En novembre [1]. Quand les blés sont faits, les charretier [2] ne font plus qu’une attelée pour donner le premier labour aux terres, où l’on veut semer en Mars ou Avril des blés de Mars [3], de l’orge [4], de la vesce [5] ou des sainfoins et luzernes [6], qui ont besoin de trois labours, et celles aussi à qui il en faut deux pour y semer de l’avoine [7].
Cela fait, on donne aussi le premier labour aux terres qui doivent être semées en blé d’hiver [8] l’année suivante, après quatre labours ; cela s’appelle lever les jachères [9]. Ce sont les terres qui ont porté de l’avoine dans l’année. La levée des jachères est pour ce labour dans le cas d’un défrichement léger ; ce premier labour doit être peu profond, comme de trois ou quatre pouces au plus mais il faut enfoncer par degrés ceux qui suivent quand le fond de terre est bon.
On recueille encore du chanvre [10] et du lin [11], et on les travaille pour vendre, ou pour en faire usage dans la maison.
On coupe et on élite les osiers [12] après que la feuille est tombée. Eliter, c’est faire un choix ou triage des gros, des moyens et des petits, qu’on met en bottes séparément pour les différents usages auxquels ils font propres : les gros pour les vanniers, les moyens pour les tonneliers, et les petits pour les jardiniers.
On serre dans la cave, avant les gelées, les racines [13], carottes, navets, bette raves et les choux-fleurs, les pommes de terre, les cardons et la chicorée. On peut se contenter de couvrir de paille le céleri et la chicorée, qui blanchit sous ces couvertures, même sans la lier.
Vous achevez de ramasser les châtaignes [14].
Vous ferez répandre les taupières [15] dans les prés, ainsi que les fourmilières [16] afin que l’hiver fasse mourir les fourmis. La terre des taupières étant très meuble, réchauffe l’herbe ; c’est pourquoi on n’y détruit pas ces animaux.
On plante toute sorte d’arbres quand la feuille est tombée, et l’on continue pendant tout l’hiver, toutes les fois que le temps le permet. C’est le temps aussi de tailler les arbres fruitiers, et d’élaguer les bois durs, comme l’orme, le tilleul, etc. A l’égard du saule et du peuplier, qui sont plus tendres, on peut attendre à la mi Février, ainsi que pour la taille du pécher et de la vigne.
On tire les échalas des vignes, et on les met par tas ou par chevalets pour passer l’hiver, et l’on cure les raies, pour rendre les sentiers propres et donner plus d’écoulement aux eaux.
On commence les coupes de bois, ou bien on les vend par adjudication. Si on les fait exploiter, on observera que le débit du bois à brûler est le plus facile, souvent même le plus avantageux à la vente, à moins qu’il n’y ait de très grosses pièces. On réservera celles dont on aura besoin polir les réparations, tant en charpente qu’en charronnage, des perches, des échalas, des épines pour épiner les arbres dans les dehors, et pour chauffer le four.
Quand les vins ne bouillent plus, il faut bondonner [17] les tonneaux. Si l’année n’a pas été favorable pour la qualité du vin, vous ferez bien de vendre les vins faibles tout chauds. Si vous attendiez, ils diminueraient toujours de qualité et de prix jusqu’aux chaleurs, qui pourraient les gâter tout à fait.
Il fait bon, dès que la feuille est tombée, donner la chasse avec le furet [18] aux lapins qui gâteraient les blés autour des bois et garennes.
Visitez la fruiterie [19] pour voir si les fruits ne se gâtent pas ; il ne faut cependant pas y entrer trop souvent car moins il y aura d’air, et mieux les fruits se garderont. La meilleure terre pour garantir les fruits des grandes gelées, c est la cave, quand elle n’est point humide.
On raccommode pendant le temps des pluies les charrettes et harnais, et on les met en état de charrier, pendant les gelées, de la marne et des terres neuves. A l’égard des fumiers, il vaut mieux attendre au second labour des terres parce qu’ils se consomment trop dans la terre pendant l’hiver [20].
On ramasse toujours du gland [21], tant pour planter que pour la nourriture des cochons. Pour le premier usage, on les conserve tout l’hiver dehors en tas de sept à huit pouces de hauteur, jusqu’au temps de la plantation en Mars.
On continue de faire des fossés ou vidanges, ou de curer les anciennes, pour écouler les eaux des terres, surtout ou il y a du blé.
On répandra de la paille ou du chaume dans les rues [22] pour augmenter les fumiers.
On continue de faire battre du blé [23] le p1us longtemps qu’on peut, pour avoir toujours de la paille fraîche pour les chevaux, et l’on a soin de remuer et cribler le blé au grenier, afin qu’il ne prenne point le goût de poudre et de relent.
On s’occupe aux veillées [24] à tendre des osiers pour les tonneaux, à casser des noix pour faire de l’huile [25], et à aiguiser des échalas [26] pour les vignes.
Bestiaux et volailles. On tue les abeilles [27] trop vieilles, on nettoie les ruches et l’on vend la cire [28] et le miel.
La nourriture des vaches, en hiver, est le regain ou foin de la seconde coupe, la paille d’avoine, et quelquefois des choux et du son bouillis ensemble dans la chaudière, ce qu’on appelle dans des endroits des buvées [29].
Achats & ventes. C’est le temps à la Saint-Martin d’acheter de nouveaux essaims de mouches à miel : elles se plaisent particulièrement dans les pays secs, où croissent les bruyères, les joncs marins, les genets.
Les chèvres entrent en chaleur et portent cinq mois, comme les brebis. Trois ou quatre jours avant la Saint-Martin, on envoie au marché quelques dindons, des canards, des oisons, des cochons de lait, des fruits, des fromages, du beurre , des oeufs, des veaux et des bêtes grasses.
Si l’on n’a pas vendu ses vins faibles en gros, on fera bien de les détailler.
Foires :
Le premier, à la Ferté-Alais.
Le 2, jour des Morts [30], à Roissy-en-France.
Le 3, à Meaux, à Troyes, à Angerville en Beauce, à Crépy en Valois, foire considérable pour les chevaux et bestiaux, toiles, lins, chanvre et vins.
Tous les mardis, à Chérois en Gâtinais.
Le 11, la Saint-Martin, à Pontoise, Rosoi en Brie, Meaux, Savigny-sur-Orge, Egreville près de Nemours, Malesherbes et Amiens.
Le 21, à Compans-la-Ville, foire considérable. Elle se remet au 22 quand le 21 est fête.
Le 25, jour de sainte Catherine, à Louvres en Parisis, à Messe près d’Etampes, et à Fontainebleau, dure trois jours.
Le 29, à Provins.
Le 30, à Chartres, Brie-Comte-Robert, Lagny et Beaumont-sur-Oise, pour les chevaux.
[1] Le mois de novembre est celui des labours et des semailles du blé d’hiver.
[2] Sur le charriage et les charretiers voir les notes 2 et 3 de l’article sur le mois de mars.
[3] Sur les blés de mars voir la note 2 de l’article sur le mois de février et la note 9 de l’article sur le mois de mars.
[4] Sur l’orge voir la note 21 de l’article sur le mois de janvier, la note 9 de l’article sur le mois de février.
[5] Sur la vesce voir la note 10 de l’article sur le mois de février.
[6] Sur le sainfoin et la luzerne voir la note 11 de l’article sur le mois de février, la note 7 de l’article sur le mois de mars, la note 6 de l’article sur le mois de mai, la note 20 de l’article sur le mois d’avril.
[7] Sur l’avoine voir la note 5 de l’article sur le mois de février, la note 15 de l’article sur le mois d’avril.
[8] Les blés d’hiver sont semés à l’automne, avant l’hiver.
[9] Sur les jachères voir la note 12 de l’article du mois de juillet-août.
[10] Sur le chanvre voir la note 4 de l’article du mois d’avril.
[11] Sur le lin voir la note 4 de l’article sur le mois de juin et la note 5 de l’article du mois de juillet-août.
[12] « Les osiers ont leurs usages particuliers : les vignerons s’en servent pour attacher la vigne, les jardiniers pour palisser les arbres, les tonneliers pour lier les cercles à tonneaux, et les vanniers emploient les plus gros et aussi les plus fins pour faire des paniers, des corbeilles, etc... » (La Nouvelle maison rustique page 711).
[13] « Les navets, les raves, les panais et les carottes, sont toutes racines qu’on dépouille en plein champ, aussi bien que dans les jardins où elles occupent trop de place : elles font beaucoup de profit à la campagne, parce qu’elles sont d’un grand usage en aliments ; et quand on en a trop, c’est une des meilleures nourritures pour les bestiaux, à qui les feuilles de ces plantes sont toujours un secours agréable » (La Nouvelle maison rustique page 557). « Ces raves et navets valent mieux au bétail que le foin ; ils les engraissent davantage, et les femelles en ont beaucoup plus de lait. On leur donne de ces racines hachées environ plein un ou deux chapeaux à la fois, principalement aux bestiaux que l’on veut engraisser, ou aux femelles qui ont du lait, soit vaches, brebis ou chèvres. (...) On les hache par morceaux dans une auge, avec un fer coupant fait en forme d’une S qui serait couchée sur le côté, et emmanchée d’un bâton de quatre pieds. Ce petit hachoir, dont j’ai vu l’usage en Allemagne, est très expéditif et commode. Ou bien, s’il en fallait pour une plus grande quantité de bestiaux, où ce hachoir à la main ne pourrait suffire, on se servirait d’une plus petite machine à pilon suspendue, qu’un homme fait battre sous ses pieds ; il en hachera plus que dix ne feraient avec le couteau » (Ibid, page 235).
[14] Sur les châtaignes, voir la note 13 de l’article sur le mois d’octobre.
[15] Sur les taupes, voir la note 17 de l’article sur le mois d’avril. « Pour prendre les taupes en vie, on se sert de taupières, qui sont des espèces de boîtes ou fourreaux faits de bois d’aune que l’on creuse ; ces boîtes ont environ un pied de long sur trois ou quatre pouces de tour ; elles sont fermées par un des bouts ; et l’autre est celui qu’on met au bord des taupinières, et par où la taupe entre dans la boîte. (...) Les pièges de fer à ressort sont encore plus sûrs pour les tuer. (ibid, page 208).
[16] « Pour peu qu’on voie des fourmis dans un endroit, on y jette un os de chair fraîche, qu’on couvre d’un pot à fleur renversé, et graissé de quelque odeur douce qui les attire aussi ; on pose ce pot sur trois tuilots afin qu’elles puissent passer par-dessus : et elles y viennent former une fourmilière, qu’on ôte le soir, et qu’on jette dans de l’eau chaude » (Ibid, page 210).
[17] Bondonner les tonneaux consiste à les boucher avec un morceau de bois, le bondon.
[18] « Quand on élève un furet pour chasser les lapins, on le met dans un tonneau sur de la paille fraîche qu’on lui change tous les trois ou quatre jours. On le nourrit de lait de vache tous frais tiré, et on lui en donne deux fois par jour plein un verre à chaque fois, soir et matin ; ou bien au lieu de lait, on lui donne un œuf cru bien battu. Après que le furet a chassé, il est bon de mettre un lapin devant lui et lui en donner un œil à manger ; cet appât l’encourage et lui apprend à connaître son gibier. (...) On se sert aussi des furets pour arracher, dans les murs, des nids d’oiseaux inaccessibles (Ibid, page 589).
[19] Selon la Nouvelle maison rustique, une fruiterie « sera voûtée et enfoncée à demi en terre, à l’exposition du midi ». Il y a trois choses essentielles pour faire une bonne fruitière : il faut qu’elle soit impénétrable à la gelée ; elle ne doit pas avoir mauvaise odeur ; et elle doit être garnie de tablettes pour y mettre les fruits.
[20] Sur la marne, les terres neuves et les fumiers, voir les notes 7, 8 et 9 de l’article sur le mois de janvier.
[21] Sur les glands, voir les notes 23 et 29 de l’article sur le mois de septembre.
[22] Il faut sans doute comprendre les chemins de culture, issues, cours, etc., qu’on pratique pour l’exploitation (Cf Marcel Lachiver).
[23] Le battage des blés de garde a lieu trois mois après qu’il soit engrangé. « C’est ordinairement l’hiver qu’on bat en grange ; et on doit prendre garde que les batteurs, surtout ceux qui sont à la tâche, ne laissent pas de blé aux gerbes, et qu’ils ne fassent ni entrepôts, ni trous à la grange, pour en voler le grain ». (La Nouvelle maison rustique, tome 1, page 533).
« Les Gascons et les Provençaux, de peur que le blé gardé en gerbes ne s’échauffe trop ( ce qui le rend sujet à la vermine et aux insectes) laissent sécher leurs gerbes sur le champ même où elles ont été recueillies, et ils les battent ensuite sur une grande aire qu’ils font tous les ans en plein champ : on la fait, comme nous l’avons dit, de celles des granges, et on l’arrose de sang de bœuf, mêlé avec de l’huile d’olive, pour l’unir ensuite avec des bâtons ou un cylindre, afin de remplir les fentes où le grain pourrait se perdre, et les fourmis se cacher. Quand le temps est incertain, on a, dans quelques endroits de ces provinces, des appentis sous lesquels on met les gerbes à couvert, et sous lesquels on peut aussi les battre en cas de nécessité. Les Italiens appellent ces appentis des nubiliaires : par ce moyen, eux et les Gascons qui les ont imités, n’ont besoin que de greniers et non de granges. Mais dans nos provinces plus tempérées, on ne S’avise point de faire ni appentis ni aires à blé dans les champs, soit parce que le grain se perfectionne en gerbes dans la grange, et court moins de risque de s’échauder que dans les climats ou la chaleur est plus forte, soit parce que le beau temps ne nous est pas assez ordinaire pour les travailler en pleines campagnes, comme on fait dans ce pays moins nébuleux, soit enfin parce que nous trouvons mieux notre compte à manoeuvrer nos blés chez nous mûrement, et quand nous voulons.
La meilleure manière de battre le blé est au fléau : il ne laisse presque aucun grain aux épis ; et ce battage est bien plus aisé, plus simple, plus prompt, avance davantage, embarrasse et coûte moins que les autres manières ; telles que sont celles de faire fouler les gerbes par des chevaux, mulets ou bœufs, ou de les leur faire broyer sous des cylindres ou des traîneaux, comme on fait en Gafcagne, en Espagne, en Italie, ou bien encore de les faire fouler et couper, comme on fait en Turquie, par deux grosses planches, épaisses de quatre doigts, et garnies de pierres à fusil tranchantes, traînées par un boeuf ; ce qui sépare en un moment épis d’avec la paille.
Quand il est battu, on le vanne bien, et enfin on le crible pour le nettoyer de toutess pailles, bêtes, ordures et corps étrangers. (Ibid, page 534).
[24] La veillée, temps fort de la sociabilité villageoise et de la transmission de la culture orale, avait lieu durant la période hivernale, entre le souper et le coucher.
[25] Sur les noix, voir la note 14 de l’article sur le mois de septembre.
[26] Sur les échalas, voir la note 12 de l’article sur le mois de janvier.
[27] Sur les abeilles, le miel et le sucre, voir la note 30 de l’article sur le mois de janvier. « Le miel est d’un grand usage, non seulement en aliment, mais aussi en boissons ; soit hydromel vineux, hydromel commun, ou simple eau miellée. Il en entre dans le pain d’épice ; le miel sert encore en médecine. Autrefois on l’employait partout au lieu du sucre, qui n’était point connu. Bien des ménagères en mettent encore actuellement dans leurs confitures communes, pour épargner le sucre » (Ibid, page 390).
[28] « La cire sert partout à faire des cierges, des flambeaux, de la bougie grande et petite, des figures, des onguents, emplâtres et pommades, etc.
[29] La buvée est une sorte de soupe d’eau et de farine délayée à l’usage du bétail.
[30] La Toussaint et le jour des morts annonçaient l’hiver et la période de repos de la végétation. Ces jours-là, les cloches sonnaient pour le repos des trépassés.