Plonger ses racines encore plus loin…
Le fantasme suprême du généalogiste est de reléguer le plus vénérable des porteurs de son patronyme au rang de simple rejet d’une souche plus ancienne.
Mais l’actuel titulaire du sommet de notre SOSA patronymique, apparu ex nihilo d’on ne sait où et à une date au mieux incertaine, n’est pas la seule épine irritative de nos enquêtes sur notre saga familiale : de temps à autre apparaît un de nos collatéraux qui s’empresse de se volatiliser sans laisser d’autre trace que son acte de naissance.
C’est frustrant à double titre : d’abord cela cristallise notre sentiment d’échec et exacerbe la dure réalité des limites de nos compétences de fin limier ; ensuite cela nous rend inaccessible la possible descendance de ce trop discret membre de notre parentèle.
Ces apparitions fugaces ne sont pas rares dans nos arbres et personnellement nous avons fait le choix de ne pas les laisser tomber en désuétude, mais de les maintenir bien présents à notre esprit en les colligeant dans un « fichier de nos disparus ».
Avec le prodigieux outil qu’est Internet notre ignorance n’est plus rédhibitoire : l’essor des archives en ligne et surtout la mutualisation des données via Généanet et consorts fera peut-être apparaître, un jour ou l’autre, une nouvelle donnée propre à faire sortir nos énigmatiques disparus de leur purgatoire.
Un acte de naissance et un acte de décès qui nous posent problème…
L’ancêtre-souche de notre patronyme est, à l’évidence, le seul cas possible d’une apparition ex nihilo masculine dans l’expression de notre arbre puisque tous les autres individus mâles sont ses descendants. Pourtant nous avons découvert l’acte de naissance d’un enfant dont l’appartenance à notre parentèle est certaine, mais qui n’est relié à aucun membre de notre tribu…
Jean BAUMGARTH était né le 22 novembre 1864 à Huttenheim :
Après deux semaines d’une bien courte vie, il y était décédé le 6 décembre :
Séparément ces actes sont d’une grande banalité ; mais, après une lecture attentive leur juxtaposition fait apparaître une incohérence : la mère avait deux pères différents. Cet alea nous a à peine interpelés car, à l’instar de tous ceux qui s’adonnent à la généalogie, nous sommes familiers des bévues et petites défaillances des officiers d’état-civil.
Nous sommes donc partis sereins rectifier l’anomalie ; mais notre sagacité fut rapidement prise en défaut car nous nous sommes heurtés à une difficulté imprévue : la mère n’existait pas !
Jean, conçu par un père inconnu, était né d’une mère nantie de deux pères et elle n’existait pas : Jean était le fils de personne !
Dès lors nous nous heurtions à un problème inédit et insoluble : comment enregistrer dans nos arbres un individu qui n’a aucune racine ???
Le petit Jean est forcément l’un des nôtres…
Notre volonté d’insérer dans nos arbres cet éphémère petit Jean Baumgarth ne relevait pas d’une lubie de notre part car deux arguments de poids nous permettaient d’étayer sérieusement le bien fondé de notre conviction qu’il était des nôtres : le premier est que le village d’Huttenheim, limitrophe de Friesenheim (le berceau de notre famille distant de 12 km), abritait des Baumgarth de notre parentèle ; le second est que le nom Baumgarth est singulièrement extrêmement rare en France.
Dans nos recherches tous azimuts, nous n’avons rencontré que quatre origines pour les porteurs du nom :
Le patronyme BAUMGARTH en France
1 - Deux enfants d’un BaumgarTHEN [1] de Mackenheim (Bas-Rhin) le sont devenus par une erreur d’état-civil ; mais la greffe n’a pas pris : disparition du nom faute d’héritier mâle.
2 - À Soultzeren (Bas Rhin) un BaumgarTEN [2] a essaimé des Baumgarth avec des chassé- croisés multiples entre les deux orthographes ; là aussi le nom muté s’est éteint en quelques générations faute de garçons.
3 - À Oberbronn (Bas-Rhin) deux émigrés venus de Mannheim (Bade-Wurtemberg) ont vu leurs descendants affublés d’un H terminal à leur patronyme initial BaumgarT [3] [4]. Là encore extinction à la fin du 19e siècle.
4 - Les descendants de Jean BAUMGARTH (vers 1700 à ? - 1764 Friesenheim), notre plus ancien aïeul connu.
Il faut néanmoins noter qu’un arbre Généanet affiche indument quatre BaumgarTH à Offwiller (Bas-Rhin) : un couple Michel et Jeanne et leurs jumeaux Salomon et Sarah, mais tous sont indiscutablement orthographiés BaumgarT sur les actes de naissance des enfants qui sont les seules références de l’arbre.
Ce soir, j’attendais Madeleine…, mais Madeleine ne viendra pas ! Jacques Brel
A priori, il nous faut donc rechercher la mystérieuse mère de notre petit Jean parmi ces quatre sources ; mais, dans les trois premières, aucune Madeleine Baumgarth n’y figure ni avec ce prénom unique, ni dans un prénom composé, ni même en deuxième ou troisième prénom.
Quant aux Madeleine de notre parentèle, deux sont décédées avant 1864 et les autres sont de toutes jeunes gamines ou n’étaient pas encore nées.
Bien sûr, nous avons vérifié qu’il ne se trouvait pas à Huttenheim de variantes onomastiques susceptibles d’être dénaturées lors de l’enregistrement du petit Jean à l’état-civil : il ne s’y trouvait pas de Baumgart, Baumgarten ou autres noms dérivés ; toutefois une famille Bannwarth aurait pu convenir avec une fille de 23 ans, mais elle se prénommait Célestine [5] et était orpheline de père.
Cet échec étonnant de la recherche de cette Madeleine chimérique ne peut avoir que deux explications : soit une autre origine méconnue [6] de nous, soit une erreur sur le prénom de la mère.
La première option est évidemment hors de portée de nos recherches ; mais la seconde l’est : nous devons donc partir à la recherche d’une femme célibataire ou veuve en âge de procréer en 1864.
Aucune candidate n’est apparue dans nos dossiers chez les mutants Baumgarth des trois premières sources.
Dans notre famille, nous en relevons trois : Thérèse, Marie Anne et Hélène dont nous avons comparé les « pédigrées » obtenus dans les recensements de 1861 et 1866 qui encadrent la date de naissance de l’enfant.
Dans nos séries télévisées, le croisement des ligne 1 et 3 ferait clignoter à l’écran la mention « Matche 100 % » et les enquêteurs s’exclameraient joyeusement : « Bingo ! Madeleine est Hélène ! » ; mais le croisement des lignes 2 et 3 les replongerait dans la perplexité : « Matche 75% »… Hélène n’est pas tout à fait Madeleine ! ... ???
L’inspecteur Bourrel [7] des feuilletons télé de notre enfance ne s’avouerait pas vaincu devant cet imbroglio : « Bon sang, mais c’est bien sûr ! … les empreintes laissées sur place ! … ».
« Les signatures sont comme les empreintes manuscrites de nos ancêtres… » [8]
Xavier, le grand-père maternel cité sur l’acte de naissance, était absent lors de la déclaration ; mais Jean, son alter ego cité sur l’acte de décès, était bien présent et signataire.
Xavier a eu une très nombreuse progéniture. Et qui dit progéniture dit actes d’état-civil avec sa signature…
Pour résoudre le dilemme Xavier/Jean, il suffit donc de comparer la signature de Jean au décès de l’enfant avec les signatures connues de Xavier !
Bien que notre expertise ès graphologie soit embryonnaire, la constance des diverses signatures de Xavier nous paraît patente et constitue un bon garant de la validité du résultat de la comparaison.
La confrontation des « pédigrées » était déjà très fortement évocatrice ; le test des signatures emporte la conviction que nous avons résolu cette énigme vieille de 155 ans :
et il appert donc que l’énigmatique Madeleine n’est autre qu’Hélène, la fille de Xavier.
Le petit Jean a retrouvé sa véritable maman et notre arbre s’est enrichi d’une brindille, certes toute petite et qui fut, hélas, trop fragile, mais qui est néanmoins un rameau légitime de notre saga familiale.
Ultime question sans réponse…
Nous sommes parvenus avec succès au terme de notre enquête, mais une question restera sans réponse : quelle a été le facteur déclenchant de cette triple erreur d’appellation ?
Hélène n’avait qu’un seul prénom à l’état-civil et nous n’avons trouvé aucun document pouvant suggérer que Madeleine lui a été substitué comme prénom d’usage pour la désigner.
De même Xavier ne reçu que ce seul viatique à son baptême et aucun acte d’état-civil n’y déroge. Pourtant un document vient troublé notre sérénité :
- Recensement d’Huttenheim de 1866
car c’est bien « Jean » qui y est mentionné.
La présence de ce « Jean » bien intrigant est-elle un simple artefact ou bien l’indice que cette étiquette non officielle était attribuée à Xavier comme pseudonyme ou surnom [9] ?
À l’encontre de cette hypothèse, on peut opposer le caractère tardif et strictement isolé de cette mention dans la succession des 7 recensements où figurent la famille de 1836 à 1866 et nous savons bien que ce type de document est loin d’avoir la rigueur de l’état-civil, ce que confirment l’orthographe fantaisiste du patronyme et les 8 ans d’erreur minimisant son âge (53 ans au lieu de 61).
ÉPILOGUE
1 - À une date inconnue, mais située entre 1866 et 1869, la famille a quitté Huttenheim qu’elle habitait depuis 1831 pour émigrer à Lièpvre dans le Haut-Rhin. Cette ville était aussi dotée d’une filature de coton ; ce peut-être une explication partielle à ce départ.
Ce fut certainement une très mauvaise idée car, en moins de 30 mois, la mère Elisabeth Herby perdit ses 3 dernières filles âgées de 21, 22 et 30 ans et son époux Xavier.
Notre Hélène/Madeleine fut la dernière à succomber le 26/3/1872, précédant de six mois sa mère, ultime survivante.
2 - Xavier Baumgarth et Elisabeth Herby ont donc eu 14 enfants :
Huit filles dont quatre sont décédées avant l’âge de 13 ans ; 3 autres sont mortes entre 21 et 22 ans.
Seule Hélène a atteint l’âge de 30 ans. Toutes sont restées célibataires.
Notre éphémère petit Jean a donc été le seul petit-enfant issu des 8 filles.
Six garçons dont deux sont décédés dans l’enfance, l’un à 1 an et l’autre à 13.
Un troisième est mort à 31 ans laissant deux enfants qui n’atteindront pas l’âge de 4 ans.
Deux autres sont partis à Paris comme gardiens de la paix ; ce sont les seuls à avoir eu une bonne longévité :
• La dernière trace du plus vieux est son acte de divorce en 1899 à 62 ans (sic) ; il a eu 3 enfants : de la fille Rosalie et de l’aîné des garçons, Antoine, nous n’avons trouvé que les actes de naissance ; François-Xavier, le second des garçons, est mort au combat dès le début de la guerre de 14-18, sans postérité.
• Le plus jeune a atteint 70 ans et a engendré deux filles qui n’ont pas eu d’enfant.
Quant au dernier des garçon, Laurent, ultime rejeton de Xavier et Elisabeth, né en1857, il était sourd-muet et la dernière trace que nous en avons retrouvée est sa présence au recensement d’Huttenheim de 1866.
Le patronyme Baumgarth semble donc s’être éteint dans cette branche de notre arbre qui, forte de ses 14 enfants était pourtant bien prometteuse à l’origine.
Mais il reste une triple incertitude et donc un très faible espoir : les destins du fils sourd-muet Laurent, du petit-fils Antoine et de sa sœur Rosalie [10] nous sont inconnus ; ils figurent donc en bonne place dans notre « fichier des disparus » ; la chance aidant, peut-être qu’Internet nous permettra de les extirper de leur purgatoire un jour prochain et de leur rechercher une éventuelle descendance…