Nouvelle maison rustique, 11° édition, 2 volumes, Paris, 1790.

Bibliographie :

  • Marcel Lachiver, Dictionnaire du monde rural, les mots du passé, Paris, Fayard, 1997.
  • Georges Duby, Armand Wallon (sous la direction de), Histoire de la France rurale, Tome 2 : L’Age classique (1340-1789), 4 volumes, Paris, Editions du Seuil, 1975.
  • Benoît Garnot, Les campagnes en France aux XVI°, XVII° et XVIII° siècles, Paris, Ophrys, 1998.
  • Gabriel Audisio, Des paysans, XV°-XIX° siècle, Paris, Armand Colin, 1993.
  • Pierre Goubert, Les Paysans français au XVII° siècle, Paris, Hachette, 1982.
  • Jean-Marc Moriceau, Les Fermiers de l’Ile-de-France, Paris, Fayard, 1994.
  • Madeleine Foisil, Le Sire de Gouberville, Paris, Flammarion, 1981.

[1Dans les représentations figurées du Moyen Age, le mois de juin est représenté avec une faux à long manche et une lame courbe sur un pré semé de fleurs. Parfois, l’accent est mis sur la tonte des moutons ou le labourage de la jachère.

[2Sur le safran, voir la note 2 de l’article sur le mois de Mai.

[3« La navette ou rabette et le colza sont des plantes annuelles qu’on ne cultive que pour en avoir la graine dont on fait de l’huile. Comme ces plantes sont très grenues, elles sont d’un bon profit, et on fait un gros commerce de ces huiles en plusieurs provinces, comme en Brie, Normandie, Picardie, Flandre et Hollande. La grande consommation de ces huiles est pour brûler, pour faire du savon, et pour préparer les laines dans toutes les manufactures qui en emploient. Les bonnetiers et les apothicaires usent aussi beaucoup d’huile de navette. (...) Les pauvres gens mangent dans le pot, et en salade, les feuilles du colza, quand elles sont jeunes et tendres ; car c’est une espèce de chou à petites feuilles lavées de pourpre, et fort branchu. » (La maison rustique page 571).

[4« Le fil et la toile dont on fait des filets qu’on tire de l’écorce du lin, comme du chanvre, sont beaux, fins et de grand usage : et la graine de lin sert à faire de l’huile, dont on fait un grand trafic. (...) L’huile de lin ne gèle jamais, et elle est bonne non seulement à brûler (elle dure plus que l’huile d’olive) mais encore pour les apothicaires, les peintres, etc. Dans le Milanais, on s’en sert aussi en aliment. » (La Nouvelle maison rustique page 567).

[5Sur le chanvre, voir la note 4 de l’article sur le mois d’Avril.

[6Le millet est utilisé pour nourrir les poulets et les petits oiseaux. « On en fait du pain qui est assez bon, pourvu qu’il soit chaud. On en fait aussi de la tisane, et quand il est mondé de sa peau, on en fait encore avec du lait, une bouillie qui approche beaucoup de celle qu’on fait avec du riz ; car le riz n’est pas fort différent du millet pour le goût, si ce n’est qu’il est plus agréable, plus gros et plus nourrissant ». (...) L’Italie, l’Espagne, le Béarn, le Bigorre, l’Armagnac, la Gascogne et l’Orléanais produisent beaucoup de ce grain. (...) La paille de millet (...) est bonne pour le bétail » (La Nouvelle maison rustique page 514).

[7Comme le millet, le panis sert à faire du pain. « Les Gascons et les Périgordins le vantent fort : ils en font aussi des gâteaux et des tourtes, ou bien ils le mangent avec du lait ou du bouillon de viande. Pour s’en servir, on le broye, ainsi que le millet, et même le maïs, sous une meule de pierre semblable à celle dont les faiseurs d’huiles se servent pour écraser leurs noix avant de les pressurer. On voit aussi beaucoup de panis en Franche-Comté, en Bresse et en Bourgogne. » (La Nouvelle maison rustique page 515).

[8Sur les échalas, voir la note 12 de l’article sur le mois de janvier.

[9Le feurre est de la paille de céréales, séparée du chaume et de l’épi. Il est utilisé pour empailler les chaises et couvrir les toits.

[10Sur la luzerne, voir la note 11 de l’article sur le mois de février et la note 7 de l’article sur le mois de mars et la note 20 de l’article sur le mois d’avril.

[11Sur le sainfoin, voir la note 7 de l’article sur le mois de mars et la note 6 de l’article sur le mois de mai et la note 20 de l’article sur le mois d’avril.

[12Esseigler consiste à arracher ou couper à la faucille les brins de seigle qui ont poussé dans les champs de froment.

[13« Le froment est le meilleur et le plus gros de tous les grains ; il fait la farine la plus blanche et le meilleur pain. » (La Nouvelle maison rustique page 510).

[14Les claies sont des clôtures en treillis d’osier ou en lattes de châtaignier.

[15La récolte des cerises est vendue aux enchères au plus offrant.

[16Sur les fromages, voir la note 26 de l’article du mois d’avril.

[17Sur les abeilles, voir la note 30 de l’article sur le mois de janvier.

[18Sur les dindonneaux, voir la note 11 de l’article sur le mois de mai.

[19Sur les lapins, voir la note 26 de l’article sur le mois de janvier et la note 26 de l’article sur le mois de février.

[20« Pour faire la tonte, il faut toujours choisir un beau jour sans vent. La veille, sur le soir, on lave tout le troupeau, bête à bête, dans une rivière ou ruisseau bien clair. (...) Il est rare en France de tondre les moutons plus d’une fois l’an. » (La Nouvelle maison rustique, page 292).

[21« La laine blanche est toujours la plus estimée, parce qu’elle reçoit toutes sortes de couleurs. (...) La laine crue est celle qui n’est point apprêtée : les laines grasses se dégraissent avec du savon noir ; et les ouvriers qui les filent en cet état, appellent cela « filer sec ». Les différentes préparations de la laine sont de la laver, la dégraisser, l’échauder, la carder, la fouler, la filer, soit en échevaux ou en pelotons, la teindre... La laine est d’un gros commerce, parce qu’elle sert à faire quantité d’étoffes et d’ouvrages, comme tapisseries, draps, serges, bas, chapeaux, matelas, etc. (...) Il est défendu aux ouvriers de mêler les laines, parce que les unes foulant moins que les autres, cela rend le drap creux et imparfait. Pour les qualités des laines, on donne le premier rang à la laine d’Espagne ou de Ségovie ; le second aux laines d’Angleterre ; le troisième à celle du Languedoc et du Roussillon ; le quatrième à celle de Valogne et du Cotentin, de toute la Basse-Normandie et du Berry ; celles de Picardie et de Champagne leur sont inférieures. On en tire beaucoup de la Gascogne et de l’Auvergne. » (La Nouvelle maison rustique,page 293).

[22Sur le beurre, voir la note 16 de l’article sur le mois de mai.

[23Accoler la vigne consiste à la relever et à l’attacher avec de la paille de seigle à l’échalas.

[24Sur les maîtres charretiers voir la note 3 de l’article sur le mois de mars.

[25Sur le vin, voir la note 14 de l’article sur le mois de mai.

[26Sur les plumes, voir la note 23 de l’article sur le mois d’avril.

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