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L’année du laboureur : Octobre

Le samedi 1er octobre 2005, par Thierry Sabot

Avec le mois d’octobre se termine la saison des gros travaux agricoles, le temps fort de l’année, et s’amorce celle de l’activité réduite, le temps faible de l’hiver. Dans ce texte, il est question du noir des céréales, du vin des pauvres, de la genévrette et de l’usage des noix et des châtaignes...

En octobre (1). Tous vos labours étant achevés, et votre seigle semé, commencez à semer du froment aux premiers jours du mois, à la Saint Denis au plus tard, après l’avoir bien chaulé : le fort chaulage avance la maturité et préserve le blé du noir [1], de la rouille [2] et des insectes [3]. On peut continuer de semer du blé jusqu’à la Saint Martin , observant d’ensemencer toujours les terres les plus fraîches les premières, car si les gelées survenaient lorsque le grain n’est encore qu’en lait avant de lever, il en réchapperait peu dans ces terres. On peut faire usage pour semer du blé de l’année précédente, mais il en faut un boisseau de plus par arpent ; ainsi il y a de l’économie à semer celui de l’année.

Les vendanges ne tarderont pas à se faire ; le défaut des vignerons est toujours de se trop presser avant que le raisin soit bien mûr. Il faut y faire attention.

On fait du cidre [4] dans le même temps, et on le passe, si l’on veut, sur le marc du vin après qu’il est tiré ; il y prend une belle couleur et se trouve assez agréable â boire, même pour les maîtres. On fait encore d’autres boissons d’économie dans les fermes [5]. Ceux qui n’ont point de vignes achètent de gros vins, dans lesquels ils mettent ordinairement un tiers d’eau ou environ, suivant leur force : les domestiques y font accoutumés, et font ce mélange eux-mêmes. Enfin dans les endroits où le vin est très rare et trop cher, et où il se trouve du genièvre dans les bois, on fait avec la graine de cet arbuste une boisson pour remplacer le vin, et cette boisson, qu’on nomme genévrette [6] est fort saine.

Quand on a une grande quantité de chasselas on en fait sécher au four après que le pain est tiré.

On fait du raisiné [7] avec du vin doux et des poires de messire-jean [8] ou de martin-sec [9], qu’on fait cuire ensemble ; il est assez sucré de lui-même sans y mettre du sucre. C’est une confiture d’économie. » (La Nouvelle maison rustique page 390).]] avec du vin doux et des poires de messire-jean ou de martin ; ce sont les meilleures. C’est une confiture de ménage, où il n’entre point de sucre, et qui n’est point à mépriser.

Il est encore temps de cueillir le safran [10] le matin, avant qu’un soleil trop chaud faite rentrer le pistile, qui est la seule partie de la fleur dont on fait usage.

Si l’année n’a pas été tardive, vous cueillerez les fruits d’hiver [11] après la Saint Denis, ou bien vous tarderez jusqu’à la fin du mois. On fera du cidre de ceux qui font de moindre qualité, tombés et meurtris ; il n’importe.

On abat les noix [12] avec une gaule, quand la robe commence à s’ouvrir et se sépare.

On abat de même les châtaignes [13] exposées aux passants, on les achève de mûrir en tas dans le grenier ; les premières au marché sont les plus chères. Mais pour celles qui sont éloignées des chemins, on attend en Novembre qu’elles tombent pour les ramasser.

Il faut faire remuer, et donner de l’air au blé & autres grains qu’on a serrés dans les greniers.

Bestiaux et volailles. Vous ne donnerez plus d’herbe aux lapins privés, mais du foin et du son.

Séparez de leur mère les agneaux.

Ventes & achats. Quand la mouche ne paraît plus, vous pouvez commencer à faire tuer des cochons, pour consommer dans la maison ou pour vendre.

Gardez encore les fromages du commencement du mois et si vous n’en n’avez pas beaucoup, achetez-en pour le Carême ; ils se vendront plus cher dans ce temps-là : tous ces petits commerces enrichissent le fermier.

Les oeufs s’amasseront encore ; mais vers le milieu et la fin du mois, vous vendrez tous vos beurres, vos œufs et vos fromages.

Tout le bétail qu’on ne peut point hiverner, parce qu’il en coûterait trop, sera vendu aussi.

Les fruits d’automne et tous ceux qu’on craindrait de ne pas garder l’hiver, ont encore leur débit.

Foires.

  • Le premier, à Reims, dure trois jours.
  • L e 2, ou plutôt le lundi d’après la Saint Remi,à Montargis.
  • Le 9, à Mennecy-Villeroi, près Corbeil , foire de bestiaux.
  • Le nième jour, à Calais, foire franche pour les chevaux & poulains, dure huit jours.
  • Le 10, à Saint Denis-en-France et à Coulommiers, dure dix-huit jours.
  • Le 17, à Sens et à Bourges, dure huit jours.
  • Le 18, à Rouen et à Tocquin en Brie, dure dix jours.
  • Le 19, la Saint Salvinien, à Chaumes en Brie.
  • Le lundi d’après la fête de Saint Luc, à Senlis.
  • Le 23, jour de Saint Romain, la foire du Pardon, à Rouen, dure six jours.
  • Le 24, foire franche, à Mormant en Brie.
  • Le 28, jour de Saint Simon, à Château-Fort proche Versailles, à Brie-Comte-Robert, à Nogent-sur-Seine, Milly et Luzarches.
  • Le 29, ou lundi avant la Toussaint, à Fontenay en Brie.

Source :

  • Louis Liger, La Nouvelle maison rustique, 11° édition, 2 volumes, Paris, 1790.

Bibliographie :

  • Marcel Lachiver, Dictionnaire du monde rural, les mots du passé, Paris, Fayard, 1997.
  • Georges Duby, Armand Wallon (sous la direction de), Histoire de la France rurale, Tome 2 : L’Age classique (1340-1789), 4 volumes, Paris, Editions du Seuil, 1975.
  • Benoît Garnot, Les campagnes en France aux XVI°, XVII° et XVIII° siècles, Paris, Ophrys, 1998.
  • Gabriel Audisio, Des paysans, XV°-XIX° siècle, Paris, Armand Colin, 1993.
  • Pierre Goubert, Les Paysans français au XVII° siècle, Paris, Hachette, 1982.
  • Jean-Marc Moriceau, Les Fermiers de l’Ile-de-France, Paris, Fayard, 1994.
  • Madeleine Foisil, Le Sire de Gouberville, Paris, Flammarion, 1981.

[1Le noir des céréales est une maladie produite par un champignon. L’auteur de la Nouvelle maison rustique nous livre la recette pour purifier le blé niellé ou noir : « Les pluies d’été froides et les gelées tardives produisent souvent dans les plus belles pièces de blé, des épis noirs et dont le grain se trouve quelquefois dur et pierreux ; mais ce noir n’est qu’à la superficie de l’épi, il se dissipe presque toujours au van et au crible, et il ne gâte point le reste de la masse, comme fait la nielle.
Lorsqu’on a du blé niellé, comme il rend le pain noir et de mauvais goût, (raison pour laquelle on le rebute très fort dans les marchés) il faut le bien laver, comme on l’a dit, avant que de l’envoyer au moulin, et pour en ôter la nielle et faire par conséquent du pain fort blanc, on doit avoir une espèce de bluteau, qui, au lieu de soies et d’étamines, soit environné de lames de fer-blanc piquées et toutes percées du même côté à peu près comme une râpe, dont le côté rude et mordant soit en dedans du cylindre du bluteau ; à mesure qu’on tourne le bluteau avec la manivelle, tout le blé se remue, les taches noires, et tout le mauvais s’attachent
à la râpe, et par ce moyen on a un grain très pur. Cette machine, commode pour ôter toute la nielle du blé est de petite dépense pour ceux qui font de grandes récoltes.
Il y a des laboureurs qui, avant de porter leur blé moucheté au marché, le lavent et le font aussitôt sécher au soleil, afin qu’on voie moins les grains mouchetés ; mais on n’a pas toujours le temps propre pour le faire sécher, et ce serait une grande imprudence de l’exposer au marché, s’il n’était pas assez sec : d’ailleurs, supposé qu’il le soit, il est certain qu’un blé lavé et séché au soleil, perd une partie de sa qualité et de sa bonté. Les meuniers et les boulangers le connaissent très bien au maniement ; il est beaucoup plus rude que celui qui n’a point été lavé.
Au défaut du bluteau garni de fer blanc,, comme nous venons de le dire, pour clarifier en peu d’heures le blé moucheté sans le laver, il faut que deux personnes prennent chacune un bout d’une couverture bien laineuse, dans laquelle on mettra environ trente livres de blé ; puis ils la secoueront et l’agiteront avec force. Les grains noirs, qui sont les grains brûlés par la nielle, s’attacheront à la laine et le blé deviendra clair et beau ; ensuite ils l’ôteront de la couverture et la secoueront bien fort pour en ôter la poussière et les ordures qui s’y seront attachées ; après ils y remettront d’autre grain pour le purifier, et continueront ainsi jusqu’à ce qu’ils aient nettoyé tout le blé moucheté qu’on veut vendre ou moudre. » (La Nouvelle maison rustique pages 540 et 541).

[2Sur le blé rouillé, niellé ou charbonné voir la note 14 de l’article sur les mois de juillet-août.

[3Selon l’auteur, les insectes nuisibles aux céréales sont les calandres (« qu’on nomme autrement charançons, patte-pelues, ou chate-peleuses, en latin, curculiones »), les hannetons, les fourmis et autres insectes » qui gâtent et rongent le blé.

[4Le cidre est la boisson quotidienne des paysans de Normandie et du Beauvaisis.

[5Voir la note 16 de l’article sur le mois de septembre. A la campagne, l’eau, pas toujours très saine, reste la boisson la plus largement consommée même si l’on constate au XVII° siècle une extension de la consommation de vin, notamment la « piquette » peu alcoolisée (cf B. Garnot).

[6Selon Marcel Lachiver, la genévrette est boisson à base de fruits sauvages, « principalement des mûres, des nèfles et des baies de genièvre qu’on met à macérer pendant un mois dans de l’eau avec trois ou quatre poignées d’absinthe ». La Nouvelle maison rustique précise que « cette boisson saine et peu coûteuse tient lieu de vin aux pauvres » et qu’elle peut remplacer le vin dans les disettes.

[7« La raisiné est une préparation de raisin faite avec du vin doux, qu’on fait cuire et réduire à moitié pour le conserver. On y ajoute des poires de messire-jean ou de martin-sec, qu’on fait cuire ensemble ; il est assez sucré de lui-même sans y mettre du sucre. C’est une confiture d’économie. » (La Nouvelle maison rustique page 390).

[8La poire de messire-jean est une poire d’automne à la chair cassante et à l’eau sucrée.

[9Poire d’automne, la martin-sec est « rouge du côté du soleil, et d’un roux isabelle de l’autre ; sa chair est cassante, assez fine, et son eau sucrée avec un petit parfum : on peut la manger bon durant trois mois ».

[10Sur le safran voir la note 2 de l’article sur le mois de mai.

[11Les fruits d’hiver sont principalement des poires : la virgouleuse, le saint-germain,la crezane, le colmar, le chaumontel, le bon-chrétien d’hiver, la royale d’hiver...

[12« Il n’y a point de pays où il y ait tant de noyers qu’en France, et le profit en est très considérable : 1) on mange les noix confites, en cerneaux et en coque, vertes ou sèches ; 2) on en fait de I’huile qui sert à peindre, à brûler, à frire, etc. Les paysans en font de la soupe, de même qu’au Mirebalais on fait une espèce de chandelle avec le marc des noix pressurées ; 3) on se sert du bois de noyer, même de ses racines, pour faire des poteaux, planches, meubles, ouvrages d’ébénistes, monter des armes, etc. 4) La racine de noyer tirée en hiver : l’écorce ôtée lorsque l’arbre est en fève : les feuilles, et la coque quand on en tire le cerneau , servent aux teinturiers à teindre en noir ou en fauve. Si on fait bouillir des coques vertes de noix dans de l’eau, et qu’on la jette aussitôt sur la terre, on en fait sortir une quantité de vers bons pour la pêche. Il n’y a aussi qu’à frotter de cette eau toute forte de bois blanc sur pied ou non, pour qu’il devienne de la couleur du noyer » (La Nouvelle maison rustique page 689).

[13« Dans les endroits où il ne vient point de blé, on fait encore du pain avec des châtaignes, que l’on a mis sécher sur des claies, et qu’on a réduites en farine : ce pain est lourd, pesant et fort difficile à digérer. Il est en usage dans le Limousin » (La Nouvelle maison rustique page 457) et également en Vivarais où le châtaignier est appelé « l’arbre à pain ». Gabriel Audisio précise que les châtaignes « permirent bien souvent aux populations de survivre, comme en Bretagne, en Périgord, dans les Pyrénées ». Elles étaient surtout consommées en bouillie avec du lait, et parfois rôties selon le témoignage de Félix Platter (Thomas et Félix Platter à Montpellier, 1552-1559 ; 1595-1599, notes de voyage de deux étudiants bâlois, Montpellier, 1892.

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