1 - Où on fait la connaissance de Barbe VAOUILMEPLAIT
Le registre des naissances de Friesenheim enregistre celle de François Antoine SEILLER le 4 juin 1820 : sa maman, prénommée Barbe, porte l’invraisemblable patronyme de VAOUILMEPLAIT.
Bien que n’ayant aucun lien avec nos lignées, ce nom étonnant et à la consonance bien peu germanique jure singulièrement avec ceux du petit village alsacien d’environ quatre cents âmes où vécurent nos ancêtres. Son originalité attire notre attention et nous pousse à faire une pause dans nos recherches personnelles pour répondre à la question qui désormais nous taraude l’esprit : d’où pouvait bien venir la damoiselle au nom si charmant ?
L’acte de naissance ne donne aucune précision… Mais nous ne nous laissons pas abattre par ce coup du sort car il reste le recours suprême : la belle n’étant pas apparue ex nihilo à Friesenheim, il a forcément existé d’autres Vaouilmeplait en d’autres lieux et, avec un peu de chance, leurs descendants auront été pris – comme nous – par la fièvre généalogique et auront publié leur arbre sur le site Geneanet
Geneanet… recherche globale... Vaouilmeplait… Bingo ! Il y a 134 arbres différents et donc 134 généanautes qui ont des gênes Vaouilmeplait !
- Les signatures de Jacques et Nicolas Vaouilmeplait au mariage de leur sœur Louÿse le 18 Janvier 1707
2 - Vaouilmeplait : un patronyme doublement singulier car monophylétique mais, hélas, éteint…
Certains de ces arbres sont conséquents : les deux plus riches affichent respectivement 100 et 99 porteurs de ce nom tandis que les autres n’en comportent que de quelques dizaines seulement quelques individus.
La laborieuse comparaison de ces 134 arbres nous a livré un total de 56 hommes et 70 femmes, soit 126 Vaouilmeplait, mais nous n’y avons trouvé aucune trace de notre mystérieuse Barbe…
Le démêlage de l’écheveau constitué par ces différents arbres nous a conduit à faire deux constatations. La première ne nous pas surpris : comme l’étonnante originalité du nom le laissait prévoir, tous les Vaouilmeplait sont apparentés et descendent d’un Antoine, chirurgien, né vers 1620 à Urville dans les Vosges ; ce nom possède donc une particularité exceptionnelle : il est monophylétique comme nous disons dans notre jargon, c’est à dire qu’il n’appartient qu’à une seule personne et à sa descendance.
La seconde nous a fort attristés : la naissance la plus récente mentionnée dans les arbres Geneanet date de 1853 et il est donc fort à craindre que cet étonnant patronyme soit éteint puisque les archives en ligne sont accessibles jusqu’en 1892 et que, sur cet intervalle de 40 ans, nos 134 généanautes réunis n’y ont rien trouvé…
Pour vérifier cette hypothèse, nous consultons Google, les réseaux sociaux, les annuaires téléphoniques… : aucune trace de Vaouilmeplait de nos jours…
Le site « géopatronyme » collige les naissances en France pour chaque patronyme : nous y découvrons un Vaouilmeplait dans la période 1891 -1915 à Paris 14e.
L’arbre avait donc donné un ultime rejet…
Nos recherches dans les archives en ligne nous livrent son identité : Suzanne Alphonsine Vaouilmeplait est née le 23 mai 1894 et les mentions en marge de l’acte nous donnent la date de son décès à Doué la Fontaine le 28 mai 1978, ainsi que celles de ses trois mariages.
Et puisqu’il n’y a eu aucune autre naissance répertoriée depuis plus de 120 ans, Suzanne Alphonsine était bien la dernière des VAOUILMEPLAIT !
3 - Mais comment est-elle reliée aux Vaouilmeplait des arbres de Geneanet ?
Son acte de naissance précise que son père, prénommé Charles François, est âgé de 42 ans (il serait donc né vers1852) et que sa mère se nomme Sidonie Joséphine Roux.
Deux arbres Geneanet mentionnent bien un Charles François, né en 1853, fils de Charles et Marguerite Gouverneur, mais ne lui connaissent pas d’épouse : Sidonie Joséphine ne nous est donc d’aucun secours pour conclure.
La généalogie se pratique comme le billard : ce que l’on ne peut atteindre directement peut souvent l’être par la bande : nous avions déniché un entrefilet humoristique paru dans un numéro du journal le Figaro de 1877 qui signalait la publication des bans pour le mariage d’une demoiselle Vaouilmeplait habitant rue Viala...
L’hypothèse la plus probable étant que cette rue Viala était sise à Paris, ce sont donc les archives du 15e arrondissement qu’il nous faut consulter ; de fait le registre des mariages de 1877 nous livre celui d’une Marguerite Vaouilmeplait qui est fille de … Charles et Marguerite Gouverneur.
Le témoin - et frère de la mariée - s’appelle … Charles François et il habite Paris 15e.
Les archives du 15e nous apprennent le nom de son épouse qui est bien Sidonie Joséphine Roux et l’existence de leurs neuf enfants. La petite dernière s’appelle … Suzanne Alphonsine, née le 23 mai 1894 à Paris 14e et c’est bien notre dernière des Vaouilmeplait !
En prime, les recherches effectuées dans les archives du quinzième arrondissement nous livrent une manne de douze nouveaux Vaouilmeplait inconnus des arbres Geneanet.
4 - Où l’on retrouve enfin notre Barbe VAOUILMEPLAIT… que l’on reperd aussitôt !
Comment relier notre Barbe VAOUILMEPLAIT aux 138 déjà retrouvés puisque l’acte de naissance est muet sur ses origines ?
La chance est avec nous car la Société d’histoire des 4 cantons comporte une section généalogie qui a abattu un travail considérable de dépouillement des actes et a publié le livre des familles pour chacune des communes. Depuis quelques années nous avions acquis le livre des familles de Friesenheim , village dont notre commun aïeul Jean BAUMGARTH (1700-1764) était citoyen, afin d’en comparer les fiches avec nos propres données sur sa descendance.
Et à la lettre S - S comme SEILER - nous retrouvons la fiche du petit François Antoine, le fils de notre Barbe, laquelle fiche précise que ses parents sont Nicolas Vaouilmeplait et Marie Douche qui se sont mariés à Obenheim ( 67) et que Barbe est née le 17/9/1782 à Dalem…
Ce Nicolas et cette Marie Douche ne nous sont pas inconnus car ils sont présents dans bon nombre des arbres Geneanet : notre Barbe vient donc de réintégrer la tribu des Vaouilmeplait.
Son père, né et marié à Lamarche dans les Vosges, appartenait au corps des douanes royales puis impériales et les contraintes de sa carrière expliquent la naissance de Barbe à Allamps (et non Dalem) en Meurthe et Moselle en 1782 (il était alors brigadier) et les noces de Barbe à Obenheim (Bas-Rhin) en 1809 (il était lieutenant et avait probablement son futur gendre sous ses ordres puisque celui-ci était employé des douanes).
Notre rencontre avec les Vaouilmeplait tient du miracle car le lien entre notre village de Friesenheim et Barbe est des plus ténus : la famille SEILER n’y a aucune racine, Barbe et son époux sont inconnus du recensement de 1819 effectué moins d’un an avant la naissance du petit François Antoine et ils n’y ont laissé aucune autre trace.
5 - Les causes de l’extinction du patronyme Vaouilmeplait :
A l’évidence le patronyme est l’âme et le mode d’expression de la généalogie.
Nous venons d’assister de visu à la disparition de l’un des plus originaux d’entre eux : l’existence de nos 140 Vaouilmeplait s’est déroulée sur dix générations pendant une très longue période de 358 années.
Trois facteurs se sont conjugués pour conduire à cette dramatique extinction :
1 - À l’exception très minoritaire des mères célibataires, la transmission du patronyme est patriarcale.
Il est classiquement admis qu’à la naissance il y a une quasi parité : le sex-ratio filles/garçons est de 0,97 ; mais, à notre grande surprise, nous avons constaté une inversion et un déséquilibre patent chez les Vaouilmeplait : 78 filles pour seulement 62 garçons, donc un sex-ratio étonnant F/G de 1,29.
Ce déficit de procréateurs-transmetteurs du nom est donc l’une des causes recherchées.
2 - Des décennies de progrès de la médecine ont fait disparaître de notre mémoire collective jusqu’au souvenir de l’effroyable fatalité de la mortalité infantile qui frappait les foyers de nos ancêtres jusqu’à la fin du 19e siècle.
Mais la consultations des archives replonge le généalogiste dans cette triste réalité : ainsi chez nos Vaouilmeplait 24,3 % des filles et 35,5 % des garçons n’ont pas atteint l’âge de 10 ans (ce pourcentage hallucinant est même certainement sous-estimé car la comparaison des arbres Geneanet ne nous a pas permis de connaître la durée de vie (D-N) pour près de la moitié des 64,5 % des garçons restants).
3 - Le mariage tardif semble aussi avoir joué un rôle : pour leurs premières noces 8 des 28 hommes dont le mariage est connu étaient au moins trentenaires.
L’ultime branche des Vaouilmeplait - celle que nous avons retrouvé à Paris - illustre parfaitement la conjonction de ces trois causes délétères : Charles François et Sidonie Joséphine ont eu 9 enfants (4 garçons et 5 filles – sex-ratio = 0,8) qui s’échelonnent de 1876 à 1894 ; quatre dont deux garçons meurent avant l’âge de 5 ans (mortalité infantile de 44% !) ; le quatrième fils Charles Alphonse se marie à 33 ans et n’a pas eu d’enfant...
6 - En guise de conclusion…
Notre promenade dans la saga des Vaouilmeplait se termine.
Il restait pourtant bien des choses à découvrir, mais ce n’était pour nous qu’une simple pause dans nos propres recherches car nous n’avons aucun lien avec cette famille et nous n’étions motivés que par la seule curiosité.
Nous avons pris plaisir à faire ressurgir des limbes ce patronyme magnifique et nous espérons vivement que l’un des généanautes dont nous avons emprunté les arbres reprendra le flambeau à la lumière de nos découvertes.
Le fait qu’il y ait eu extinction nous a beaucoup impressionné : bien sûr cette éventualité ne nous était pas inconnue, mais elle semblait plutôt théorique. En la rencontrant de visu pour la première fois nous n’avons pas pu nous empêcher de nous mettre dans la peau du dernier des Mohicans : quand nous tombions sur l’impasse d’une lignée [1] au cours de nos recherches, il nous semblait déjà que la solitude du dernier survivant devait être bien difficile à vivre ; mais être l’ultime bourgeon d’un patronyme nous semble être l’abomination de la désolation.
Cette aventure généalogique a exacerbé notre prise de conscience du fait que notre patronyme est une part inaliénable et fondamentale de notre personnalité. Il nous est même venu à l’esprit que le mariage est, pour la femme, un suicide programmé de son patronyme : quelle signature se présente spontanément dans l’inconscient de la toute récente épouse lorsque le maire lui demande de signer le registre ?
Autrefois la femme échangeait son nom contre un statut social ; ce n’est plus le cas aujourd’hui : la mutation d’état-civil se fait sans qu’elle n’en tire un gain réel. Faut-il voir là une explication aux réticences de nos filles face au mariage et leur peu d’empressement à convoler ?
7 - Addendum
En réalité, nous avons retrouvé 142 Vaouilmeplait et non 140, car nous avons déniché une Mélanie Joséphine dans la table décennale des décès de Marseille le 27 juillet 1881, mais l’acte est introuvable et si nous croyons connaître ses parents, nous ne pouvons en apporter la preuve.
Quant au 142e, il a failli être le messie : Marcel Henri est né le 13 juillet 1900 à Paris 20 de Marguerite Vaouilmeplait, la sœur aînée de Suzanne Alphonsine ; elle était mère célibataire [2] et l’enfant était un garçon ; les ingrédients étaient donc réunis pour que le patronyme soit sauvé ; hélas, c’était compter sans la malédiction de la mortalité infantile : ce providentiel nouveau-né, unique représentant de la très éphémère onzième génération des Vaouilmeplait, décéda à l’âge de treize jours [3]…
Les auteurs :
- Marie-claire ANCEL est généalogiste professionnelle dans l’Aube : http://www.ancelgenealogie.com/
- Michel BAUMGARTH est généalogiste amateur en Martinique.